Interview de M. Charles Millon, président du conseil régional de la région Rhône Alpes, à "Paris-Match" le 2 avril 1998, sur les conditions de son élection à la présidence de la région Rhône-Alpes, ses relations avec le Front national, et son souhait de fonder une grande formation de droite à partir "d'un projet et d'une échelle de valeurs reconnus de tous".

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Média : Paris Match

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Laurence Masurel : Vous voici élu président de la région Rhône-Alpes grâce aux voix des conseillers régionaux du Front national. Ancien président du groupe parlementaire UDF, allié privilégié de Jacques Chirac lors de son élection présidentielle, ex-ministre de la Défense, avez-vous conscience d’avoir fait le grand saut, de risquer de faire exploser la droite ?

Charles Millon : Il n’y a eu ni pacte, ni alliance, ni compromission, ni accord avec le Front national. Lors de mon élection, il y a eu vote en ma faveur parce que les élus du Front national ont trouvé dans mon programme électoral des points qui leur donnaient satisfaction. Ces points n’ont jamais été les résultats d’une quelconque négociation. Tous les thèmes de ma campagne figuraient déjà dans la politique que j’ai menée à la tête de la région ces dernières années, que ce soit la stabilisation de la fiscalité, le chèque-culture, la transparence de la gestion, la sécurité dans les lycées et les écoles.

Laurence Masurel : Philippe Séguin vous accuse d’avoir fait cuire votre « petite soupe dans votre coin » et dénonce ceux qui, comme vous, ont pactisé avec l’extrême droite. Il a ajouté : « Nous savons désormais sur quelle base se fera la reconstruction de l’opposition républicaine ». Autrement dit, vous risquez de ne plus faire partie de la future formation de la droite républicaine ?

Charles Millon : La refondation de la droite ne pourra se faire qu’autour d’une droite qui n’aura pas mauvaise conscience, qui mettra en œuvre ce qu’elle dit, qui respectera ses convictions et qui, enfin, refusera d’obéir aux oukases de la gauche. Si la droite continue à ne pas mettre en œuvre la politique pour laquelle elle a été élue, elle amènera son propre électorat à aller se réfugier dans les rangs de celui du Front national. La mission de la droite, c’est de démontrer qu’elle est capable de mettre en avant son programme, sans faire de concession sur ses valeurs, sans faire de compromission dans ses alliances. Le choix est clair : soit on accepte, sans aucun gage, des voix qui permettent de mettre en œuvre la politique pour laquelle on a été élu, soit on les refuse et on laisse la gauche gouverner et l’extrême droite monopoliser l’opposition. On laissera alors construire un paysage politique où ne demeureront que la gauche et l’extrême droite.

Laurence Masurel : Assiste-t-on à un véritable divorce entre les états-majors parisiens et les élus régionaux et leur base ?

Charles Millon : Le peuple de droite se révolte aujourd’hui contre les ordres de Paris. Il ne veut pas être réduit à être de la « chair à élection ». Il souhaite que ses élus, ses dirigeants appliquent une vraie politique de droite. A ce moment-là, ses voix ne fuiront plus par dépit ou par désespérance vers les extrêmes.

Laurence Masurel : Diriez-vous que les militants et les élus locaux connaissent mieux le terrain que les états-majors de Paris ?

Charles Millon : Les conseillers régionaux ont une meilleure connaissance du terrain et des gens. Trop « énarquisés », les états-majors politiques parisiens sont totalement coupés de l’électorat.

Laurence Masurel : Comment faire pour reconstruire une droite qui tienne la route face à la gauche plurielle ?

Charles Millon : J’appelle d’urgence de mes vœux la tenue d’un grand congrès de la droite moderne où l’on ne procéderait pas à des Meccano politiques ou partisans et où l’on fonderait une grande formation à partir d’un projet et d’une échelle des valeurs reconnus de tous. On y déciderait du renouvellement des idées, des structures et des hommes.

Laurence Masurel : Que ferez-vous du Front national dans cette grande formation ?

Charles Millon : Si cette formation politique voit le jour, la grande majorité de l’électorat du Front national nous rejoindra.

Laurence Masurel : En attendant, cela ne va pas être facile pour vous de diriger votre région avec vos alliés du Front national et M. Gollnisch ?

Charles Millon : Tout d’abord, je le répète, il n’est pas question d’alliance avec le Front national. Ensuite, et en ce qui concerne la gestion de la région, cela n’a jamais été facile puisqu’il n’y a jamais eu, étant donné le mode de scrutin, de majorité absolue depuis 1986. Les décisions ont toujours été prises avec des majorités variables.

Laurence Masurel : Ne craignez-vous pas d’être traité de « pestiféré » par la droite républicaine et d’être transformé en bouc émissaire, alors que, déjà, François Léotard vous a suspendu de l’UDF ?

Charles Millon : Je n’ai rien d’un pestiféré. Chaque jour, depuis mon élection, je reçois, par heure, 50 messages de soutien et de sympathie de la part d’habitants de ma région.