Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur l'engagement des militaires portugais pendant la première guerre mondiale, Aire-sur-la-Lys le 18 avril 1998.

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Circonstance : Commémoration franco-portugaise du 80ème anniversaire de la bataille de la Lys au monument aux Morts de la Couture, le 18 avril 1998

Texte intégral

* 80e anniversaire de la fin de la Grande Guerre

Le 14 juillet 1918, le Président Poincaré adressait un télégramme au chef de l'Etat portugais : « L'amitié du Portugal est très chère à la France. Les braves soldats de votre République ont été acclamés par le peuple de Paris, le nom des Portugais a été donné à une rue de la cité ». Aujourd'hui, cette commémoration bilatérale marque le début des célébrations du 80e anniversaire de la fin de la Grande Guerre. Cette cérémonie célèbre la mémoire des combattants de la liberté  et l'engagement de soldats, venus en France, champ de bataille du monde, défendre le Portugal, république naissante.

* Commémoration franco-portugaise

Au moment où se construit l'Union européenne, la commémoration de la Grande Guerre, placée sous le signe de la mémoire des nations combattantes, rappelle aux peuples européens leur histoire commune. La célébration rend hommage aux combattants de la liberté, venus défendre en France les valeurs de la République. Pour le Portugal et la France, la Grande Guerre est un moment fort d'unité nationale. Il s'agit de défendre la République portugaise nouvellement créée (le 5 octobre 1910) et de la hisser au rang des nations alliées. En 1916, le gouvernement d'Union sacrée formé entre démocrates et évolutionnistes, décidait l'envoi de forces sur le front occidental. Le 14 février 1917, le premier contingent de la 1re division d'infanterie portugaise débarque à Brest. Une semaine plus tard, il arrive dans le Pas-de-Calais, à Aire-sur-la-Lys, sur le front tenu par l'armée britannique rejoint par la 2e division d'infanterie.

Avec ce monument de La Couture, inauguré le 10 novembre 1928, La France rend hommage aux 2 086 morts du corps expéditionnaire portugais en France, à ses 5 224 blessés, à ses 6 678 prisonniers. Ce monument rappelle l'engagement patriote des « poilus » portugais, appelés à défendre la République, la République portugaise, mais aussi la République française. La France, sachez-le, est reconnaissante envers les soldats portugais, pour leurs actions sur le sol français, pour leur engagement aux côtés des alliés.

* Bataille de la Lys

De plus, ce moment fort d'unité nationale est une mémoire partagée. Lors de la bataille de la Lys, Portugais, Britanniques et Français ont ouvré de concert. Ce monument est bien un appel à : la mémoire partagée des nations combattantes. Le 6 novembre 1917, le corps expéditionnaire portugais prend en charge un secteur entre Arras et Armentières, dans le secteur Haig, au sein de la 1re armée du général Horne en soutien de l'offensive anglaise contre Cambrai. Le 9 avril 1918, l'offensive allemande « Georgette » se déclenche dans les Flandres, au sud-ouest d'Armentières. Affaiblis par des mois de combat, en sous-effectif, les Portugais perdent 7 425 hommes tués, blessés ou disparus.

Dans la plaine de la Lys, les 13e et 15e régiments d'infanterie portugais s'accrochent alors à La Couture, le 10 avril. Ils défendent avec acharnement le village aux côtés des Ecossais. Malgré cette vigoureuse résistance, les Allemands franchissent la Lys le lendemain. Le 11, les Français arrivent en renfort pour arrêter l'assaut allemand. Un corps de cavalerie et cinq divisions d'infanterie sous les ordres du général de Mitry permettent d'arrêter les troupes allemandes. Lieu de mémoire du peuple portugais, La Couture est aussi, par conséquent, un lieu de mémoire pour l'ensemble des nations qui ont combattu de concert durant la Grande Guerre.

* Coopération militaire européenne

La commémoration de la Grande Guerre rappelle aux peuples européens leur histoire commune. Car la Grande Guerre a développé la coopération militaire entre nations alliées, dépassant les querelles d'antan. Nous pouvons donc saluer ici la coopération étroite entre les armées européennes. Le 20 octobre 1916, le protocole de Boulogne, qui met fin à des pourparlers franco britanniques, rattache le Corps expéditionnaire portugais à l'armée britannique (2e corps d'armée). Fin novembre 1917, le Corps d'artillerie lourde portugais, 70 officiers et 1 260 soldats, est mis à disposition du commandement français et débarque le 15 janvier 1918.

De plus, la Grande Guerre consacre la coopération militaire entre la France et le Portugal : la France favorisera en effet la création de l'aviation et de l'aéronautique maritime portugaise, l'installation d'une base d'hydravions à Aveiro pour la défense des côtes portugaises contre les sous-marins allemands. La convention du 28 octobre 1916 entre la France et le Portugal autorise le recrutement de travailleurs civils. En mai 1918, le nombre des ouvriers portugais venus participer à l'effort de guerre en France s'élève ainsi à 13 800.

Mais au-delà, ce que nous commémorons aujourd'hui, c'est aussi la première initiative de défense européenne. Pour la première fois, le Royaume-Uni accepte qu'une autre puissance navale, les Etats-Unis, s'installe aux Açores dans le cadre de la guerre sous-marine. L'expérience de la base de Ponta Delgada aux Açores a une signification importante. Les nations occidentales s'unissent autour d'un projet commun : la défense de l'Europe, en tempérant leurs préoccupations stratégiques nationales.

* Coopération militaire franco-portugaise

La construction européenne est une grande ambition partagée par la France et le Portugal. Aujourd'hui, plus que jamais, nous partageons un destin commun dans plusieurs domaines de coopération fructueuse. En Bosnie, l'engagement des contingents français et portugais témoigne de leur contribution à l'émergence de l'identité européenne de défense à travers une opération de gestion de crise majeure. A travers la coopération au sein des Euroforces, exemple prometteur de la constitution de forces multinationales européennes au service de l'identité européenne de de l'instauration d'un espace de paix et de stabilité en Méditerranée.

Enfin, la professionnalisation de notre outil de défense, également engagée par nos deux pays, constitue un nouveau champ de discussion.

Tous ces éléments plaident pour un renforcement des relations franco-portugaises en matière de défense. C'est dans cet esprit que nous sommes convenus, Monsieur le ministre, d'élaborer un accord général encadrant notre coopération bilatérale en matière de défense, expression de la volonté de nos peuples, fondée sur une amitié profonde forgée dans les épreuves de deux guerres mondiales qui ont bouleversé l'Europe.