Interview de M. Jean-Louis Debré, président du groupe RPR à l'Assemblée nationale, dans "Le Figaro" du 20 mai 1998, sur les divisions au sein du RPR, la position de l'opposition vis à vis du chef de l'Etat et les affaires au RPR, notamment à la mairie de Paris.

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Le Monde : En quoi l'Alliance, proposée par Philippe Séguin et François Léotard, peut-elle permettre à la droite de régler ses difficultés ?

Jean-Louis Debré : À l'évidence, cela répond au souci d'union souhaité par notre électorat, et c'est déjà important. L'Alliance doit permettre aux responsables politiques de dépasser la conjoncture et de réfléchir ensemble, comme nous l'avions déjà fait lors des états généraux de l'opposition. Nous devons regarder si le diagnostic est le même et si les solutions sont compatibles. Un contrat de gouvernement devra prolonger cette réflexion commune.

Le Monde : À l'Assemblée, l'intergroupe RPR-UDF n'a jamais fonctionné…

Jean-Louis Debré : Ne regardons pas le passé ! Il faut qu'avec nos partenaires de l'opposition, nous réfléchissions ensemble à la politique économique que nous voulons proposer, à l'Europe que nous souhaitons, au rôle de l'État. Il ne s'agit aucunement d'être à l'image de la majorité « plurielle », qui n'est qu'une machine électorale alors que, au fond, les communistes, les socialistes et les Verts ne sont d'accord sur rien : ni sur le problème de l'immigration, ni sur l'Europe.

Le Monde : Lors du vote de la résolution sur le passage à la monnaie unique, les députés UDF et RPR se sont divisés et, au sein même du groupe RPR, les désaccords ont été flagrants entre Philippe Séguin et Alain Juppé…

Jean-Louis Debré : Sur l'Europe, le RPR a plus évolué que vous ne le pensez. L'Europe est en marche, et nous le savons tous. Lors du vote à l'Assemblée, il ne s'agissait pas de se prononcer sur le passage à la monnaie unique, mais d'approuver ou non une résolution socialiste, qui n'était que la défense de la politique économique du gouvernement. Mais il est vrai qu'en termes de lisibilité politique, notre position n'était pas claire.

Le Monde : Quel doit être le rôle de l'Alliance vis-à-vis du président de la République ?

Jean-Louis Debré : Il faut qu'elle manifeste son soutien au président de la République. De son côté, le président ne peut se désintéresser de la vie parlementaire et politique.

Le Monde : L'Alliance doit-elle être le parti du président ?

Jean-Louis Debré : Il n'est pas concevable que l'action des partis de l'opposition se démarque de l'action du président de la République.

Le Monde : Le RPR doit-il avoir un rôle particulier ?

Jean-Louis Debré : Le président a besoin d'avoir des députés qui relaient ses actions et de partis qui relaient ses idées. Croyez-vous que le général de Gaulle se soit désintéressé du parti gaulliste ? Et Valéry Giscard d'Estaing ? Et François Mitterrand ? J'ai retrouvé les débats qui agitaient le PS lors de la première cohabitation. « Le Monde » rend compte d'un comité directeur du 13 septembre 1986, qui avait vu l'opposition entre un Lionel Jospin, soutenant que le PS ne peut se démarquer du président, et d'autres socialistes, assurant que les routes du président et du PS ne doivent pas être éternellement parallèles. Nous avons, et c'est normal, le même débat.

Le Monde : M. Séguin ne paraît pas le trancher de la même façon que vous…

Jean-Louis Debré : Certains peuvent espérer se démarquer du chef de l'État. Je crois qu'ils commettent une erreur. Le seul qui puisse rassembler l'opposition et mettre un frein aux ambitions personnelles, c'est Jacques Chirac.

Le Monde : Vous faites allusion aux ambitions de M. Séguin ?

Jean-Louis Debré : Je n'ai pas à citer de noms. En tout cas, je vous le répète, il n'y a pas d'issue pour le RPR dans une opposition au chef de l'État.

Le Monde : Que pensez-vous, alors, de Charles Pasqua, qui fonde son action sur une opposition à l'Europe défendue par M. Chirac ?

Jean-Louis Debré : Il y a longtemps que je ne sais plus dans quel cadre se situe Charles Pasqua.

Le Monde : Quel doit être le rôle du président du RPR ?

Jean-Louis Debré : Il doit d'abord préparer les prochaines échéances électorales, élaborer un socle de propositions, animer le RPR et mener le combat contre le gouvernement, en restant dans une fidélité absolue au chef de l'État.

Le Monde : Une part de vos électeurs jugent pourtant que le président n'est pas suffisamment critique vis-à-vis de M. Jospin…

Jean-Louis Debré : Ce n'est pas exact. Jacques Chirac n'a pas, naturellement, à intervenir sur tout, mais il s'est montré très critique, notamment, sur la politique économique du gouvernement. Et puis, peut-être faut-il envisager pour nous une autre forme d'opposition, moins systématique, et être d'abord critique sur ce qui est critiquable.

Le Monde : Dans ces conditions, que peut dire l'opposition ?

Jean-Louis Debré : Nous avons été offensifs et nous avons été compris lors des débats sur la nationalité, sur l'immigration, sur les 35 heures et lorsque le gouvernement a porté des coups répétés à la politique familiale. Nous devons avoir la capacité de proposer un programme précis sur la démocratisation de la vie publique. Il ne s'agit pas de revenir sur l'architecture générale de la Constitution, mais nous devons mettre un terme à certains éléments sclérosants de notre démocratie, renforcer la légitimité de nos élus et les rapprocher des citoyens. Il faut aller vers le scrutin à un tour aux législatives et interdire aux élus d'assumer plus de vingt ans de suite un même mandat. Il faut interdire le cumul entre une fonction gouvernementale et un exécutif local, quel qu'il soit.

Le Monde : Renforcer la légitimité des élus passe peut-être aussi, pour le RPR, par la fin des « affaires » qui défraient la chronique, notamment à Paris…

Jean-Louis Debré : Là-dessus, je suis intransigeant. Il faut que ceux qui ont commis des fautes soient sanctionnés. Il faut que la justice passe. Mais il convient de se méfier de la justice spectacle et ne pas utiliser l'action des juges à des fins politiques.

Le Monde : Quel effet ont les querelles parisiennes sur votre électorat ?

Jean-Louis Debré : Nos électeurs ne comprennent pas ce qui se passe à la mairie de Paris. Ils ne comprennent pas que des hommes appartenant à la même sensibilité puissent se déchirer. Et il est clair que le duel fratricide qui se mène à Paris a un effet dévastateur pour nous comme pour le chef de l'État. Il faut très vite y mettre un terme. Il faut que Jacques Toubon et Jean Tibéri prennent leurs responsabilités. Sinon, il faudra les exclure.