Interview de M. Claude Goasguen, vice-président de Démocratie libérale, dans "Le Figaro" du 14 août 1998, sur les rapports au sein de la droite notamment face au Front national, la nécessité d'une véritable "alternance" et sur le rôle d'Alain Madelin.

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Le Figaro : Vos amis vous reprochent de manquer de cœur…

Claude Goasguen : Pour être généreux, ils en conviennent, il faut d’abord créer des richesses. Or le système français actuel ne pousse pas à l’enrichissement. Au contraire, il multiplie les entraves à l’initiative. Au lieu de laisser les entreprises se libérer, on prétend leur imposer les 35 heures qui seront un frein à leur développement. Il faut en sortir. Rompre avec une gauche qui bénéficie, certes, actuellement de la croissance mais qui reste attachée à des solutions archaïques. Franchement, vous trouvez Lionel Jospin exaltant ? Je n’ai pas rencontré de jeunes qui aient envie de le suivre. Les jeunes – je les vois dans les universités – sont attirés par la modernité. Ils rejettent le colbertisme.

Le Figaro : La droite elle-même, et notamment le gouvernement Juppé dont vous avez fait partie, n’a-t-elle pas été colbertiste ?

Claude Goasguen : La déception a été grande en effet au lendemain de l’élection présidentielle de 1995. Car le sursaut attendu n’a pas eu lieu. Alain Juppé a été courageux, mais nos électeurs attendaient moins d’entraves, moins de fiscalité, une vraie réforme du service public. Il ne s’agit donc pas aujourd’hui de revenir en arrière. La droite a besoin d’une véritable alternance. Pas d’une alternance mécanique, qu’il suffirait d’attendre comme si elle allait se produire automatiquement après l’échec de la gauche. Mais d’un profond renouvellement des hommes et des idées. Notre pays est très en retard. N’oubliez pas que si Tony Blair a pu apparaître comme un réformateur, c’est parce que, avant lui, Margaret Thatcher avait modernisé la Grande-Bretagne.

Le Figaro : Ah ! Le libéralisme « aux mâchoires d’acier », comme dirait Gilles de Robien.

Claude Goasguen : Les mâchoires d’acier, en France, dans l’état actuel des choses, ce serait plutôt celles de la puissance publique. Nous sommes les seuls à avoir un service public d’une telle pesanteur. Ou bien nous l’acceptons, considérant que les socialistes évoluent dans le bon sens. Cette stratégie centriste, qui nous conduit à gommer nos différences, me paraît vouée à l’échec. Ou bien nous réfléchissons aux moyens de moderniser vraiment le pays. Nous constatons que la loi sur les 35 heures est mauvaise, nous chiffrons la facture de l’immigration et nous ne nous contentons pas d’une baisse de la taxe professionnelle. Bref, nous perdons nos complexes !

Le Figaro : Jacques Chirac, dont vous êtes proche, n’a-t-il pas été plutôt jusque-là un adepte de la « stratégie centriste » ?

Claude Goasguen : Jacques Chirac est parfaitement capable de prendre à bras-le-corps, comme il l’a fait en 1995, une véritable révolution culturelle. À l’opposition de lui dire ce qu’elle attend. Elle ne doit pas se contenter de recevoir du président. Elle doit être capable de lui apporter des propositions. C’est le rôle que joua Madelin en 1995, car il porte en germe la modernisation. Devenu le leader d’une grande formation, son audience s’est élargie.

Le Figaro : Son soutien à Charles Millon et aux autres présidents de région élus avec des voix FN n’a-t-il pas altéré son image ? Gérard Longuet et d’autres élus UDF lui reprochent son « attitude ambigüe ».

Claude Goasguen : Elle est pourtant claire : tant que le FN n’aura pas renié les propos racistes et antisémites de Le Pen, il n’y aura pas de discussion possible. L’évolution se fera sans doute un jour, comme elle s’est faite en Italie avec Gianfranco Fini, mais la personnalité de Le Pen paralyse tout. Ce n’est pas une raison pour faire du FN le grand ordonnateur de nos débats internes. Il y a beaucoup d’hypocrisie à condamner Madelin alors que Millon est encore à l’UDF. Ne perdons pas de vue la seule vraie question : si les gens votent Le Pen, ce n’est pas que la plupart apprécient ses propos racistes. C’est pour nous lancer un avertissement : « Vous avez eu tous les pouvoirs, nous disent-ils. Et vous avez fait la politique de vos adversaires ».
Alors que la pensée de gauche s’évanouit et que des ministres socialistes comme Claude Allègre sont contraints de reprendre notre propre discours sur les valeurs, allons-nous continuer de courir derrière nos adversaires ? Cessons donc de cultiver notre complexe de gauche.