Texte intégral
Paris Match - 6 août 1998
Paris Match : D’abord le mariage Alcatel-Thomson, et maintenant celui de Matra Hautes Technologies avec Aerospatiale. L’Europe de la défense est-elle donc en marche ?
Alain Richard : Pour véritablement exister, l’Europe de la défense devrait avoir des objectifs communs de sécurité et d’action, disposer d’outils militaires communs : avoir par exemple des formations et des états-majors européens, etc. Enfin, avoir des outils industriels communs. Or, comme l’Europe de l’économie l’a fait auparavant, l’Europe de la défense commence par se doter d’outils communs avant d’atteindre ces premiers objectifs. Ma conviction, c’est qu’il y a énormément d’objectifs communs de sécurité et d’actions internationales dans l’Europe des quinze. Si l’on regarde en arrière, depuis une vingtaine d’années, on perçoit bien que les Européens sont beaucoup plus rassemblés sur les différents problèmes de la planète, mais les contradictions politico-quotidiennes de chacun font que les dirigeants des quinze ont beaucoup de mal à assumer leur unité de vues publiquement.
Paris Match : En somme, vous pensez que l’Europe de la défense naîtra, comme l’Union économique et monétaire : les outils d’abord, et le reste suivra…
Alain Richard : Je pense que nos quinze démocraties européennes admettront mieux leurs grandes finalités communes lorsqu’elles se rendront compte qu’elles sont devenues ensemble propriétaires de leurs outils industriels.
Paris Match : Mais il y a aussi, derrière des mariages comme celui de Matra avec Aerospatiale, un objectif économique tout simple, celui de lutter contre l’étroitesse des marchés de la défense !
Alain Richard : Oui, avec la taille réduite des marchés et le poids colossal des investissements pour lancer de nouvelles armes, si les grands de l’industrie de la défense ne s’allient pas, ils risquent d’être marginalisés au niveau mondial par les grands groupes américains.
Paris Match : Pour toutes ces raisons, appelez-vous encore de vos vœux de nouveaux regroupements, cette fois au niveau européen, et pourquoi pas, des alliances avec d’autres entreprises américaines par exemple ?
Alain Richard : C’est le choix que notre gouvernement, sous l’impulsion de Lionel Jospin, a exprimé en commun avec les gouvernements britannique et allemand. Nous nous réjouissons à l’idée que nos amis italiens, espagnols et suédois se soient joints, d’ores-et-déjà, à notre entreprise.
Paris Match : Y a-t-il en ce moment d’autres accords en négociation ?
Alain Richard : Beaucoup de choses sont actuellement en discussion, mais elles ont besoin, pour aboutir, de rester secrètes. Si nous avions parlé haut et fort de notre projet de rapprochement entre Aerospatiale et Matra, si nous avions interrogé ouvertement les uns et les autres, rien n’aurait pu se concrétiser. Dans de telles négociations, il y a de très fortes oppositions d’intérêts, des stratégies de conquête de pouvoir concurrentes, bref, il y a toutes sortes d’obstacles qui nécessitent la plus grande prudence et le secret. Ceux qui parlent ne sont pas dans le dossier, ceux qui sont dans le dossier ne parlent pas.
Paris Match : La semaine dernière, vous avez rencontré des responsables italiens… pour négocier ?
Alain Richard : J’ai rencontré les responsables de Finmeccanica et d’Alenia, car nous tenons beaucoup à une participation italienne à ce vaste mouvement de restructuration européenne.
Paris Match : « L’exception française » militaire, c’est-à-dire une défense forte et indépendante, comme le voulait le général de Gaulle, ne risque-t-elle pas progressivement de disparaître ?
Alain Richard : Le problème ne se pose pas comme ça. Beaucoup de nos partenaires européens nous disent : « Vous, Français, apportez-nous vos propositions, pour que l’Europe puisse mieux remplir son rôle international, d’une manière collective. » Il n’y a pas chez nous d’arrogance. Chacun sait bien que la France a une tradition et un réel savoir-faire militaire et économique. Je préfère parler d’« impulsion française » plutôt que d’« exception française ».
Paris Match : Revenons à l’alliance Aerospatiale-Matra Hautes Technologies. Comment arrimerez-vous Dassault Aviation, qui fait figure de grand perdant ?
Alain Richard : Nous en parlons en confiance avec eux, en ce moment. Nous avons un bon dialogue approfondi. Je suis désireux de voir évoluer positivement des accords que l’on peut passer ensemble. Je voudrais qu’ils soient aussi efficaces que possible. Il y a différents projets, parmi lesquels le groupe Dassault peut choisir, en fonction de ses intérêts.
Paris Match : Comment les rapports devront-ils évoluer entre les deux grands pôles, d’un côté AlcatelThomson, et de l’autre Matra-Aerospatiale, et quels devront être leurs rôles respectifs ?
Alain Richard : Nous croyons profondément aux formidables capacités technologiques de ces deux grands groupes. Le premier, plus tourné vers l’électronique, professionnelle et de défense ; le second vers l’aéronautique et l’espace. Ils ont chacun leurs extensions dans différentes industries. Ils ne vont pas se tourner le dos, ils ont vocation à coopérer. Mais ils ont aussi chacun leur devenir, il ne faut pas les empiler, pas plus qu’il ne faut les mixer. L’identité d’entreprise doit rester, mais en même temps, il leur faudra tisser des liens de confiance. Ma conviction, c’est que la marque est importante. De toute façon, c’est à eux de décider s’ils veulent coopérer dans certains domaines, et lesquels. Laissons-leur la liberté. Ils sont aux manettes. Le choix que nous faisons d’une présence substantielle de l’État dans le capital de ces entreprises a comme corollaire que l’État actionnaire doit bien s’organiser.
Paris Match : Justement, l’État doit-il absolument conserver un droit de regard sur ces deux grands pôles de la défense, ou bien ont-ils vocation à être complètement privatisés, comme le réclament d’autres grands groupes européens, British Aerospace et Dasa, pour ne pas les nommer ?
Alain Richard : Qu’on m’explique ce qui fait la différence, d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique, d’un côté ou de l’autre du Rhin ou de la Manche, entre nos entreprises et celles qui vivent d’une façon dépendante de l’État ? Regardez British Aerospace : le gouvernement britannique détient aujourd’hui comme hier un outil juridique sous la forme d’une « golden Share », c’est-à-dire une action privilégiée, qui lui permet de contrôler toute décision stratégique de BAe. En Allemagne, une dizaine de volumes ont été publiés sur les relations de totale confiance et de coopération entre le gouvernement fédéral, l’industrie aéronautique et de défense, et les forces sociales. S’il n’y a pas de véritable lien économique entre l’État allemand ou l’État britannique avec leurs entreprises de défense, il y a de vrais sujets de convergence, notons-le.
Paris Match : Conseillez-vous aux Français de miser sur les actions Aerospatiale ?
Alain Richard : Si le gouvernement a fait ce choix de privatiser partiellement Aerospatiale, c’est parce qu’il constate que beaucoup de citoyens sont intéressés à placer leur argent dans les actions des entreprises qui représentent à leurs yeux quelque chose d’important pour leur pays, et que la masse des ressources financières à mobiliser pour financer les nouveaux projets technologiques suppose un marché très large. La première échéance de cette technologie avancée sera celle du financement de l’avion grand modèle A3XX qui suppose un investissement de 50 à 60 milliards de francs, dont un tiers pour la France. Je suis convaincu que le succès d’Aerospatiale sera au rendez-vous. Dans les semaines qui viennent, on va voir ceux dont le métier est de faire gagner leurs clients, vanter les mérites de ces actions.
Paris Match : Justement, Aerospatiale étant le premier grand actionnaire d’Airbus Industries, comment voyez-vous l’avenir de ce consortium européen face au géant américain Boeing ?
Alain Richard : C’est une nécessité de remplacer à bonne date, c’est-à-dire le plus vite possible, le consortium où toutes les décisions doivent être prises à l’unanimité, par une société anonyme dont les processus de décision sont beaucoup plus simples et plus rapides. Comme ce projet est à l’étude depuis un bon moment, nous ne voyons pas de motif pour en retarder l’aboutissement.
Paris Match : Comment vos alliés de la gauche plurielle, et surtout Robert Hue, vont-ils digérer cette semi-privatisation d’Aerospatiale ?
Alain Richard : J’essaie de me tenir à l’écart de ce débat. Mais si je tente de comprendre sur quelle base s’est formée cette majorité plurielle, c’est sur la volonté de moderniser et de réformer la France. Or, c’est ce que nous faisons en modernisant tout le secteur de la défense, de l’aéronautique et de l’espace. Je suis persuadé que cette vision sera largement partagée par nos amis communistes. Personne ne veut mettre la majorité plurielle en péril sur un sujet comme la modernisation de la défense. J’ai indiqué, la semaine dernière, à Robert Hue que j’étais à sa disposition pour poursuivre le dialogue sur ce sujet.
Paris Match : Et les syndicats, comment vont-ils l’entendre ?
Alain Richard : J’ai passé beaucoup de temps à dialoguer avec eux. J’ai beaucoup appris. Mes interlocuteurs sont très compétents. Je respecterai leurs positions. Mais je crois les avoir convaincus que le gouvernement a cherché loyalement à trouver les meilleures solutions pour préserver l’avenir des entreprises auxquelles ils sont attachés.
Paris Match : Certains disent que la chute du bloc communiste en 1989 a entraîné la fin de la course aux armements dans le monde. Croyez-vous donc sincèrement que les industries de défense européennes ont encore un avenir ?
Alain Richard : Je ne suis pas sûr que, dans les années futures, on assiste à une baisse du volume des achats. La paix ne règne pas sur la planète. Le terrorisme, les chefs de guerre sont loin d’avoir disparu. Il y a encore beaucoup trop de dictatures. Les menaces sont réelles. Il faut 35 000 hommes pour maintenir en paix la Bosnie ressuscitée. Dans le Kosovo, la guerre est là. En Somalie, pays de 30 millions d’habitants, c’est le chaos. Toute la communauté internationale a baissé les bras. C’est un rêve éveillé de prendre pour cible les États démocratiques qui tentent de ramener la paix dans des pays en guerre. Certaines organisations ne voient plus que les imperfections du pompier, et le pyromane semble avoir disparu de leur champ de vision.
Paris Match : Depuis un an que vous êtes à la tête du ministère de la défense, avez-vous envisagé, sans qu’on le sache, de lancer des interventions militaires en territoire étranger ?
Alain Richard : Il n’y a pas de mois sans que l’on ne se pose la question de savoir, au niveau gouvernemental, comment faire pour réagir à une crise qui pourrait apparaître. Heureusement, beaucoup de ces crises sont réglées par la diplomatie.
L’Hebdo des socialistes, 12 juin 1998
Chers camarades,
Je vais sous parler de la ratification des candidats désignés pour les élections sénatoriales qui auront lieu, chacun d’entre vous le sait, au mois de septembre prochain.
Nous avions, il y a dix-huit mois, déjà ratifié une première liste de candidats pour chacune des fédérations. Il est, par ailleurs, arrivé qu’en fonction soit des élections législatives, soit des élections régionales ou cantonales dernières, certains des candidats alors désignés aient renoncé à l’être pour des raisons de cumul.
Nous avons, je l’indique, 26 candidats sortants dans la série qui est renouvelable.
Dans ces 26 candidats sortants, il y avait une femme élue. Je le précise parce que je vais y revenir.
Par ailleurs, il y avait un radical (une radicale, pour être précis) et deux communistes.
Nous avons bien évidemment fait l’objet de contacts, de demandes de la part de nos partenaires, essentiellement communistes et radicaux. Pour ce qui est des communistes, ils ont manifesté un souhait très pressant, c’est qu’il y ait, dans les deux départements où ils ont à chaque fois un sortant, des candidats communs dès le premier tour. Comme ces deux départements, c’est-à-dire très précisément les Bouches-du-Rhône et les Côtes d’Armor, ne sont pas soumis exactement au même type de scrutin (dans les Bouches-du-Rhône, il s’agit d’une liste), ils demandent qu’il y ait une liste plurielle, du moins socialiste et communiste, dans les Bouches-du-Rhône, et des candidats communs dès le premier tour dans les Côtes d’Armor. La commission électorale est d’avis d’accéder à cette demande.
Par ailleurs, les radicaux, que nous avons rencontrés à plusieurs reprises, souhaitent tout à la fois retrouver un élu au terme des opérations (puisqu’ils en avaient un) et, d’autre part, ils demandent qu’il y ait le maximum de candidats radicaux, ce qui paraît être une demande compréhensible, sinon toujours légitime.
Par contre, pour ce qui est de la place des candidates sur les propositions des fédérations, je dois dire que nous n’avons pas lieu d’être fiers.
Sur les candidatures déjà ratifiées, celles qui l’ont été il y a dix-huit mois, effort avait été fait pour que, chaque fois où il y a quatre candidats, il y ait au moins une candidate. Les propositions que je dois rapporter aujourd’hui font que les choses ne s’améliorent pas et que, pour la fédération qui a plus de quatre candidats, la première des candidates se trouve même en cinquième position.
La commission est unanime, et le bureau national, saisi cette semaine, également, pour regretter cette situation. Il est bien vrai que le mode de l’élection des sénateurs ne favorise pas à l’évidence un renouvellement rapide, il n’en reste pas moins que nous n’avons pas lieu d’être fiers du résultat auquel nous parvenons, parce que je ne vois pas dans quel département où nous avions des candidats élus la dernière fois (c’est-à-dire des sénateurs sortants) nos candidats aujourd’hui pourraient être battus et je pense que nous aurons des succès dans d’autres départements. Pour autant, une fois que tous les comptes sont faits, dans la meilleure des hypothèses nous aurons deux femmes sénateurs qui rejoindront le groupe après les élections de septembre prochain.