Texte intégral
TF1 : Vendredi 22 juillet 1994
P. Douste-Blazy : Comme ce sont des populations qui manquent d'eau, nous allons amener énormément d'équipements d'eau pour faire boire un million de personnes. Le principal risque aujourd'hui est l'épidémie de choléra. Il y a un mort par minute, aujourd'hui, dans ces camps de populations déplacées. J'ai demandé aux compagnies privées françaises distributrices d'eau de nous donner gratuitement du matériel. C'est ce qu'elles ont fait. Deuxièmement des médicaments et des produits de réhydratation, car comme vous le savez, le choléra est une bactérie que l'on trouve dans l'eau et qui ensuite entraîne une dysenterie terrible et donc une déshydratation.
J.-C. Narcy : La France a-t-elle l'intention d'inciter ses voisins européens à la suivre ?
P. Douste-Blazy : Je crois qu'il est très important que les pays européens, que les États-Unis se mobilisent pour une solidarité internationale. Il peut y avoir une faillite humanitaire, s'il y a une faillite de la communauté internationale. Mais ce n'est pas une faillite humanitaire aujourd'hui. C'est une faillite de la solidarité internationale et je crois que les uns et les autres, tous les Européens, les Américains, tous les pays riches comprennent qu'il faut aller là-bas pour sauver ces gens.
TF1 : Dimanche 24 juillet 1994
J.-C. Narcy : On a l'impression que la détermination de la France a été payante, n'est-ce pas ?
P. Douste-Blazy : Ce que j'ai vu aujourd'hui J.-C. Narcy est indescriptible, je n'ai jamais vécu une chose comme cela. Je voudrais profiter de ce direct pour poser une question à la communauté internationale et aussi affirmer deux priorités. La question est de savoir, est-ce que la communauté internationale pense qu'il s'agit d'hommes et de femmes comme vous et moi, ici. Si la réponse est non, alors c'est une autre discussion à laquelle je ne préfère participer. Si la réponse est oui, alors pourquoi les autres pays ne viennent-ils pas aider la France ? Pourquoi n'y-a-t-il pas une solidarité de la communauté internationale plus forte ? La priorité est humanitaire évidemment. Ici, nous avons vu des milliers de morts depuis deux jours, plus de 8 000 morts ici à Goma. On trouve des petits paquets sur le bord des routes, ce sont des bébés. C'est quelque chose d'absolument abominable. Il faudrait ici, dix millions de litres d'eau par jour et il n'y en a que 180 000 litres qui peuvent être distribués. Il faudrait 500 tonnes de nourriture par jour, il n'y en a que 200 qui arrivent. Je sais que les Américains arrivent, les Israéliens, les Allemands, mais il ne faut pas que cela soit uniquement pour faire de l'aide humanitaire, car surtout il y a une priorité politique. Il faut que les réfugiés, qui sont ici, puissent revenir au Rwanda. Pour cela, il faut trois conditions. Il faut d'une part qu'il y ait des garanties du nouveau gouvernement rwandais et pour cela il faut que la communauté internationale le demande. La France est seule à faire un geste politique, il faut que les autres gouvernements participent à celle action. La zone humanitaire, due aux soldats français qui ont travaillé de façon remarquable, a maintenant un million de personnes, si on ne fait rien pour ce million de personnes ils arriveront ici à Goma et ce sera la catastrophe humanitaire la plus importante du 20ème siècle.
J.-C. Narcy : Ne risque-t-on pas de voir le choléra s'étendre si on laisse les Rwandais rentrer dans leur pays ?
P. Douste-Blazy : Le problème du choléra est simple, il faut amener de l'eau potable ici. C'est ce que nous avons fait depuis 48 heures. S'il n'y a pas d'eau potable, le choléra continuera. Ce que je peux vous dire, c'est que si les réfugiés ne repartent pas au Rwanda le plus rapidement possible, alors il y aura en quinze jours des millions de morts. C'est cela qu'il faut bien comprendre. La communauté internationale doit prendre ses responsabilités, la MINUAR 2 doit venir, les soldats de l'ONU doivent venir épauler les soldats français. La France ne peut pas continuer seule, c'est impossible. C'est un problème de responsabilité, si l'on ne veut pas que ces camps de réfugiés deviennent des camps de la mort.
J.-C. Narcy : Pensez-vous qu'il y ait assez de monde sur place pour accompagner les réfugiés chez eux ?
P. Douste-Blazy : Les ONG sont d'accords maintenant pour faire une route comme ce qui avait été fait à l'époque pour le Kurdistan. Une route avec des points sanitaires, une sécurité hydrique et sanitaire, sécurité politique également de façon à ce que les réfugiés n'aient pas peur. Ils ont peur de se faire tuer actuellement et il faut qu'il y ait des soldats. Le général Lafourcade et ses hommes qui font un travail extraordinaire ici, doivent être épaulés par d'autres soldats de l'ONU. S'ils ne viennent pas ce sera catastrophique. Depuis trois ans, on dit que l'humanitaire sert souvent, de bonne conscience aux hommes politiques et aux gouvernements. Ici il faut que l'aide humanitaire soit accompagnée également d'un geste politique, il faut que les soldats français ne soient pas seuls.
Europe 1 : Lundi 25 juillet 1994
S. Marie : Vous venez de passer trois jours dans les camps de réfugiés rwandais, vous disiez hier craindre une catastrophe humanitaire d'une ampleur sans précédent, si les Rwandais ne rentrent pas chez eux. La France peut-elle se désengager militairement du Rwanda ? Quelle est l'image que vous gardez de cette deuxième mission humanitaire ?
P. Douste-Blazy : L'image la plus terrible, qui sera à jamais gravée dans ma mémoire, est cet orphelinat avec des milliers d'enfants que l'on voit le matin encore vivant et dont on sait qu'ils seront morts le soir. C'est le manque d'eau potable, de médicaments, de nourriture. L'horreur absolue, avec une communauté internationale qui, manifestement, n'a pas compris ce qui se passe là-bas. C'est à se demander s'ils pensent que ce sont des hommes comme vous ou moi. C'est vraiment très choquant. La France est là, a fait des choix moraux et politiques très clairs depuis un mois. Il faut maintenant que les autres gouvernements suivent. Bien sûr, il y a une priorité humanitaire, il faut amener au Zaïre, dans les camps de Goma, de l'eau, de la nourriture, des médicaments mais il ne faut pas se donner bonne conscience et s'arrêter là. Il faut maintenant prendre des engagements pour ramener ces réfugiés au Rwanda. Dans quinze jours, les récoltes seront terminées. Si on laisse passer ce délai, ce sera un plan annuel qu'il faudra mettre en place sur le plan alimentaire.
S. Marie : C'est un nouvel appel du ministre de la Santé français à la communauté internationale ? On avait l'impression, ce week-end qu'elle commençait à bouger ?
P. Douste-Blazy : La communauté internationale commence à bouger parce que, lorsque les télévisions ramènent des images aussi horribles que ce qu'elles ramènent, bien sûr les gouvernements sont poussés à agir. Il ne faut pas oublier que l'humanitaire seul ne suffit pas. Il faut qu'il y ait une volonté très affirmée de la part des autres gouvernements, pour aider le gouvernement français dans ce qu'il fait. En particulier, il ne faut pas que les soldats français soient les seuls là-bas. Il faut que la MINUAR, c'est-à-dire les forces armées de l'ONU, épaulent puis remplacent les soldats français. La France ne peut pas rester seule là-bas.
S. Marie : Quelles sont les priorités du point de vue médical ?
P. Douste-Blazy : Sur le plan médical, la priorité absolue est l'eau potable. C'est la raison pour laquelle nous sommes arrivés et nous allons continuer à envoyer du matériel pour l'eau : une unité de pompage, une unité de traitement et de filtrage de r eau et bien sûr, des pastilles de chlore pour pouvoir purifier l'eau, pour un million de personnes, pendant un mois. C'est vraiment fondamental. Le choléra, si vous voulez l'endiguer, ce n'est pas par des médicaments ou par un vaccin, dont on ne sait d'ailleurs pas exactement l'efficacité dans des circonstances pareilles. C'est uniquement pour de l'eau potable.
S. Marie : Vous avez pu apprécier, sur place, le travail fait à la fois par les militaires français et par les organisations humanitaires ?
P. Douste-Blazy : Oui, il y a des gens formidables, bien sûr dans les organisations non gouvernementales, dans les militaires français, les médecins, les infirmiers militaires. Ce que je voudrais dire simplement, c'est que c'est du jamais vu, deux millions de personnes qui arrivent en 48 heures ou en trois jours dans un endroit, c'est quelque chose d'absolument inouï. Ça a surpris tout le monde, aucune organisation non gouvernementale ne pouvait prévenir cela, ni l'armée. Donc, en l'espace d'une semaine on a une vision d'apocalypse où les gens marchent, où vous avez des milliers de personnes qui marchent sans savoir exactement où ni pourquoi, le regard vide, le visage émacié et dont certains tombent.
S. Marie : On voit l'aide américaine arriver, une aide assez massive. Quel va être le rôle de la France jusqu'à ce que la communauté internationale vienne sur le terrain pour nous aider ?
P. Douste-Blazy : Je voudrais que l'on différencie deux choses : il y a l'aide humanitaire proprement dite. Je vois que les Américains, les Israéliens, les Allemands enfin, commencent à comprendre qu'il faut le faire avec la France. C'est très important car ça permet de gagner des heures. La mort gagne des heures, nous devons aussi gagner des heures, c'est un combat. Si on veut vraiment régler le problème, il faut régler le problème au départ, à la racine. Pour cela, il faut avoir les conditions politiques pour ramener les réfugiés au Rwanda. J'attends de tous les gouvernements qu'ils aident le gouvernement français à faire cela.
[Question manquante sur la vue]
P. Douste-Blazy : C'est le manque d'eau potable, le manque de médicaments, le manque de nourriture, l'horreur absolue avec une communauté internationale qui manifestement n'a pas compris ce qui se passe là-bas. C'est à se demander s'ils pensent que ce sont des hommes comme vous ou moi. C'est vraiment très choquant. La France est là, elle a fait des choix moraux et politiques très clairs depuis un mois. II faut maintenant que les autres gouvernements suivent. Bien sûr, il y a une priorité humanitaire puisqu'il faut amener dans les camps de Goma, dans les camps de Bukavu, il faut amener de l'eau, de la nourriture, des médicaments, mais il ne faut pas se donner bonne conscience et s'arrêter là. Il faut maintenant prendre des engagements pour ramener ces réfugiés au Rwanda puisque, dans 15 jours, les récoltes seront terminées. Si on laisse passer ces quinze jours, alors ce sera un plan annuel qu'il faudra meure en place sur le plan alimentaire.
S. Marie : N'avez-vous pas l'impression que la communauté internationale commence à bouger ?
P. Douste-Blazy : La communauté internationale commence à bouger parce que les télévisions ramènent des images horribles et les gouvernements sont poussés à agir. Il ne faut pas oublier que l'humanitaire seul ne suffit pas. Il faut qu'il y ait une volonté très affirmée de la part des autres gouvernements pour aider le gouvernement français dans ce qu'il fait. En particulier, il ne faut pas que les soldats français soient les seuls là-bas. Il faut que la MINUAR épaule, puis remplace les soldats français. La France ne peut pas rester seule là-bas.
S. Marie : Quel va être le rôle de la France jusqu'à la mi-août ?
P. Douste-Blazy : Je voudrais que l'on différencie deux choses. Il y a l'aide humanitaire proprement dite. Je vois que les Américains, les Israéliens, les Allemands commencent enfin à comprendre qu'il faut le faire avec la France. Cela, c'est très important parce que cela permet de gagner des heures sur la mort. Si l'on veut vraiment régler le problème, il faut régler le problème au départ, à la racine. Pour cela, il faut avoir les conditions politiques pour ramener des réfugiés au Rwanda. J'attends de tous les gouvernements qu'ils aident le gouvernement français à faire cela.
France Inter : Lundi 25 juillet 1994
B. Vannier : Pensez-vous que la mobilisation internationale, même si elle commence à se faire sentir, n'a pas encore des effets réels ?
P. Douste-Blazy : Il n'y a que ceux qui ne sont pas allés là-bas qui peuvent dire le contraire. Bien sûr, plus il y aura de médecins, de pharmaciens, d'infirmières, de bactériologistes, de médicaments, vivres et nourriture, mieux ça sera. Mais arrêtons de nous donner bonne conscience ! Aujourd'hui, il y a deux millions de gens épuisés, aux yeux vides, qui meurent les uns après les autres, les bébés, enfants, adultes, et la seule solution c'est de les amener au Rwanda. Comment ? Voilà la question qu'il faut poser et à M. Clinton et aux chefs d'État et de gouvernement. La France a pris ses responsabilités morale et politique en étant au Rwanda. Il faut aujourd'hui faire une route, comme on l'a fait au Kurdistan il y a quelques années, pour pouvoir les sécuriser, leur dire : « Vous pouvez rentrer en toute sécurité ». Pour cela, il faut des garanties au niveau du nouveau gouvernement du FPR. Qui peut le demander en dehors de la communauté internationale, du Secrétaire général de l'ONU ? Personne.
B. Vannier : L'UNICEF publie ce matin un petit bilan qui dit que, dans les situations catastrophiques habituellement, il y a un cinquième de jeunes enfants. Or sur ces deux millions de réfugiés, il y a entre un tiers et la moitié de ces réfugiés qui sont des enfants. Comment vivent-ils ?
P. Douste-Blazy : Il faut d'abord dire qu'il y a une sélection naturelle fantastique et vous savez que les enfants sont beaucoup plus résistants que les adultes. Les adultes sont morts, il y a des orphelins partout. Il y a un orphelinat terrible, avec des dizaines de milliers d'enfants dont on sait qu'ils sont vivants le matin et dont ou est sûr qu'ils seront morts le soir. C'est terrible ! Il y a des fosses communes où on voit les enfants à moitié vivants regarder les enfants morts, je le dis car il faut le dire. Je veux témoigner de cela. Surtout, ce qu'il faut c'est 1/ au plan humanitaire, l'eau potable. La Générale des eaux, les Lyonnaises des eaux, pour la première fois, travailleront ensemble là-bas. Je suis content de ça, car il faut à tout prix qu'il y ait un million de personnes qui aient de l'eau potable pour un mois. 2/ il faut à tout prix qu'il y ait cette route pour le Rwanda. Dans 15 jours, les récoltes seront finies. C'est un pays avec de magnifiques récoltes, et pas une seule personne à l'intérieur. Après l'opération « Turquoise », il faut qu'il y ait, sous l'égide du Haut Comité aux Réfugiés, une grande solidarité de la communauté internationale, de façon à ce que tous les chefs de gouvernement acceptent politiquement de taper du poing sur la table et dire que ces réfugiés doivent rentrer. Sinon – c'est le médecin qui parle – ils seront tous morts !
B. Vannier : Selon MSF, il y avait 3 000 morts par jour dans les camps. Il ne faut pas se leurrer, car ce n'est pas parce que des médecins, des avions, des vivres arrivent, que cela va cesser…
P. Douste-Blazy : 1/ au plan humanitaire, il faut 10 millions de litres d'eau par jour et 200 000 seulement peuvent être distribués. 2/ Il faut 500 tonnes de nourriture par jour et il n'y en a que 180 tonnes qui arrivent. Donc, déjà il y a un manque. Que l'on me comprenne bien : je suis d'accord pour l'humanitaire mais il faut aussi régler le problème politique. Le FPR a gagné la guerre, il faut essayer de travailler avec eux, il faut que l'ONU travaille avec eux. Une chose que l'on n'a pas suffisamment dite : les forces militaires françaises ont été absolument extraordinaires. Le général Lafourcade et ses hommes ont été fabuleux. Quand vous êtes sur une route là-bas, vous voyez des milliers de cadavres sur le bord de la route. Et qui ramasse ces cadavres ? Les soldats français. Nos soldats ne reviendront pas comme ils sont partis, je peux vous l'assurer. Il faut quand même leur donner un grand coup de chapeau. Quand je suis parti hier, le général Lafourcade m'a dit : « Mon problème c'est de trouver une fosse commune pour 100 000 morts. »
B. Vannier : D'un point de vue médical, combien de temps faut-il pour juguler une telle épidémie ?
P. Douste-Blazy : Il n'y a pas que le choléra, il y a l'épuisement, la tuberculose, des dysenteries, et il y a surtout ces cadavres qui sont au milieu de ces deux millions de personnes, les gens vivent avec. On passe au-dessus d'un cadavre, on en enjambe un autre. Les soldats viennent ensuite les chercher. Tous ceux qui sont déjà malades mourront, on le sait. Notre problème c'est de faire repartir les vivants au Rwanda pour les sauver. Sinon, dans 10 jours, si on ne fait pas cela, ils mourront tous, c'est sûr.
France 2 : Mardi 26 juillet 1994
G. Leclerc : Vous revenez de Goma, c'est l'horreur – plus de 200 000 morts par jour – qu'est-ce qui vous a le plus choqué ?
P. Douste-Blazy : Je dois vous dire qu'après avoir vu ce que j'ai vu pendant trois jours c'est terrible. Les images que j'ai en mémoire ne sont pas prêtes de partir. Je crois que c'est la plus grande catastrophe humanitaire depuis la Deuxième Guerre mondiale, c'est horrible, pire qu'un génocide. L'orphelinat avec des dizaines de milliers d'enfants, qui sont là, malades certains vivants le matin et morts le soir, des regards, des fosses communes avec des enfants qui tombent morts, d'autres à moitié vivants.
G. Leclerc : L'action humanitaire commence à s'organiser, timidement, tardivement peut-être. Mais est-ce que la communauté internationale ne se donne pas bonne conscience en ne faisant que de l'humanitaire ?
P. Douste-Blazy : Ça fait trois ans que l'on dit : pourquoi les gouvernements se donnent bonne conscience avec l'humanitaire ? Il faut, ici, à Goma faire de l'humanitaire. On manque d'eau, de nourriture, de médicaments, d'information aussi. Mais il est évident que les Américains, les Européens, après un mois de silence réveillent un peu au plan humanitaire. Il est évident qu'ils doivent envoyer des soldats pour gonfler les forces de l'ONU, aux côtés des Français. Sinon, en effet, on peut se demander s'ils n'auront pas fait simplement de l'humanitaire pour se donner bonne conscience. Il faut les attendre au tournant. On ne peut pas accepter cela.
G. Leclerc : Face à cet effort humanitaire, ne faut-il pas aussi jouer au niveau politique dans le cadre d'un accord, pour faciliter notamment le retour des Rwandais ?
P. Douste-Blazy : La priorité des priorités c'est de comprendre que si ces réfugiés, qui sont plus de 1,5 million dans les camps de Goma, restent là, ils seront tous mort, dans dix jours par le choléra. Il y a 100 000 cadavres qui sont au milieu des familles, c'est quelque chose d'horrible, il y aura une énorme épidémie et tout le monde va mourir.
G. Leclerc : Il faut une route de l'espoir…
P. Douste-Blazy : Oui, qui aille des camps de Goma au Zaïre vers le Rwanda. Cette route doit être sûre, en toute sécurité, avec des points politiques, militaires, hydriques, sanitaires, de l'information. C'est pourquoi je pense que ces gens qui sont dans les camps du Zaïre n'ont pas la bonne information. On leur dit : « Si vous revenez au Rwanda, vous allez vous faire massacrer. » Ils préfèrent rester là, avec le choléra, plutôt que d'avoir aujourd'hui les récoltes du Rwanda qui les attendent.
G. Leclerc : Cette route de l'espoir, est-ce à la France, à l'ONU, de l'organiser ? La France est-elle bien placée aujourd'hui pour avoir une action diplomatique ?
P. Douste-Blazy : C'est l'ONU, le Haut Comité aux Réfugiés qui doit organiser cela, avec les autres gouvernements. La France ne peut pas tout faire. Mais il faut à tout prix qu'il y ait une radio qui se mette en place, à Goma, au Zaïre, pour expliquer, sécuriser les réfugiés en leur disant qu'ils peuvent aller au Rwanda à condition d'avoir des garanties du nouveau gouvernement rwandais.
G. Leclerc : Vous lancez une très vaste opération de prévention contre le SIDA avec pour slogan « quand tu te protèges, tu me protèges ».
P. Douste-Blazy : Nous avons voulu faire une campagne pour les jeunes. Ce sont eux qu'il faut essayer de protéger. Il faut leur parler. On ne se parle pas suffisamment entre les jeunes et les adultes. Il n'y a pas de lieu. Si on ne parle pas beaucoup du SIDA, c'est parce que ça touche aux choses les plus intimes de la vie, le sang, le sperme, le sexe, l'amour, la vie, la mort. Or il fallait en parler. On a trouvé une idée : un bracelet brésilien que l'on noue sur le poignet de son partenaire, avec marqué dessus « quand tu te protèges, tu me protèges ». C'est la prévention. C'est le seul vaccin que nous ayons contre le SIDA. Ce sont de nouveaux comportements : fidélité à son partenaire, le préservatif.
G. Leclerc : Tous les présentateurs porteront ce bracelet.
P. Douste-Blazy : Je remercie France 2. Il est important que la télé puisse s'impliquer. On l'a vu le 7 avril.
G. Leclerc : Des associations comme Act Up reprochent au gouvernement français d'être en retard en matière de campagne de prévention par rapport à d'autres pays.
P. Douste-Blazy : C'est une campagne qui est grand public. On trouvera le bracelet dans des stations d'essence, sur toute les plages du littoral. Nous devons rattraper un certain retard, que ce soit pour la toxicomanie ou le SIDA. Nous savons que sur 150 000 héroïnomanes, 30 % sont séropositifs, 70 % sont séropositifs à l'hépatite B ou à l'hépatite C. Il faut aller très vite sur les produits de substitution, la méthadone. Il n'y avait que 50 places à la méthadone quand Mme VEIL et moi-même sommes entrés au ministère. Il y en aura 1 500 à la fin de l'année. Il faut aller jusqu'à 100 000.
G. Leclerc : On vous reproche de faire de l'expérimentation et de ne pas aller à grande échelle.
P. Douste-Blazy : L'expérimentation est terminée. Maintenant, il faut aller de l'avant, jusqu'à 100 000 places de méthadone. Mon obsession, c'est de voir un héroïnomane continuer de se piquer. Lorsqu'un héroïnomane veut se piquer, il se pique, que l'aiguille soit propre ou sale. C'est la raison pour laquelle nous avons, avec les pharmaciens de France, décidé qu'il y aurait ce qu'on appelle une trousse-prévention avec un petit étui pour remettre les seringues sales, pour ne pas qu'elles se promènent dans la nature, un préservatif, un coton alcoolisé. C'est vraiment important, le tout pour 5 francs.
G. Leclerc : Où en est l'Europe, après le Rwanda ?
P. Douste-Blazy : J'ai fait de la politique pour être sûr que l'homme soit au milieu de la société, pour qu'on puisse penser à l'homme, que ce soit une réalité humaniste, qu'il n'y ait pas que l'argent ou le communisme, que l'homme puisse penser à un projet. Après la Bosnie et le Rwanda, en tant que médecin, je suis impuissant. Comme homme, je suis horrifié. Comme Européen, je suis honteux. On devait avoir une politique diplomatique commune. On devait avoir une politique de défense commune. Ce n'est pas parce qu'il y a quelques personnes, quelques miliciens rwandais qui nous font peur qu'on va se replier. L'Europe doit être unie, forte et diplomatiquement solidaire.
G. Leclerc : Le CDS participera-t-il au débat des présidentielles ?
P. Douste-Blazy : Les présidentielles se gagnent au centre, mais elles se perdent au centre. Le CDS doit caractériser cette nouvelle idée de l'Europe et cette idée que l'on peut se faire de la place de l'homme dans la société. Si on veut que les jeunes nous écoutent et aiment la politique, il faut qu'ils pensent qu'ils sont au cœur de la politique.