Interviews de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement des transports et du logement, à RTL le 25 août et dans "Le Monde" du 15 septembre 1998, sur l'ouverture du capital d'Air France, l'Europe, les relations entre le PCF et le gouvernement.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

RTL - 25 août 1998

Quand aura lieu l'ouverture du capital d'Air France au privé ?

- « Dans les tous prochains mois. »

Avant ou après le 31 décembre ?

- « Je ne peux pas vous répondre précisément à cette question. Simplement, je peux vous dire que les choses se déroulent normalement. Il y a eu le conflit de juin, tout le monde s'en souvient. Un accord a été passé entre le principal syndicat des pilotes et la compagnie Air France. Les discussions se poursuivent aujourd'hui par rapport à cet accord, elles sont en bonne voie. Je ne vous dis pas que ce sera réglé le 31 août qui avait été initialement prévu mais dans les toutes prochaines semaines, c'est-à-dire en septembre. Après cela, il y a l’évaluation, ce qui est normal, du capital d'Air France. Et après cette évaluation, il y aura la proposition de l’ouverture du capital. Air France est une entreprise publique puisqu'il n'y a pas eu la privatisation contrairement à ce que certains… »

Vous souriez quand vous dites ça.

- « Oui, et ça doit s'entendre à la radio puisque d'après ce que je viens d’entendre, on reconnaît quand quelqu'un sourit (en référence à la chronique de J. Perrimond, ndlr). Mais je souris parce que je crois que c'est très important que cette entreprise publique se modernise, s’ouvre et fasse la preuve qu'on peut réussir. On n'est pas obligé de passer sous les dogmes du libéralisme à tout crin que certains veulent imposer. »

Mais est-il important que cette ouverture du capital d'Air France ait lieu avant le 31 décembre ou pas ?

- « Ce qui est important c’est que les évolutions, les choix qui ont été proposés se réalisent. Je souhaite que ça se passe avant le 31 décembre, si cela se fait le 15 janvier, cela se fera le 15 janvier. En tout cas, air France dans la prochaine période, va embaucher. On va se trouver dans une situation différente de ce que nous avons vécu depuis 1994 où il y avait eu une réduction des effectifs, massive, avec plus de 9 000 salariés en moins. Là, on va embaucher et il y aura plus d’effectifs, de salariés dans les trois prochaines années. On ne commandait plus d’avions, il y aura une politique d'investissement et d'achat d'engins pour près de 30 milliards. Les pistes de Roissy, qui sont en train d'être réalisées, nous offrent des perspectives tout à fait nouvelles. On va repartir sur la formation disons public, des pilotes. Bref, des perspectives qui sont tout à fait positives. »

Mais au sein du Gouvernement, vous incarnez un îlot de résistance, parce que ailleurs beaucoup de privatisations ont été engagées par ce gouvernement. Vous êtes l’exception ?

- « Ça prouve que là où il y a un ministre qui défend l'idée qu'on peut faire autrement que la simple privatisation, cela peut aussi réussir. Je crois qu'il faut bien voir qu'aujourd'hui il y a dans le monde entier, sur tout un tas d’entreprises, une volonté, une pression énorme pour que les choses se passent dans le sens du libéralisme et de la privatisation. Le gouvernement français dans son ensemble n'a pas fait ce choix de l'ultralibéralisme, au contraire, et je crois qu'il faut qu'il apporte, que nous apportions ensemble des réponses sur à la fois les questions à la fois sociales mais aussi ces problèmes de structure de la société. »

Le journal Le Monde a publié cet été un article remarqué et qui reposait sur des faits : L. Jospin a davantage privatisé qu’A. Juppé. Et vous êtes membre du gouvernement de L. Jospin.

- « Vous savez, quand nous sommes allés au Gouvernement, nous étions conscients des différences qui existaient entre les options des uns et des autres. Nous faisons partie de la majorité. D'ailleurs sans les communistes, il n'y aurait pas de majorité. En même temps, nous pesons, si je puis dire, pour utiliser un terme que tout le monde comprend, 10 % d'influence dans le pays et ce n'est pas la politique du PC qui est mise en œuvre. Mais ce que je veux vous faire remarquer, c'est que sur toutes les questions, quelles qu'elles soient et à quelque niveau que ce soit, la sensibilité et la façon des communistes de prendre les choses est compris au sein du Gouvernement. Nous essayons, j’essaye pour ma part, de faire prévaloir des idées, des valeurs démocratiques. Et je trouve que sur beaucoup de questions, ce gouvernement a la cohérence de s'y retrouver également.

Mais sans un ministre communiste aux Transports, Air France aurait été privatisé ?

- « En tout cas, si on posait la question à C. Blanc, il vous dirait que lui a espéré jusqu'au dernier moment qu’Air France serait privatisé. Le choix a été fait. Le Premier ministre a soutenu de ce point de vue le ministre des Transports. Air France n'est pas une entreprise privatisée et Air France s’ouvre mais restera dans le domaine du secteur public. »

Qu'avez-vous voulu dire jeudi dernier quand vous êtes sorti du séminaire gouvernemental en disant : la réussite ne doit pas seulement régner dans l'image mais aussi dans les faits. Il n'y a pas suffisamment de faits ?

- « Nous sommes déterminés à travailler sur la durée. C'est très important. Des choses ont été faites. Quiconque le nierait ne verrait pas cette réalité. Depuis maintenant quatorze mois, puisqu'il y a un peu plus de quatorze mois que ce nouveau gouvernement est arrivé, il est arrivé sur une base d'opposition par rapport à la politique menée par la droite… »

Mais les faits, il y en a suffisamment ?

- « Il y a eu des faits et ils sont très importants. Mais ces fait eux-mêmes appellent encore l'engagement et la détermination. Je prends les 35 heures. Il y a une loi qu'on ne peut pas caractériser autrement que par une loi progressiste. La loi sur les 35 heures est une loi de gauche, si je puis dire. Maintenant, il s'agit de l’application. Et on voit bien que sur cette question comme sur d’autres, dès lors qu'il faut mettre en œuvre concrètement, il y a des pressions - qu'elles soient libérales, patronales -, qui s'exercent pour que cela ne se fasse pas à l'avantage de l’emploi ou à l'avantage des salariés. Donc, il y a des choses qui se sont faites et dans mon domaine, en ce qui concerne les transports ou l’équipement ou le logement, il faudrait une émission qui dure une demi-heure pour vous dire tout ce qui a commencé à s’engager. Il y a des choses qui se sont faites mais il ne faut pas en rester là. Ce que j'ai dit, je l’ai dit à l'intérieur de mes discussion au sein du Gouvernement, je l'ai dit et tout le monde le sait, à l’extérieur : le Gouvernement doit continuer à procéder à des transformations et des réformes. »

L. Jospin ne va pas assez vite alors ?

- « Je trouve qu'il faut réussir la politique des changements. Et si nous sommes déterminés les uns et les autres - et au sein de ce gouvernement, ce que j'ai cru comprendre, c'était cette détermination - nous allons non seulement faire la différence par rapport à la politique menée par les gouvernements précédents, mais nous allons également faire la démonstration qu'une autre politique que celle qui a été trop longtemps dominante, c'est-à-dire celle du libéralisme, de la loi… »

Mais sur l’Europe, est-ce que les communistes, au-delà des paroles, ne sont pas bloqués dans leur action ? Parce qu’aux universités d’été, l'Europe c'est fini, le référendum, on n'en parle plus. Vous avez collecté 700 000 signatures, vos militants se sont acharnés et échinés pour ça. Et ces 700 000 signatures, on les déchire, on n'en parle plus.

- « C’est une bonne formule de journaliste de prêcher le faux pour connaître le vrai. Alors vous n’étiez pas aux universités d’été ? Nous avons, toute une matinée, discuté d’Europe. On a aussi parlé du référendum. Nous sommes contre, les communistes sont contre le Traité d’Amsterdam. »

Mais vous avez dit que c'était incontournable l’Europe.

- « Justement, c'est la confusion qu’il ne faut pas faire. Je crois que ça fait partie aussi de la mutation du PCF aujourd’hui. En tout cas pour les communistes, aujourd’hui, quiconque ferait l’impasse de la question européenne se priverait non seulement d'agir sur la réalité mais serait conduit à aller dans une impasse politique. Donc il faut prendre en compte cette dimension européenne non pas pour la subir, pour subir la loi des marchés financiers mais prendre en compte cette réalité européenne pour la changer. Aux universités d’été, comme vous dites, R. Hue y a insisté fortement, y compris dans son discours de clôture. L'action de cette sensibilité communiste et de la force communiste dans le pays avec tous ceux qui le souhaite également, c'est de réorienter l’Europe. Il faut que l'Europe soit plus sociale et moins libérale. C'est un objectif qui est à notre portée mais qui est très difficile à atteindre. Le PC propose un référendum parce qu'il considère que ça participerait à un débat et à la démocratie. Vous comprendrez bien que je ne vais pas dire le contraire. De ce point de vue, je suis pour le débat et la démocratie. »

Le Monde - 15 septembre 1998

Le Monde : Les communistes se reconnaissent-ils, ou non, dans la politique de Lionel Jospin ?

Jean-Claude Gayssot : Les communistes n’ont pas fait le choix d’aller au gouvernement en se disant que le Parti socialiste allait appliquer leur politique. Ils ont fait ce choix en se disant : « Nous pouvons être utiles, dans une participation gouvernementale plurielle où il y a toutes les composantes de la gauche, pour donner à penser que nous pouvons, à ce niveau de responsabilité, remplir ce type de fonctions et, surtout, pour contribuer à faire avancer les choses dans le bon sens. »
Aujourd’hui, chez les sympathisants communistes, la participation gouvernementale est largement approuvée. Nous allons de l’avant. Il ne faut surtout pas s’arrêter là : la situation de la droite, sa décomposition devraient nous encourager, non pas à marquer le pas, mais à approfondir. Il y a des hommes, des femmes, qui doivent pouvoir non seulement être associés à la décision, par la participation et le dialogue social, mais aussi être bénéficiaires des fruits de la croissance.

Le Monde : Le projet de budget pour 1999 va-t-il dans ce sens ?

Jean-Claude Gayssot : En 1997, des choix ont été faits, qui se sont traduits par un relèvement de la demande intérieure. En 1998, il y a une part qui est donnée pour la consommation, le pouvoir d’achat. Il y a un débat pour savoir si c’est suffisant ou pas suffisant. J’ai tendance à dire comme Robert Hue – comme beaucoup, d’ailleurs, au-delà du Parti communiste – qu’on pourrait faire plus. En même temps, il y a une volonté d’aider l’investissement utile, y compris par la baisse de certaines fiscalités. Il fallait modifier la taxe professionnelle, c’est certain, pour encourager l’activité, l’investissement utile, la création d’emplois. Est-ce que l’on a réglé le problème quand on a supprimé la part salariale de la taxe professionnelle ? Je ne le crois pas. C’est une étape.

Le Monde : Et les privatisations ?

Jean-Claude Gayssot : Le Gouvernement n’a pas comme démarche, en tout cas exprimée – et le premier ministre n’a pas dit cela –, une logique de privatisation. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne privatise pas dans tel ou tel cas. La question qui nous est posée est très difficile et très complexe. Je vais prendre le cas d’Air France ; c’est une compagnie dont l’actionnariat majoritaire va rester public, c’est une entreprise publique, et nous allons pouvoir, du fait des décisions qui vont être prises, non seulement embaucher bien plus de salariés – et de pilotes – que ce qui existe aujourd’hui, mais aussi renouveler, augmenter notre flotte et, grâce à l’accord que nous avons signé avec les Américains, augmenter le trafic de l’ordre de 15 % avec la meilleure utilisation de nos aéroports Orly et Roissy.

Le Monde : En quoi le Parti communiste se distingue-t-il aujourd’hui du PS ?

Jean-Claude Gayssot : J’ai lu ce que disait le Premier ministre sur les problèmes que posent la crise financière et la logique exclusive des marchés financiers. Mais, lui, il conclut sur l’idée qu’il faut une régulation du système. Eh bien, nous, notre tendance, notre sentiment, le choix que nous avons fait, c’est qu’il faut un dépassement.
Comment ? Trop longtemps, l’idée a prévalu qu’il fallait attendre le « grand soir » pour changer tout, d’en haut, par un système étatique. Cela a échoué, définitivement échoué. Et je le dis avec beaucoup de force : la mutation du Parti communiste, c’est la prise en compte de cette réalité, avec les avancées qui ont été faites depuis longtemps, que nous avons poursuivies et sur lesquelles nous sommes décidés à poursuivre. Pour autant, cela ne nous conduit pas à ne pas vouloir être les artisans de la transformation sociale de la société. Quelle transformation ? Je vais dire en termes généraux : « Eh bien, oui, lutter contre toutes les formes d’exploitation, d’aliénation. »

Le Monde : Si vous étiez à la place du PS aujourd’hui, si le Premier ministre n’était pas Lionel Jospin, mais Robert Hue et – pourquoi pas Jean-Claude Gayssot ? – qu’est-ce qui serait différent ?

Jean-Claude Gayssot : Dans la situation nouvelle qui serait créée, il faudrait favoriser le développement de la demande intérieure. Le choix qui devrait être fait serait, pour la justice sociale et pour l’intérêt économique, y compris pour se prémunir contre les secousses financières internationales et extérieures, de valoriser la demande et la consommation dans notre pays. Plus de justice sociale, cela veut dire les salaires, le pouvoir d’achat des familles : tout cela doit être conforté, même si l’on sait qu’on ne peut pas tout faire d’un coup.

Le Monde : Mais le « dépassement du capitalisme » ?…

Jean-Claude Gayssot : Le dépassement du capitalisme, cela veut dire que ceux qui décident ne soient pas seulement les privilégiés de la fortune, du pouvoir et du savoir, mais aussi tous ceux qui participent à la création des richesses. Il y a matière à inventer – je dis bien : inventer –, des droits à gagner pour que les salariés, leurs organisations, les citoyens puissent avoir leur mot à dire, et pas simplement le jour de l’élection.

Le Monde : Quelle différence avec la social-démocratie ?

Jean-Claude Gayssot : D’un côté, il y a une volonté de régulation – c’est plutôt positif – et, d’un autre côté, il y a la volonté de dépasser un système qui conduit à des aliénations, à des aberrations, à des drames même, parce que des millions de personnes, des peuples entiers sont dans la difficulté, dans la souffrance. Il se joue des milliards et des milliards, tous les jours, à la Bourse et, tout à coup, on apprend, parce qu’il y a eu ces questions posées au sujet du président Clinton, que toutes les places financières chutent, que des milliards sont partis comme ça. Dans le même moment, on sait qu’au Soudan c’est la famine, qu’en Afghanistan il y a des situations dramatiques, qu’en Afrique on ne peut pas se soigner. Dépasser le capitalisme, c’est en finir avec la seule logique des marchés financiers.

Le Monde : Supprimer les Bourses ?

Jean-Claude Gayssot : Non ! Mais ne pas les laisser faire la pluie et le beau temps.