Texte intégral
Le ministre de la Coopération salue l'action des militaires africains au Rwanda. Selon lui, l'opération "Turquoise" illustre "La permanence des liens entre la France et l'Afrique" ainsi que la force de mobilisation des valeurs" que notre pays a toujours incarnés et défendues.
L'histoire impose parfois d'étonnants parallèles. Aujourd'hui, cinquante ans après la libération de notre pays et le débarquement de Provence en 1944, des troupes françaises et africaines se sont retrouvées associées pour une mission commune au Rwanda, pays meurtri. Ces soldats poursuivaient un même but : restaurer la paix et faire respecter la dignité de l'homme. Comme l'a rappelé récemment le Premier ministre, Édouard Balladur, l'opération "Turquoise" au Rwanda illustre la permanence des liens entre la France et l'Afrique, mais aussi, la force de mobilisation des valeurs que la France a toujours incarnées et défendues.
Ainsi, des hommes, en France mais aussi en Afrique, ont entendu les cris d'agonie d'un peuple massacré, exilé, terrorisé. Six États d'Afrique se sont spontanément associés à l'initiative humanitaire française au Rwanda. Le Sénégal, le Congo, le Niger, la Mauritanie, le Tchad et la Guinée-Bissao ont rejoint l'opération "Turquoise". J'ai pu voir sur le terrain le dévouement et la conviction de ces soldats africains venus aider leurs frères. Je me souviens avec émotion du médecin lieutenant-colonel mauritanien Fali Alloune Babacar, travaillant jour et nuit avec son équipe, entièrement africaine, dans l'unité de santé de Cyangugu. Cet agrégé du Val-de-Grâce soignait opérait, réconfortait.
Les orphelins rwandais ne sauront sans doute jamais si ce sont ces soldats sénégalais ou congolais qui les ont sortis de la forêt pour les sauver d'une mort certaine. Mais ils auront pu constater que des hommes capables, en Afrique, de risquer leur vie pour sauver d'autres vies, de se sacrifier pour que cesse la barbarie.
Au total, ce sont 484 militaires africains qui ont été intégrés au dispositif "Turquoise". Seules des questions de délais et de contraintes logistiques ont limité la participation africaine à l'opération. Cette intégration a été facilitée d'abord par la pratique d'une même langue (1), ensuite grâce au grand professionnalisme de ces soldats africains et à des méthodes de travail et une formation souvent commune.
Véritables partenaires
Tous les observateurs s'accordent à reconnaître les grandes qualités de ces hommes du contingent africain dont l'action était coordonnée par le colonel Goudlaby, du Sénégal. S'il en était besoin, la facilité d'adaptation avec laquelle les détachements africains ont pu remplir les mêmes missions que les unités françaises témoignent encore de leurs qualités et de leurs talents d'hommes de terrain.
Qu'ils soient tchadiens, sénégalais, mauritaniens, nigériens, bissao-guinéens, ces militaires se sont tous illustrés au Rwanda. Véritables partenaires de l'opération "Turquoise", les soldats africains n'ont pas vu leur rôle limité à une simple garde de la zone humanitaire sûre. Bien au contraire, ils se sont montrés indispensables, que ce soit à Goma ou à Cyngugu. L'alimentation en eau potable de Kibuye fut également rétablie, en moins d'une semaine, et grâce à l'intervention des techniciens du génie militaires sénégalais. Quant au contingent congolais, il fut chargé d'assurer la sécurité du village de Rugabango, arrêtant les pillards avec l'aide de la population. Plus au nord, le détachement bissao-guinéen ramena l'ordre et la confiance dans le secteur de Kibuye. Il s'agissait notamment de sauver des dizaines de Tutsis réfugiés chez les Hutus qui les cachaient, au péril de leur vie, depuis le mois d'avril. Le capitaine Jacques-César Coli se souvent de cette journée du 20 juillet : "en pleine nuit, une jeune Hutue arrive dans notre campement. Terrorisée, elle sort de sa tunique un mot écrit par son père demandant l'évacuation d'une famille tutsie en danger. Avec la section, on a filé jusqu'au village occupé par les miliciens. Sous prétexte d'une distribution de nourriture, je leur ai demandé d'assurer l'ordre à un bout du village. Pendant ce temps, un de mes groupes évacuait en douceur les Tutsis menacés." Il n'est pas peu fier d'avoir réussi à tromper les miliciens. Enfin, quel que soit leur nationalité, le plus grand mérite des soldats africains de l'opération "Turquoise" a été d'avoir pu gagner la confiance d'une population en état de choc.
Des leçons à tirer
Je l'ai plus personnellement ressenti à l'hôpital de Kibuye, que j'ai visité avec le Premier ministre. Un chirurgien et deux médecins sénégalais y avaient accompli des prouesses. Le 25 juillet en fin d'après-midi, le médecin capitaine Serigne Maguete Guaye essayer de recoudre le bras d'un vieillard tutsi blessé par un coup de machette. Il entend des hurlements à l'extérieur de la chambre stérile. Le volet de la tente s'ouvre, une femme entre : sa fille n'arrivait pas à accoucher. Sa vie était en danger. "Je n'ai pas hésité, m'a raconté ce médecin, j'ai confié le vieil homme à mon assistant, et j'ai fait une césarienne à la gamine. Une naissance dans cet enfer c'était un espoir pour tous."
Aujourd'hui, nos amis africains ressentent une grande fierté de participer à cette opération humanitaire. Alors qu'ils viennent de prendre notre relais, ils savent combien ils sont utiles au Rwanda.
Certaines leçons sont à tirer de cette action remarquable des contingents africains au Rwanda. La première concerne l'avenir de l'Afrique. En juin dernier, le ministre de la Défense, François Léotard, a lancé l'idée d'une force d'action rapide interafricaine qui serait soutenue par la France et, au-delà, par l'Europe. Je crois que l'expérience de l'opération "Turquoise" nous a montré qu'un tel projet était possible, que des soldats venus de plusieurs pays d'Afrique pouvaient s'unir pour préserver la paix.
La seconde leçon de l'opération "Turquoise" est tout aussi évidente. Elle manifeste la permanence de nos solidarités avec ce continent et d'une amitié qui continue d'y trouver un écho.
À Fréjus, aujourd'hui, en honorant l'Armée d'Afrique, nous aurons à l'esprit ce nouveau témoignage de fraternité.
(1) Même si la Guinée-Bissao est lusophone.