Texte intégral
O. Mazerolle
L'opposition semble désespérer ses plus chauds partisans. Que répondez-vous à J. d'Ormesson, qui s'interrogeait, hier, dans Le Figaro : « Faut-il, par désespoir, devenir socialiste ? »
F. Fillon
- « Non, l'opposition a entrepris un travail long et sérieux de recomposition et de reconstruction. Vous savez, quand il s'agit de repeindre la maison, il y a deux façons de faire : on rajoute la peinture par-dessus l'ancienne, ou on gratte et on fait une rénovation profonde. Et c'est ce que nous avons entrepris. »
O. Mazerolle
Et quand on gratte, cela fait mal parfois...
F. Fillon
- « Et nous continuerons de supporter les quolibets et les railleries. Mais nous continuerons d'avancer dans la même direction. C'est-à-dire que nous avons eu un débat autour des valeurs que nous voulons mettre en avant dans notre action politique. Nous avons entrepris la démocratisation du Rassemblement pour la République - dans quelques semaines, pour la première fois dans son histoire, son président va être élu par tous ses militants. Et puis, nous sommes en train d'essayer de construire une union de l’opposition à travers l'Alliance. »
O. Mazerolle
Tout de même, J. d'Ormesson dit : « mais il n’y a pas de chef incontesté dans cette opposition ; il n’y a pas de doctrine claire. »
F. Fillon
- « Il y a d'abord un chef incontesté qui est le Président de la République. »
O. Mazerolle
C'est sûr, cela ?
F. Fillon
- « Il y a ensuite... »
O. Mazerolle
C'est sûr ?
F. Fillon
- « C'est le Président que nous avons soutenu, c'est le Président que nous avons voulu, c'est le Président de tous les Français, et c'est notre inspirateur et celui qui nous conduit. Et puis, nous avons à la tête des formations politiques, aujourd'hui, des gens de grand talent. Et donc je crois que la question n'est pas celle du chef. La question, aujourd'hui, c'est celle du projet politique. Et sur ce projet politique, nous allons, à partir de l'automne, commencer une série de conventions, décentralisées dans toute la France, autour des principaux thèmes qui doivent guider notre action. »
O. Mazerolle
N'êtes-vous pas toujours englués, quand même, dans les mêmes difficultés ? Vous parliez des valeurs, il y a un instant. Mais sur la question du Front national, regardez : Démocratie libérale est membre de l'Alliance, qui dit vouloir refuser toute compromission avec les extrémistes - donc avec le Front national - et pourtant, Démocratie libérale accepte dans son groupe parlementaire M. Blanc, qui a été élu président de région avec les voix du Front national ! Vous trouvez cela clair, vous ?
F. Fillon
- « On est d'autant plus englué dans cette question qu'elle nous est sans cesse posée et reposée. »
O. Mazerolle
C'est normal, c'est vous qui avez posé la question des valeurs !
F. Fillon
- « La vérité c'est que, au RPR, nous n'avons jamais varié sur cette question ; nous ne voulons aucune alliance avec le Front national, parce que nous pensons que nous n'avons aucune valeur en commun avec le Front national, et que toute alliance avec ce parti serait une impasse morale, politique, et même une impasse électorale. Et nous mettons chaque jour nos paroles en accord avec nos actes. »
O. Mazerolle
Oui, mais le mouvement de l'Alliance est-il crédible si cette ambiguïté n'est pas levée ?
F. Fillon
- « Et nous le faisons, nous, en faisant des efforts considérables, par rapport à tous ceux qui nous donnent chaque jour des leçons. Nous, nous avons exclu de notre formation politique ceux qui n'avaient pas voulu suivre cette ligne. Et croyez-moi, exclure des amis, ce n'est pas chose facile. »
O. Mazerolle
Mais alors Démocratie libérale, cela pose un problème, quand même ?
F. Fillon
- « Démocratie libérale, c'est Démocratie libérale. Le RPR n'entend pas faire régner l'ordre à Démocratie libérale. En revanche... »
O. Mazerolle
Mais au sein de l'Alliance ?
F. Fillon
- « En revanche, nous avons exigé, qu'au sein de l'Alliance, toutes les formations politiques qui y adhèrent, adhèrent aux valeurs qui sont celles qui nous rassemblent. »
O. Mazerolle
Et vous croyez que c'est fait ?
F. Fillon
- « Et je crois que c'est fait En tout cas, tous ceux qui ne les partagent pas n'auront aucun rôle à jouer dans cette Alliance. »
Bon. Vous ne croyez pas que F. Hollande, comme il le disait hier matin, veut vous tendre une main secourable pour vous éviter de changer d'identité ?
F. Fillon
- « Je préfère que F. Hollande garde ses mains dans ses poches plutôt qu'il nous la tende, comme le piège que le Parti socialiste, depuis des années, nous tend dans ce domaine, F. Mitterrand en ayant été l'artisan. »
O. Mazerolle
Autre éclaircissement à venir : c'est sur l'Europe. Force démocrate, les centristes, disent vouloir une Europe à vocation fédérale. Ce n'est pas vraiment votre tasse de thé ?
F. Fillon
- « Oui, je crois surtout que c'est un faux débat Et c'est un débat que nous sommes pratiquement les seuls en Europe à avoir. Il n'y a plus aucun grand pays où ce débat ait cours. Et sur bien des sujets, le fédéralisme, dont rêvent certains centristes, n'a aucune espèce de chance d'aboutir. Je prends l'exemple de l'Europe de la sécurité : les pays les plus en avance dans la construction européenne - je pense à l’Allemagne, en particulier - refusent toute espèce de construction d'une Europe de la défense, et continuent de souhaiter une défense Atlantique. Je crois que c'est un faux débat Le vrai sujet aujourd'hui, c'est l'élargissement et c'est le contrôle démocratique des institutions européennes. Et sur ces deux sujets, je suis persuadé que nous pouvons, ensemble, au sein de l'Alliance, définir les prochaines étapes de la construction européenne, sans se fixer des objectifs à 50 ans totalement irréalistes. »
O. Mazerolle
N’y-a-t‘il pas quand même des non-dits ? Est-ce que l'euro, finalement, ne conduit pas à créer une Europe fédérale de l'économie ?
F. Fillon
- « C'est pour cela que je crois que ce débat est un débat dépassé, parce que l'euro est une donnée que nous devons prendre en compte, et qu'au RPR nous prenons en compte. Et qui suppose aujourd'hui un certain nombre d'avancées, notamment en matière de contrôle démocratique des institutions européennes. Et c'est de ces sujets-là qu'il faut, maintenant, qu'avec les centristes, qu'avec les autres formations politiques de droite, nous parlions. Nous avons des débats alors que nous ne mettons jamais complètement sur la table les vrais sujets. »
O. Mazerolle
Ce n'est pas du fédéralisme, l'euro ?
F. Fillon
- « Qu'importe la façon dont on l'appelle. Ce qui compte, c'est que le résultat corresponde aux attentes des Français. »
O. Mazerolle
Il faut le faire sans le qualifier ?
F. Fillon
- « Il faut, en tout cas, mettre en place des institutions qui permettent au politique de retrouver sa place dans le dispositif. »
O. Mazerolle
Dans ces conditions, P. Séguin a-t-il une chance d'être tête d'une liste unique de l'opposition aux européennes ?
F. Fillon
- « Ce n'est pas une question d'actualité. P. Séguin... »
O. Mazerolle
Sa candidature...
F. Fillon
- « On m'a demandé s'il serait un bon candidat. Je crois que tout le monde convient que ce serait un bon candidat. La question n'est pas là. La question, aujourd'hui, c'est de savoir si nous sommes capables de présenter une liste d'union. Et moi je dis que, après avoir gouverné la France pendant quatre ans, sans que ce sujet ne fasse l'objet de différends majeurs entre nous, et alors même que nous voulons gouverner demain la France, je vois mal comment nous pourrions nous présenter désunis sur le sujet le plus central de la vie politique française. »
O. Mazerolle
C'est vital pour la crédibilité de l'opposition ?
F. Fillon
- « Je pense que c'est vital pour la crédibilité de l'opposition. Et que nous ferions bien de nous mettre rapidement autour d'une table pour définir un projet commun en matière européenne ; chacun devra faire des efforts. Nous, nous y sommes prêts, et je souhaite que nos partenaires y soient prêts aussi. »
O. Mazerolle
Et P. Séguin est prêt à plonger dans ce combat ?
F. Fillon
- « Encore une fois, ce n'est pas d'actualité, et il n'est pas candidat. »
O. Mazerolle
Quand c'est vous qui parlez, on se dit : cela veut dire que P. Séguin lui a demandé de parler. Vous êtes tellement proches...
F. Fillon
- « Non, non. Je reprendrai une formule ancienne : Lui c'est lui, et moi c'est moi. »