Texte intégral
Lutte Ouvrière / 7 août 1998
La politique de Jospin c’est de faire payer les pauvres : Imposons de faire payer les riches !
Depuis que le chômage est devenu dans ce pays un fléau qui touche des millions de travailleurs, tous les Gouvernements qui se sont succédé, qu’ils aient été de droite ou qu’ils se soient réclamés de la gauche, ont de fait mené la même politique. Ils ont distribué des cadeaux au patronat, sous forme d’abaissement de charges sociales, de diminution des impôts sur les entreprises, de facilité pour aménager les horaires de travail sur le dos des salariés, sous prétexte d’inciter les patrons à créer des emplois.
A chaque fois, le résultat a été le même : rigoureusement nul. Les patrons encaissent bien évidemment les cadeaux qu’on leur fait (et en échange desquels on ne leur demande même pas d’engagement précis), et les mesures gouvernementales ne servent qu’à augmenter leurs bénéfices. Même dans les cas où ils ont la possibilité de vendre plus et ont, de ce fait, besoin d’augmenter la production, ils ne créent généralement pas d’emplois, car ils préfèrent se contenter de surexploiter un peu plus leurs salariés.
Le Gouvernement Jospin n’a pas échappé à la règle et ses projets pour les mois qui viennent s’inscrivent dans la droite ligne de la politique qui consiste à faire payer les pauvres pour permettre aux riches de s’enrichir encore plus.
Premier acte : le projet de budget pour 1999, présenté par le ministre des Finances au début juillet était caractérisé par la décision, toujours sous le prétexte d’inciter le patronat à créer des emplois, de diminuer fortement la taxe professionnelle à partir de 1999, c'est-à-dire les impôts que paient les entreprises, dont les bénéfices, déjà considérables, grandiront d’autant.
Deuxième acte : l’accord sur la « réduction du temps de travail », signé dans la métallurgie entre le patronat et certaines confédérations syndicales, illustre la manière dont le patronat peut et veut utiliser la loi Aubry, que les partis de la « gauche plurielle » nous ont présentée comme une avancée sociale, et comme un remède au chômage. Cet accord prévoit une réduction du temps de travail « théorique », accompagnée dans la pratique d’une possibilité accrue pour le patron de faire effectuer bien plus d’heures supplémentaires, à sa convenance. Dans le meilleur des cas, les salariés y gagneront la majoration de 25 % sur quelques heures supplémentaires. Mais ce n’est même pas toujours le cas, du fait de l’annualisation, et du fait que cet accord prévoit aussi l’extension du travail au forfait. Quant à la création d’emplois, il n’en est même pas question.
Troisième acte : les pouvoirs publics recommencent à beaucoup parler du déficit de la Sécurité Sociale (lié au chômage, et aux dégrèvements de charges sociales accordés aux entreprises), ce qui annonce toujours une diminution des prestations dont les assurés sociaux devraient bénéficier en échange de leurs cotisations qui, elles, ne diminuent pas. Juppé n’est plus là. Mais le train de mesures qu’il avait prévu continue à se mettre en place.
On pourrait se demander pourquoi ce Gouvernement s’acharne, comme ses prédécesseurs, à recourir à des recettes qui ont fait depuis plus de vingt ans la preuve de leur totale inefficacité dans la lutte contre le chômage et dont, qui plus est, presque tous les commentateurs économiques s’accordent à reconnaître qu’elles n’entraîneront pas la création d’emplois. Ce n’est pas parce que les ministres seraient stupides. C’est simplement parce que le problème du chômage est en fait le dernier de leurs soucis.
Oh, ils en parlent bien sûr en période électorale, parce que ne pas le faire pourrait leur coûter des voix. Mais quand ils sont au Gouvernement, ce dont tous ces politiciens professionnels sont préoccupés, c’est de permettre aux riches, aux possédants, à ceux qui possèdent le pouvoir économique, de continuer à s’enrichir encore sur le dos de la population laborieuse. Cela durera tant que les travailleurs ne feront pas entendre leur colère. Il est grand temps de ne plus les faire attendre !
Lutte Ouvrière / 14 août 1998
Après les attentats contre deux ambassades américaines
Les ennemis de nos ennemis sont souvent nos ennemis
Bien malin qui pourrait dire, en dehors des responsables des attentats eux-mêmes, qui a posé vendredi dernier, devant les ambassades américaines de la Tanzanie et du Kenya, les bombes qui ont fait plus de deux cent trente morts et des milliers de blessés. Mais le simple fait que l’on ne puisse pas savoir qui a commis ces actes barbares est déjà une condamnation de ces méthodes, puisqu’elles permettent toutes les interprétations.
Et si tous les observateurs ont dit qu’il fallait chercher du côté des intégristes islamistes, cette hypothèse ne fait guère avancer les choses, car la plupart des grandes puissances, à commencer par les Etats-Unis (grands amis de l’Arabie Saoudite et des Talibans afghans), entretiennent les meilleures relations avec certains islamistes. C’est que les affaires passent avant tout !
Ce qui est sûr, c’est qu’à travers leurs ambassades, ce sont bien les Etats-Unis qui étaient visés. Il suffisait d’ailleurs d’entendre à la télévision Madeleine Albright, la secrétaire d’Etat des USA, affirmer péremptoirement qu’à Nairobi, comme à Dar Es-Salaam, c’étaient les services américains qui avaient pris l’enquête en mains, comme si la Tanzanie et le Kenya n’étaient que de simples dépendances de l’oncle Sam, pour comprendre la haine que l’impérialisme américain a pu susciter dans les pays qu’il domine.
Cependant, ceux qui ont organisé ces attentats, ceux qui les ont réalisés, ne se sont pas soucié des innombrables victimes – qui n’étaient pas responsables de la politique des Etats-Unis - , que pouvaient faire, et qu’ont effectivement fait, leurs bombes. Ils ont eu pour la vie des populations tanzanienne et kényane le même mépris que pour celle des fonctionnaires subalternes de ces ambassades, dont bien peu ont vraiment le pouvoir de décision.
Les dirigeants des grandes puissances ne sont certes pas plus sympathiques. Ils parlent volontiers, à l’usage de leurs propres peuples, de démocratie et de droits de l’homme. Mais lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts des possédants, ils n’hésitent pas à utiliser les pires méthodes du terrorisme d’Etat, la pire violence aveugle s’ils l’estiment nécessaire. Toutes les guerres coloniales que l’impérialisme français a livrées de 1945 à 1962, de l’Indochine à l’Algérie en passant par Madagascar, la Tunisie et le Maroc, toutes les interventions prétendument « humanitaires » au Tchad, au Gabon ou au Rwanda, ont montré quel mépris les hommes, qui ont dirigé et dirigent encore la politique française, ont envers les peuples coloniaux ou ex-colonisés.
Mais quels que soient les auteurs des attentats de Nairobi et de Dar Es-Salaam, les actions qu’ils ont organisées montrent qu’aucun peuple n’a quoi que ce soit à espérer de ces gens-là. Car quand ce type d’hommes, de mouvements, arrive au pouvoir, c’est toujours pour y appliquer les mêmes méthodes, qui ne peuvent qu’aboutir à l’instauration d’une dictature dirigée contre les masses populaires.
Les exemples ne manquent malheureusement pas de soi-disant mouvements de « libération », qui n’ont fait que mettre de nouvelles chaînes aux mains et aux pieds de ceux qu’ils prétendaient libérer, les organisations terroristes et les armées clandestines ayant été le moule où s’est forgé un nouvel appareil d’oppression.
Les peuples, les classes sociales opprimées, qui veulent se libérer, ne peuvent pas, sans renoncer du même coup à leur liberté, renoncer à utiliser la violence, car les classes possédantes, elles, n’ont pas de scrupules. Mais la seule violence qui peut accoucher d’une société plus juste, c’est la lutte collective des masses, qui leur donne la possibilité d’en contrôler les buts et les moyens.
Lutte Ouvrière / 21 août 1998
La fausse embellie pour l’emploi
Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn se sont dépêchés, chacun voulant doubler l’autre, de se féliciter de ce qu’ils appellent les « bons chiffres » en matière d’emploi. Pensez donc : les entreprises privées et semi-publiques auraient créé 266 000 emplois supplémentaires en un an !
En voilà de l’espoir, pour les quelques millions de travailleurs officiellement recensés qui sont au chômage, pour certains depuis des années. S’ils sont patients, d’ici cinq ou dix ans, ils ont une chance de trouver du travail, s’ils n’ont pas sombré, d’ici là, dans la misère et si les créations d’emplois se maintiennent à ce rythme. Plus probablement, ils ont une chance de rejoindre les rangs des deux ou trois autres millions de travailleurs qui n’ont pas un emploi stable et qui survivent en galérant, de petits boulots en intérim ou en CDD, souvent des temps partiels payés à peine plus que le RMI.
En effet, l’écrasante majorité des emplois créés depuis un an dont parlent les ministres l’ont été en intérim ou en CDD, y compris les plus qualifiés.
Des embauches, même en intérim ou en CDD, c’est mieux que rien, pourrait-on se consoler. Mais depuis plusieurs mois, on nous parle de reprise économique. Et, à en juger par les profits des entreprises, par le prix des actions en Bourse, c’est plus qu’une reprise, c’est de l’euphorie. Mais les profits élevés n’incitent nullement les entreprises à créer des emplois. Et même les plus menteurs des bateleurs de foire du Gouvernement n’osent affirmer qu’elles puissent en créer en nombre suffisant pour résorber le chômage. Les entreprises ne créent de postes supplémentaires que lorsque les cadences, les heures supplémentaires et la surexploitation ne suffisent vraiment plus. Mais toujours au compte-gouttes. Et nombre de grandes entreprises, comme Alstom par exemple, continuent à annoncer des plans de licenciements.
Cela fait des années que le coût du travail est en baisse et cela n’incite pas le patronat à créer des emplois. Les entreprises bénéficient de tous les dégrèvements sur les charges sociales ou sur les impôts qu’ont multipliés les Gouvernements successifs. Elles bénéficient, plus encore, de la pression du chômage, qui leur permet de remplacer leurs travailleurs permanents par des précaires mal payés. Cette diminution du coût du travail n’a augmenté que les bénéfices des entreprises.
Avec l’accord signé récemment dans la métallurgie, on a eu une illustration de ce que devient la loi sur les 35 heures que le Gouvernement avait présentée comme l’arme contre le chômage. Même la baisse du temps de travail est toute théorique dans cet accord, car elle est compensée, et au-delà, pour les patrons par la possibilité d’imposer plus d’heures supplémentaires, par l’annualisation du temps de travail et l’extension du travail au forfait. Et surtout, le patronat de la métallurgie ne s’est pas engagé à créer un seul emploi !
Et derrière les récents chiffres de l’emploi que les ministres socialistes essaient de peindre en rose, il y a surtout la généralisation de la précarité. Avec ce que la précarité, le temps partiel imposé, la flexibilité des horaires ont de néfaste pour la santé des travailleurs, comme vient de le souligner un rapport des médecins du travail. Mais avec ce que cela implique, aussi, pour leur pouvoir d’achat. Les emplois créés lorsque les patrons n’ont plus le choix, le sont avec une paie diminuée. Pendant la prétendue reprise, comme pendant les périodes de récession, la masse salariale continue à régresser, alors que les revenus du capital augmentent.
Mais le patronat, comme le Gouvernement, sont en train de faire la preuve que les travailleurs n’ont rien à attendre des mécanismes économiques « libéraux ». Reprise ou pas, le sort qui leur est réservé c’est, au mieux, se crever au travail pour un revenu de plus en plus bas et pour les autres, crever de misère faute de travail. Jusqu’à ce que la colère l’emporte sur les faux espoirs et sur la résignation et que le grand patronat soit contraint de lâcher de quoi supprimer le chômage et augmenter les salaires, devant la force unie des travailleurs, la seule chose capable de le faire céder.
Lutte Ouvrière / 28 août 1998
Ce que Gouvernement et patronat ne veulent pas faire, il faudra le leur imposer
Il n’y a pas que le temps qui est maussade en ces jours de retour de vacances, du moins de ceux qui ont pu partir, ce qui n’est pas le cas de tous. L’écrasante majorité des salariés retrouvent des salaires qui stagnent ou reculent. De plus en plus nombreux sont ceux qui en sont réduits à courir après des contrats d’intérim, des CDD, des temps partiels mal payés. C’est pire encore pour les chômeurs, trois millions officiellement : autant de paies en moins et une baisse du pouvoir d’achat de toute leur famille. Et ce n’est pas l’annonce que 260 000 emplois ont été créés durant l’année passée qui donnera travail et salaire à ceux qui n’en ont pas.
Parmi toutes les mesures ou « réformes » dont se vante le Gouvernement, y en a-t-il qui vont vraiment alléger les difficultés des travailleurs ?
Oh, le Gouvernement a reconduit l’allocation de rentrée scolaire à 1 600 F. C’est mieux que rien, mais il y a eu bien d’autres Gouvernements, y compris de droite, qui en ont fait autant. Il a réduit la TVA sur les abonnements de gaz et d’électricité. Mais il n’a même pas poussé la générosité jusqu’à la réduire sur l’ensemble de la facture. Et surtout, il n’est pas question de réduire la TVA, cet impôt injuste sur tous les articles de première nécessité qui frappe les plus pauvres au même taux que les riches. Il n’est même pas question de supprimer la hausse de deux points de la TVA, décidée en son temps par Juppé et dénoncée à l’époque par la gauche.
Le Gouvernement se vante pourtant d’une « reprise économique » et il a invoqué les recettes supplémentaires que cela amènera à l’Etat. Le patronat n’aurait plus à payer la taxe professionnelle sur les salaires. C’est un cadeau de 27 milliards en cinq ans, alors qu’on parle de nouvelles restrictions sur la Sécurité sociale.
Ce choix de favoriser le patronat au détriment de ceux qui ont les revenus les plus modestes est d’autant plus cynique que les bénéfices des grandes entreprises demeurent considérables. La minorité la plus riche de ce pays a connu cette année un enrichissement comme jamais.
Les 35 heures devaient, paraît-il, alléger l’exploitation et créer des emplois ? Mais les accords signés dans la métallurgie et, plus récemment, dans le sucre montrent que par le biais de la modulation des horaires et des journées de travail, les 35 heures servent de prétexte pour aggraver les conditions de travail et surtout, elles ne créent pas un seul emploi.
Pourtant, il n’y a pas besoin d’inventer des emplois. Combien d’emplois pourraient être créés dans les entreprises elles-mêmes, où les cadences sont démentes et où l’on impose des heures supplémentaires et des horaires insupportables ? Et combien d’emplois utiles, nécessaires même, pourraient être créés dans les services publics ?
L’éducation nationale manque de personnel, et pas seulement d’enseignants. On supprime des emplois dans les hôpitaux publics. On ferme des services, des hôpitaux, des dispensaires. On supprime des lignes de chemin de fer. Combien d’emplois pourraient être créés pour construire les logements populaires qui manquent ou pour doter d’équipements collectifs convenables les quartiers populaires ?
Il faudrait financer ces emplois ? Eh oui. Mais l’argent existe. Une partie des bénéfices colossaux des entreprises, dont l’usage est laissé aujourd’hui à la seule discrétion du grand patronat, devrait servir à cela. Ces bénéfices seraient infiniment mieux utilisés qu’à alimenter surtout les circuits financiers qui menacent l’économie d’un effondrement boursier.
Prendre sur les bénéfices est le seul moyen de supprimer le chômage. Mais le Gouvernement se refuse à l’utiliser.
Le problème n’est pas dans le « rythme des réformes » dont discutent les dirigeants de la « gauche plurielle ». Il est que l’on ne peut pas à la fois servir le grand patronat et sauvegarder le monde du travail de la misère. Le Gouvernement a choisi de servir en priorité le grand patronat. Jusqu’au jour, qui arrivera inévitablement, où la colère des travailleurs forcera la main aux uns et aux autres. Ce jour-là, que ni le patronat ni les hommes politiques à son service ne viennent se plaindre !