Interview de M. Alain Bocquet, président du groupe parlementaire PCF à l'Assemblée nationale, à RTL le 25 septembre 1998, sur le rythme des réformes lié à la "stratégie présidentielle" de Lionel Jospin et sur les relations du PCF et du gouvernement.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Vous avez évoqué la stratégie présidentielle de Lionel Jospin en vous demandant si elle ne conduisait pas à prendre « des mesures timorées » ? Mais pourquoi reprenez-vous le thème favori de l'opposition ?

« D'abord, cette phrase a été sortie du contexte ; il faut toujours la replacer dans le contexte. Et je sais que c'est le lot du pouvoir médiatique de remplir une baignoire de mousse à partir d'un gramme de savon. Mais ce que j'ai dit exactement, d'ailleurs ce n'est pas nouveau, mon ami Robert Hue avait abordé cette question… »

Q - Oui, Robert Hue a même parlé d'immobilisme. Alain Madelin ne dit pas plus…

« Mais écoutez, moi je n'ai rien à voir avec la droite. Ce que nous disons, nous, c'est qu'il faut prendre des mesures de gauche, à l'occasion du budget 1999 ; que certes, des acquis sont non négligeables, mais que cela ne va pas assez loin. Et c'est ce que nous avons voulu dire : dans la période présente, le budget n'est pas complètement au point. Voilà. »

Q - Oui, mais enfin attendez, il n'y a pas que le pouvoir médiatique. Cela n'a pas plu au Premier ministre, puisqu'à peine aviez-vous fini de prononcer votre discours qu'il vous a appelé au téléphone pour vous tancer !

« Mais cela c'est ce qu'on a dit. Personne ne peut révéler la teneur des coups de téléphone que je peux avoir, ici ou là, à tel ou tel moment, avec le Premier ministre. »

Q - Il n'était pas content !

« Cela j'en sais rien, il faut lui poser la question. Je trouve d'ailleurs que ce n'est pas tellement iconoclaste que de dire qu'un Premier ministre a une stratégie présidentielle. Je trouve plutôt cela bien. »

Q - Vous ne croyez pas qu'il puisse ne pas y penser ?

« Je n'en sais rien, je ne sonde ni le coeur, ni les reins, ni la tête du Premier ministre. Mais je trouve tout à fait naturel et même sympathique qu'un Premier ministre pense un jour à devenir président de la République. Mais là n'est pas la question. »

Q - Vous êtes prêt à voter Jospin ?

« Vous savez, moi je prendrai mes décisions le moment venu. Le Parti communiste a toujours eu un candidat aux élections présidentielles ; je suppose et je souhaite qu'il y en ait un. Donc au premier tour mon choix sera clair. Et ensuite, évidemment, je préfère un président de la République de gauche que la droite à l'Elysée, bien entendu. »

Q - François Hollande vous donne tout de même un conseil, ce matin, dans Le Figaro : éviter les surenchères.

« Bien justement, nous avons dit, dans nos Journées parlementaires de Dieppe – et c'est précisément écrit et dit dans mon rapport introductif –, que nous ne voulions ni le silence ni la surenchère. C'est-à-dire que nous voulons avoir un apport constructif dans la politique de la majorité plurielle, dans le Gouvernement. Et dans l'élaboration du budget 1999, nous ferons – et nous faisons – des propositions très précises, très concrètes, pour que les décisions prises correspondent vraiment à l'attente sociale forte qui s'exprime dans une partie importante de notre peuple. »

Q - Vous avez dit que vous vouliez que le PC soit « le Viagra de la majorité ». Vous savez que le Viagra déclenche des crises cardiaques aussi ?

« Oui, mais par pour tout le monde. »

Q - Bon. Il n'y a pas de lapsus en vue ?

« Non, non. Le Parti communiste est quand même très ancré, très enraciné dans notre peuple. Il est en train de remonter la pente, assurément. On le voit dans… »

Q - Non, mais je parle de la majorité. Une crise cardiaque de la majorité n'est pas en vue ?

« Non, non. Ne vous inquiétez pas. La majorité est en bonne forme ; il y a un débat démocratique normal, au sein d'une majorité qui est plurielle et c'est une bonne chose. Cela permet de faire avancer les choses dans le bon sens. »

Q - Est-ce qu'il y a tout de même des députés communistes qui pourraient ne pas voter le budget ?

« On en n'est pas encore là. Notre propos est de faire en sorte que le budget soit le meilleur possible. Bien entendu, ce ne sera pas le budget que souhaitent le Parti communiste et ses parlementaires, mais nous ferons tout, toute la pression qui s'impose. Et nous voulons d'ailleurs lancer un appel au mouvement social, à l'intervention citoyenne, à l'intervention de tous ceux qui veulent que ce budget soit vraiment un budget de gauche, avec, notamment, l'introduction des biens professionnels dans l'impôt sur la fortune, avec une baisse de la TVA sur les produits de première nécessité quand même. On parle beaucoup de l'impôt sur les grosses fortunes. Le CNPF s'est insurgé quand on a évoqué, quand mon ami, Robert Hue a évoqué l'idée d'introduire les biens professionnels. Mais personne ne parle de l'impôt sur la grande pauvreté que représente la TVA. La TVA, c'est presque la moitié du budget de la France, et elle touche en premier lieu les salariés, ceux qui sont payés au Smic, les RMIstes qui doivent donner un cinquième – 20 % – de leurs revenus pour payer un impôt indirect : la TVA ! »

Q - Tout de même, Alain Bocquet, vous avez dans votre groupe, G. Hage, à qui on ne la fait plus, hein ?

« G. Hage est un ami, un parlementaire du Nord… »

Q - Il dit : « Tout cela, c'est un exercice de style, puisque de toute manière on a décidé de rester au Gouvernement, alors »…

« Mais je ne partage pas tout à fait l'analyse de mon ami G. Hage, il le sait, on en discute entre nous. »

Q - On ne la lui fait plus, hein… Il a l'habitude de la politique !

« Vous poserez la question à G. Hage, vous l'inviterez. Moi, ce que je peux vous dire, c'est qu'aux Journées parlementaires de Dieppe, il y a eu une grande unanimité des parlementaires communistes, et tout le monde sait que les parlementaires communistes ont leur sensibilité propre ; il y a une grande diversité dans le groupe que j'ai l'honneur de présider. Et il y a la volonté d'être constructif, de rester de plain-pied dans la majorité, au Gouvernement, avec nos ministres qui travaillent bien dans ce Gouvernement, pour faire vraiment en sorte qu'il y ait, dans notre pays, une politique de gauche. »

Q - Mais vous ne craignez pas, tout de même, que vos électeurs en arrivent à vous dire que vous amusez un peu la galerie en protestant continuellement, sans que cela soit suivi par des actes concrets ?

« Nous ne faisons pas que protester. Nous sommes porteurs des exigences populaires. Et nous voulons – si je peux trouver une formule, les formules sont toujours en fermantes – être des partenaires, une participation exigeante au sein de la majorité. »

Q - Vos électeurs comprennent vraiment ce que vous voulez ?

« Oui, je pense que nos électeurs le comprennent, les récentes élections partielles le montrent. Pas tous nos électeurs : il y a encore des électeurs qui s'interrogent, dans une grande majorité – et des enquêtes d'opinion l'ont prouvé, on l'a vu à la Fête de l'Humanité. Eh bien, il y a une approbation de la politique qui est menée par le Parti communiste. »

Q - Vous n'êtes pas ficelés par votre présence au Gouvernement ?

« Mais non, moi je suis un homme libre ! Le Parti communiste est un parti libre, le groupe communiste est libre et autonome. Mais nous sommes un parti et des parlementaires responsables. Nous ne sommes pas là pour faire voler en éclats une majorité à laquelle tient la majorité de notre peuple. Nous sommes là pour qu'elle fasse une politique qui corresponde à son attente. Il nous a été demandé, à nous communistes – on l'a senti dans ce vote d'il y a un an et demi –, de jouer ce rôle actif et constructif, offensif. Eh bien nous le faisons. »

Q - Vous savez qu'Alain Krivine vous prédit la mort. Il dit : « Il n'y a pas de place pour deux partis gestionnaires à gauche. Le plus gros va manger le plus petit ».

« Oui, bon, Alain Krivine a son opinion. Je respecte Alain Krivine. Mais cela étant dit, la vie montrera que dans le cadre d'un grand combat pour dépasser cette société capitaliste – qui arrive, qui est à bout de souffle, on le voit bien dans tous les domaines, avec l'argent-roi qui domine, avec toutes les difficultés financières, avec quand même du chômage, de la pauvreté ! Eh bien il faut dépasser cette société, le capitalisme. Nous n'avons pas le monopole de la lutte anticapitaliste mais nous considérons quand même que le Parti communiste, dans son histoire, dans sa mutation actuelle et dans son action actuelle, est un atout important dans ce combat pour faire avancer la civilisation humaine. »