Texte intégral
Q - Vous étiez partis pour une mission humanitaire. Comment votre voyage s'est-il transformé en mission diplomatique ?
Au départ nous pensions centrer le voyage sur l'évaluation de l'efficacité de l'aide humanitaire. Ce qui nous a convaincus de modifier l'organisation de ce voyage, c'était la possibilité de rencontrer tous les protagonistes de la crise, y compris John Garang. Bernard Kouchner doit être le seul responsable français à avoir rencontré Garang, en 1990 ou 1991, de manière officieuse sur un terrain uniquement humanitaire. Le contact que j'ai eu au Caire avec Garang était organisé dans la plus grande clarté et en prévenant les responsables soudanais de Khartoum. J'ai longuement évoqué cette mission avec Hubert Védrine, mais je n'avais pas de mandat de négociation. C'était simplement l'occasion de dire aux uns et aux autres la disponibilité de la France pour accompagner le processus de paix, notre souci de donner plus d'efficacité à notre investissement humanitaire, et notre regret de voir le Soudan dans une situation de quasi-exclusion de la communauté internationale à cause de ses problèmes intérieurs, alors qu'il est l'État le plus étendu d'Afrique et qu'il devrait jouer un rôle important dans la région.
Q - On parle beaucoup du détournement de l'aide internationale au Soudan. Avez-vous posé des conditions à sa poursuite ?
J'ai dit à mes interlocuteurs que nous ne pourrions pas indéfiniment faire appel à la solidarité des Français, si dans le même temps les bénéficiaires de leur solidarité consacraient l'essentiel de leurs efforts à se faire la guerre. Nous avons beaucoup insisté aussi sur le fait que notre opinion publique est de plus en plus sensible à la question des droits de l'homme, et que la règle normale d'une démocratie, c'est que les dirigeants tiennent compte de leur opinion publique.
Q - Jusqu'où peut-on continuer de composer ?
On nous dit que du côté de Wao, il y a 50 morts par jour. C'était 100 il n'y a pas longtemps, et il n’est pas sûr que cette baisse statistique ne s'explique pas par le fait qu'ils meurent un peu plus tôt sur la route. Peut-on rester inerte face à une telle situation de souffrance ? Si l'aide sauve des vies, on ne va pas faire de mathématiques, il faut continuer. Mais il est vrai qu'il faut s'assurer qu'elle atteigne sa destination et ne nourrisse pas prioritairement des combattants, afin qu'elle ne devienne pas, en quelque sorte, une arme de guerre. Que l'on profite peut-être mieux de ce dialogue obligé pour pousser le Soudan à un meilleur respect des droits de l'homme n'est pas facile, mais ce n'est pas impossible non plus. A Khartoum, il m'a été demandé d'aider le Soudan à réintégrer les accords de Lomé. J'ai fait valoir que si le Soudan voulait bénéficier de cet avantage, il fallait la paix.
Q - Sur le Soudan, comme autrefois sur le dossier congolais, la France ne risque-telle pas de s'opposer aux Etats-Unis ?
Ce n'est pas parce que les Américains auraient une lecture inappropriée d'une situation africaine que nous devons forcément avoir la même. L’important, c'est que l'on soit capable d'en parler avec les Américains.