Interviews de M. Jean-Louis Debré, secrétaire général adjoint du RPR, dans "Le Figaro" et à France-Inter le 10 janvier 1995, France 2 le 13, TF1 le 18, RMC le 20, RTL le 27, sur J. Chirac "candidat naturel" du mouvement gaulliste, la candidature officielle d'E. Balladur et la nécessité d'un débat entre J. Chirac et E. Balladur, et sur les risques de divisions du RPR.

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Texte intégral

Le Figaro : 10 janvier 1995

Le Figaro : Depuis plus d'un an les sondages régulièrement annoncent la défaite de Jacques Chirac à l'élection présidentielle. Quel événement, selon vous, pourrait inverser cette tendance lourde de l'opinion ?

Jean-Louis Debré : Les Français vont se rendre compte de la situation de la France et de la nécessité d'une nouvelle politique. Je suis persuadé que la démarche et les raisons du combat de Jacques Chirac seront légitimées et qu'une adhésion se fera de plus en plus grande autour de lui et de son projet. Il y a deux attitudes possibles : soit les Français regardent vers le conservatisme, et alors Jacques Chirac peut ne pas gagner l'élection, soit nos compatriotes choisissent le mouvement et la réforme, et alors le succès de Jacques Chirac est assuré.

Le Figaro : Mais pour quelle raison cette adhésion se ferait-elle plus aujourd'hui qu'hier ?

Jean-Louis Debré : Nous entrons véritablement dans la campagne. Les Français vont pouvoir juger les candidats. Jacques Chirac incarne et incarnera de plus en plus une volonté de mouvement, un espoir de changement et une exigence d'action. Nous avons été élus en 1993 sur l'espoir d'un changement et une exigence d'action. Nous avons été élus en 1993 sur l'espoir d'un changement profond, et les Français ont été déçus. Non pas que le Gouvernement n'ait rien fait. Il a bien travaillé et fait voter par le Parlement certains textes nécessaires. Il a bien débuté, mais très vite il a mis un terme à son élan réformateur. En dépit des apparences, trop rapidement, l'élection présidentielle a envahi l'esprit des stratèges gouvernementaux et des conseillers d'Édouard Balladur. Le schéma initialement imaginé, qui laissait le Premier ministre en dehors de l'élection présidentielle, a été écarté comme étant un engagement de circonstance. Ces stratégies et ces conseillers n'ont pas vu que ce schéma politique était le seul qui permettait au Gouvernement d'agir avec efficacité. Par ailleurs, ces conseillers ont initié une discrète mais implacable guerre fratricide, incitant les uns à choisir Édouard Balladur plutôt que Jacques Chirac. Le but évident était de déstabiliser Jacques Chirac et de l'inciter à renoncer à être candidat pour laisser la place au Premier ministre. C'est ainsi que la volonté réformatrice a été abandonnée au profit de jeux byzantins.

Le Figaro : Quelle sera votre réaction quand Édouard Balladur annoncera sa candidature ?

Jean-Louis Debré : Je serai déçu. Cette candidature risque d'entraîner une fracture de la famille gaulliste. Depuis le départ du général de Gaulle et la mort de Georges Pompidou, certains espèrent et parfois oeuvrent à la disparition du courant politique qu'incarnent les gaullistes. Si Édouard Balladur fait acte de candidature, il devra justifier, expliquer pourquoi, avant d'être premier ministre, il faisait confiance à Jacques Chirac pour diriger la France et pourquoi maintenant il ne lui accorde plus cette confiance.

Le Figaro : À vos yeux Édouard Balladur oeuvre-t-il à la disparition du courant gaulliste ?

Jean-Louis Debré : J'espère que non. Tout le monde a le droit de se présenter à l'élection présidentielle et de se référer aux idées du général de Gaulle. Mais à l'évidence Jacques Chirac est le candidat naturel des gaullistes. Il est accompagné par la très grande majorité des parlementaires RPR, et encouragé par la quasi-totalité des militants gaullistes. Il a reçu le soutien des principales personnalités gaullistes. N'oublions pas aussi, que si le gaullisme est aujourd'hui, à nouveau, la première force politique de France, c'est à Jacques Chirac que nous le devons.

Le Figaro : Le RPR devra-t-il, par un congrès par exemple, choisir son candidat à l'élection présidentielle ?

Jean-Louis Debré : L'acte de candidature à la présidence de la République ne relève pas des partis politiques. C'est un acte personnel. Au RPR, certains pensent qu'un congrès est nécessaire. Il est vrai que la politique, c'est l'art de faire des choix et de les assumer. Mais le mouvement gaulliste a déjà choisi. Un congrès n'est pas absolument nécessaire.

Le Figaro : Si Édouard Balladur était élu président de la République, le RPR pourrait-il selon vous, revendiquer la victoire de l'un des seins ?

Jean-Louis Debré : Il nous importe au RPR que le gaullisme triomphe et que le mouvement gaulliste reste la clé de voûte de la vie politique de la Ve République.

Le Figaro : La candidature de Philippe de Villiers ne risque-t-elle pas de porter préjudice à celle de Jacques Chirac ?

Jean-Louis Debré : Il est trop tôt pour le dire, mais je ne le crois pas. Dans la majorité, Philippe de Villiers estime qu'il représente une sensibilité particulière. Il entre donc en campagne. C'est sa responsabilité.


France Inter : mardi 10 janvier 1995

L. Joly : Contrairement à votre frère, vous êtes chiraquien. Vous dites, ce matin, dans Le Figaro, que les Français sont déçus par É. Balladur, mais les sondages semblent dire le contraire.

Jean-Louis Debré : Les sondages, ça va, ça vient. La campagne électorale va commencer, et il y a deux possibilités. Soit les Français choisissent l'immobilisme, le conservatisme, et se satisfont de la situation actuelle. Alors J. Chirac peut ne pas être élu. Ou alors, pensant qu'il faut s'orienter vers le mouvement, vers la transformation de la société, il faut faire des réformes profondes et alors, je crois que J. Chirac incarnera ce mouvement, cette volonté politique de ne pas se satisfaire de la situation actuelle. Alors il sera élu. Les sondages évolueront en fonction de ces deux exigences : soit l'immobilisme, soit la transformation.

L. Joly : J. Chirac renoue avec le gaullisme social, mais on se souvient aussi du J. Chirac ultra-libéral de 1986.

Jean-Louis Debré : Il ne renoue pas avec le gaullisme social. Dans le gaullisme, il y a toute une partie sociale. Si vous reprenez ce que J. Chirac a fait, soit comme secrétaire d'État à l'emploi, soit comme Premier ministre, vous verrez qu'il y a toujours eu des mesures importantes dans le domaine social. La création de l'ANPE, c'est J. Chirac qui l'a faite. L'extension de l'assurance-chômage, c'est J. Chirac qui l'a faite en tant que secrétaire d'État aux affaires sociales. Il y a eu la loi d'orientation sur les handicapés, la retraite à taux plein à soixante ans. Bref, le gaullisme, c'est une exigence sociale et J. Chirac est fidèle à cette tradition du gaullisme qui a fait qu'à certaines époques, on a parlé de gaullisme de gauche. Dans le gaullisme, il y a trois exigences : une certaine idée de la France, une France forte et fière dans une Europe des nations ; une certaine idée de l'État ; une certaine conception de la société. Jadis, ce fut l'association Capital-Travail, ce fut l'intéressement, la participation. C'est une tradition chez nous que de ne pas se contenter de la situation sociale actuelle.

L. Joly : J. Chirac a quand même un certain nombre de handicaps à surmonter.

Jean-Louis Debré : Mais les candidats, dans l'esprit des institutions de la Ve République, ne sont pas les candidats des partis politiques. L'élection à la présidence de la République est un contrat ou un dialogue entre un homme, le peuple, au sujet d'une ambition pour son pays. Laissons les partis politiques en-dehors de celle élection. Si un homme, quel qu'il soit, se présente comme le candidat d'un parti, je crois que sa candidature est vouée à l'échec. Car être président de la République, vouloir devenir président de la République, c'est vouloir rassembler l'ensemble des Français et non pas simplement des partis politiques. C'est vrai que l'on dit qu'É. Balladur est le candidat de l'UDF. Il ne faut pas que ça se passe ainsi. Il faut que le candidat de la majorité soit le candidat de l'ensemble des Français : c'est ce que J. Chirac cherche à faire. Lorsqu'il a voulu être candidat à la présidence de la République, il a coupé ses liens avec le RPR pour se situer au-dessus des gaullistes, au-dessus de celle formation politique.

L. Joly : On voit pourtant qu'il reste le candidat du RPR et du seul RPR. Il y a une autre candidature qui peut le gêner, c'est celle de P. de Villiers.

Jean-Louis Debré : Le premier tour des élections, c'est l'occasion pour tous ceux et toutes celles qui ont quelque chose à dire, qui ont un projet, un programme, de se présenter aux Français. Sinon on en revient à la candidature officielle du Second empire ou au plébiscite. Je ne suis ni pour l'un, ni pour l'autre, et je souhaite que, lors de l'élection du président de la République, chaque personnalité qui a un projet pour la France puisse le faire valoir.

L. Joly : Ça veut dire que vous ne souhaitez pas qu'il y ait un congrès du RPR pour donner un label à celui qui représente le mieux Je parti ?

Jean-Louis Debré : Je ne vois pas très bien l'intérêt de ce congrès. D'abord parce que, je viens de vous le dire, la candidature à la présidence de la République doit se situer au-dessus des partis politiques. Dans le cas présent, où il y aurait deux candidats issus de nos rangs, on voit bien que les principaux gaullistes historiques soutiennent J. Chirac. La quasi-totalité des militants apporte son appui à J. Chirac, 200 ou 250 députés ou sénateurs apportent à J. Chirac le soutien qu'il était en droit d'espérer d'eux. Par conséquent, je ne vois pas très bien ce que viendrait apporter un congrès puisqu'il est évident que le gaullisme s'incarne dans son candidat naturel. Je ne parle pas du candidat d'un parti mais de celui d'une idée, d'une conception de la société. Ce candidat naturel, c'est J. Chirac.

L. Joly : Alors justement, il semble qu'on aille jusqu'au bout de ce duel fratricide. Comment ressortira le RPR de tout ça ?

Jean-Louis Debré : Il est évident que s'il y a deux candidats issus du RPR, il risque d'y avoir une fracture au sein de notre formation. Et ma responsabilité, comme celle d'A. Juppé, sera de tout faire pour éviter que celle fracture ne soit trop grave. Et de toute façon, je crois qu'il importe, c'est la volonté de J. Chirac, que le gaullisme perdure dans la vie politique française. Naturellement, si J. Chirac est élu président de la République, les idées qui sont les siennes, qui sont des idées profondément gaullistes, triompheront et donc l'avenir de notre mouvement, sera assuré. Si ce n'est pas lui – hypothèse que j'exclus a priori – nous devrons tous, celles et ceux qui lui sont fidèles, faire en sorte que le mouvement demeure uni et rassemblé.

L. Joly : J. Chirac avait publié son point de vue sur la politique économique à mener et il me semble qu'elle n'était guère différente de celle qu'É. Balladur mime ?

Jean-Louis Debré : Non, je crois qu'il y a, dans l'analyse que J. Chirac a faite dans certains articles, récemment, deux choses. D'une part, le soutien qu'il a apporté depuis le début à la politique du gouvernement actuel. Car c'était une politique difficile, nécessaire, mais il a dit aussi qu'il fallait aller plus loin, faire des réformes plus profondes et dans son ouvrage, le premier ouvrage et celui qui vient de sortir aujourd'hui, « La France pour tous », il montre quelles seront ses réformes s'il est élu, et qui iront plus loin dans le sens d'une modification des rapports sociaux, dans le sens d'une véritable et profonde politique familiale, par exemple, dans le domaine de l'emploi, la nécessité d'avoir les charges sociales qui pèsent sur les commerçants et les artisans, une véritable politique et non pas des mesures circonstanciées.

L. Joly : On sait que ces gens ont l'intention de voter pour É. Balladur, c'est pour ça que J. Chirac veut un débat télévisé ?

Jean-Louis Debré : Je crois que depuis le début, depuis l'annonce de la candidature de J. Chirac, nous avons dit que nous en avions assez de l'hypocrisie et que le prochain président de la République doit être élu à la suite d'un débat. Nous voulons ce débat.


France 2 : vendredi 13 janvier 1995

B. Masure : C'est un coup dur, ce qui vous arrive, non ?

Jean-Louis Debré : Vous savez, on s'y attendait. Cela fait plusieurs mois que C. Pasqua avait pris ses distances avec notre mouvement. La décision qu'il a prise, aujourd'hui, officialise son divorce. Eh bien, maintenant, il faut regarder l'avenir. L'élection présidentielle, ce n'est pas le jeu des partis, ce n'est pas les combinaisons, les ralliements. C'est un contrat que l'on passe avec le peuple et nous allons continuer. Je suis persuadé que l'ensemble des militants vont nous soutenir, parce qu'ils n'aiment pas ces jeux.

B. Masure : Parleriez-vous de trahison, comme l'a dit B. Pons en parlant d'É. Balladur ?

Jean-Louis Debré : Je ne parle pas de trahison, parce que je ne veux pas rentrer dans une campagne d'invectives ou d'attaques personnelles. C. Pasqua, je le connais depuis très longtemps. Il a fait partie des compagnons, de nos compagnons. Il est avec P. Séguin, avec A. Juppé, avec J. Chirac, ceux qui ont façonné notre mouvement. Je ne veux pas croire une seconde que son départ est définitif. Il fait partie de la famille, il s'est trompé. Le Premier ministre lui a demandé de le soutenir. Il est ministre d'É. Balladur, il ne pouvait pas faire autrement. J'ai connu dans le passé un C. Pasqua plus rebelle, avec plus de personnalité. C'est dommage mais regardons l'avenir.

B. Masure : J. Chirac a dit ce matin qu'il était déterminé à aller jusqu'au bout. Que pensez-vous des propos de J. Baumel qui suggère qu'il se retire ?

Jean-Louis Debré : Le pauvre J. Baumel n'a rien compris. Nous ne sommes plus au jeu de la IVe République. L'élection présidentielle est une élection pour un projet où l'on défend des idées. Il faut que les Français et les Françaises se prononcent sur différentes propositions. II y a J. Chirac qui se situe dans la tradition gaulliste et gaullienne, qui refuse le déclin et qui propose de regarder l'avenir. Et puis, il y a les propositions qui seront faites par É. Balladur et qui sont dans la continuité de ce qui est fait. Est-ce que l'on veut la nouveauté ou est-ce que l'on veut la continuité. C'est ça le débat et ce ne sont pas des jeux ou combinaisons. Cela ne nous intéresse pas et n'intéresse pas les Français. Ces ralliements sont des épiphénomènes. La France est en crise, la France traverse des difficultés. Les candidats ont-ils des propositions à faire ? J. Chirac fait des propositions et il faut que les Français se prononcent sur ces propositions.


TF1 : mercredi 18 janvier 1995

J.-P. Pernaut : Il y a maintenant deux candidats de votre parti ; vous en êtes satisfait ou vous le regrettez ?

Jean-Louis Debré : Je le regrette. Après la déclaration d'É. Balladur, l'hypocrisie est levée. Ce n'était plus un suspense, c'était un vrai-faux suspense. Les choses sont claires. J'ai écouté É. Balladur et je n'ai pas encore compris pourquoi il était candidat.

J.-P. Pernaut : J'ai l'impression que c'est pour un peu les mêmes raisons que J. Chirac. Leurs programmes risquent de ne pas être très éloignés.

Jean-Louis Debré : Je suis très frappé de voir qu'É. Balladur reprend systématiquement les thèmes de J. Chirac. Pourquoi est-il candidat ? Pour faire valoir les mêmes idées que J. Chirac ? Alors ça n'a pas d'intérêt. Il faudrait que le Premier ministre nous dise en quoi ses propositions diffèrent de celles proposées par J. Chirac. À ce moment-là, sa candidature aurait une justification.

J.-P. Pernaut : Pour l'instant, on craint un débat d'hommes ou un débat d'idées ?

Jean-Louis Debré : Il y a deux façons de faire de la politique. Une façon consiste à s'agresser les uns les autres. Ça n'intéresse pas J. Chirac. Il y a une autre façon de faire de la politique, c'est d'essayer de soumettre aux Français des idées, des propositions. J. Chirac l'a fait depuis quelques semaines, a émis des projets, a fait des propositions. Nous attendons maintenant les projets et les propositions d'É. Balladur et nous verrons en quoi elles sont différentes de celles de J. Chirac. Mais il ne faudrait pas recopier les propositions de J. Chirac.

J.-P. Pernaut : Iriez-vous jusqu'à parler d'usurpateur, à propos d'É. Balladur, à parler de trahison ?

Jean-Louis Debré : La campagne pour l'élection présidentielle doit être un moment de solennité, où on évite toutes les agressions et les polémiques inutiles. Nous voulons, avec J. Chirac, faire des propositions. Nous avons commencé à les faire. Et nous voulons que les Français se prononcent sur ces propositions. Vous n'aurez de moi aucune agressivité et agression vis-à-vis de quiconque. Nous voulons faire connaître nos propositions et que les Français se rassemblent, non pas sur un nom, non pas sur une personne mais derrière une volonté de mouvement. Ce que nous voulons, c'est que ce pays bouge. Nous voulons faire un certain nombre de réformes, proposer aux Français ensemble, avec les Français, de moderniser notre pays.

J.-P. Pernaut : Pour l'organisation de la campagne, le RPR va-t-il participer au financement de celle d'É. Balladur ?

Jean-Louis Debré : Le financement de la campagne des candidats est fait par la dotation de l'État, par l'association de financement et dans une moindre mesure, par les partis politiques. Si É. Balladur souhaite que le RPR participe au financement de sa campagne, il faut qu'il le demande et les instances de notre mouvement se réuniront et nous verrons à ce moment-là.

J.-P. Pernaut : Y a-t-il des chances que vous y participiez ?

Jean-Louis Debré : Le RPR n'est pas une citadelle. C'est un mouvement ouvert et nous faisons en sorte que ce qui est important pour nous triomphe. Les idées auxquelles nous tenons, c'est une certaine idée de la France, une certaine idée de l'État, une certaine idée de la justice sociale ; elles sont incarnées par J. Chirac.

J.-P. Pernaut : Une lutte Balladur-Chirac ne risque-t-elle pas de vous faire oublier qu'il y aura un candidat de la gauche ?

Jean-Louis Debré : Ce n'est pas un combat Chirac-Balladur. Nous ne voulons pas ce combat. Nous voulons qu'É. Balladur, comme J. Chirac, fasse des propositions concrètes et que les Français se déterminent par rapport à ces propositions. C'est ça, la démocratie, et ce n'est rien d'autre. Arrêtez de dire que c'est un affrontement entre J. Chirac et É. Balladur : c'est une volonté, pour nous, de faire triompher nos idées.


RMC : 20 janvier 1995

P. Lapousterle : É. Balladur a annoncé sa candidature. Les raisons qu'il a données étaient-elles légitimes ?

Jean-Louis Debré : É. Balladur peut dire ce qu'il souhaite, je considère qu'on ne peut pas dire que pour être candidat il faut regarder son bilan, car É. Balladur a évoqué son bilan et son programme. C'est vrai que le Gouvernement a fait ce qu'il pouvait...

P. Lapousterle : ... et vous l'avez soutenu.

Jean-Louis Debré : ... et nous l'avons soutenu. Mais on ne peut pas dire que le bilan soit totalement satisfaisant. Il y a une augmentation du chômage de longue durée, notamment l'année qui vient de se terminer, il y a eu une augmentation du chômage des jeunes, l'endettement la France a continué, la France ne va pas bien et l'action du Gouvernement – qui n'a pas été intéressante – n'a pas permis de régler la crise, n'a pas permis de faire qu'il y ait moins de chômeurs, il y a 3 millions de chômeurs, il y a 5 millions de personnes qui se trouvent en situation difficile, bref, on ne mobilise pas sur un bilan, on ne rassemble pas sur un bilan, je crois que le prochain président de la République doit être un homme qui mobilise sur l'avenir.

P. Lapousterle : Vous avez trouvé É. Balladur ému ?

Jean-Louis Debré : Pas particulièrement.

P. Lapousterle : À quelle condition le RPR pourra-il survivre à celle confrontation interne ?

Jean-Louis Debré : Le RPR survivra. Il est divisé mais les trois-quarts des militants sont favorables à J. Chirac. Hier soir, avec A. Juppé, nous avions une réunion des responsables de notre mouvement dans notre département : à 95 %, ils prennent position pour J. Chirac. Mais le problème n'est pas là. Il y a deux façons de faire de la politique. Premièrement, être obnubilé par les ralliements, les trahisons, les relancements et être obsédé, non par les idées mais par les alliances...

P. Lapousterle : ... les ralliements sont nombreux en ce moment...

Jean-Louis Debré : Ils ne sont pas nombreux, c'étaient exactement ceux qui étaient prévisibles. Une autre façon de faire de la politique est de proposer des idées, de faire un programme. C'est ce que fait J. Chirac. Le RPR ne se divisera pas parce qu'en ce qui nous concerne, celles et ceux qui soutiennent J. Chirac, nous ne poserons pas l'élection en affrontement de personnes, mais en une confrontation d'idées.

P. Lapousterle : Vous avez toujours dit : « Il n'y aura pas deux candidats RPR à la présidentielle ». Considérez-vous qu'il serait bon pour le maintien de la cohésion du RPR qu'en phase finale, le candidat RPR le moins bien placé cède la place à l'autre pour la survie du parti ?

Jean-Louis Debré : Je regrette qu'il y ait deux candidats issus de la même formation. Mais le premier tour de toute élection est là pour départager les candidats. Je souhaite que celui qui sera le moins bien placé ne se retire pas avant le premier tour. Les deux candidats sont porteurs d'un projet et il est normal, sain, en démocratie, que les électeurs se prononcent sur un projet.

P. Lapousterle : La candidature d'É. Balladur vous paraît-elle revenir sur un accord explicite ou tacite qu'il y avait eu entre J. Chirac et É. Balladur ?

Jean-Louis Debré : Il n'y a que J. Chirac et É. Balladur qui peuvent dire s'il y a eu un accord. Je constate, et la presse s'en est fait un écho abondant, qu'il y avait une stratégie qui avait été mise au point qui devait permettre au Gouvernement d'agir et de réformer. Cette stratégie devait faire en sorte que le Premier ministre de la cohabitation se mette en dehors de la course présidentielle. C'est ce qu'É. Balladur avait, à maintes reprises, indiqué. Donc, il a pris des engagements. Lorsque j'ai fait campagne en 93 aux législatives, j'expliquais que nous avions mis au point une stratégie qui permettait de réformer la France. Cette stratégie était officialisée par les déclarations d'É. Balladur qui disait « Le prochain Premier ministre ne sera pas candidat à la présidentiel de la République ». Je ne sais pas s'il y a eu pacte mais ce que je vois, simplement, c'est qu'il y a eu devant les Français des engagements précis. Je regrette que ces engagements n'aient pas été tenus. En politique, il faut être fidèle à ses convictions et à ses engagements.

P. Lapousterle : C'est un slogan, la vie politique est toute autre…

Jean-Louis Debré : Je ne me fais plus d'illusions, le pouvoir est ce qu'il est et les hommes sont ce qu'ils sont.

P. Lapousterle : Faut-il qu'il y ait débat public entre J. Chirac et É. Balladur ?

Jean-Louis Debré : J. Chirac y est prêt et je ne comprends pas pourquoi É. Balladur refuse ce débat. Pendant plusieurs années, ils se sont vus pratiquement quotidiennement. J. Chirac a permis à É. Balladur de devenir Premier ministre. Je ne vois pas pourquoi É. Balladur fait dire par ses amis qu'il refuse ce débat. Il faut qu'il dise pourquoi il le refuse. A-t-il peur qu'on lui rappelle certains engagements ? A-t-il peur de confronter ses propositions avec celles de J. Chirac ? Franchement et sincèrement, je ne comprends pas. Lorsqu'on veut devenir président de la République, on ne doit pas avoir peur d'une confrontation dans la mesure où ce n'est pas une confrontation d'hommes mais d'idées et de propositions.

P. Lapousterle : Vous êtes secrétaire général adjoint du RPR. Vous considérez comme normal que deux personnes de votre parti s'affrontent publiquement ? Vous trouvez cela sain ?

Jean-Louis Debré : Oui. Il serait normal qu'É. Balladur, face à J. Chirac, nous dise clairement en quoi ses propositions sont différentes de celles de J. Chirac. De la confrontation d'idées entre des amis, entre des gens qui se connaissent, peut venir un éclairage nouveau. On n'a jamais intérêt à refuser le dialogue, à remplacer le dialogue par un monologue. Le débat politique serait enrichi si J. Chirac et É. Balladur, face aux Français, dialoguaient non pas sur le passé, non pas sur les engagements, mais sur les propositions.


RTL : 27 janvier 1995

M. Cotta : Entre É. Balladur et J. Chirac la bataille des chiffres est engagée : « 20 185 élus locaux » dit F. Baroin, derrière Chirac, tandis que du côté d'É. Balladur il y a 85 RPR, 56 CDS etc. Est-ce que ces ralliements ont autant d'importance qu'on le croit face au suffrage universel ? Ont-ils un autre intérêt que celui d'une moralisation éventuelle de votre camp ?

Jean-Louis Debré : À force de cultiver, d'inciter, d'encourager les trahisons, les ralliements, les renoncements, on perd son âme et…

M. Cotta : ... de tous les côtés du reste…

Jean-Louis Debré : Non, d'un côté. Donc on perd son âme et on perd sa crédibilité. Ce sont des jeux politiciens qui ne m'intéressent pas. Je crois qu'il y a deux conceptions de la politique et de l'engagement politique : la première façon consiste à vouloir avant tout, chercher à faire naître des ralliements, à faire…

M. Cotta : Vous le faites aussi puisque vous publiez des listes, les uns et les autres.

Jean-Louis Debré : Pas du tout ! Nous avons publié depuis longtemps les listes. Donc la première façon de faire de la politique, c'est de cultiver les trahisons. Nous, nous avons une autre façon et depuis longtemps avec J. Chirac : ça consiste à essayer de rassembler les Français autour d'un débat et autour d'un projet. C'est ça qui nous intéresse. Si vous regardez ce qui se passe, aujourd'hui, vous avez, d'une part, J. Chirac qui propose, qui fait des propositions, dans le domaine de l'insertion, des charges sociales sur les salaires, afin de transférer progressivement les dépenses de solidarité. Et la conception qui est celle des amis de M. Balladur, qui consiste à ne pas rentrer dans le débat d'idées mais à chercher des alliances ou des trahisons, une façon de voir la politique de façon immobile.

M. Cotta : Restons sur cette bataille de chiffres et de ralliements. Certains parlementaires sont sur les deux listes et…

Jean-Louis Debré : Non, vous ne me ferez pas rentrer dans ces batailles dans la mesure où je considère que ce sont des jeux inutiles et stériles et que ce qu'attendent les Français, ce que fait J. Chirac depuis des mois et des mois, c'est que nous fassions des propositions et que nous montrions que nous sommes le camp de la réforme et de la modernité. Car quand on recherche les trahisons, quand on cherche avant tout à faire des alliances, on incarne forcément l'ambiguïté et l'immobilisme.

M. Cotta : Les barons du gaullisme se divisent : O. Guichard se prononce pour Balladur, Couve de Murville pour Chirac. N'avez-vous pas quelques inquiétudes sur le sort du RPR après les élections ?

Jean-Louis Debré : Nous n'avons aucune inquiétude dans la mesure où l'ensemble des militants mais au-delà d'eux, celles et ceux qui nous font confiance, ont bien compris qu'il y avait deux conceptions de l'avenir : la conception qui est celle défendue par J. Chirac et qui est dans la tradition gaullienne et gaulliste, qui est d'essayer de prévoir l'avenir et de rassembler les Français non pas sur une ambition personnelle mais sur une ambition pour la France. Et l'autre conception qui consiste à, avant tout, ne rien faire pour pouvoir rassembler des états-majors.

M. Cotta : Plus on parle de divisions et d'antagonismes et plus on s'attend à récupérer après, un parti divisé. Comment allez-vous recoller les morceaux ?

Jean-Louis Debré : Mais à partir du moment où vous défendez des idées, où vous défendez des projets, où vous défendez une certaine vision de la France, alors le rassemblement se fait naturellement par la suite.

M. Cotta : Le ralliement de R. Vigouroux à É. Balladur est-il un phénomène isolé ?

Jean-Louis Debré : Je pense que la campagne municipale de Marseille n'est pas absente.

M. Cotta : J.-M. Le Pen a opposé « l'ostracisme de J. Chirac – à son égard – à l'appel au rassemblement du Premier ministre » puis il a démenti qu'il y ait eu des rencontres avec É. Balladur. Vous demandez des clarifications à Le Pen et au Premier ministre et lesquelles ?

Jean-Louis Debré : Je n'ai rien à demander puisque sur ce sujet je n'ai pas parlé. Je ne veux pas alimenter des querelles inutiles et je ne veux pas être celui qui colporte des bruits ou des rumeurs sur des rencontres plus ou moins secrètes. Je vais vous dire ce que je sais, une façon d'apporter ma pierre à ce débat peu glorieux : le 12 janvier dernier, N. Sarkozy m'avait demandé de venir prendre un petit-déjeuner avec lui. C'est suffisamment rare pour que j'y aille. Et au cours de la conversation, il m'a dit : « É. Balladur va gagner parce qu'il a fait une alliance qui va du Front national aux centristes ». Voilà ce qu'il m'a dit le 12 janvier. J'ai quitté ce petit-déjeuner en étant un peu triste car je trouve que lorsqu'on se dit gaulliste, on ne fait pas de telles alliances. Mais chacun prend ses responsabilités. Et puis, quelques jours après est née cette polémique. Ce que je viens de dire de ma rencontre avec N. Sarkozy n'a rien d'exceptionnel puisque j'ai vu dans la presse hier ou avant-hier, qu'il reprenait les mêmes paroles.

M. Cotta : Il a nié un accord verbal entre Le Pen et le Premier ministre.

Jean-Louis Debré : Je ne vous dis pas accord ou pas accord. Je vous dis simplement la conversation que j'ai eu avec lui. Il m'a dit : « É. Balladur va gagner parce qu'il y a une alliance qui va du Front national aux centristes ». C'est tout ce que je sais et vous ne me ferez pas rentrer dans d'autres discussions. Une réflexion si vous permettez : imaginez une seconde ce qu'auraient été les cris de certains, si Le Pen avait dit du bien de Chirac ! Cela aurait été un tollé, identique à celui que nous avons connu quand il y a un certain temps, C. Pasqua avait dit qu'il avait les mêmes valeurs que le Front national ou certaines valeurs communes avec le Front national. Tout cela n'a pas d'importance, tout cela déshonore celles et ceux qui font ces alliances. Ce que je voudrais, c'est qu'enfin on parle non plus de ces alliances, de ces trahisons mais que l'on parle de l'avenir et des projets que nous avons faits, notamment sur le service national avec J. Chirac, sur le transfert progressif des charges sociales autour du projet de Chirac. C'est l'avenir qui est intéressant.