Texte intégral
La Vie : À l’issue de cette campagne, diriez-vous que vous avez davantage découvert la France et les Français en deux mois qu’en deux années passées au gouvernement ? SI oui, qu’avez-vous appris ?
Édouard Balladur : La France, j’en découvre de nouveaux aspects chaque jour, depuis toujours, comme enfant, puis comme étudiant, comme fonctionnaire puis chef d’entreprise, comme député puis comme ministre. Je l’ai, depuis deux ans, découverte comme Premier ministre, et aujourd’hui comme candidat à la présidentielle de la République. Cela ne se quantifie pas. Les circonstances et les responsabilités diverses amènent chacun d’entre nous, au cours de sa vue, à voir de nouvelles choses, à rencontrer de nouvelles personnes à envisager de nouveaux problèmes.
Ce qui est vrai, c’est que, pour prendre la décision d’être candidat à la présidence de la République – une décision à mes yeux très grave et solennelle –, j’ai beaucoup réfléchi à tout ce que la vie m’avait appris sur la France de demain. Je ne l’ai pas fait seul, mais en m’appuyant sur d’innombrables rencontres, visites et discussions. Si je dois en retenir une seule leçon, c’est la croyance indéfectible dans le dynamisme et la générosité des Français.
La Vie : Entre Jacques Chirac et vous-même, la différence n’est-elle pas surtout dans le diagnostic que vous portez sur la société française, plus que dans les solutions proposées ? Lui pense qu’il y a déjà fracture. N’êtes-vous pas arrivé aux mêmes conclusions ?
Édouard Balladur : Certains de nos concitoyens rencontrent de grandes difficultés dans l’existence. Mais je refuse la fracture sociale, je le répète, je suis convaincu du dynamisme et de la générosité des Français. Les fils de notre tissu social sont distendus et je m’attache à les resserrer, mais je ne veux pas croire qu’ils soient rompus.
La Vie : Quelle idée vous faites-vous de la fonction présidentielle ? Un président décideur, ou un président arbitre ? De quel président de la République vous inspirez-vous si vous êtes élu ?
Édouard Balladur : Le président de la République, à mes yeux, doit avant tout être le président de tous les Français. Il doit être un homme libre de toute attache partisane. Il est aussi celui qui, en vertu même de la Constitution, est en charge de l’essentiel. Il ne s’agit pas de concentrer tous les pouvoirs à l’Élysée, mais c’est au président qu’il revient de définir les grandes orientations que le Gouvernement a pour tâche de mettre en œuvre : les Français ne comprendraient pas que le chef de l’État se défausse de ses responsabilités. C’était la conception que le général De Gaulle et Georges Pompidou se faisaient de leur fonction. C’est aussi la mienne.
La Vie : Le président de la République est-il d’abord celui de la France, ou celui des Français ?
Édouard Balladur : Je ne crois pas que l’on puisse opposer la France et les Français, opposer en quelque sorte ce qui serait l’essence intemporelle de notre nation et le caractère, les aspirations, le génie propre des hommes qui la font vivre jour après jour. Rien ne peut se faire de grand pour la France sans les Français ; de même le bonheur des Français ne peut se faire au détriment de la France. C’est justement au président de la République qu’il appartient de veiller au respect de cet équilibre.
La Vie : Au-delà des réformes constitutionnelles que vous avez annoncées, que faut-il faire pour que les Français se sentent moins coupés du pouvoir politique ?
Édouard Balladur : J’ai fait de la réconciliation des citoyens et de l’État l’un des grands axes de mon projet pour la France. C’est un enjeu essentiel pour notre démocratie.
Les réformes constitutionnelles que j’ai annoncées à ce titre son importantes et novatrice. Je propose que le champ du référendum soit élargi afin que les Français puissent être plus souvent appelés à se prononcer directement sur les grandes questions qui se posent à notre pays. Je souhaite également que chacun puisse saisir le Conseil constitutionnel qu’un quota minimum de 30 % soit réservé aux femmes pour les élections au scrutin de liste, c’est-à-dire essentiellement les élections municipales, régionales et européennes : on ne peut se résigner à l’immobilisme actuel de la société française sur cette question.
Ceci étant, je partage votre avis : si importantes qu’elles soient, les réformes constitutionnelles ne suffiront pas. Il est de notre devoir, à nous élus et responsables publics de regagner la confiance et l’estime des Français. Je me suis attaché, pour cela, à moraliser la vie publique, nous y reviendrons tout à l’heure. Je me suis aussi attaché à tenir aux Français un langage de vérité, aussi loin des vaines promesses que des discours dogmatiques, à leur proposer pour la France de demain un projet fondé sur un espoir lucide. Pour rapprocher les Français du pouvoir politique, commençons par les respecter, les écouter et leur expliquer ce qu’on leur propose.
La Vie : La vie politique est de plus en plus mêlée à la chronique judiciaire. Pensez-vous que ce phénomène durera encore plusieurs années, ou y a-t-il u moyen d’éradiquer la corruption ?
Édouard Balladur : Dès mon arrivée au gouvernement, en 1993, j’ai engagé une action déterminée afin de lutter contre la corruption. L’indépendance de la justice a été confortée, la transparence de la politique pénale assurée. Le financement de la vie politique a été moralisé : le plafond des dépenses électorales a été abaissé et les entreprises ne peuvent plus désormais financer les partis politiques. La transparence du patrimoine des élus, des marchés publics et des délégations de service public a été accrue. Enfin, les règles de nomination dans la haute administration et le passage de la fonction publique vers le secteur privé ont été rendues plus rigoureuses. Aujourd’hui, l’arsenal juridique existe. Il s’agit de l’appliquer. J’y suis pour ma part déterminé.
La Vie : Croyez-vous à la volonté politique, ou bien les pays sont-ils condamnés à être gérés au jour le jour en fonction de la conjoncture ?
Édouard Balladur : Sûrement pas. IL est du devoir des responsables politiques de préparer l’avenir, de construire la France de demain, de donner une perspective aux efforts quotidiens des Français. Il est du devoir du prochain président de mener une politique qui fasse progresser la France.
C’est ce que je me suis attaché à faire en prévoyant, dans de nombreux domaines, des politiques de moyen terme : pour la maîtrise des déficits publics, pour la rénovation de la justice, pour la modernisation de la défense, pour le développement de l’emploi.
C’est une méthode qui demande en effet du courage et de la volonté. Il faut savoir garder le cap en dépit des difficultés passagères. Mais ne confondons pas volonté et autoritarisme. Je suis très attaché à la concertation et au dialogue ; je crois qu’il faut aussi savoir, lorsque c’est nécessaire, suspendre un projet pour préserver les chances de sa réussite, plus tard, lorsque les malentendus auront été levés.
Le Vie : À quoi ressemble La France dont vous rêvez ?
Édouard Balladur : Liberté, égalité, fraternité. C’est la devise de notre république ; elle est plus que jamais d’actualité. La France que je veux construire est une France d’hommes libres, où chacun puisse développer ses initiatives et trouver son accomplissement personnel. C’est une France de l’égalité des chances, où, sans distinction d’âge, de niveau de revenu, d’origine ou de lieu d’habitation, tous auront accès à la culture, à l’enseignement, à la santé. C’est une France généreuse et fraternelle, qui refuse le discours de la fracture sociale, et se mobilise pour assurer l’insertion des jeunes, des chômeurs en fin de droits et des érémistes, pour prendre en charge les personnes âgées dépendantes, pour donner un toit aux familles démunies, pour accueillir tous ceux que la vie n’a pas favorisés. C’est surtout une France débarrassée du chômage qui, depuis trois septennats, hante nos esprits.
La Vie : Que ferez-vous si vous n’êtes pas élu ?
Édouard Balladur : C’est une hypothèse que je n’envisage pas.