Interview de M. Édouard Balladur, Premier ministre et candidat à l'élection présidentielle de 1995, dans "Le Figaro" du 20 avril 1995, sur ses thèmes de campagne, et sur la polémique avec J. Chirac au sujet de "l'autre politique" et de la démagogie des autres candidats.

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Le Figaro : Quels sont les thèmes de votre campagne qui ont rencontré le plus d’écho sur le terrain ?

Édouard Balladur : Ce qui a le plus accroché dans ce que j’ai dit, c’est un thème général : le thème de la vérité. Une campagne de vérité, avec des propositions de changements articulées avec précision – je me permets de dire que je suis sans doute le plus précis – et surtout avec un engagement de calendrier, de moyens et de résultats. Les Français ont besoin d’être rassurés, ils sont un peu surpris de voir cette explosion de promesses dans toutes les directions.

Le Figaro : Ils auraient peur du changement ?

Édouard Balladur : Non. Ils veulent le changement, mais un changement progressif, maîtrisé, responsable. Ils ont raison de le vouloir. Je le veux aussi.

Le Figaro : Ils ont peur de quoi alors ?

Édouard Balladur : Ils ont peur du bouleversement général et des promesses inconsidérées. Promenez-vous. Les Français vous disent : mais comment on va tenir toutes ces promesses ?

Le Figaro : Au cours de cette campagne, qu’avez-vous appris que vous ignoriez : sur vous-même ?

Édouard Balladur : Pas grand-chose sur moi.

Le Figaro : Vous ne vous surprenez plus ?

Édouard Balladur : Oh, j’aimerais me surprendre, comme tout le monde ! Ce qui compte, d’abord et avant tout, c’est la sérénité, la seule source de la force intérieure.

Le Figaro : Qu’est-ce qui vous a le plus blessé ?

Édouard Balladur : Rien.

Le Figaro : Rien, vraiment ?

Édouard Balladur : Non, la mauvaise foi et le mensonge, il y a longtemps que je sais que cela existe. Ce n’est pas très grave.

Le Figaro : Les Français vous ont-ils surpris ?

Édouard Balladur : Non. Je sens que personne ne conteste que le pays a redémarré. Personne ne le conteste, notamment aucun candidat. Demandez-vous si la campagne eût été la même si elle s’était déroulée en 1993, que tout le monde était tétanisé par la progression du chômage et la récession : c’eût été complètement différent. C’est bien parce que j’ai redonné l’espoir aux Français que l’espoir est possible et que les autres candidats peuvent faire les promesses mirifiques qu’ils font ! Faute de quoi ils ne le pourraient pas. Le choix, ce n’est pas, comme je le lis, entre le conservatisme ou le changement, mais entre le changement organisé et responsable ou la démagogie et les promesses tous azimuts. Voilà très clairement où est l’enjeu. Plus les jours passent, plus je pense que les Français, après un moment, vont prendre conscience de ce véritable objectif. Ce n’est pas un langage facile à tenir en campagne électorale que celui que je tiens. Mais dans ma conception des choses, j’ai le devoir de le tenir.

Le Figaro : Vous croyez qu’ils vont encore, dans le temps que reste, y être sensibles ?

Édouard Balladur : Je constate qu’il y a beaucoup d’indécis. Il n’y en a jamais eu autant. Cela prouve bien qu’il y a quelque chose qui chemine dans leur esprit.

Le Figaro : Si handicap, il y eut pour vous, ce serait lequel ?

Édouard Balladur : Il y en a toujours. Ce serait d’avoir été au pouvoir depuis deux ans, bien que la situation se soit améliorée, et d’apparaître d’une certaine manière comme étant le sortant. Je crois que c’est cela le véritable problème pour moi.

Le Figaro : En fin de compte, d’occuper le pouvoir, pour un candidat, est-il un avantage ou un inconvénient ?

Édouard Balladur : Cela peut être les deux. C’est une question de moments aussi.

Le Figaro : Vous arrive-t-il d’en vouloir à ceux qui vous ont présenté comme élu d’avance, avant même que vous ne soyez candidat ?

Édouard Balladur : Bien sûr que non. Ils ont cru qu’ils disaient la vérité. Moi, je n’étais pas aussi optimiste qu’eux.

Le Figaro : Ne vous ont-ils pas poussé à succomber vous-même à cette euphorie ?

Édouard Balladur : Non. Pas du tout. Je pensais que, normalement, après ma déclaration de candidature, je subirais un recul dans les sondages. Je l’ai toujours pensé. Il se trouve que de surcroît mon gouvernement a rencontré des difficultés qui m’ont gêné.

Le Figaro : Si vous n’aviez pas été candidat, auriez-vous été un autre Premier ministre ?

Édouard Balladur : Non, sûrement pas. Je ne vois pas en quoi mon action eût été différente.

Le Figaro : D’où vient que le candidat de 1995 n’a plus l’image réformiste qu’avait, en 1993, l’auteur du « Dictionnaire de la réforme » ?

Édouard Balladur : Tous ceux qui ont pourtant voté toutes les réformes que j’ai proposées ont tenté de détruire cette image. Lorsque Jacques Chirac écrit que le choix c’est entre le conservatisme et le changement, il sait très bien que ce n’est pas le cas. Voulez-vous que je vous fasse la liste de toutes les réformes que j’ai faites depuis 1993 ? Ce qui est vrai, c’est qu’il n’y avait aucune marge de manœuvre en 1993 et que, dans ces conditions, il fallait provoquer le retour de la croissance pour retrouver un peu de souplesses. Alors, des réformes j’en ai fait beaucoup.

Le Figaro : Lesquelles ?

Édouard Balladur : Voulez-vous que je vous indique quelques-unes d’entre elles : celle des retraites ; celle de la famille ; l’ensemble des lois sur le travail, l’emploi, la formation professionnelle ; le code de la nationalité ; la lutte contre l’immigration clandestine ; la sécurité ; la justice ; l’aménagement du territoire ; la Banque de France ; la loi d’orientation sur l’agriculture. Il n’y a pas un secteur de notre vie nationale qui n’ait été modifié et souvent par une loi quinquennale. J’ajoute que j’ai fait voter une loi de programmation militaire qui définit les grandes orientations de notre défense pour les dix années qui viennent. Faisant cela, j’ai été fidèle aux engagements que j’ai proposés aux Français et à l’Assemblée nationale en 1993 et qui étaient conformes à ceux que je décrivais dans le Dictionnaire de la réforme.

La France s’est remise en mouvement. Il faudra quand même m’expliquer comment une politique d’immobilisme peut remettre la France en mouvement : les choses se seraient-elles faites toutes seules ?

Le Figaro : N’auriez-vous pas dû vous dédoubler, afin de mieux incarner la rupture, le changement ?

Édouard Balladur : Tout cela est très formel et artificiel. La vérité c’est qu’aujourd’hui, si l’on peut faire des projets, fussent-ils vagues, c’est parce que j’ai fait redémarrer la France.

Le Figaro : D’avoir fait redémarrer la France, cela donne-t-il des droits à se présenter ?

Édouard Balladur : Mais rien ne donne des droits à se présenter devant les Français. Pas même de s’être présenté plusieurs fois…

Le Figaro : Vous n’avez jamais songé à démissionner pour mener plus librement votre campagne ?

Édouard Balladur : C’eût été absurde. Un abandon de poste.

Le Figaro : La présence de Lionel Jospin au second tour n’est-elle pas une solution pour les Français que le face-à-face Balladur-Chirac comment à lasser ?

Édouard Balladur : Les Français décident ce qu’ils veulent. Les deux candidats qu’ils auront désignés, et aucun autre, se retrouveront face-à-face. Cela est conforme aux institutions, qui, elles, ne disent pas qu’il faut nécessairement au second tour un candidat du centre, de droite, ou de gauche.

Le Figaro : Qu’est-ce qui justifiait et justifie votre candidature face à celle de Jacques Chirac ?

Édouard Balladur : D’abord la différence de nos projets. Je suis partisan de changements profonds, mais de changements que l’on puisse réaliser et qui ne cassent pas la croissance. Sans croissance, plus rien n’est possible. Je suis donc partisan d’une campagne de vérité, et pas d’une campagne de démagogie. La seconde différence a trait à la méthode politique. Je privilégie – et cela n’a pas donné de si mauvais résultats – la concertation et le dialogue.

Le Figaro : Quand vous vous êtes présenté, Jacques Chirac n’avait pas encore exposé son projet. Vous subodoriez qu’il conduirait la campagne qu’il a conduite ?

Édouard Balladur : À la lecture de ses discours, à entendre ses déclarations, cela était déjà manifeste.

Le Figaro : Entre Jacques Chirac et vous, il y a donc plus qu’un drame de famille ?

Édouard Balladur : D’abord, il n’y a pas de drame de famille. Il ne faut pas tout dramatiser ! Personne n’a le droit imprescriptible d’être toujours et en toutes circonstances candidat à la président de la République. Il n’y a pas d’un côté ceux qui en ont le droit, et de l’autre côté ceux qui n’en n’ont pas le droit. Ce n’est pas parce que l’on a le soutien majoritaire d’un parti que l’on est légitime. Au fond, c’est une autre différence : entre l’esprit partisan et l’esprit non partisan.

Le Figaro : La loi sur le financement de la vie publique que vous avez fait voter ne risque-t-elle pas de renforcer encore le poids des structures partisanes ?

Édouard Balladur : Il faudra peut-être réfléchir à cet aspect des choses. Mais que fait-il faire ? Faut-il réintroduire le financement des entreprises ? Cela ne m’a pas empêché de me présenter. Mais il faut être, comme je le suis, extrêmement attentif aux dépenses que l’on fait.

Le Figaro : Jacques Chirac vous a-t-il surpris pendant cette campagne ?

Édouard Balladur : Non.

Le Figaro : Avez-vous jamais douté qu’il serait candidat, comme lui-même a douté que vous le seriez ?

Édouard Balladur : Non, j’ai toujours pensé qu’il serait candidat.

Le Figaro : Si vous l’avez été, est-ce plutôt parce que vous pensiez, comme Charles Pasqua, que Jacques Chirac n’arriverait pas à se faire élire, ou parce que vous estimiez qu’il n’avait pas une capacité suffisante pour diriger l’État ?

Édouard Balladur : Si je suis candidat, c’est parce que je pense que je peux bien faite. Donnez-moi le nom d’un candidat qui pense qu’il peut être mauvais… Plus sérieusement, l’idée que je me fais de la société française, l’idée que j’ai des réformes indispensables, la manière de les conduire, mon souci d’intégrer mieux la France à l’Europe, de maintenir la croissance, de ne pas créer des fractures inutiles, d’assurer le plus possible l’impartialité de l’État justifient ma candidature.

Le Figaro : Quelles raisons peut-on avoir de voter Édouard Balladur ?

Édouard Balladur : Ne pas être trompé. Je dis la vérité aux Français, je leur propose des changements, et je leur présente la méthode pour y parvenir. Je leur propose une France de l’an 2000, qui doit rester dans le peloton de tête des nations industrialisées, avec une croissance maintenue, une monnaie européenne, un chômage réduit, une formation pour la jeunesse améliorée. Avec mes deux concurrents, les Français ont l’assurance d’être trompées. Ou bien ils appliquent leur programme, et, à coup sûr, ce sera le dérapage. Comme en 1981. Ou alors, ils n’appliqueront pas leur programme. Ils appliqueront le mien. Eh bien, il vaut mieux que ce soit moi qui m’y emploie. Je pense que je suis le plus apte à le faire.

Le Figaro : N’êtes-vous point devenu, à l’exercice du pouvoir, un peu plus européen que vous ne l’étiez au moment de la campagne sur le traité de Maastricht ?

Édouard Balladur : Il est vrai que j’ai été très impressionné par ce qui s’est passé au moment du Gatt. C’est parce que nous sommes parvenus à mobiliser nos partenaires européens que nous avons gagné. Toute seule, la France n’aurait pas gagné. Ce fût pour moi un cas d’école. Cela m’a convaincu, plus que je ne l’étais auparavant, que la France était plus forte grâce à l’Europe. Autre chose m’a également beaucoup frappé : la monnaie européenne est maintenant un débat dépassé. Aujourd’hui tout le monde est pour. Les agriculteurs, les industriels du textile, les pêcheurs, tout le monde reconnaît que la seule façon de s’en sortir, de maintenir l’emploi et l’activité, c’est de parvenir à la monnaie unique. Le débat de Maastricht s’est évaporé. J’ai toujours dit que refaire la campagne présidentielle sur ce débat serait une erreur.

Le Figaro : Que répondez-vous à Valéry Giscard d’Estaing qui, dans « Le Figaro », jugeait « incompatible » la réalisation de la monnaie unique européenne en 1997 – ce que vous proposez – et « un programme immédiat de relance économique » ?

Édouard Balladur : Mais il n’y a pas besoin de programme immédiat de relance économique ! La relance est là. La croissance sera supérieure à 3 % en 1995… si on ne la casse pas. J’ai entendu la même chose en 1993, lorsque j’ai été obligé de créer des recettes fiscales nouvelles pour combler une série de déficits. « Vous allez enfoncer davantage la France dans la récession », me disait-on. Eh bien, ce n’est pas ce qui s’est produit ! Aujourd’hui, on n’a pas besoin d’un programme de relance économique, on a besoin de soutenir la relance. Je maintiens en outre qu’il faut se fixer pour objectif de passer à la monnaie unique en 1997. Si nous ne posons pas ce principe, c’est certain, nous n’y arriverons pas.

Le Figaro : Vous avez donc souhaité porter un projet très européen…

Édouard Balladur : Contrairement à l’impression que donnent certains candidats, la France n’est pas seule au monde. Il ne faut pas faire croire à nos concitoyens que l’on peut résoudre nos problèmes alors qu’il y a des dizaines de millions d’hommes qui, dans le Sud-Est asiatique notamment, travaillent, exportent et nous font concurrence. Nos problèmes d’emploi, de croissance, de monnaie, de déficits ne se résoudront que dans un cadre mondial. Comment peut-on se référer, par exemple à 1958, alors que la France, à l’époque, était une société dont l’économie était fermée, protégée, largement dirigée ? Notre économie aujourd’hui est tout autre : ouverte sur l’Europe et sur le monde. Négliger le facteur européen et le facteur mondial, c’est se condamner à un nombrilisme qui ne peut avoir, à terme, que de mauvais effets. Nous ne pouvons pas être les seuls au monde à dire : dépensons tout ce que l’on veut pour la santé, cela n’a aucune importance. Nous ne pouvons pas être les seuls à négliger nos déficits. Nous ne pouvons pas être les seuls à augmenter de façon massive tous les revenus.

Le Figaro : Êtes-vous inquiet pour le franc ?

Édouard Balladur : Je ne voudrais pas que la campagne électorale l’affecte.

Le Figaro : Pour quelle raison le franc souffrirait-il de la campagne présidentielle ?

Édouard Balladur : Tout ce qui remettrait en cause ce qui a été fait depuis deux ans, c’est-à-dire la stabilité monétaire et le nouveau statut de la Banque de France, serait mal interprété. Tout le monde le sait. Ce nouveau statut de la Banque de France a été voté par l’ensemble de la majorité.

Le Figaro : Dans l’échange entre M. Chirac et M. Trichet, vous avez donné tort au premier et raison au second. Est-ce que la déclaration du gouverneur de la Banque de France vous paraissait opportune en pleine campagne présidentielle ?

Édouard Balladur : Elle est traditionnelle à cette date. C’est le rapport qui est fait au mois d’avril au président de la République par la Banque de France sur l’année qui a précédé. On peut se demander pourquoi certains ont mal pris le fait qu’on affirme la nécessité de lutter contre l’inflation et contre les déficits. Est-ce qu’ils n’auraient pas l’intention de lutter contre l’inflation ni de lutter contre les déficits ? Est-ce que quelqu’un conteste que la meilleure façon de créer des emplois est de lutter contre les déficits et contre l’inflation, comme nous l’avons démontré pendant deux ans ?

Le Figaro : Avez-vous d’autres sujets d’inquiétude à propos de cette « autre politique » ?

Édouard Balladur : Il y a le problème des déficits publics, mais aussi le problème des promesses inconsidérées faites à toutes les catégories. L’un parle de baisser la durée du travail de plusieurs heures, sans aucune baisse des rémunérations. Tout le monde sait à quels résultats cela nous mènerait, comme ne 1982. L’autre se réjouit d’avoir lancé le débat sur l’augmentation généralisée des salaires. On sait très bien où cela conduit : c’est la culbute finale. C’est une sorte d’aventure qui est proposée sous les couleurs du changement mais qui est un faux changement, un retour en arrière. À certains égards on se croirait en 1981. Les mêmes causes reproduiront les mêmes effets. Moi, je propose le changement. Mais je propose un changement qui ne consiste pas à tout casser.

Le Figaro : Le mot démagogie vous paraît convenir à l’un et à l’autre de vos deux compétiteurs.

Édouard Balladur : Tout à fait.

Le Figaro : N’y a-t-il pas une certaine démagogie à dénoncer la démagogie des autres ?

Édouard Balladur : Quand on n’est pas soi-même démagogue et qu’on dénonce celle des autres, peut-être.

Le Figaro : Vous avez néanmoins infléchi vos positions au cours de la campagne ?

Édouard Balladur : Non. J’ai toujours dis que, la croissance revenant, il était normal que l’on parle de son partage. C’est en tout cas légitime et souhaitable. Tout est une question de proportion.

Le Figaro : Quelle est la bonne proportion du partage des fruits de la croissance ?

Édouard Balladur : Je me refuse à la définir de façon générale, c’est au cas par cas. Cela dépend des entreprises. Cela dépend des secteurs. Il y a des secteurs où l’on exporte beaucoup, où la compétition est très rude. Il y en a d’autres où on et plus à l’abri. Mais partir du principe que toutes les rémunérations peuvent être augmentées partout, sans en supporter les conséquences, c’est une idée fausse.

Le Figaro : Tenir ses engagements, cela faisait partie de la « magie » Balladur de 1993. Aujourd’hui, cet argument ne semble plus autant convaincre. Pourquoi ?

Édouard Balladur : Les Français ne disent pas que je n’ai pas tenu mes engagements, au contraire. Le pays a vécu dans la paix politique, il n’y a pas eu de tempête dans la cohabitation, le pays a commencé à se redresser. Aux yeux des Français, je reste celui qui tient ses engagements.

Le Figaro : Vous avez pourtant le sentiment que cet argument est moins opérant que vous ne l’auriez souhaité ?

Édouard Balladur : Dans les réunions où je me rends, l’argument n’a rien perdu de sa force. Aujourd’hui, cette campagne mêlée un peu de tout : l’espoir, le souci d’être rassuré, et la crainte de ne pas être dupé. Je suis donc confiant.

Le Figaro : Que devra faire le prochain président de la République pour ressouder la majorité ?

Édouard Balladur : La nature des choses y suffira. Il faudra surtout qu’il fasse preuve d’un été d’esprit de rassemblement et d’union, sans sectarisme et sans règlements de comptes.

Le Figaro : Il faudra donc tenir plutôt compte des partisans de celui qui n’aura pas été élu ?

Édouard Balladur : Il ne faudra pas plutôt en tenir compte, mais aussi en tenir compte. Il faut faire les deux. C’est ce que j’ai fait en 1993. Il y avait alors des désaccords au sein de la majorité. Je les ai réglés de telle sorte que, dans tous les moments importants, la majorité s’est rassemblée autour du gouvernement.

Le Figaro : Vous ferez donc un geste, si vous êtes élu, en direction des partisans de Jacques Chirac ?

Édouard Balladur : Bien entendu. Quel que soit le résultat des élections, il ne faut pas oublier que celui qui aura été élu n’aura sans doute pas obtenu 25 % des voix aux premier tour et ce dans quelque cas de figure que ce soit. Cela oblige à une certaine tolérance envers les autres, même si l’on n’y est pas naturellement porté !

Le Figaro : Vous paraissez ne pas croire à l’existence d’un « état de grâce » au lendemain des élections ?

Édouard Balladur : On fait tout ce qu’il faut pour cela. (Rire.)

Le Figaro : Est-ce parce que les Français vous l’ont déjà accordé en 1993 ?

Édouard Balladur : J’ai trouvé en 1993 une situation qui était l’une des plus difficiles après la guerre. En fait d’état de grâce, il y avait un chômage qui augmentait de plus de 30 000 chômeurs par mois.

Le Figaro : L’état de grâce a néanmoins existé…

Édouard Balladur : C’est peut-être parce que les Français considéraient que je faisais ce qu’il fallait.

Le Figaro : Et cette fois ?

Édouard Balladur : Il ne faut pas imaginer qu’on va avoir une mer d’huile pendant six mois. Pourquoi ? Parce qu’on a fait trop de promesses aux Français. Quel que soit l’élu, même s’il s’agit de celui qui n’a pas fait trop de promesses, c’est-à-dire votre serviteur. Une attente, excessive, mais une attente a été créée, c’est un facteur dont il faut tenir compte. Une élection présidentielle est toujours un moment d’espérance. C’est normal. Mais il faut que ce soit une espérance lucide et réalisable et non pas une espérance chimérique. On ne pourra pas tout faire dans les trois mois. C’est évident. Ce que je reproche aux autres candidat, c’est de le donner à penser. Ils n’insistent pas assez sur les difficultés. Peut-être que, de mon côté, j’insiste trop sur les difficultés… Les élections montreront si j’ai tort ou raison.

Le Figaro : Être un « bon politique », est-ce que cela compte pour vous ?

Édouard Balladur : Ce qui est important, c’est tenir ses engagements et dire la vérité : je ne transigerai jamais là-dessus. À terme, c’est être un bon politique. À court terme cela dépend.

Le Figaro : Abandonnerez-vous la vie politique si vous n’êtes pas élu ou, comme ne 1988, est-ce que vous chercherez une revanche sur l’histoire ?

Édouard Balladur : En 1988, je l’ai fiat parce qu’on m’avait rendu responsable de la défaite et que je ne l’ai pas accepté. Je trouvais cela injuste.

Le Figaro : Et s’il y avait défaite à l’élection présidentielle ?

Édouard Balladur : Tout d’abord, je suis convaincu du contraire. Quoi qu’il advienne je n’abandonnerais certainement pas la vie politique, parce que des millions de Français se sont reconnus dans ce que je propose, des centaines de parlementaires m’ont accordé leur soutien. J’aurai le devoir de maintenir présent dans le débat politique des projets et des thèmes que je crois meilleurs que d’autres, que je sois élu ou que je ne le sois pas.

Le Figaro : On peut donc toujours compter sur Édouard Balladur dans la vie politique ?

Édouard Balladur : Je viens de le dire.