Texte intégral
L'Événement du jeudi : Certains raillent volontiers votre « conformisme » culturel, social et moral. Les mêmes se gaussent de vos lieux de vacances, Deauville et Chamonix, ceux de la France trop convenable. Ils vous accusent d'être, de ce fait, incapable de comprendre la France populaire…
Édouard Balladur : Je ne vois pas bien le rapport avec le débat présidentiel ! Il faut bien mal connaître Chamonix et le tourisme à Chamonix pour en faire un haut lieu de la France « trop convenable ». Ce que je sais, c'est que c'est un endroit fabuleux été comme hiver et qui attire des jeunes venus de l'Europe entière, et souvent de plus loin. Le mont Blanc n'est pas « convenable », il est unique au monde !
Qu'est-ce que cela veut dire ? Une France débarrassée du chômage avec une économie prospère et qui participe activement au mouvement de construction européenne. C'est exactement l'enseignement de Georges Pompidou qui, lui-même, s'inspirait du message du général de Gaulle. La richesse de la France, ce sont ces apports successifs. Ils ne figent rien du tout. Ils aident à comprendre le monde.
L'Événement du jeudi : Vos allures et votre ton de grand bourgeois provoquent, eux aussi, commentaires et polémiques. Or vous vous obstinez à ne surtout pas modifier votre style. Est-ce de la provocation ?
Édouard Balladur : Une campagne présidentielle, ça ne doit pas être, selon moi, une mascarade. Je ne change pas de style ou de ton chaque année pour essayer autre chose. Je suis comme je suis et le minimum que l'on puisse faire quand on veut être élu président de la République, c'est de ne pas cacher ce que l'on est. D'ailleurs, cela ne marcherait pas.
L'Événement du jeudi : Vous insistez souvent sur l'importance et les leçons que vous avez tirées de votre collaboration avec le président Georges Pompidou. Mais ne vous êtes-vous pas ainsi figé dans la France des années 70 ? N'est-ce pas un handicap terrible pour comprendre et anticiper la France de la modernité, la France de l'an 2000 ?
Édouard Balladur : Le principal défi du prochain septennat, c'est de faire entrer la France dans le XXIe siècle dans les meilleures conditions. Qu'est-ce que cela veut dire ? Une France débarrassée du chômage avec une économie prospère et qui participe activement au mouvement de construction européenne. C'est exactement l'enseignement de Georges Pompidou qui, lui-même, s'inspirait du message du général de Gaulle. La richesse de la France, ce sont ces apports successifs. Ils ne figent rien du tout. Ils aident à comprendre le monde.
L'Événement du jeudi : Aux côtés du président Pompidou, vous avez également appris l'art de la négociation sociale. Mais vos adversaires vous accusent, après deux années à Matignon, de l'avoir transformé en un art de la reculade…
Édouard Balladur : Que veut-on : une gestion autoritaire qui va jusqu'à la rupture, jusqu'au drame parfois, ou, au contraire, une façon moderne de concevoir les rapports sociaux et, plus généralement, le gouvernement de la France ? À l'heure de l'interactivité, du dialogue, je revendique la méthode qui est la mienne. Pourquoi l'État serait-il le seul en France à n'avoir jamais tort ? Pourquoi utiliserait-il la contrainte et la force pour imposer toujours ce qu'il veut ? Je pense à la jeunesse : on n'apportera pas de réponse à es angoisses contre elle, on ne réformera pas l'éducation nationale et le monde de la formation simplement par « oui » ou par « non ».
L'Événement du jeudi : Depuis quelques semaines, à gauche – mais aussi dans la majorité –, on n'hésite plus à remettre en cause votre bilan de Premier ministre, notamment sur le plan économique et social. Vous auriez échoué…
Édouard Balladur : À gauche, c'est le jeu, même si tout démontre que le bilan de mon gouvernement est bon. Je rappelle que le chômage recule, que la croissance est revenue, que la monnaie est stabilisée, que les accords du Gatt ont été conclus au bénéfice de la France et que la construction européenne progresse. Que les critiques que vous relevez viennent également de la majorité, qui a soutenu ma politique, c'est plus curieux. Il faut bien s'y faire. Je suppose que c'est la façon qu'ont certains de concevoir le débat d'idées. Pour ma part, quand le chômage recule, je ne fais pas la fine bouche et j'en suis heureux pour notre pays, même si je sais qu'il faut aller plus loin et plus vite.
L'Événement du jeudi : Comment supporte-t-on l'accusation de « traîtrise » » puisque, selon l'entourage proche de Jacques Chirac – et selon Jacques Chirac lui-même –, vous auriez passé « un pacte » avec le maire de Paris ?
Édouard Balladur : Ça dépend de qui viennent les accusations dont vous parlez ! De toute manière, imaginer que j'aie pu me prêter à ce qui serait le partage de la France avec qui serait le partage de la France avec qui que ce soit avant des élections quelles qu'elles soient est tout simplement loufoque. La France n'est pas un gâteau dont on se répartirait les parts. Je n'ai passé de pacte avec personne, ni il y a deux ans ni aujourd'hui. Je suis un homme libre et j'entends le rester.
L'Événement du jeudi : Il est incontestable que Jean-Marie Le Pen est moins virulent à votre égard qu'à l'encontre de Jacques Chirac. Pourquoi ?
Édouard Balladur : Je suis profondément démocrate. Je suis obligé de constater qu'en campagne électorale tous les moyens, mêmes les vils, paraissent utilisables à certains. Dois-je vous répéter que moi je ne passe d'accord avec personne, que je ne garantis de postes à personne, que je ne promets la moitié du gouvernement, le tiers ou le quart, à aucune formation politique pour me rallier ses suffrages. J'aimerais être sûr que tout le monde en fait autant. Je comment à en avoir assez des rumeurs et des procès d'intention.
L'Événement du jeudi : Vous accusez votre principal adversaire de droite de « démagogie ». N'y cédez-vous pas à votre tour en affirmant désormais, comme les autres candidats, qu'une bonne politique sociale passe par la hausse des salaires ?
Édouard Balladur : Si, aujourd'hui, on peut parler de l'augmentation des salaires, c'est parce que j'ai ramené la croissance. Il y a deux ans, croyez-moi, ça n'était pas l'enjeu du débat. Alors, je ne cède à rien du tout, je trouve normal que les salariés, qui sont la richesse de ce pays, veuillent eux aussi partager les fruits de la croissance. Il faut négocier partout où cela est possible. Mais je ne lance pas un appel général à la revendication salariale, ce qui serait irresponsable. J'appelle à la négociation dans les entreprises.
L'Événement du jeudi : Vous vous définissez vous-même comme un « amateur » en politique. N'est-ce pas un manque de respect vis-à-vis des électeurs et de la démocratie ?
Édouard Balladur : Ce que je veux dire, c'est que cela ne fait pas trente ans que je me prépare à une campagne présidentielle. J'ai été fonctionnaire, j'ai été chef d'entreprise, j'ai été parlementaire. J'ai réfléchi aux forces et aux faiblesses de notre pays ; j'ai réfléchi aux difficultés du monde de demain. J'ai pour notre pays un projet. J'ai un avenir à proposer aux Françaises et aux Français. Il me semble que j'ai le droit de le faire autant que ceux dont la carrière s'est faite au sein des appareils politiques. Après tout, c'est cela la démocratie, c'est cela qu'a voulu le général de Gaulle en instituant l'élection du président de la République au suffrage universel.
L'Événement du jeudi : Vous vous dites « éberlué » quand Jacques Chirac dénonce « l'État – Balladur ». Mais vos dénégations suffisent-elles à évacuer ce problème que quelques-uns considèrent aujourd'hui comme crucial ?
Édouard Balladur : Si quelqu'un est attaché à l'impartialité de l'État, c'est moi. J'entends encore les critiques de ceux qui voulaient, dès mars 1993, que tous les titulaires de tous les postes qu'ils qualifiaient de sensibles soient remplacés. Malgré les pressions, je m'y suis refusé. J'ai fixé plusieurs règles simples : attendre les échéances normales (ça n'a pas toujours été le cas dans notre histoire récente), ne pourvoir les postes que sur le seul critère de compétence, sans s'interroger sur l'étiquette politique des éventuels candidats. C'est pourquoi je trouve effectivement extravagant qu'on puisse me reprocher un « État – Balladur » qui n'existe que le temps d'une petite phrase de meeting ! Après tout c'est sûrement cela, le débat d'idées.