Texte intégral
Date : 18 avril 1995
Source : TF1
P.P.D.A. : Nous voici donc « Face à la une », plus précisément face à Édouard Balladur, le Premier ministre, qui va répondre aux questions de Claire Chazal, de Robert Namias, de Gérard Carreyrou et de Bruno Cortès.
Alors, première question, on va peut-être évacuer d’un mot le passé, est-ce que vous avez des regrets de campagne, sur le calendrier notamment, comme vous avez démarré donc à la mi-janvier, et sur la façon dont vous avez annoncé votre candidature : Est-ce que vous pensez que c’était bien que ça se passe de Matignon ?
É. Balladur : Non, je n’ai pas de regret, j’ai annoncé ma candidature de telle sorte qu’on puisse avoir pendant trois mois un débat dans le pays, le débat n’a pas correspondu à ce que j’attendais, je trouve que cette campagne électorale n’a pas permis de débattre suffisamment des projets des uns et des autres mais moi j’ai parlé du mien et j’espère que je vais pouvoir le faire ce soir avec vous.
P.P.D.A. : On a eu l’impression que chacun courait après l’autre, dans cette campagne et qu’au fond il n’y avait pas de débat idéologique fort…
É. Balladur : Exactement, et c’est ce que je regrette… oh idéologique, je ne dirai pas idéologique, c’est pas une question d’idéologie c’est une question essentiellement d’efficacité. La question qui se pose est de savoir si les Français reprenant espoir, et je me permets de dire que s’ils reprennent espoir c’est grâce à l’action du Gouvernement que j’ai dirigé, et je rappelle une nouvelle fois que si nous étions en 1993 on ne parlerait ni de croissance, ni de reprise de l’emploi. Bien. Les Français reprennent espoir et moi aussi, et j’en suis heureux et à partir de là, la question qui se pose c’est de savoir si l’espoir qu’on leur offre est réalisable ou si c’est un espoir chimérique, fondé sur des illusions ou des promesses démagogiques. Voilà le fond de l’affaire. Oui, parce que si ce sont des promesses démagogiques, ce sera des illusions et il y aura des déceptions et je prends date aujourd’hui pour le dire.
P.P.D.A. : Pour les lendemains qui déchantent…
G. Carreyrou : M. Balladur justement, il y a des images qui dominent dans une campagne alors, M. Chirac, disons à l’image du changement aujourd’hui, audacieux et vous vous avez l’image de la continuité un peu trop paisible ou un peu trop tranquille. C’est ce que c’est le résultat de votre campagne, donc de votre action ou est-ce que c’est l’action de ces campagnes, disons, de désinformation à votre égard, dont parlait ce matin Mme Simone Veil.
É. Balladur Que s’est-il passé pendant deux ans ? Je ne peux pas mieux dire, la France était à l’arrêt, elle était même en recul il y a deux ans ; le chômage augmentait de 30 000 par mois. 330 000 en 1993, et la croissance reculait, la France s’appauvrissait. Aujourd’hui, la croissance est là, j’espère qu’elle va rester, qu’on ne va pas la casser, je le note en passant, + de 3 % en 1995, et on commence, on recommence à créer des emplois. Alors, Gérard Carreyrou, je vais vous poser une question avancer, être dynamique qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce que ça veut dire faire des moulinets avec les bras, n’est-ce pas, ou est-ce que ça veut dire avoir des réalisations à son actif ? Moi, je me présente devant les Français comme l’homme qui a redressé le pays et qui l’a fait vivre dans la paix civile et politique pendant deux ans ; je l’ai fait à ma manière qui n’est pas de tenir de grands propos mais les résultats sont là et c’est ça qui compte et si les Français ont repris l’espoir c’est en raison de ce que nous avons fait et je leur propose désormais un nouvel espoir.
G. Carreyrou : Vous ne m’avez pas répondu sur les campagnes : au-delà des moulinets, est-ce que vous avez attaqué, disons plus bassement que vous ne l’escomptiez dans une campagne électorale ?
É. Balladur : N’en parlons pas, n’en parlons pas, non, ça n’a pas beaucoup d’importance et de toute façon ça m’est assez indifférent.
C. Chazal : Vous dénoncez la démagogie de certains de vos adversaires et notamment de l’un, est-ce que vous ne vous êtes pas rendu compte quand même au fil de la campagne qu’on devait d’une certaine façon faire aussi des promesses et annoncer des changements, je pense au problème des salaires, au problème des retraites sur lesquels vous avez un peu changé d’attitude pendant la campagne.
É. Balladur Non, pas du tout, pas du tout et j’ai fait des promesses à la différence Claire Chazal c’est que moi mes promesses je les tiendrai, comme j’ai tenu celles que j’ai faites en 1993. Je vais vous dire, j’ai une obsession, hein, j’ai peut-être tort en campagne électorale, ne pas tromper les Français, ne pas tromper les Français et faire ma campagne sur la base de la vérité. Je leur propose de diminuer le chômage de plus d’un million de personnes en 5 ans, je leur propose de faire en sorte que la jeunesse soit mieux formée pour l’emploi, je leur propose de maintenir la croissance. Voilà des promesses importantes, de sauver la protection sociale, mais je ne leur propose pas de tout dépenser dans toutes les directions et de tout promettre comme si tout était possible tout de suite.
P.P.D.A. : Et là vous faites allusion à votre adversaire principal au sein de la majorité, Jacques Chirac ?
É. Balladur : Entre autres, je le répète j’ai l’obsession de ne pas tromper les Français.
G. Carreyrou : Il faut les faire rêver un peu les gens dans une campagne ?
É. Balladur : Il faut les faire espérer parce que le propre du rêve c’est qu’on se réveille et qu’en général le réveil est moins agréable que le rêve. Alors qu’est-ce que ça veut dire tromper les Français ? eh bien il y a deux hypothèses : ou bien on promet tout à tout le monde, bon, et à ce moment-là comme on ne peut pas tenir, on déçoit. C’est la désillusion et l’on a trompé et ça je ne le ferai pas. Moi je promets une amélioration de la situation, qui déjà est améliorée mais il faut aller beaucoup plus loin, mais je ne promets pas que tout est possible, tout de suite, pour tout le monde, ou alors on promet mais on sait qu’on ne tiendra pas et finalement ce sera pour faire la politique que je propose, eh bien à ce moment-là je crois que je suis le mieux placé pour la faire.
R. Namias : Vous parlez de chimères, d’illusions, de démagogie, ce sont trois termes que vous avez évoqués ce soir, moi je trouve que vous allez plus loin maintenant, vous vous faites un peu menaçant. J’ai lu dans Le Monde cet après-midi, et vous l’avez redit d’ailleurs, qu’éventuellement la croissance serait en cause si Jacques Chirac voulait appliquer ce qu’il prétend devoir faire après son éventuelle élection le 7 mai. Est-ce que c’est un avertissement que vous lancez ce soir ?
É. Balladur : Ça n’est pas une menace, c’est un avertissement. La croissance : de quoi dépend-t-elle, il faut quand même être un peu sérieux ; elle dépend de la baisse des déficits publics, que nous avons engagée, et elle dépend de la stabilité monétaire, et elle dépend en troisième lieu de la lutte contre l’inflation. C’est la politique qui a été menée pendant deux années et qui a réussi et qu’il faut poursuivre. Il y a encore trop de déficits, il faut lutter contre eux aussi bien les déficits sociaux que les déficits de l’état et il ne faut pas s’imaginer qu’on pourrait relancer toute la machine de l’augmentation des revenus sans faire revenir l’inflation. Alors Claire Chazal me disait tout à l’heure que j’ai changé d’avis : pas du tout...
C. Chazal : Sur les salaires, au début vous étiez plus prudent.
É. Balladur : Non, non, non, non Claire, pas du tout, pas du tout. J’ai toujours dit que la croissance revenant, le partage des fruits de la croissance était un débat légitime et nécessaire et que je comprenais, mais j’ai toujours dit aussi qu’on ne pouvait pas tout faire à la fois, pour tout le monde et qu’il faut faire des choix. En tous cas moi je propose aux Français des changements importants.
R. Namias : Oui mais vous employez des termes qui sont durs ; vous avez parlé ce matin je crois de conséquences désastreuses des promesses faites par les autres, éventuellement par Jacques Chirac. Ça devient très dur !
É. Balladur : Mais oui, mais je le répète parce que je le crois et comme vous me le disiez à l’instant même, je prends date. Ou bien on fera cette politique et elle échouera, il s’ensuivra une déception générale, ou bien on ne la fera pas, ça voudra dire que l’on a fait des promesses qu’on savait ne pas pouvoir tenir. Dans les deux cas je ne vois pas ce que la démocratie y gagne, ni les Français. Avec moi je le répète ils sont sûrs d’une chose, c’est que les engagements que je prendrais je les y tiendrais à l’avenir comme je les ai tenus dans le passé.
B. Cortès : M. Jean-Claude Trichet, le gouverneur de la Banque de France est intervenu dans cette campagne la semaine dernière pour, en matière de salaires, appeler les partenaires sociaux et tous les candidats à plus de mesure. Je voulais savoir si vous trouviez normal que cette intervention d’une personne qui a une responsabilité particulière dans cette campagne donc et par ailleurs si, il est normal aussi que le franc se trouve comme ça le jouet de polémique et l’enjeu d’une dispute.
É. Balladur : Je vais vous répondre d’abord… Le gouverneur de la Banque de France n’est pas intervenu dans le débat, il a fait comme chaque année, un rapport au président de la République en lui envoyant une lettre, c’est ce qu’il fait chaque année, et il a dit ce qu’il avait dit l’année dernière, c’est que le meilleur moyen de préserver l’emploi et la croissance, c’est de lutter contre l’inflation, de lutter contre les déficits et de faire en sorte que la stabilité du franc soit maintenue, rien de plus, rien de moins. Alors à partir de là, effectivement, on a constaté sur le marché des changes, aujourd’hui, que le franc subissait un certain nombre de pressions. Je vais vous dire quelque chose, moi j’ai eu à faire face à une crise monétaire au mois d’août 1993, on sait comment ça commence et on ne sait pas comment ça finit. Je souhaite que l’on ne mette pas le problème monétaire au centre de la campagne électorale et notamment que l’on se dispense de polémiquer avec la Banque de France car le seul résultat de cette polémique ce sera d’inquiéter et ce sera de menacer notre monnaie, ce que je trouve tout à fait fâcheux, c’est tout ce que j’ai à dire sur le sujet.
P.P.D.A. : Et pendant cette première crise vous vous êtes senti soutenu par Jacques Chirac ?
É. Balladur : Mais non, vous savez bien que non. Vous savez bien que non.
P.P.D.A. : Alors, justement j’avais une question sur la campagne. Est-ce qu’elle vous a fait découvrir une France que vous ne connaissiez pas, une France que vous ignoriez parce que vous avez un mode de vie qui est le vôtre…
É. Balladur : Oui, oui, je vois ce que vous voulez dire, je vois ce que vous voulez dire… Non…
P.P.D.A. : Je dirai une France non bourgeoise, vous voyez la question que se pose…
É. Balladur : Oui, oui, c’est ça, je connais l’argument, je connais l’argument. Non, pas du tout, d’abord je vous rappelle que comme Premier ministre je me suis rendu chaque semaine, dans un département.
P.P.D.A. : Mais souvent c’est pour voir des élus, …
É. Balladur : Bien entendu, un Premier ministre est quelqu’un qui n’a pas le contact aussi facile avec ses concitoyens que s’il ne l’est pas. Et puis je n’ai pas toujours été Premier ministre, Patrick Poivre d’Arvor, j’ai eu une vie moi aussi, hein, qui est déjà relativement longue, et les Français je n’ai pas attendu une campagne électorale pour les connaître, dans toutes leurs catégories, alors ce que j’ai découvert c’est la chose suivante en fait, c’est que les Français ont un immense besoin d’espérer que je comprends et que je fais tout pour faciliter et en même temps ne pas les tromper, je répète que c’est mon obsession, et en second lieu qu’au fond d’eux-mêmes ils ont un bon sens et un esprit de raison très forts qui fait qu’ils savent très bien que tout n’est pas possible à la fois et finalement la seule question qui va se poser au cours de cette campagne et lors du vote, ça va être la question suivante : à qui veulent-ils confier la France ; qui est le mieux placé pour assurer la croissance, qui est le mieux placé pour lutter pour l’emploi, ou pour faire en sorte que l’Europe se construise, c’est le seul problème.
P.P.D.A. : C’est une peu la question que voulait vous poser Gérard avec une variante…
G. Carreyrou : Oui, je vais vous poser la question très franchement : est-ce que vous pensez toujours être au second tour, M. Balladur ?
É. Balladur : Oui M. Carreyrou.
G. Carreyrou : Et si vous allez au second tour vraisemblablement vous rencontrerez M. Chirac…
É. Balladur : C’est une hypothèse c’est pas nécessairement la seule.
G. Carreyrou : Est-ce que vous ne craignez pas…
É. Balladur : Attendez, attendez, n’allez pas trop vite, c’est une hypothèse, ça n’est pas nécessairement la seule…
G. Carreyrou : C’est pas la seule mais prenons celle-là…
É. Balladur : Prenons celle-là.
G. Carreyrou : Prenons celle-là pour la commodité de l’exposé. Est-ce que vous ne redoutez pas à ce moment-là que le duel, par exemple, que tous les Français d’une certaine manière attendent entre vous et M. Chirac, ne dégénère en un duel à mort et que ça laisse des traces pour la majorité par exemple.
É. Balladur : Mais enfin voyons, nous sommes dans une démocratie, le peuple français est souverain, nos institutions prévoient que ce sont les deux candidats arrivés en tête qui restent au second tour, et vous voudriez que l’on dise oh ben non c’est pas les deux arrivés en tête, on va…
R. Namias : Vous allez vous écharper entre les deux tours, quand on voit ce qui se passe depuis deux mois…
É. Balladur : Mais pourquoi voulez-vous s’écharper, qui écharpe qui ? C’est vous qui le souhaiteriez sans doute…
R. Namias : Pas du tout, pas du tout…
É. Balladur : Bon, alors il est normal que dans une démocratie il y ait un débat. Le peuple français arbitre, il dit voilà les deux candidats que je veux pour le second tour, ces deux candidats doivent faire preuve d’un esprit de responsabilité suffisant pour opposer des idées et des projets et ne pas se livrer à d’autres types de manœuvres, c’est exactement ce que je fais et en ce qui concerne la majorité, je vais vous dire quelque chose, quoi qu’il advienne, celui qui sera élu président de la République, que ce soit M. Jospin, M. Chirac ou moi, n’aura obtenu au premier tour vraisemblablement sans doute pas le quart des voix des électeurs, au premier tour, ça sera pour lui une puissante incitation, c’est ce que je souhaite en tous cas et c’est ce que j’ai fait, moi, comme chef du gouvernement, une puissante incitation à tenir compte de l’ensemble, non seulement de la majorité mais du plus grand nombre possible des Français qu’il faudra rassembler après, il faudra toujours avoir ça présent à l’esprit et en ce qui me concerne je l’aurai présent à l’esprit.
P.P.D.A. : Et il est inimaginable qu’au soir du premier tour le second jette l’éponge s’il est du même camp que le premier.
É. Balladur : Si c’est moi le second c’est inimaginable, écoutez-vous invitez M. Chirac demain soir vous lui demanderez s’il est inimaginable qu’il jette l’éponge…
P.P.D.A. : Et vous vous voyez arriver en tête du tiercé.
É. Balladur : Mais bien entendu.
C. Chazal : Tout de même, vous avez écarté M. le Premier ministre, l’idée de ne pas être au deuxième tour, est-ce qu’on peut faire l’espace d’une minute l’hypothèse que vous n’y soyez pas, qu’est-ce que vous feriez le soir du premier tour et est-ce que vous participeriez à une campagne de Jacques Chirac.
É. Balladur : D’abord vous avez raison d’écarter cette hypothèse…
C. Chazal : Vous l’avez écarté…
É. Balladur : Je l’ai écartée et vous avez raison de le faire, mais enfin je réponds à toutes les questions, à toutes les questions.
J’ai déjà dit d’ailleurs que dans un tel cas j’appellerai à voter pour Jacques Chirac, lequel a répondu que dans un tel cas il appellerait à voter pour moi.
P.P.D.A. : Mais il y a façon et façon…
É. Balladur : Oui, oui mais j’ai compris moi je le ferai de la façon la plus loyale, mais soyons clairs, j’ai bien l’intention de ne pas être dans cette situation-là !
Et j’ai bien l’intention d’être payé de retour si un autre que moi était dans cette situation-là, voilà, c’est tout.
R. Namias : Je voulais vous poser une question sur Jean-Marie Le Pen mais je pense que ça mériterait trop de développement donc je ne la pose pas, malheureusement, en revanche moi je vous entends depuis un quart d’heure, vous l’avez dit à de nombreuses reprises, je ne veux pas tromper les Français mais il y a peut-être aussi moyen de les faire rêver quand même…
É. Balladur : Mais j’ai déjà répondu à cette question...
R. Namias : Ils ont besoin de rêves et de grand dessein.
É. Balladur : Oui, eh bien de grand dessein j’en ai un, M. Namias et je vous le rappelle, c’est que j’ai redressé la France, que je l’ai trouvé à l’arrêt et en recul et que je l’ai redressée, c’est un grand dessein, ça ? J’ai trouvé l’affaire du Gartellement mal engagée que tous les agriculteurs étaient désespérés. J’ai gagné l’affaire du Gatt : c’est pas un grand dessein ?
R. Namias : Pour les 7 ans à venir ?
É. Balladur : Eh bien oui, eh bien attendez ... J’ai fait en sorte que dans l’affaire du Rwanda la France assure un rôle humanitaire qui a fait l’admiration du monde : ça n’est pas une grande action ? Et je propose que pour l’Europe, la France reprenne le flambeau, et fasse en sorte qu’en l’an 2000 elle soit le grand pays qui aura conduit l’Europe, en association avec l’Allemagne, vers davantage d’unité et de coopération. Est-ce que c’est un grand dessein ? Alors, qu’est-ce que ça veut les grands desseins si ça n’est pas ça ?
P.P.D.A. : Une toute dernière question. Vous n’avez pas été déçu tout au long de cette campagne, ou plutôt vers la fin de cette campagne, par la versatilité de certains éléments du milieu politique qui vous doivent parfois des postes, des décorations, qui quémandent des amitiés et puis qui se retrouvent pas là le jour où il le faut ?
É. Balladur : Non, c’est le jeu normal de la vie, ou alors il ne faut pas faire de politique si l’on l’âme aussi sensible. L’essentiel c’est qu’on ne se comporte pas soi-même comme cela, c’est ce à quoi je veille, mais pour le reste, que chacun conduise son affaire et sa vie comme il l’entend, je ne suis pas un professeur de morale, j’essaie de me conduire moi-même le plus convenablement possible, que chacun en fasse autant.
P.P.D.A. : Édouard Balladur, je vous remercie d’avoir répondu à nos questions et demain donc, à la même heure, Jacques Chirac « Face à la Une ».
Date : 19 avril 1995
Source : France 2
B. Masure : Dans une interview accordée au Monde vous concluiez en disant que l’affaire va se jouer sur le terrain de la vérité du langage et de la crédibilité du caractère. Alors quel caractère faut-il pour être un bon président, et en quoi votre caractère est-il plus crédible que celui de J. Chirac !
É. Balladur : Vous commencez tout de suite par les comparaisons, je parlais de ce qui me concernait. La vérité du langage, c’est le sens de toute la campagne que je fais. Je dis ce que je crois être vrai, je ne prends pas d’engagement que je ne sois pas assuré de tenir et je ne fais pas de promesses inconsidérées qui pourrait faire naître des illusions qui seraient ensuite déçues. Ce qui serait pire que tout. Deuxième point, sur le plan du caractère, je crois qu’il faut de la continuité dans l’action et de la cohérence. Et je m’y suis efforcé depuis deux ans que je suis Premier ministre en menant une politique qui a permis le redressement du pays – ce que nul ne conteste désormais – sur le plan économique et sur le plan de l’emploi, et sur le plan de la stabilité monétaire ; et en faisant en sorte également que l’on mette en oeuvre des réformes profondes qu’il va falloir continuer dans les années qui viennent pour que notre pays soit l’un des pays les plus importants et les plus prospères de l’Europe et que notre société soit plus fraternelle. Voilà grosso modo, pour moi, le sens de cette campagne.
A. Chabot : Une polémique s’est développée ces derniers jours entre le gouverneur de la Banque de France et J. Chirac sur : qui doit conduire la politique économique de la France ? La polémique est close, c’est terminé, vous êtes convaincu ?
É. Balladur : Pas du tout. Je voudrais dire la chose suivante : les périodes électorales sont toujours des périodes difficiles pour la monnaie. Il faut se garder soigneusement d’évoquer les problèmes monétaires pendant les campagnes électorales. Premier point. Deuxième point, ça fait déjà maintenant des semaines qu’il y a une crise monétaire due à l’affaiblissement du dollar qui risque d’affaiblir le franc. Alors, j’ai trouvé particulièrement malencontreux, je le dis comme je le pense, que l’on s’en prenne à la Banque de France qui de par la lui, a la vocation de lutter contre l’inflation qui est le mal qui gêne tous les Français, et qui a la vocation de maintenir la stabilité de notre monnaie. Sans stabilité de notre monnaie, le pouvoir d’achat de la France baisse, l’inflation repart et les salariés comme les retraités en souffrent. Et Monsieur Trichet a eu raison de dire ce qu’il a dit. Ceux qui ont réagi, il faut qu’ils s’expliquent. Qu’est-ce que dit la Banque de France ! Elle dit : je suis pour la stabilité du franc. Ils sont contre ? Elle dit, je suis pour la lutte contre l’inflation. Ils sont contre ?
J.-L. Mano : il dit aussi : je suis pour des augmentations de salaire : mesurées et là, certains pensent qu’il sort de son rôle. Le général De Gaulle disait jadis : on ne fait pas la politique de la France à la corbeille, pensez-vous qu’elle doit se faire à la Banque de France ?
É. Balladur : Non, le général De Gaulle disait qu’il était partisan d’un franc fort. Je tiens la citation à votre disposition. Et d’autre part, si le franc s’affaiblit, qu’est-ce qui se passe ? Les taux d’intérêt augmentent et à ce moment-là, les entreprises licencient du personnel. C’est la situation que j’ai trouvée quand je suis arrivé en 93. Et les taux d’intérêt, on avait pu les faire baisser de moitié, c’est grâce à ça que la croissance est repartie et qu’on a recommencé à créer des emplois. Alors par pitié, ne cassons pas ce résultat par des propos que je considère comme des propos inconsidérés.
B. Masure : J. Chirac vient de déclarer que cette polémique sur la Banque de France était un argument purement électoral.
É. Balladur : Il aurait mieux fait de se taire et de ne pas donner le sentiment du zigzag permanent entre des positions contradictoires. Il faudrait quand même savoir s’il est pour la stabilité de la monnaie ou pas, s’il est pour la baisse des déficits de toute nature ou pas ou s’il contredit ce qu’il a dit depuis des semaines ou pas. Il faut un minimum de cohérence et de continuité. Quand je parlais de crédibilité tout à l’heure, c’est à ça que je faisais allusion.
A. Chabot : Vous mettez en garde les Français contre ceux qui pourraient créer des désillusions demain. Quelle sorte de désillusions peut-on créer ou est-on en train de créer et, sûrement, dans la bouche de J. Chirac ?
É. Balladur : Je ne voudrais pas que vous rameniez tout, tout le temps à ce problème-là, mais enfin, je vais vous répondre. L’espoir est revenu en France. Et je peux me permettre de le dire, je crois que j’y suis pour quelque chose, parce que si on avait fait campagne présidentielle il y a deux ans, on n’aurait pas pu proposer tout ce qu’on propose aujourd’hui. L’espoir est revenu et les Français disent : c’est très bien, la croissance est de retour, il est légitime que chacun en ait sa part, ils ont raison et je les approuve. Mais pour autant, tout n’est pas possible tout de suite et pour tout le monde. On ne peut pas dire, par exemple – alors que tous les pays du monde, y compris ceux qui sont plus riches que nous, se préoccupent de l’évolution des dépenses de santé – ne vous faites aucun souci, continuer à dépenser tout ce que vous voudrez, la croissance est là, il y aura toutes les ressources. Ça n’est pas vrai. Il faudra en créer de nouvelles ressources si on dépense sans compter. La preuve, c’est qu’on commence déjà à proposer l’augmentation de la TVA ou celle de la CSG. Deuxième point, on ne peut pas dire : on va augmenter toutes les subventions, toutes les allocations, faire des promesses à toutes les catégories. Elles seront déçues. Je prends date aujourd’hui. Moi je tiens à tenir un langage de vérité, de responsabilité. Je le répète. Les engagements que je prends, je les tiendrai. Je pense qu’on peut augmenter un certain nombre de salaires et que grâce à la politique que j’ai menée, c’est possible. Mais pour autant, je ne prendrais pas la responsabilité parce que je suis candidat à la présidentielle de dire : mais je vous en prie, répandez partout toutes les promesses, tout le monde sera satisfait. Ce serait mentir.
J.-L. Mano : Est-ce que ce discours raisonnable, mesuré, n’est pas le paravent d’une forme de conservatisme, ce qu’on appelle la « pensée unique » ?
É. Balladur : C’est tout le contraire. Qui est-ce qui a remis la France en marche depuis deux ans, si ce n’est moi ? Qui a apporté à la France des réformes profondes dans le domaine social comme dans le domaine économique qui ont permis de relancer la machine ? Alors, il faudra que vous m’expliquiez comment on peut être conservateur et immobile et relancer les choses, et faire en sorte que la France redémarre. Tout ça c’est de la polémique et rien d’autre. La vérité, c’est que je tiens absolument – c’est chez moi une idée fixe – ne pas tromper les Français. Beaucoup de choses sont possibles en France. Je le propose, le mieux est possible. Il a commencé timidement. On peut aller beaucoup plus loin, j’en suis convaincu, mais pour autant, ne disons pas n’importe quoi sous prétexte que nous sommes en campagne électorale. J’ai confiance dans le jugement des Français.
B. Masure : On arrive à la fin de cette campagne, quelle est la question à laquelle vous auriez aimé répondre et qu’on ne vous a jamais posée ?
É. Balladur : Pourquoi aimez-vous les Français ? On ne me l’a jamais demandé. Parce que je crois que c’est un peuple différent des autres, qui est capable du meilleur, qui est un peuple généreux mais qu’il faut lui parler le langage de la vérité, c’est un peuple adulte. C’est tout le sens de mon propos.