Interviews de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF et candidat à l'élection présidentielle 1995, à France 2 les 18 et 19 avril 1995, France 3 les 20 et 21, sur sa campagne et les intentions de vote et sur le débat autour du franc et de la politique monétaire.

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Média : Emission Journal de 19h - France 2 - France 3 - France Info - Télévision

Texte intégral

France 2 : 18 avril 1995

Q. : Vous détenez un record, c'est celui du nombre des meetings. Quel sentiment retirez-vous de ces rencontres ! Est-ce que la situation est aussi sombre et grave que vous le dites ? Ne ressentez-vous pas, comme É. Balladur, que ça s'arrange ?

R. : Non, je crois qu'É. Balladur, une fois de plus, dit que la France va mieux alors qu'elle souffre beaucoup de cette crise, des inégalités, de l'injustice. Mais ce n'est pas le seul regard que j'ai pu porter sur la France et voir à travers ces rencontres, j'ai découvert aussi un pays qui a des atouts exceptionnels, un savoir-faire, des salariés, des citoyens étonnants et des possibilités immenses. À l'issue de cette campagne électorale, j'ai ce sentiment contradictoire d'une France qui souffre terriblement de la crise mais une belle perspective parce que je pense qu'il y a des potentialités immenses.

Q. : Mais dans ce discours sur la fracture sociale, c'est J. Chirac qui l'emporte largement ?

R. : J. Chirac a compris qu'il fallait faire un constat, contrairement à É. Balladur, qui ne soit pas celui d'une France qui va mieux. Donc, il a pris la France telle qu'elle est et il l'a décrite. C'est vrai que ce discours est entendu des Français. Mais les réponses qu'apporte J. Chirac ne sont pas des réponses qui permettront de sortir le pays de la crise. Et je crois même que là, il y a un assaut de démagogie, qu'il y aura de terribles réveils si, comme le prévoient les enquêtes d'opinion, J. Chirac est élu président de la République. J'ai bien vu, effectivement, le constat, mais j'ai vu aussi ses propositions, elles ne sont pas de nature à apporter des réponses et Chirac, c'est la droite traditionnelle. On a vu ce qu'il a fait au pouvoir, il n'a pas changé. Et ce qu'il va faire ensuite, c'est la poursuite des cadeaux aux grandes entreprises, c'est une France qui va continuer de subir la loi de l'argent roi. C'est ça la réalité. D'ailleurs, il faut que les Français le sachent et ne soient pas dupes.

Q. : Un réveil, c'est-à dire que vous pourriez avoir une explosion sociale après les présidentielles ?

R. : Je pense que la situation sociale est très tendue. Vous savez, les luttes actuelles qui se développent dans le pays, ne sont pas des luttes préélectorales pour essayer de tire, d'une situation, des avantages. Les salariés savent bien que c'est une période importante, mais il y a vraiment un mécontentement profond. C'est le problème des salaires, celui des statuts, des déréglementations. C'est pareil J. Chirac fait des promesses sociales mais elles sont complètement contradictoires avec les critères d'austérité de Maastricht. Et voyez-vous, ce que je dis, c'est qu'avec le vote communiste, il faut mettre ces luttes dans l'urne. Il y a un candidat qui est porteur de ces luttes, c'est le candidat communiste. Je crois que depuis le début, personne ne peut nier que j'ai été porteur de ces propositions sur les salaires, sur l'emploi et aujourd'hui, elles émergent, je m'en félicite.

Q. : Est-ce qu'il n'y a pas un problème de crédibilité ! Est-ce qu'on peut augmenter les salaires de 1 000 francs, réduire le temps de travail à 35 heures, augmenter les retraites, bloquer les licenciements ! On rase gratis ?

R. : Non, je suis le seul candidat à dire où il va prendre l'argent pour faire ses réformes. Je dis de l'argent dans la société, il y en a. La France est riche. Il y a des milliards de profits qui ont été réalisés l'an dernier, des milliards de fonds publics, de l'argent des contribuables qui va en fait à la Bourse, à la spéculation plutôt que d'aller à l'emploi, d'aller à l'être humain. Il faut renverser ça. Une société qui produit tant d'inégalités alors qu'à un pôle, il y a des richesses produites par les mêmes salariés, c'est ce qui explique les revendications, aujourd'hui. Les hommes, les femmes qui travaillent dans ce pays disent : on s'est serré la ceinture pendant des années, on a fait des sacrifices, on nous a dit qu'on allait régler le problème du chômage, et pendant ce temps-là, des profits considérables ont été faits sur notre dos, c'est inacceptable. C'est ça la réalité. Et je dis qu'ils ont raison et qu'ils le disent le 23 avril prochain.

Q. : Les sondages vous créditent de 8 à 10 %, vous vous en contenterez ?

R. : Déjà, il faut atteindre ces chiffres. Et ils sont tout à fait exceptionnels. Si nous arrivons aux chiffres que vous indiquez, ce sera un événement, la remontée du PC français. Je crois qu'elle est nécessaire. On peut être d'accord ou pas avec le PC mais je crois qu'une chose est certaine, c'est que son repli ces dernières années, son affaiblissement, ça n'a pas été une bonne chose pour le pays. Toutes les grandes réformes sociales dans ce pays, ont toujours été initiées quand le PC était plus fort. Aujourd'hui, je crois vraiment que cette remontée est possible.

Q. : Vous dites que la question du vote utile en faveur de L. Jospin ne se pose pas. Lui, n'est pas encore certain d'être au deuxième tour ?

R. : Il le dit quand même. Mais je vois les résultats. Je ne vais pas anticiper mais on voit bien deux choses s'affirmer. On voit d'abord L. Jospin être au deuxième tour, É. Balladur qui va être éliminé et J. Chirac qui est en situation forte. Le problème du premier tour, ce n'est pas de savoir si L. Jospin sera au deuxième. Il apparaît qu'il y sera. Le problème du premier tour, c'est de savoir si cet événement, avec une remontée du PC, qui permette effectivement, si par malheur au deuxième tour J. Chirac est élu, d'avoir une force politique communiste forte qui pourra résister, faire avancer les grandes luttes sociales. Ces grandes revendications que j'ai posées dans ma campagne, elles seront incontournables, quel que soit le président de la République.

Q. : La Bosnie, É. Balladur réunit les ministres concernés. Quelle est votre position ?

R. : J'ai beaucoup d'émotion devant l'assassinat délibéré de deux casques bleus. Mais je dis : qui a intérêt au départ des soldats de la paix ? Les extrémistes des deux camps, ceux qui veulent relancer la guerre, ceux qui pensent à une solution militaire. Il n'y a pas de solution militaire, d'ailleurs la population n'en veut pas. Et je le dis sur votre antenne : ceux qui prendraient la responsabilité du retrait des casques bleus, à mon avis prendraient la responsabilité d'un terrible bain de sang dans l'ex-Yougoslavie. Je suis pour une solution des paix en faisant tout pour que l'embargo soit respecté. Qui fournit les armes aux extrémistes ? On le sait. Le Washington Post a dit que les Américains laissaient faire la fourniture d'armes par l'Iran et que par ailleurs, les Russes fournissaient les Serbes. Il faut l'embargo, il faut une conférence internationale qui permette de reconstruire et d'aider l'ex-Yougoslavie à s'en sortir.


France 2 : 20 avril 1995

Q. : Vous l'avez remarqué, A. Laguiller fait les questions et les réponses pour vous et elle a estimé que vous alliez, dès dimanche soir, vous rallier tout de suite à M. Jospin sans lui poser aucune question ?

R. : A. Laguiller a une façon un peu ancienne de voir les choses, elle s'imagine que les voix qui vont se porter, visiblement plus nombreuses dans cette campagne qu'auparavant, sur ma candidature peuvent être données comme ça, en cadeau, dit-elle. Ces voix ne m'appartiennent pas. Il est évident que je prendrai position la semaine prochaine et dimanche soir je donnerai mon sentiment. Il y a des hommes, des femmes qui vont voter pour moi, pour la première fois depuis très longtemps, qui ont voté socialiste auparavant. Donc, vis-à-vis de ces personnes, j'ai un certain respect. J'entends A. Laguiller, il y a des accents de sincérité dans tout cela et je ne veux pas être polémique, mais il faut bien reconnaître qu'elle apparaît dans les élections, une fois tous les sept ans. Et elle dit même qu'elle sera encore là en 2002. Mais entre-temps, il faut faire des choses. Au lendemain du deuxième tour, la situation sociale sera tendue, il y aura des choses à faire. Il faut donc une force qui soit là et le PC sera cette force. Il faut qu'il y ait un parti efficace, responsable et c'est ce parti qu'il faut renforcer à l'occasion de ce premier tour.

Q. : Si on se retrouve dans un débat classique de second tour droite-gauche, entre M. Chirac et M. Jospin, tout naturellement les communistes vont se ranger aux côtés du PS ?

R. : J'entendais M. Jospin évoquer l'idée que c'était un petit peu compliqué peut-être encore pour lui d'être au deuxième tour. C'est l'appel au vote utile. M. Jospin a les mêmes indications que moi ce matin sur l'évolution des choses et donc il sera au deuxième tour et la question qui est posée aujourd'hui, c'est de savoir effectivement l'événement qui peut se passer avec la remontée du PC, qui est elle aussi annoncée dans les sondages. C'est ça qui est très important, cette force qui sera, après le deuxième tour, quel que soit le président de la République, disponible pour que la protestation des gens puisse s'exprimer, pour que les grandes propositions que j'avançais dans cette campagne sur les salaires, sur l'emploi, sur la réduction du temps de travail soient présentes et puis sur la perspective à ouvrir. Je ne me résigne pas à la droite au pouvoir éternellement. Maintenant, il est évident qu'en ce qui concerne le deuxième tour, les communistes se réuniront dans les fédérations lundi, réfléchiront et feront des propositions. Le PC est clair, il n'a jamais favorisé la droite dans ce pays. On voit que la droite est arrogante, forte et il ne favorise jamais la droite. Le moment venu, on prendra la position qui convient. Je prendrai une position claire et nette. Mais il y a une idée forte que j'ai avancée tout à l'heure, quand on évoquait A. Laguiller et les soi-disant cadeaux : je ne suis pas propriétaire de mes voix et je respecte ceux qui vont me faire confiance à ce premier tour de l'élection.

Q. : Ne pensez-vous pas que J. Chirac, en étant en avant sur le plan social, a un peu brouillé les cartes du débat droite-gauche ?

R. : Je vais parler très librement. M. Chirac a certainement, dans cette campagne, avancé un certain nombre d'idées sociales qui ont pu troubler des gens ; c'est incontestable. Il reste qu'on voit bien monter les choses : les Français ne sont pas dupes. Incontestablement, Chirac apparaît en position dans cette élection. Et Balladur est éliminé, c'est clair.

Mais ce qui est important, c'est de voir que tout ce qu'il dit au plan social, il ne se donne pas les moyens d'apporter les réponses ensuite. Il y a deux critères fondamentaux quand on évoque des propos démagogiques comme ceux de M. Chirac, il faut le dire. Qu'a-t-il fait quand il était au pouvoir ? Il n'a jamais fait une politique sociale. Chirac est un homme de droite, il reste à droite. Et deuxièmement, on ne se donne pas les moyens. On peut être d'accord ou pas avec moi, mais moi c'est net, je dis où je vais prendre l'argent, je dis : il faut réorienter l'argent. Lui, il ne dit pas ça. Du reste, ça lui vaut un rappel à l'ordre de M. Trichet qui dit : « mais attention ! si vous faites tant de promesses, les critères de Maastricht d'austérité alors ? » On voit bien que J. Chirac fait des promesses qu'il ne pourra pas tenir demain.

Q. : J. Chirac a dit : « Cette campagne je la trouve bonne, elle a été bonne, intéressante ». Est-ce que pour vous cette campagne a été intéressante ?

R. : Oui, pour moi, collectivement et individuellement, intéressante. Collectivement, je pense qu'il y a eu un débat important, même si les grandes questions auraient pu être mieux évoquées au plan national. Mais il y a eu débat. Les Français parlent beaucoup, réfléchissent beaucoup dans cette campagne. Ce qui explique du reste cette avancée qu'il y a, à mon avis, sur le vote communiste. Ce que ressens à l'issue de cette campagne c'est que, pour moi, elle a été d'une grande richesse, ça a été une campagne dure, tout le monde joue les gros bras, mais c'est dur ! Mais ça a été aussi une campagne extraordinaire. J'ai découvert un pays avec des atouts exceptionnels, des hommes et des femmes au savoir-faire étonnant et ça me donne une vive envie de continuer avec la volonté de changement qui est la mienne. Et puis oui, il y a des choses que j'ai modifiées au fil de la campagne. Par exemple au début, quand j'ai lancé cette idée, le premier, d'une augmentation de 1 000 francs des salaires pour tous les salaires inférieurs à 15 000, certains m'ont dit : « mais attention 15 000 c'est beaucoup pour ceux qui ont des bas salaires ». Ça m'a permis de réajuster en rappelant la revendication forte d'une augmentation des bas salaires à 7 500 francs. Tout ça, c'est le rapport aux Français, le dialogue, ça a été extraordinaire.


France 3 : 20 avril 1995

Q. : Avez-vous l'impression que les juges sont particulièrement sévères en cette période électorale ?

R. : Je crois qu'il faut que la justice passe, il faut la transparence la plus totale. Il ne faut pas de financement des entreprises vers les partis politiques. Le Parti communiste, là-dessus, est très clair : il faut absolument qu'il y ait la transparence démocratique la plus totale. D'ailleurs, souvenez-vous, nous sommes le seul parti à avoir voté, en 89, contre la loi d'amnistie des fraudeurs. Nous restons constants en la matière. Il faut que la justice passe.

Q. : Le franc se porte moins bien. Êtes-vous partisan d'un franc vraiment fort ou pas ?

R. : Tous ces discours sur les fluctuations du franc sont en fait liés à des mouvements monétaires qui n'ont pas grand-chose à voir avec la campagne électorale. Je trouve tout à fait indécent que ce pugilat entre J. Chirac et É. Balladur concernant le franc affaibli par l'un. Le fond, c'est qu'ils ne veulent pas parler ce que qui affaibli la France, c'est-à-dire la façon dont on est prisonnier du traité de Maastricht et des critères d'austérité. J'ai toujours été contre une politique monétariste qui se traduisait par l'austérité pour les salariés. Pendant des années, au nom d'une monnaie forte, on a demandé aux salariés de se serrer la ceinture. Aujourd'hui, ils ont raison de dire qu'il faut augmenter les salaires et je suis complètement solidaire de leur démarche.

Q. : Êtes-vous hostile à la monnaie unique pour 1997 ou 1999 ?

R. : Je suis pour un instrument monétaire au niveau européen, naturellement. Mais la monnaie unique qu'on nous propose, ce n'est pas une monnaie commune, c'est le contraire. C'est une monnaie où le franc disparaîtrait et où on serait à la remorque de l'Allemagne et du deutsche mark. Moi, je ne marche pas.

Q. : Qui sont vos adversaires, dans l'ordre ?

R. : Mes adversaires principaux, c'est la droite, c'est Chirac, Balladur, et c'est l'extrême-droite. Je suis le candidat anti-Le Pen.

Q. : A. Laguiller, tout de même.

R. : A. Laguiller, elle a fait sa campagne. Il faut savoir que tous les sept ans, elle fait campagne et après, elle disparaît. C'est ça, le problème, pour A. Laguiller. Elle annonce même qu'elle va être là en 2002. Au lendemain de l'élection présidentielle, il faut une force politique qui soit là, pour continuer les luttes avec les salariés. On annonce une droite forte, arrogante, avec Chirac qui pourrait être président de la République. Il faut une force politique conséquente ; ce n'est pas Laguiller. C'est pourquoi je parle d'efficacité. C'est une force responsable, forte, avec le Parti communiste, avec ce qu'on nous annonce de la remontée du PC, qui sera au service des salariés. C'est tout le sens de ma campagne : porter la révolte, porter le ras-le-bol. Les salariés disent, on n'en veut plus, ça ne peut pas durer comme ça. Il faut les écouter et je veux être porteur de leur mouvement.

Q. : L. Jospin fait partie de vos adversaires ? Si L. Jospin est présent au second tour, le Parti communiste le soutiendra-t-il de toutes ses forces ?

R. : J'ai dit tout à l'heure que mes adversaires étaient à droite. Qu'est-ce que je dis de lui ? Il disait, il le dit moins maintenant, car il sait qu'il sera au deuxième tour, il disait qu'il faut prendre des voix dans l'électorat communiste et dans les autres forces de gauche. Ce n'est pas comme ça qu'il faut faire. L. Jospin est crédité par les derniers sondages, par ceux qu'on n'a pas le droit de publier, de 20 à 21 %. C'est loin de ce qu'avait fait F. Mitterrand. Donc, ça veut dire qu'il y a de la marge. Ce que j'ai dit avec fermeté à L. Jospin, c'est qu'il ne s'agit pas d'aller grappiller dans l'électorat communiste, mais aussi d'aller chercher les électeurs à droite et là où ils risquent d'aller, sinon… Il ne faut pas aller les prendre à gauche. Toute ma campagne, j'ai porté les idées nouvelles du Parti communiste. Au-delà des idées, j'ai rencontré des gens qui disent : cet affaiblissement du Parti communiste, ça n'a pas été une bonne chose pour le pays. Aujourd'hui, ils veulent précisément contribuer à sa remontée. Je trouve cela tout à fait important et c'est en ce sens que j'inscris ma démarche.

Q. : S'il y a des législatives, peut-être ne souhaitez-vous pas qu'il y ait une dose de proportionnelle qui soit instaurée à nouveau.

R. : On n'est pas aux législatives. Je suis pour la proportionnelle intégrale, c'est le scrutin le plus équitable, celui qui effectivement fait que les forces politiques peuvent s'exprimer dans le pluralisme. Les législatives, à chaque jour suffit sa peine. Déjà, un bon score du Parti communiste comme il est annoncé et comme on peut encore le faire avancer dans les trois jours qui viennent, c'est ça l'essentiel.

Q. : L'image du Parti communiste sera la même pour les municipales ?

R. : Pour les municipales, je suis maire moi-même, et je crois qu'il y a la volonté de listes d'union ouvertes. Nous avons là des accords qui existent entre forces de gauche.


France 3 : 21 avril 1995

Q. : Il y a 8 jours J. Chirac s'étonnait que le gouverneur de la Banque de France se mêle de la politique salariale. Cette controverse a alimenté les 8 derniers jours de la campagne. Qu'est-ce que vous pensez de la nouvelle indépendance de la Banque centrale et de l'idée de tenir le franc à l'écart d'une campagne électorale ?

R. : Je crois que tout ce qui s'est dit sur le franc et son rapport à la campagne électorale en fait participe de coups que se sont portés les deux candidats de droite, plus que de la réalité de l'incidence sur le franc. En fait, il y a les mouvements monétaires que l'on connaît, mais il y a surtout celle polémique qui est née. Naturellement, l'intervention du gouverneur de la banque de France est insupportable. Il intervient dans la vie publique. Ce qui est aussi important, c'est ce qu'il dit. Il a dit en gros et notamment à J. Chirac : n'en rajoutez pas trop dans la campagne, n'allez pas aussi loin dans le domaine du social, parce que vous ne tiendrez pas vos engagements ou alors vous n'allez pas respecter les critères de Maastricht. C'est un peu confirmer ce que je dis depuis un moment, à savoir que toute cette campagne démagogique que l'on entend, où un certain nombre de candidats font des promesses sociales sans se dégager des critères de Maastricht, montre qu'ils n'auront pas les moyens de tenir ces engagements. C'est grave parce que la tension sociale dans le pays est forte et je dis que les luttes qui se développent actuellement, il faut qu'elles aboutissent. Il faut prendre en compte les besoins qui existent en matière sociale dans le pays.

Q. : Depuis, le gouverneur a produit un certificat de bonne conduite à propos du franc. Est-ce que vous êtes pour ce franc fort ?

R. : J'ai toujours donné mon sentiment sur cette politique monétariste qui se faisait sur le dos des salariés. Aujourd'hui, il y a une croissance dans le pays et les salariés ont découvert que cette croissance existait, qu'il y avait de l'argent et qu'ils pouvaient en bénéficier dans le cadre d'augmentations de salaires. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas ce débat sur le franc. Ce qui m'intéresse, c'est de savoir si dans la prochaine période, on va augmenter les salaires dans ce pays. Toute ma campagne a été de demander une augmentation des salaires dans ce pays. Une augmentation d'au moins mille francs. Il faut satisfaire cette revendication, elle est de nature à relancer la consommation, relancer l'économie et créer des emplois. Le 23 avril, tous ces salariés qui sont en lutte dans le pays, qui sont révoltés de la situation, ils auront le moyen de faire de ce jour d'élections un jour de luttes aussi. En mettant un bulletin de vote R. Hue dans l'urne, ils mettront leurs luttes dans l'urne et leur volonté de voir les salaires augmenter, de voir le chômage reculer ; autant d'éléments, de grandes questions sociales que j'ai posées dans cette campagne.

Q. : Sur la fin de cette campagne, est-ce que le combat contre Maastricht n'est pas un combat d'arrière-garde, puisqu'il a été voté et que les trois principaux candidats le soutiennent. Ce combat n'est plus mené que par l'extrême droite et l'extrême gauche ?

R. : Les trois candidats en tête dans les sondages sont effectivement pour le traité de Maastricht. Mais précisément, je pense que les engagements qu'ils prennent au plan social, ils ne pourront pas les tenir s'ils restent liés aux critères d'austérité de Maastricht. Je dis les choses clairement : il faut une autre politique que celle-là, y compris au niveau de l'Union européenne. Il faut une politique qui s'inscrive dans une volonté sociale. Vous dites que le traité de Maastricht a été voté, mais tout le monde sait que si les français avaient à voter, ils voleraient non. Tous les sondages qui ont été faits dans ce domaine le montrent. Ce n'est pas parce qu'une chose a été votée une fois que c'est immuable. Je pense qu'il faut prendre en compte cette évolution. Les salariés dans ce pays font l'expérience. Regardez dans les grands services publics, les conditions qui sont faites de déréglementation, les statuts qui sont mis en cause. Autant d'éléments qui font qu'aujourd'hui on voit bien que la politique maastrichtienne est mauvaise pour le pays.

Q. : Vous dites : un bulletin R. Hue, c'est mettre les luttes dans l'urne. Est-ce que vous souhaitez un troisième tour social ?

R. : Avant le troisième tour social, il y a le premier tour de l'élection. Ça peut être un premier tour social. Je viens de faire 6 mois de campagne dans le pays où j'ai rencontré les salariés, j'ai vu la réalité sociale. J'ai dit que contrairement à ce qu'affirment les gens de droite, la France ne va pas mieux, la France va mal. Elle souffre. Il faut prendre en compte celle tension sociale. Aujourd'hui, on sait qu'au lendemain des élections, il faudra continuer à lutter. Si je dis : il faut un Parti communiste plus fort, plus influent, c'est parce qu'au lendemain des élections, il faudra une force politique pour mener les batailles politiques au plan social. Le PC, s'il est plus fort, pourra mener ces batailles. Je ne dis pas troisième tour. Avant de parler de troisième tour, je parle du premier tour. Je dis qu'on peut avoir un bon premier tour social avec une remontée du PC. Ça sera significatif.

Q. : Qu'est-ce qui vous permet d'affirmer que L. Jospin sera bien au deuxième tour ?

R. : Je vois bien les informations qui sont données ces dernières heures autour d'enquêtes qui ne seraient pas publiables en France. On les publie en Suisse. Il y avait les comptes en Suisse, maintenant, il y a les petits comptes électoraux en Suisse. On dispose tous d'informations qui montrent que le candidat socialiste sera au deuxième tour. Je vais même vous donner un document qui montre qu'il y a l'invitation prête pour le premier meeting du deuxième tour de L. Jospin. On y croit au deuxième tour au PS.

Q. : Se sera où ce meeting ?

R. : À Valence. Il est clair que la question n'est pas là. La question c'est de savoir ce qui va se passer ? Quel événement va se passer au premier tour ? Je crois que l'événement du premier tour, ça peut être ce qui est indiqué dans les enquêtes d'opinion, une remonté du PC. Une remontée du PC, beaucoup de gens disent qu'elle est nécessaire. Ça n'a pas été une bonne chose que le PC s'affaiblisse. Le PC, à chaque fois qu'il a été plus fort dans ce pays, de grandes conquêtes sociales, de grandes luttes sociales ont pu avancer. Il les a souvent initiées, pas seul, mais en tous les cas, il les a initiées et c'est très important. Je crois que l'événement du premier tour c'est celle possibilité du PC.

Q. : On dit aussi que si vous faites un bon score, ce sera dû à R. Hue, plus qu'au PC ?

R. : Je sais bien que l'on dit ça. Je mène la campagne avec ma façon de faire. Mais il y a un grand engagement de tous les communistes dans cette campagne. Les communistes sont en phase avec celte campagne telle qu'elle est menée, parce que c'est la politique de novation. C'est vrai que l'on dit : il y a des changements dans le PC, il y a une rénovation dans le PC. C'est la politique des communistes que je porte.

Q. : On a vu pour la première fois le PC qui faisait une vraie campagne présidentielle, avec un candidat qui était un élu et les dirigeants, on ne les a pas vus ?

R. : Vous n'avez pas bien vu. Il y a eu beaucoup de meetings de tenus, d'initiatives de tenues. Pour que le PC soit engagé avec la force qui est la sienne dans la campagne, c'est qu'il y a des dirigeants pour animer celle campagne.

Q. : Qu'est-ce que vous ferez de votre bon score au lendemain de l'élection. La direction dans laquelle vous êtes est un héritage de l'ère Marchais. Quel poids aurez-vous ?

R. : Je suis au PC à sa direction pour mener la politique qui a été décidée par le congrès du PC. Tout le monde est à l'unisson de cette démarche. Si le PC sort renforcé de cette élection, ce n'est pas ce que R. Hue fera. C'est ce que va faire le PC pour avancer encore dans les changements. Je crois que c'est important. C'est pourquoi je dis que le premier tour est un élément important pour les salariés, pour renforcer ce PC. Certains me disent : il y a le score d'A. Laguiller. Je réponds à cette question : A. Laguiller n'apparaît qu'une fois tous les sept ans. Elle disparaît après et dit qu'elle sera là en 2002. Le problème, c'est que les salariés ne peuvent pas attendre. Ils ont besoin d'une force politique organisée pour lutter au lendemain de l'élection présidentielle. Ce renforcement du PC peut vraiment changer la donne.

Q. : A. Laguiller a fait un tabac au Palais des sports. Qui votent pour elle a votre avis ?

R. : Il y a un certain nombre de gens qui votent depuis toujours pour un certain nombre de petits groupes. Cette fois-ci, il n'y a qu'une personnalité du monde gauchiste. Quand il y en avait deux, ils faisaient 4 %. Elle fait un peu plus en ce moment. Je crois qu'il y a un petit vote défouloir. Je ne suis pas sûr qu'il aille jusqu'au bout. Certains disent, mais ce sont les mauvaises langues, que dans les beaux quartiers on se plaît à dire qu'on va voter Arlette. Je crois qu'au dernier moment, ils reprendront le chemin de la droite. Je dis aux électeurs qui pourraient s'interroger et qui sont sincères : allez à l'efficacité, au vote le plus responsable. Je pense qu'il va y avoir une droite qui va être forte. On annonce que Le Pen monterait. Ça m'inquiète. Je dis que face à cette droite qui va être forte, il faut un PC plus fort et c'est tout le sens de ma campagne, c'est tout ce que j'ai donné dans cette campagne avec le meilleur de moi-même.