Interview de M. Alain Carignon, maire RPR de Grenoble, à France-inter le 12 juin 1989, sur la réunion des rénovateurs à la Grande-Chartreuse et l'avenir de l'opposition.

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Média : Emission Inter matin - France Inter

Texte intégral

France-Inter
Inter-Matin

(8 h 20)


Lundi 12 juin 1989


M. Alain CARIGNON, maire de Grenoble et « rénovateur »


Bernard BRIGOULEIX


BB. — Et voilà les rénovateurs. 11 de ces 12 remuants cadets de l’opposition se sont réunis ce week-end à la Grande-Chartreuse à l’invitation de l’un des leurs, le régional de l’étape en quelque sorte, Alain Carignon, le maire RPR de Grenoble. Il s’agissait pour eux de réfléchir en compagnie d’Alain Juppé, le RPR, de François Léotard pour le Parti républicain à l’état actuel et surtout à l’avenir de cette opposition qui semble avoir tant de mal à surmonter le choc des présidentielles de l’an dernier et c’est justement Alain Carignon qui est notre invité ce matin en direct des studios de RADIO FRANCE Isère dans sa bonne ville de Grenoble.


Alain Carignon, bonjour !

Bonjour !


Alain Carignon, ce sommet de la Grande-Chartreuse a surtout servi à constater que tout le monde ne voyait pas l’avenir de l’opposition de la même façon, y compris en termes d’organisation — ce n’est pas vraiment un scoop. Est-ce que vos belles montagnes n’ont pas accouché d’une souris ?


Alain CARIGNON. — Je crois que d’abord ce qui est très important c’est qu’à 8 jours des élections européennes, qui ont lieu le 18 juin, tout à la fois Pierre Méhaignerie et son équipe, François Léotard et la sienne, Alain Juppé, les rénovateurs, ont travaillé et discuté ensemble devant l’opposition et reconnaissant qu’ils sont ensemble pour préparer l’avenir. Ensuite, sur la préparation de l’avenir, les moyens de le préparer. Il peut y avoir des divergences entre ceux qui souhaitent telle ou telle organisation de l’opposition mais, par contre, ils regardent dans le même sens, ils sont capables de surmonter un certain nombre de différences pour réfléchir et travailler ensemble et pour préparer l’alternance. Alors, est-ce une souris ? Pour ma part, je ne le crois pas, bien au contraire. Je crois qu’il s’agit d’un événement très important. Cela montre que des femmes et des hommes qui ont au fond la même culture, qui sont peu ou prou de la même génération, préparent d’une certaine manière l’alternance.


BB. — Tout de même, vous venez de le dire, il y a au moins deux écoles dans l’opposition. Il y a les partisans d’un grand parti commun, mais pluraliste, et puis il y a ceux qui se contenteraient volontiers de développer la concertation entre le RPR, l’UDF et si possible les centristes. Vous pensez que c’est jouable de faire cohabiter dans un même parti, fût-ce en y organisant des courants, Charles Pasqua et Bernard Stasi, Simone Veil et Bernard Pons ?


Alain CARIGNON. — Bien sûr ! Et pour Bernard Stasi, Pierre Méhaignerie ou d’autres je leur ai posé la question, et ils sont d’accord pour cohabiter avec des hommes de sensibilités différentes et avec des sensibilités qu’ils ne partagent pas.


BB. — Ceux-là sont d’accord. Mais est-ce que les autres que j’ai cités par exemple vous sembleraient d’accord ?


Alain CARIGNON. — Je ne le sais pas. Pour l’instant il semble que non — peut-être. Mais finalement le constat d’accord c’est que personne ne veut conserver le statu quo, c’est-à-dire que personne ne veut de la situation actuelle de l’opposition. Pourquoi ? Parce qu’on ne pourra pas longtemps, durablement, préparer la France à l’Europe avec une majorité relative et avec ces abstentions à l’Assemblée car la préparation de la France à l’Europe exige — et la démocratie aussi, une démocratie digne — qu’il y ait une solution alternative, et cette alternative repose quoi qu’il arrive sur celles et ceux qui se sont réunis ce week-end en Chartreuse.


BB. — Vous n’avez pas senti une cassure à Saint-Pierre-de-Chartreuse entre votre secrétaire général, Alain Juppé, et les jeunes RPR rénovateurs. Par exemple, on dit qu’il y a une ou deux prises de bec sévères entre lui et Michel Noir ?


Alain CARIGNON. — Il n’y a pas de cassure. Il y a dialogue, bien sûr, et il y a position divergente entre tel ou tel sur les moyens mais il n’y a pas de cassure sur les objectifs. Et voyez-vous ce qui m’a paru très fort ce sont ces liens d’amitié et de confiance qui ont été de toute manière tissés et qui ne datent pas d’aujourd’hui. Nous avons gouverné ensemble pendant deux ans et souvent réagi ensemble de la même façon pendant deux ans. Donc, cette volonté, cette confiance, cette amitié a une valeur pour la préparation de l’alternative car il faut une alternative.


BB. — A propos de confiance et d’amitié pourquoi Philippe Séguin n’était-il pas à vos côtés ce week-end ?


Alain CARIGNON. — Parce qu’il a fait ce choix, qui est un choix personnel. Mais me semble-t-il quel que soit l’avenir de chacun, le résultat de chacun, peut-être une victoire individuelle, elle ne peut se préparer que collectivement et de toute façon tant que tout le monde dans l’opposition n’aura pas compris que la préparation est collective il n’y aura pas d’alternative possible pour le pays.


BB. — Vous n’avez pas l’impression que les rénovateurs ont beaucoup déçu en n’osant pas aller jusqu’au bout aux élections européennes. Quand vous voyez comment se déroule actuellement la campagne vous ne regrettez pas de ne pas y mettre votre grain de sel ?


Alain CARIGNON. — En politique, il n’y a pas de regret à avoir. Aujourd’hui, il y a un scrutin du 18 juin, chacun a pris les positions suivant le mouvement auquel il appartient et je crois que c’est bien parce qu’il faut aussi avoir une loyauté à l’égard des mouvements envers lesquels ont est engagé. Ce que nous avons préparé ce week-end c’est la préparation de l’après-18 juin, c’est-à-dire la préparation de l’organisation de l’opposition et donc de la présentation au pays, aux Français, de la possibilité pour eux d’avoir le choix entre le gouvernement actuel et une alternative. N’oublions pas que la prochaine échéance législative est gouvernementale ; elle oblige donc l’opposition à raisonner collectif. Il faut que l’opposition s’organise pour préparer la prochaine échéance gouvernementale ; ce n’est pas la présidentielle qu’il nous faut préparer.


BB. — Vous parlez de loyauté à l’égard des partis existants, est-ce que les rénovateurs ne sont pas condamnés à continuer de crier « retenez-nous, on fait un malheur ! ».


Alain CARIGNON. — L’idée de novation, c’est-à-dire l’idée de la modification de la vie politique, de l’organisation politique est acquise. Je veux dire par là que désormais chacun sait bien que les mouvements politiques ne peuvent pas rester organisés comme ils le sont. Pourquoi ? Parce que d’abord le décalage qu’il y a entre la classe politique dans son ensemble et les citoyens ne fait que s’accroître. Il va d’ailleurs être marqué aux européennes par un formidable abstentionnisme. Nous avons donc le devoir d’atténuer ce décalage et si possible d’y mettre fin. Cela passe par une réorganisation de la vie politique, par une modification, par un changement d’hommes, par un changement d’idées. C’est ce que réclament les rénovateurs.


BB. — Jusqu’où pouvez-vous aller dans ce mouvement de contestation des états-majors traditionnels ? Vous parlez de changement d’hommes et de structures ? Jusqu’où irez-vous ?


Alain CARIGNON. — Nous irons très loin. Nous irons au bout. Pourquoi ? Parce que de toute façon c’est inéluctable ; que ceci se passe dans un mois ou dans quelques années c’est inéluctable. Les partis vivent ce qu’ont vécu les syndicats, c’est-à-dire des désaffections du fait de leur organisation. Ils vivent ce qu’ont vécu les entreprises avant qu’elles se réorganisent et ce qu’ont vécu les familles avant qu’on ait une autorité plus partagée, plus concertée. C’est la vie qui a changé. De toute façon, la vie suit son cours. Il faut que les mouvements suivent la vie et se réorganisent en fonction de la vie. Cela peut se faire brusquement, rapidement, peu importe, cela se fera. C’est un problème de société.


BB. — Un des autres problèmes auxquels se trouve confrontée la droite c’est cette perpétuelle guerre des chefs, en tout cas dans la perspective des présidentielles — perspective lointaine j’entends bien pour l’instant, mais qui marque forcément toute notre vie politique. Vous croyez que c’est vraiment possible d’organiser des primaires comme le propose Charles Pasqua ?

Alain CARIGNON. — Moi, je suis favorable au principe des primaires. Je discuterai les modalités qui nous sont proposées. J’ai dit ce week-end que la prochaine alternative n’était pas présidentielle mais gouvernementale. Il fallait donc d’abord avant les positionnements présidentiels que chacun prépare une alternative collective. C’est la raison pour laquelle je souhaite que chacun dans ce jeu d’équipe, comme dans un match, joue l’équipe sinon il n’y aura pas d’alternative possible et nous ne pourrons pas préparer les élections législatives ensemble — élections législatives qui peuvent venir plus tôt que prévu parce que, je vous le redis, je ne crois pas que l’on puisse préparer l’Europe à reculons, avec des majorités relatives, des abstentions au centre et au Parti communiste. Ce n’est pas comme ça qu’un grand pays moderne comme la France entre dans l’Europe. Il aura besoin de quelque chose de fort. C’est à nous dans l’opposition et en particulier ceux qu’on a appelé les « cadets de l’opposition » de préparer cette alternative. Pas tout seuls, en éliminant personne bien entendu, mais en étant le fer de lance de cette préparation. Et cette préparation, cette alternative politique elle ne peut être que collective. C’est ce que j’ai plaidé ce week-end.


Alain Carignon, merci.