Texte intégral
Q. - L'auditeur - Monsieur Védrine, c'est plus un commentaire qu'une question. Quand on a appris que le gouvernement de M. Jospin avait refusé le visa du général Pinochet, il y a environ deux semaines, on était plusieurs à considérer cela comme un geste moral qui ne coûtait pas très cher, mais était vraiment positif. On apprend récemment qu'en fait ce geste moral, c'est pour éviter de se retrouver dans la position de Tony Blair d'avoir éventuellement à arrêter le général Pinochet que ce refus a été fait. Alors là on est très déçu : d'un geste moral assez fort, cela devient vraiment une décision assez petite.
Q. - Le journaliste - Vous auriez donc préféré que l'on donne un visa au général Pinochet pour qu'il vienne en France et qu'on le mette en état d'arrestation en France ?
Q. - L'auditeur - Éventuellement, ou alors qu'on annonce clairement le motif du refus.
R. - C'est tout à fait inexact, le visa a été refusé parce qu'on n'avait pas envie d'accueillir le général Pinochet en France. D'ailleurs on ne peut pas reconstruire à partir de ce qui s'est passé après en Grande-Bretagne. Quand les Britanniques ont donné le visa au général Pinochet, - ce qu'ils ont d'ailleurs fait plusieurs fois parce que je crois que cela fait cinq ou six fois qu'il vient en Grande-Bretagne, y compris une fois sous le gouvernement travailliste -, ils ne l'ont pas fait pour ensuite pouvoir le mettre en état d'arrestation. L'arrestation n'a aucun rapport avec une décision britannique puisqu'elle découle d'une démarche de juges espagnols qui était totalement inconnue du gouvernement britannique - et d'ailleurs du gouvernement espagnol - au moment où le visa a été accordé de façon presque de routine...
Q. - Et du gouvernement français ?
R. - Bien sûr, oui. Personne, aucun gouvernement, je pense ; sauf le juge qui sans doute préparait son action qui n'était connue que de lui ; aucun gouvernement européen, ne connaissait ce projet. Donc, quand la demande de visa est arrivée, on lui a dit "eh bien non. On n'a aucune envie d'accueillir le général Pinochet pour des raisons évidentes sur le sol français". Alors donc le raisonnement a bien été celui qui est exprimé. Il ne faut pas reconstruire après, à partir d'éléments intervenus ensuite et qui n'étaient pas connus.
Q. - Et la suite, on sait que normalement la Haute Cour de Justice à Londres devrait dire aujourd'hui si l'arrestation du général Pinochet est légale ou non. Imaginons que la réponse soit "elle est illégale", c'est-à-dire qu'il puisse quitter la Grande-Bretagne, est-ce que la France a l'intention d'accélérer la procédure puisque maintenant il y a des plaintes qui ont été formellement déposées en France demandant le jugement et donc l'extradition du général Pinochet vers la France.
R. - C'est une question de droit. Ce n'est pas une question de gouvernement. Je veux dire par là que c'est une question de justice. Dans le cas britannique, c'est à la justice britannique de répondre à la question par la démarche du juge espagnol. Dans chaque pays où il y a des démarches ou des plaintes, c'est à la justice de chacun de ces pays de se prononcer, puis à la justice britannique. Cela se passe donc entre les justices des différents pays.
Q. - Pas de politique là-dedans ?
R - Je ne dis pas qu'il n'y a pas de politique : cela a une résonance politique émotive, tragique même qui est tout à fait immense. Je réponds simplement sur les mécanismes comme l'a fait hier Mme Guigou à l'Assemblée quand on lui a posé la question des mécanismes concernant les extraditions. Elle a rappelé le droit, nous sommes précisément des États de droit.