Interview de Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État aux transports, à France-Inter le 8 novembre 1995, sur la réduction du nombre des femmes dans le deuxième gouvernement de M. Juppé.

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Circonstance : Remaniement ministériel du gouvernement d'Alain Juppé le 7 novembre 1995

Média : France Inter

Texte intégral

Q. : Je pense que vous détestez le terme de « rescapée » ?

R. : Ce n’est pas vraiment le bon terme et ce n’est pas vraiment le problème. A. Juppé a bien dit hier soit ce qu’il s’agissait de faire car il y a quatre chantiers importants : sauver la Sécurité sociale, réformer l’Etat et réduire les dépenses de l’Etat, réformer la fiscalité enfin, et mener à bien un programme d’intégration urbaine. Ce qui me frappe c’est le courage et la détermination d’A. Juppé. Pour cela, il a ressenti le besoin d’avoir une équipe plus resserrée. Il se trouve qu’un certain nombre de postes qui n’existent plus dans ce gouvernement étaient tenus par des femmes. C’est une donnée de fait, c’est comme ça. Je suis persuadée pour ma part que le statut de femme d’un certain nombre de gens qui ont quitté le gouvernement, n’est pas en cause. Et je suis totalement confiante dans la détermination du président de la République de maintenir une dynamique sur le rôle des femmes en politique.

Q. : A. Juppé n’est pas misogyne, rassurez-nous ?

R. : Certainement pas !

Q. : Ça pose quand même le problème de la place des femmes en général, pas seulement au gouvernement mais vous n’êtes pas très nombreuses au gouvernement, à l’Assemblée, au Sénat.

R. : Je considère que c’est une faiblesse pour la démocratie en France mais dans d’autres pays aussi. Je crois, par rapport à cette question, qu’il faut constituer dans les partis politiques ou dans les communes et aussi dans les entreprises dans le secteur privé, des viviers de femmes. Des femmes qui, progressivement, par leur profil, par leur expérience, sont capables d’avoir des fonctions de plus en plus importantes et de plus en plus responsables.

Q. : Ne croyez-vous pas qu’on aura gagné quand on critiquera de la même manière un homme qui quitte un poste de pouvoir comme une femme qui quitte un poste de pouvoir ? Jusqu’à présent, on critique plus facilement une femme qui perd son poste de pouvoir car il y a aussi des hommes qui ont quitté ce gouvernement.

R. : J’ai toujours en tête une phrase de F. Giroud qui avait marqué l’époque où je faisais des études et qui était : « Le temps n’est pas encore venu où on nommera à un poste important une femme incompétente ». Et je crois qu’il y a du vrai dans votre question. Encore une fois, ne nous focalisons pas là-dessus. Le président de la République avait bien montré le chemin à suivre pour mettre en œuvre son programme, il y a quelques jours, à la télévision. A. Juppé a marqué les priorités d’aujourd’hui et il se trouve qu’il y a moins de femmes. Je trouve aussi que certaines d’entre elles n’ont pas vraiment le problème.

Q. : C’était aussi parce qu’on avait confié à ces femmes des postes moins importants que d’autres qu’elles ont été les premières victimes de ce remaniement ?

R. : On peut dire ça de cette façon. Moi, je vois les choses de manière tonique aujourd’hui. A. Juppé a voulu un gouvernement resserré, ça veut dire avec moins de gens, moins d’hommes et moins de femmes. C’est vrai qu’un certain nombre de femmes avaient des postes où elles épaulaient des ministres et aujourd’hui on préfère avoir quelque chose de plus tonique, de plus efficace.

Q. : Quelle était l’ambiance en conseil des ministres ce matin ?

R. : Pour être franche je suis bien en peine de vous le dire car, contrairement au premier gouvernement d’A. Juppé, dans le cas de celui-ci les secrétaires d’Etat n’étaient pas au Conseil des ministres de ce matin. J’ai vu les ministres à la sortie et ils m’ont paru faire preuve de détermination, avec le moral.

Q. : Vous êtes secrétaire d’Etat aux transports et il y a demain, après-demain et samedi, une grève important à Air France et à Air Inter. C. Blanc donne un petit peu de mou dans la négociation en ce qui concerne les jeunes recrues sur le PNC, les fameux 1 200 jeunes que l’on doit embaucher à un tarif et à un salaire moindres, C. Blanc propose que ça ne soit qu’une mesure transitoire maintenant et que l’on en reparle dans quatre ans quand on aura amorti beaucoup de frais sur les départs qui auront lieu précisément maintenant. Le fait qu’il relâche un peu les choses est-il bien vu de votre côté ?

R. : D’abord, je me réjouis évidemment et j’avais beaucoup souhaité que le dialogue continue. Ce que je souhaite avant tout c’est, certainement comme tout le monde, que l’on sauve Air France dont la situation est grave. Et pour cela, un plan avait fait l’objet d’une adoption par référendum en avril 94. Avec un objectif d’amélioration de la productivité de 30 %. Il faut y arriver et je souhaite qu’on puisse y arriver.

Q. : « L’heure est grave » ça veut dire mettre la clé sous la porte, déposer le bilan ?

R. : Ce qui est grave c’est que, alors que le trafic aérien se développe, hélas Air France perd des parts de marché. Ce qui est grave c’est que des compagnies concurrentes, je pense surtout à Lufthansa, améliorent leur productivité. Il nous faut rester dans la course, et c’est grave, une course qui est une sorte de course-poursuite avec des concurrents.

Q. : Est-ce un métier que l’on apprend facilement, ministre ?

R. : Moi, peut-être un atout c’est que, dans une autre fonction très différente qui était celle de l’administration, je connaissais assez bien les rouages de l’Etat et je pense que ça m’a facilité les choses. Sinon, comme tout métier, c’est difficile à apprendre mais je n’y sens pas mal à mon aise.

(A.-M. Idrac répond à N. Notat)

R. : Je me réjouis de ce que Mme Notat donne acte au gouvernement que les nouvelles fonctions de J. Barrot sont un plus. Par ailleurs, sur les analyses un peu différenciées que vous évoquiez, je ne ressens pas du tout les choses ainsi. On a un gouvernement resserré, solide, un gouvernement politiquement équilibré, avec des hommes de terrain, opérationnels, qui arrivent. On a aussi, et c’est important dans la situation financière où nous sommes, des réactions y compris de l’étranger, qui sont tout à fait bonnes du point de vue des marchés et qui devraient donc avoir un effet tout à fait positif sur la baisse des taux, qui est un objectif essentiel pour nous tous en ce moment, donc je trouve que les réactions sont à la hauteur de la mobilisation qu’ont souhaité le président de la République et A. Juppé.