Interviews de M. Lionel Jospin, premier secrétaire du PS, dans "Le Parisien" du 18 octobre 1995 et à Europe 1 le 24, sur l'attentat du RER du 17 octobre, la rencontre entre les présidents Chirac et Zéroual, et sur le "renversement" de la politique gouvernementale.

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Média : Europe 1 - Le Parisien

Texte intégral

Le Parisien : 18 octobre 1995

Le Parisien : Quelle est votre réaction après ce nouvel attentat ?

Lionel Jospin : Je condamne, et de la façon la plus vive, ce nouvel acte de barbarie. Je tiens aussi à exprimer ma compassion à l'égard des victimes. Je veux également affirmer notre volonté d'une solidarité complète de la communauté nationale pour résister à la pression exercée par ces actions terroristes.

Le Parisien : Faites-vous un lien entre cet attentat et la prochaine rencontre, à New York, de Liamine Zéroual et de Jacques Chirac ?

Lionel Jospin : Je ne veux pas établir de lien. En tout état de cause, rien ne peut excuser des actes terroristes. En revanche, il est nécessaire que le président de la République et le gouvernement disent à l'opinion quelle sont leur analyse, leurs hypothèses, à propos de cette succession d'attentats. Ils se produisent sur notre territoire depuis le mois de juillet. Nous sommes donc en face d'une campagne systématique de terrorisme contre la France. L'opinion aujourd'hui a besoin d'explications. Et, pour l'instant, on ne les entend pas.

Le Parisien : Vous disiez, dimanche, « regretter » cette rencontre Zéroual-Chirac. Votre analyse demeure-t-elle la même aujourd'hui ?

Lionel Jospin : Je trouvais que cette rencontre n'était pas opportune. Je l'ai dit. Je ne vais naturellement pas changer mon point de vue après cet attentat.

Le Parisien : Pensez-vous qu'il faudrait différer cette entrevue ?

Lionel Jospin : Je n'aurais pas fait cette rencontre. C'est au président de la République, aujourd'hui, d'apprécier ce qu'il fait faire.


Europe 1 : mardi 24 octobre 1995

A. Duhamel : Quatre essais au lieu de six, est-ce que votre courroux diminue ?

L. Jospin : Ça prouve au moins que tout ça peut être évalué en fonction des réactions internationales, d'une certaine opportunité. Ce n'est pas de l'ordre de l'absolument scientifique, du totalement technique, puisque nous en sommes au troisième essai nucléaire dont on nous dit qu'il n'est plus nécessaire après une première annonce déjà de J. Chirac. Ça me confirme dans l'idée qu'il aurait mieux valu apprécier avec plus de justesse le contexte international dans lequel cette décision de reprise des essais par la France a été prise. Cela aurait été meilleur pour nous.

A. Duhamel : Le report de la rencontre Zeroual-Chirac ?

L. Jospin : J'ai dit qu'elle était inopportune. J'avais choisi le mot à dessein. Je pensais que dans le contexte très particulier dans lequel nous étions, attentats terroristes en France, campagne électorale en Algérie, et compte tenu de la complexité des liens entre la France et l'Algérie, cette rencontre aurait été très malaisée à faire de façon tranquille. Les faits m'ont donné raison.

A. Duhamel : Satisfait ?

L. Jospin : C'était à J. Chirac d'assumer sa propre décision. Je pense d'ailleurs que cette rencontre n'a pas eu lieu en partie parce qu'il n'a pas assumé sa propre décision. Quand on prend une décision politique internationale, on a le droit d'être pour ou contre. Mais une fois qu'on la prend, à mon sens, il vaut mieux l'assumer. À partir du moment où on a commencé à mettre des conditions, à dire qu'il n'y aurait pas de photographes, à dire qu'on allait dire ceci ou cela, on courait le risque, surtout avec l'interlocuteur qui était le nôtre, que se produise ce qui s'est produit. Donc, quand on prend une décision, il vaut mieux l'assumer ou alors il vaut mieux ne pas la prendre.

A. Duhamel : La France doit-elle conditionner son aide à un processus de démocratie en Algérie ?

L. Jospin : Il me semble que nous n'avons certainement pas intérêt à préciser publiquement, spectaculairement des conditions, parce que cela introduit dans les relations entre États une donnée psychologique parfois mal supportable. Par contre, il me semble que nous devrions définir librement notre propre politique, non faire de l'ingérence, mais déterminer librement notre propre politique à l'égard de l'Algérie. C'est peut-être ce que nous n'avons pas suffisamment fait. À cet égard, je voudrais quand même tirer de cette affaire mal menée une conclusion un peu de principe. Il faut bien que l'on comprenne comment nous agissons : nous sommes totalement solidaires de la lutte du Gouvernement contre le terrorisme. Depuis les attentats qui ont eu lieu en France…

A. Duhamel : Vous êtes pour la mise en application de Vigipirate ?

L. Jospin : Ça me paraît aller de soi. Nous n'avons ni le pouvoir, ni le gouvernement des choses. Nous ne sommes donc pas responsables de ce qui est fait. Mais vous n'avez pas entendu de nous une seule critique après aucun attentat. C'est absolument clair. En même temps, il y a solidarité totale. J'attends et nous entendons garder notre liberté d'analyse de la politique extérieure de notre pays, notamment de la politique algérienne. C'est clair.

A. Duhamel : Comment jugez-vous le style Chirac dans le cadre de la politique extérieure de la France ?

L. Jospin : Ça renvoie à une question plus large. On s'étonne, on se demande pourquoi il y a eu une telle chute de popularité du nouveau pouvoir, du président de la République et du Premier ministre depuis cinq ans. C'est sans précédent avec une telle force et une telle soudaineté. On a évoqué le décalage entre le discours de la campagne et la réalité de la politique gouvernementale : c'est juste. On a évoqué les contradictions, l'absence de lisibilité de la politique conduite, notamment sur le plan économique et social, les contradictions dans la majorité : c'est juste. Cela me préoccupe gravement : cette chute de popularité rapide, parce que la démocratie n'est pas faire pour cela… Je pense qu'il y a aussi un problème de l'art de gouverner. L'opinion ne suit pas parce que le pays n'est pas bien gouverné, dans le domaine de la politique internationale, parfois, comme dans beaucoup de domaines de la politique intérieure.

A. Duhamel : J. Chirac n'est pas un artiste du gouvernement ?

L. Jospin : Il y a dans la politique internationale comme dans la politique intérieure quelque chose qui relève des décisions que l'on prend, bonnes ou mauvaises, et quelque chose qui relève de l'art de gouverner, de l'art de les mettre en oeuvre, de l'art de régler les problèmes avec les hommes. Ceci n'est pas bien maîtrisé, à l'évidence.

A. Duhamel : Le principe de la réduction des déficits mis en oeuvre dans la discussion sur le budget vous satisfait-il ?

L. Jospin : J'avais cru comprendre que la priorité de J. Chirac pendant sa campagne présidentielle était l'emploi. Le fait qu'on n'aperçoive plus cette priorité maintenant et que la priorité qui s'y est substituée est la réduction des déficits est quand même un renversement. Je crois personnellement qu'il faut réduire les déficits. Si on le veut, il ne faut pas se charger de nouvelles dépenses. Je pense en particulier que tous les transferts vers les entreprises n'étaient pas nécessaires. Il est bien d'annoncer des mesures nouvelles, mais pas si on ne les finance pas dans le budget, comme l'allocation-dépendance. Donc, là encore, on ne sait plus très bien quel est le cap gouvernemental. Il aurait fallu faire d'autre choix de dépenses et d'autres choix de recettes.

A. Duhamel : Est-il possible de plafonner les dépenses sans plafonner aussi les salaires des fonctionnaires, au moins pour un an ?

L. Jospin : Là encore, c'est un renversement du discours gouvernemental par rapport au discours du candidat, puisqu'on nous avait dit au contraire que l'allégement des charges salariales dans le privé servirait à augmenter le salaire direct. On a abaissé les charges, il n'y a pas d'augmentation du salaire direct. On nous avait dit que le salaire n'était pas l'ennemi de l'emploi, au contraire. Et puis, on dit tout d'un coup que les salaires des fonctionnaires sont dangereux pour l'emploi. J'avais une approche différente de ces questions. J'aurais fait ce que j'ai appelé une conférence salariale pour maîtriser l'évolution des salaires, mais pas pour imposer un gel des salaires aux fonctionnaires. C'est non seulement à contre-courant de ce qui est nécessaire, le soutien de l'activité et de la consommation, mais en outre, ça a été psychologiquement désastreux.

A. Duhamel : Le contrôle du rythme des dépenses de santé ?

L. Jospin : Nouveau renversement : Mme Hubert est crucifiée sur l'autel de cette contradiction. Nous avons et j'ai constamment admis pendant la campagne non seulement la nécessité mais le caractère impératif d'une n'y maîtrise de la dépense de santé, pas d'un rationnement pour préserver le système d'assurance-maladie. Chez moi, il n'y a pas la moindre contradiction. Les choix n'auraient pas été les mêmes. C'est là où l'on définit deux politiques différentes. Je n'aurais pas augmenté le forfait hospitalier.

A. Duhamel : Le fait de les voir changer d'attitude est un progrès ou une régression ? Préférez-vous les décisions de leur campagne ou celles qu'ils prennent aujourd'hui ?

L. Jospin : Le problème, c'est que – ça explique la chute de ce pouvoir aussi massive, aussi rapide dans l'opinion – les Français ont l'impression que ce qui devait être le grand débat démocratique, la grande occasion d'un choix, l'élection du président de la République au suffrage universel, a été un exercice de manipulation politique. Ça, c'est dangereux pour la démocratie. Donc, la façon dont vous posez le problème, je ne peux pas y répondre. En plus, ça dépendrait des mesures.

A. Duhamel : Sont-ils plus réalistes maintenant ?

L. Jospin : J'aurais voulu qu'ils mènent sur ce programme et j'aurais voulu savoir, menant campagne sur ce programme qui aurait élu par les Français. C'est une grande question.

A. Duhamel : Combien de temps vous faut-il pour pouvoir apparaître comme ayant des réponses et une politique à mener au cas où ?

L. Jospin : Ce n'est pas parce que le programme de J. Chirac est caduc que le mien l'est. Donc, quand j'entends dire – c'est un thème un peu à la mode – que les socialistes ne seraient pas prêts, qu'ils n'auraient pas de programme, je voudrais rappeler que je me suis présenté avec une plate-forme présidentielle qui a été quand même approuvée par 14 millions de Français, plus de 47 %. Ça reste une base fondamentale, même si maintenant il faut l'approfondit, ce que nous faisons.

J.-F. Rabilloud : Le procès Tapie : comment vivez-vous ce procès et tout ce qu'il symbolise ?

L. Jospin : Je ne sais pas ce qu'il symbolise. Il y a une affaire judiciaire. Les juges sont en train de se prononcer. Je les laisse se prononcer.

J.-L. Rabilloud : Pour l'opinion, le procès Tapie n'est-il pas le procès de la gauche au pouvoir, des années de la gauche au pouvoir ?

L. Jospin : Je ne le pense pas et je ne l'espère pas.

C. Nay : Vous vous étiez opposé à ce que B. Tapie devienne ministre dans le Gouvernement ? Quels étaient vos rapports avec lui ?

L. Jospin : Je n'ai pas eu l'occasion de me poser cette question, puisque je suis sorti du Gouvernement. Je n'ai plus été maintenu dans le Gouvernement au moment où B. Tapie y est rentré. Je n'ai donc pas eu à m'exprimer sur cette question.

C. Nay : C'est un héros, une victime, un voyou ?

L. Jospin : Peut-être faut-il ce matin qu'il y ait une personne qui en parle différemment ou qui en parle peu. C'est l'impression que je vous donne, non ?

C. Nay : Qu'est-ce qui vous choquerait le plus : qu'il fasse de la prison ou qu'il n'en fasse pas ?

L. Jospin : Comment voulez-vous que quelqu'un comme moi souhaite la prison pour quelqu'un ? Je ne m'exprime pas sur les questions de personnes, lorsqu'il y a des problèmes judiciaires. Je ne l'ai pas fait une seconde, à propos, par exemple, de ce qu'on a appelé l'affaire de l'appartement du Premier ministre. Pourquoi le ferais-je pour d'autres ? Je m'y tiens.

J.-F. Rabilloud : A. Boublil et S. Traboulsi sont-ils les lampistes de l'affaire Péchiney ?

L. Jospin : Je ne sais pas si MM. Traboulsi ou Boublil s'attribueraient aisément à eux-mêmes le vocable de « lampistes ». Je pense simplement qu'à l'évidence, il y a à introduire un peu d'ordre, à la fois dans les entreprises privées et dans les entreprises publiques, parce qu'on a constaté un certain nombre de dérives. Il faut qu'on se rende compte que le rôle des entreprises est de produire, distribuer, créer et qu'elles doivent le faire en se gardant d'un certain nombre de dérives. C'est tout ce que je peux dire. Mais je m'intéresse plus à ce qu'est ou ce que n'est pas la politique industrielle de mon pays qu'à ces dérives qui, lorsqu'elles ont des conséquences judiciaires, doivent être appréciées par la justice et faire l'objet des commentaires de la presse et aider à l'édification de nos concitoyens, parce qu'ils vous écoutent, voient ce que fait la justice et en tirent un certain nombre de conclusions. Ce ne sont pas des domaines dans lesquels l'homme politique doit ajouter en permanence son commentaire.

C. Nay : Serait-il temps de remettre les compteurs à zéro à propos des affaires de financement de partis politiques, de revoir la législation sur l'abus de bien social et de faire une sorte d'amnistie ?

L. Jospin : Les compteurs vont se mettre progressivement à zéro. Le but de la justice n'est pas à la fois de déstabiliser l'ensemble d'un système politique. En même temps, elle a à juger des cas d'espèce selon des critères judiciaires. C'est un peu la contradiction. On l'a sentie avec une grande force dans la décision qui a été prise par le procureur Cotte à propos de l'affaire dite de l'appartement. Il a dit à la fois que judiciairement, la prise d'intérêt est caractérisée ; en opportunité et par rapport aux responsabilités qui existent dans mon pays, je ne peux pas en tirer comme conclusion une mise en examen de la personne concernée. À propos d'une personne, on a montré la contradiction. Le système de financement des partis politiques ayant été mis en place, normalement la moralisation du système doit se faire. On est en train de vivre encore assez douloureusement la transition, ou ce qu'il reste d'une époque ancienne. Mais je pense qu'ensuite, les compteurs seront mis à zéro, à condition qu'on fasse un effort suffisant en ce qui concerne le financement public des partis politiques, parce que c'est la contrepartie. Si ce financement n'est pas suffisamment sérieux, alors les formations politiques risquent d'avoir de nouveau des tentations.

C. Nay : Pour l'instant, le financement n'est pas assez sérieux ?

L. Jospin : Je pense que É. Balladur a adopté sur ce point, lorsqu'il était Premier ministre, une attitude un peu démagogique. Je pense qu'il a freiné des financements publics au mépris de la raison et de l'intérêt général, à mon sens.

C. Nay : Le PS a du mal à vivre ?

L. Jospin : Le PS a forcément du mal à vivre puisque le financement public est fondé sur l'importance des groupes parlementaires. Ça, c'est normal : nous avons tout simplement à nous adapter. Nous le faisons. J'espère d'ailleurs que les prochaines élections législatives permettront de nous donner plus d'aisance selon la loi. Quand je parle du financement public de la vie politique, c'est pour l'ensemble des formations politiques, pas spécialement pour le PS.

J.-F. : Rabilloud : Autre sujet d'actualité, la menace de crise monétaire. Est-ce qu'il n'y a là que la sanction d'une politique Juppé ?

L. Jospin : Compte tenu de votre raisonnement qui touche à la bourse, qui n'est pas ma préoccupation première mais au franc qui me préoccupe particulièrement, je vais être très prudent dans les commentaires parce que vous savez que j'ai toujours considéré qu'un responsable politique ne devait pas, par ses propos, jouer ou courir le risque de jouer avec la monnaie française, donc je ne vais pas m'exprimer sur ce plan. Ce qui est clair, c'est qu'au-delà des fondamentaux économiques – certains sont bons comme l'inflation, le commerce extérieur – d'autres moins bons et sans doute que les observateurs internationaux – vous savez que je suis contre la spéculation – regardent aussi d'autres éléments qui ne sont pas simplement de l'ordre des critiques objectives de l'économie. À l'évidence, ce climat de confiance n'est pas créé par la politique actuelle du Gouvernement français. C'est la seule chose que je peux dire.

C. Nay : Mais la crise monétaire menace de s'étendre sur tous les pays européens ?

L. Jospin : Et c'est bien pourquoi personnellement je pense que, malgré la difficulté des critères de Maastricht, le fait d'aller vers une monnaie unique est un facteur majeur qui ôtera des moyens à la spéculation et d'autre part, c'est aussi pourquoi j'ai proposé, pendant la campagne présidentielle, que l'on remette en place un système monétaire international digne de ce nom. J'ai proposé notamment la mise en place à l'échelle internationale d'une taxe sur les mouvements de capitaux d'un pour mille parce que l'on ne peut pas continuer à laisser les spéculateurs internationaux déterminer à notre place notre politique économique. On fête le cinquantième anniversaire des Nations-Unis, ce n'était pas simplement l'ONU mais aussi le Fonds monétaire international, c'était aussi la Banque de reconstruction internationale, c'était une organisation commerciale internationale c'est-à-dire un effort pour réguler l'économie mondiale. L'économie est de plus en plus mondiale et en même temps de moins en moins régulée : ne nous étonnons pas d'avoir des problèmes !

J.-F. Rabilloud : En ce qui concerne l'université, est-ce qu'il y a une méthode Bayrou qui peut fonctionner ?

L. Jospin : Je ne m'exprime pas trop souvent sur les problème d'éducation parce que je ne veux pas faire ancien combattant de l'éducation nationale mais force est de constater que M. Bayrou, par sa politique ou son absence de politique, comme M. de Boishue pour l'enseignement supérieur, illustre l'absence de gouvernement de la part du Gouvernement. Au fond, ce Gouvernement dans tout une série de domaines ne gouverne pas. Sa méthode est en cause. De temps en temps, au lieu d'agir dans ces sujets qui sont parfaitement délimités et dont il a parlé pendant sa campagne comme la protection sociale, l'éducation, il repousse les problèmes devant lui et dit qu'il ouvre des concertations. Et puis au moment où il ouvre la concertation, tout d'un coup, il prend une décision unilatérale sur un plan et dresse les partenaires contre lui. Exemple même : on ne va pas vous proposer des mesures pour rééquilibrer la Sécurité sociale mais on va ouvrir une discussion sur la Sécurité sociale. La discussion s'ouvre et tout d'un coup on décide de faire passer le forfait hospitalier de 55 francs à 70 francs. Ceci est non seulement totalement inique sur le plan social mais en plus en contradiction avec ce que l'on dit. Il y a donc un problème de l'art de gouverner. Je suis obligé de dire pour ce qui est de F. Bayrou et de l'éducation nationale que le ministère de l'éducation est devenu le ministère de la parole. On n'y agit plus. Les années Jospin, on sait ce que c'est.

J.-F. Rabilloud : On vous appelait Jospinator dans les facs ?!

L. Jospin : Oui, oui, on m'appelait Jospinator mais, s'il n'y avait pas eu université 2000, le monde étudiant aurait explosé. La revalorisation des enseignants, la création des instituts de formation des maîtres, la résolution du problème du recrutement des enseignants, ce sont des choses qui sont liées aux années Jospin. On sait ce que l'on sait. Maintenant, il n'y a plus de politique, c'est-à-dire que M. Bayrou ouvre sans cesse des concertations, il n'agit pas, on ne sait pas ce qu'est la politique du Gouvernement. Quant à Rouen, puisque vous en parliez au départ, disons que Rouen est le type même d'une fac jeune, d'une université jeune – 20 ans – qui a connu depuis quatre-cinq ans une croissance notamment grâce à Université 2000, à mon action, et qui se trouve en panne de cette croissance. Voilà le problème à Rouen, mais il existe bien ailleurs.

C. Nay : Il y a un problème, c'est la polémique autour de l'allocation-logement des étudiants et vous savez très bien que l'on devrait amputer les étudiants favorisés de cette allocation, on n'ose pas s'attaquer à ce problème. Est-ce que vous seriez, alors que vous savez très bien qu'aussitôt les étudiants seraient dans la rue ?

L. Jospin : Mais j'ai signé, avec toutes les organisations étudiantes, l'UNEF-ID, l'UNEF proche des communistes, les associations modérées, même l'UNI à l'époque avait signé – C'est vous dire, la droite étudiante – un plan social étudiant en dix points avec toutes les organisations syndicales. Donc, j'avais posé cette démarche. Le problème, là encore, est que l'on dit qu'on veut une concertation avec les étudiants pour un plan social étudiant, pour un statut social de l'étudiant et dans le même temps on laisse le rapporteur général du budget proposer un amendement supprimant ce qui est considéré par les étudiants comme un avantage. Donc on dit que l'on veut mettre les choses à plat et puis on décide. En l'occurrence, ils ont retiré leur amendement, c'est une preuve des contradictions au sein de la majorité, mais je préfère encore qu'ils l'aient retiré.