Interviews de M. Philippe Séguin, président du RPR dans "La Lettre de la nation" le 20 novembre 1998, "Ouest-France" le 28, "La Nouvelle République du Centre-Ouest" le 2 décembre, "L'Est républicain" le 5, sur la prochaine élection au suffrage direct du président du RPR, ses ambitions et choix stratégiques pour l'avenir du mouvement gaulliste, les relations RPR UDF et la préparation des élections européennes, la méthode du gouvernement de Lionel Jospin.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement à Vannes le 30 novembre 1998, à Bourges le 2 décembre et à Besançon le 5

Média : L'Est républicain - La Lettre de la Nation Magazine - La Nouvelle République du Centre Ouest - Ouest France

Texte intégral

LA LETTRE DE LA NATION MAGAZINE / le 20 novembre 1998

La Lettre de la Nation Magazine : Vous êtes le seul candidat en lice à la présidence de notre mouvement. Qu'attendez-vous de cette élection ?

Philippe Séguin : « Il eut été probablement préférable, pour la qualité et l'intensité du début interne, qu'une ou plusieurs autres candidatures se soient déclarées. Nous aurions pu, dès lors, sans remettre en cause l'unité de notre mouvement, proposer à nos adhérents plusieurs définitions du rôle du Mouvement, plusieurs stratégies et, peut-être, plusieurs politiques. Et ils auraient tranché, dans la clarté. Ce ne sera pas le cas. Pour autant, l'unicité de candidature ne doit pas faire de cette première élection du président au suffrage direct des adhérents un non-événement.

Toute élection au suffrage universel doit avoir un enjeu. Celle-ci en aura un, en tout état de cause : il doit être clair qu'à moins de 70 % de participation elle n'aurait, à mes yeux, ni véritable signification ni véritable portée.
Qu'il soit bien clair que je ne demande pas 70 % de vote en ma faveur et que je ne recherche pas un plébiscite. Je souhaite seulement la ratification d'une démarche qui est celle de la rénovation et une démonstration de notre force et de notre cohérence.

Il nous appartient de montrer à l'occasion de cette élection que nous sommes déterminés à poursuivre le chemin que nous avons tracé ensemble. Que nous sommes aujourd'hui rassemblés, réconciliés, prêts partir à la conquête des Français. »

La Lettre de la Nation Magazine : Quelles sont vos ambitions pour notre mouvement ?

- « Je souhaite que nous réussissions à construire une formation politique moderne, capable de représenter la société française dans sa diversité, ses contradictions, sa richesse, prête à assumer le rôle pédagogique qui lui revient vis-à-vis de l'opinion.

Nous ne devons pas nous limiter à la seule exaltation du fait que nous nous considérons comme les meilleurs.

Nous devons faire de notre mouvement un vrai lieu de débat et d'échanges, un lieu de formation, un creuset où se forgeront des équipes susceptibles d'exercer demain les responsabilités publiques.

Bref, nous devons être un rassemblement au sens plein du terme. Rechercher et servir le seul intérêt général dont nous voulons nous donner les moyens de dégager les voies en réunissant des Français de tous les milieux, de toutes les origines, de toutes les conditions. Notre pari, c'est qu'ensemble nous saurons assumer notre diversité et définir, par là même, des chemins acceptables par tous. »

La Lettre de la Nation Magazine : Quelle est votre stratégie pour y parvenir ?

- « Cette stratégie repose sur trois piliers :

- Le soutien au Président de la République.
Il nous faut d'abord faire montre d'unité autour du Président de la République, Jacques Chirac, engagé dans l'épreuve de la cohabitation. Soutenir le Président, ce n'est pas seulement le défendre face aux attaques mesquines dont il peut être l'objet. C'est contribuer à lui rendre les moyens politiques de mettre en oeuvre les ambitions qu'il a développées en 1995.

- L'affirmation sans complexe de notre identité.
Un grand nombre de nos adhérents, de nos sympathisants, nous ont quittés pour se réfugier dans un vote protestataire ou encore dans l'abstention, parce qu'ils ont eu le sentiment que nous avions délaissé les principes qu'ils nous avaient demandé de défendre. Nous ne devons plus mettre notre drapeau dans notre poche.

- L'approfondissement de l'Union avec nos partenaires.
Qu'ils soient libéraux, centristes ou démocrates-chrétiens, nos partenaires ont vocation à mener avec nous un combat commun. Aussi, l'approfondissement de l'union de l'opposition est-elle une nécessité absolue. Encore convient-il de ne pas se tromper de méthode. Il ne s'agit pas, en effet, de rogner, d'élimer, d'affadir.

La pluralité est une richesse à condition qu'on sache la reconnaître, l'organiser et procéder, le moment venu, aux arbitrages nécessaires entre les idées des uns et les propositions des autres. La création de L'Alliance pour la France répond à cet objectif. »

La Lettre de la Nation Magazine : Quel message souhaitez-vous adresser aux adhérents du RPR ?

- « Il faut qu'ils soient bien persuadés que notre responsabilité collective est de constituer, de reconstituer, une grande force politique dans la fidélité au Président de la République qui soit en mesure de porter l'idéal républicain, de rassembler les Français pour défendre un projet innovant, crédible et authentique.

Cette grande formation politique nécessaire à la démocratie, cette grande formation politique qui prépare l'alternance, c'est à eux de la prendre en charge.

L'élection au suffrage direct du président de notre mouvement en est une étape. Il dépend d'eux qu'elle soit une réussite. Et qu'elle en prépare d'autres plus belles encore... »


OUEST-FRANCE / samedi 28 novembre 1998

Q - Pour être à nouveau attractive, l'opposition doit avoir des idées claires et des têtes nouvelles: où sont-elles?

- « Les mouvements politiques doivent avoir un projet, une vision de la France dans laquelle ils inscrivent un programme pour une période donnée à un moment donné. Fabriquer aujourd'hui un programme clef en main pour un gouvernement en 2002 ne serait pas très sérieux : la conjoncture internationale et la construction européenne comportent trop d'inconnues. Ceci ne nous empêche pas d'avoir des idées. Et, pour ce qui concerne le RPR, un projet. Au demeurant, la critique des formations de l'opposition - ce qu'elles contestent et ce qu'elles proposent - participe d'un débat permanent d'où sortent les idées dominantes dans la société française. Elle est donc indispensable, au-delà d'aspects inévitablement polémiques. »

Q - Et les têtes nouvelles ?

- « On les cherche, sans illusion quant à des résultats immédiats. Nous recommençons à peine à devenir audibles, attractifs... Nos efforts d'ouverture ne peuvent donc donner encore tous leurs fruits. Mais nous recherchons systématiquement, dans la double perspective des législatives et des municipales, des personnes nouvelles susceptibles de s'engager. Nous cherchons en particulier des femmes : leur situation actuelle, très ancienne et tout à fait insatisfaisante, exige une attitude « directive », au moins dans un premier temps. Cela sera autrement efficace que quelques encouragements constitutionnels. C'est aux mouvements politiques d'agir et de lancer le mouvement. Nous-mêmes avons déjà tenu le cap des 30 % de femmes aux régionales. Si on peut aller au-delà, je n'en serai pas mécontent. »

Q - À propos de l'Europe, certains se demandent comment vous pouvez être pour le traité d'Amsterdam après avoir combattu celui de Maastricht...

- « Je suis effaré par la façon dont certains conçoivent la démocratie. Au cas où ils ne le sauraient pas, je rappelle que, le 20 septembre 1992, le « oui » à Maastricht l'a emporté ! Je regrette l'absence de contrepoids politique à la Banque centrale européenne, la non prise en compte de l'emploi parmi les critères de gestion de la monnaie, je regrette que l'on n'ait rien fait de bien décisif contre le déficit démocratique européen, que l'on n'ait pas crée les conditions de l'élargissement, mais, pour autant, je m'inscris dans la loi décidée par notre peuple. Que je sache, le vote sur Maastricht n'était pas un match organisé en deux manches, avec une revanche, voire une belle, éventuellement... La fin de la partie a été sifflée depuis six ans ! Bien entendu, comme tout le monde, je reproche au traité d'Amsterdam... tout ce qui n'y est pas et qui aurait pu utilement s'y trouver. Mais, s'il y a vraiment une action qui s'impose à l'échelle européenne, c'est bien une politique commune en matière d'immigration, de droit d'asile et de circulation des personnes, dans la mesure où nous n'aurons plus de frontières internes. »

Q - En quoi les élections européennes sont-elles un enjeu important pour l'opposition ?

- « L'enjeu est double. D'une part, le Parlement européen va être doté de quelques capacités d'intervention supplémentaires. Nous devons y défendre nos idées. D'autre part, ces européennes c'est aussi, ne nous le cachons pas, une affaire nationale. Il n'est pas indifférent de savoir qui, de la confrontation entre les socialistes et l'opposition, sortira vainqueur. Si l'opposition est en tête, l'effet ne peut être que bénéfique sur son électorat. »

Q - L'idée que vous pourriez être la tête de liste de l'opposition unie semble presque acquise?

- « Vous allez très vite! »

Q - Ça dépend très largement de vous...

- « Vous observerez que je ne me suis jamais prononcé là-dessus ! »

Q - Qu'attendez-vous ?

- « Pour moi ? Rien ! »

Q - Si vous étiez tête de liste, vous siégeriez à Strasbourg ?

- « J'ai déjà dit que celui qui serait tête de liste devrait aller siéger à Strasbourg... »

Q - Qu'est-ce qui vous donne envie de mener cette bataille ?

- « L'intérêt de cette bataille, il tient au double enjeu dont je viens de parler, et à un troisième. L'Europe n'est pas qu'une parenthèse périodique dans une vie politique nationale. L'Europe est entrée dans notre quotidien. Si l'on n'est pas capable de s'entendre sur un minimum en matière européenne, cela veut dire que l'on n'est pas capable non plus de s'entendre sur un minimum en matière politique. On ne peut plus faire de séparation arbitraire. »

Q - L'intérêt de la droite française à Strasbourg n'est-il pas de siéger enfin dans un groupe commun ?

- « Il faut prendre le problème de manière plus large. Les socialistes des divers pays européens vont coordonner leurs programmes et leurs campagnes. Du coup, les forces politiques qui se situent entre les socialistes et leurs alliés d'un côté, les divers extrêmes de l'autre, ont un intérêt majeur à se rassembler. Au lieu de se contenter d'un éventuel groupe commun, qu'elles essaient d'abord d'unir leurs efforts et de présenter une alternative à la proposition globale des socialistes, qui vont arriver en position de force, compte tenu de leur position dominante dans treize gouvernements européens. Quelle que soit la décision qui sera prise sur la liste commune de l'opposition, moi je souhaite travailler à ce rapprochement. »

Q - L'arrivée de Daniel Cohn-Bendit dans le champ de course électoral est-elle un handicap ou une chance pour l'opposition ?

- « M. Cohn-Bendit étant par nature imprévisible, il est difficile de faire des prévisions à ce sujet ! Cela étant, sa contribution au débat interne de la gauche est visiblement éminente... »

Q - Vous êtes candidat à votre succession comme président du RPR : que voulez-vous faire de ce mouvement ?

- « Le gaullisme - dont est issu le RPR - ce sont quelques principes fondés sur la volonté de permettre à chacun de prendre en main son destin. Pour le reste, c'est une approche de la vie publique qui refuse les a priori idéologiques et privilégie le pragmatisme. Je souhaite renouer avec cet esprit-là : tenter de représenter, autant que faire se peut, la diversité de la société française, favoriser la confrontation en son sein pour dégager ensuite les lignes de l'intérêt général. Cela suppose aussi un formidable effort pédagogique que les partis politiques ont beaucoup trop négligé. C'est l'un des grands défis qu'il leur faut relever. »


LA NOUVELLE RÉPUBLIQUE DU CENTRE OUEST - mercredi 2 décembre 1998

Q - Pourquoi faire élire directement par les adhérents du RPR le président du mouvement ?

Philippe Séguin : « Tout simplement parce que l'élection au suffrage des militants nous a paru la seule susceptible de conférer la légitimité nécessaire pour l'action. C'est si vrai que nous en avons généralisé le principe, en prévoyant que l'ensemble des responsables du mouvement, de la base au sommet, seraient désormais désignés par le biais de l'élection. Ce qui vient d'être fait. »

Q - N'est-il pas curieux que, pour cette première élection, vous soyez seul candidat ?

- « J'aurais moi-même préféré que d'autres candidats se manifestent. Nos adhérents auraient ainsi pu choisir entre plusieurs conceptions de l'avenir de notre mouvement, plusieurs projets alternatifs, des stratégies différentes. Sans doute avons-nous encore à faire un effort d'accoutumance à la démocratie interne. Sans doute, nos militants ont-ils estimé que nous n'étions encore que convalescents et que mieux valait ne pas nous exposer à un changement d'habitude trop brusque…

Pour autant, cette élection ne doit pas constituer un non-événement. Elle doit avoir un sens et un enjeu. C'est la raison pour laquelle j'ai fixé un seuil de participation à 70 %, en deçà duquel je considérerais que le résultat n'a ni signification, ni portée. »

Q - Vous avez ardemment milité contre le traité de Maastricht. Aujourd'hui, vous acceptez le traité d'Amsterdam qui est la suite logique. Pourquoi ?

- « D'abord, parce que Maastricht ayant été voté démocratiquement, et étant désormais notre loi commune, il est normal d'accepter ses implications.

Cela n'empêche pas que nous souhaitions apporter à notre Constitution, pour prendre acte de l'évolution des choses, les correctifs ou les améliorations nécessaires. Ils portent  notamment sur une meilleure association des parlements nationaux à l'élaboration des normes européennes et sur le contrôle de constitutionnalité des actes communautaires.

Mais Amsterdam n'est pas que cela, c'est le constat - légitime - de la nécessité, dès lors qu'on abolit les frontières, d'une politique de l'immigration et du droit d'asile commun. Nous lui sommes donc favorables, comme nous sommes favorables à l'idée d'exercer en commun  notre souveraineté, avec d'autres, chaque fois qu'il en résulte une valeur ajoutée pour le citoyen.

En vérité, nous menons toujours le même combat pour une Europe démocratique, respectueuse des nationaux, proche des citoyens. Mais les circonstances ont changé. Dès lors, les moyens pour parvenir à nos objectifs ne peuvent être identiques. »

Q - Que répondez-vous à vos partenaires UDF qui estiment que vous n'êtes pas le mieux placé pour conduire une éventuelle liste d'union de l'opposition aux élections européennes ?

- « Que nous ne devons pas donner l'impression, comme trop souvent par le passé, que nous sommes obnubilés par les questions de personne. Le problème n'est pas aujourd'hui de savoir qui sera tête de liste : il est de déterminer si nous sommes en mesure de nous accorder sur un projet commun, sur une ambition partagée pour l'Europe. Si tel est le cas, je ne vois pas ce qui s'opposerait à une liste unique de l'opposition. Il sera toujours temps ensuite de savoir comment on compose la liste.

Il faut être logique : on ne peut pas, à la fois, dire qu'on est d'accord sur tout et se séparer de l'Europe ; cela signifierait que l'on est d'accord sur rien, tant l'Europe est aujourd'hui dans tout. »

Q - Dix-huit mois après son arrivée à Matignon, Lionel Jospin, selon les sondages, demeure sur un petit nuage. En revanche, l'opposition semble n'avoir toujours pas digéré son échec consécutif à la dissolution ;. Quelle est votre explication ?

- « S'agissant de l'opposition, il ne m'apparaît pas étonnant  qu'elle ait mis du temps à se relever d'une épreuve aussi traumatisante que celle de la défaite qui a suivi la dissolution. Il est parfaitement normal qu'elle ait affronté une période de trouble, de désarroi, de confusion, alimentée par la rancoeur légitime de ses sympathisants. Nous commençons à sortir de cette phase difficile, comme en témoignent les résultats des dernières élections partielles. Les Français  commencent à reconnaître nos efforts. Même si la route est longue.
De même, je n'ai pas le sentiment que le Gouvernement rencontre une véritable adhésion sur ses objectifs et sur sa politique. Il a « surfé » sur une conjoncture économique favorable qui ne devait rien à son action. Il s'est attaché à différer systématiquement la résolution des problèmes, posant des bombes à retardement sous les pieds des gouvernements futurs : les retraités, la sécurité sociale, les emplois-jeunes, les 35 heures, l'éducation  nationale... Cela lui a valu une popularité éphémère, comme celle du médecin qui atténue la douleur sans s'attaquer aux racines du mal.

Il faudra évidemment du temps pour prendre la pleine mesure des occasions perdues. Mais le verdict n'en sera que plus cruel le moment venu… »

Q - À Bourges, où vous serez mercredi, on s'inquiète beaucoup de l'avenir des arsenaux - premier employeur local - compte tenu de la réduction des programmes et des perspectives de regroupement européen. Quelle est votre analyse de cette question ?

- « Je ne ferai pas de démagogie : il est  manifeste que Bourges est fragilisé par sa dépendance à l'égard d'une seule industrie. Le développement basé sur la mono-industrie correspond à une époque désormais révolue.

Cela étant, j'observe que la restructuration de l'industrie de l'armement avait été accompagnée par les deux gouvernements précédents de mesures compensatoires. Il était ainsi prévu la délocalisation vers Bourges d'un établissement de l'Aérospatiale, ainsi que l'implantation d'une direction de GIAT Industries.

J'espère que le Gouvernement les maintiendra. II importe de rester vigilant. »


L'EST RÉPUBLICAIN - samedi 5 décembre 1998

Q - Seul candidat à la présidence du RPR, vous souhaitez être légitimé par une participation d'au moins 70 % des militants. Comment espérez-vous y arriver ?

- « J'ai dit à mes compagnons du RPR que si nous n'étions pas capables de nous mobiliser à 70 %, nous ne pourrions espérer mobiliser une majorité des Français. Mais à voir l'afflux de nos militants, anciens et actuels, et de nos sympathisants à nos réunions, je ne doute guère que le défi soit relevé. Il y va de l'autorité du RPR vis-à-vis de ses partenaires comme de ses adversaires et de son image dans l'opinion. »

Q - À l'occasion de ces visites dans les fédérations, le RPR vous paraît-il guéri du traumatisme de la dissolution manquée ?

- « Disons qu'il est au terme de sa convalescence. Ce qui peut expliquer qu'il n'y n'ait pas eu d'autre candidature : une compétition interne a pu paraître une remise en jambes un peu brutale, donc prématurée. »

Q - Vos alliés reprochent au RPR une tentation hégémonique. Est-ce fondé ?

- « Bien que largement excessive, cette appréciation confirme indirectement le sentiment d'une amélioration. Il y a seize mois, certains s'interrogeaient sur la survie du RPR. Aujourd'hui, ils lui reprochent d'être trop fort. Dans l'un et l'autre cas, il y a exagération, mais cela indique qu'il a bien dû se passer quelque chose. »

Q - Il y a eu l'éclatement de l'UDF..

- « Celui-ci donne un effet d'optique dans lequel nous ne sommes pour rien. »

Q - Après le vote de la révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité d'Amsterdam, la voie vous paraît-elle libre pour une liste unique de l'opposition ?

- « Sous réserve de la confirmation par nos instances, tout devrait conduire à une liste d'union de l'opposition dont l'avenir, seul, dira si elle peut être unique. C'est dans la logique de la création de l'Alliance. Cela s'inscrit dans le souhait d'un projet commun sur l'Europe : comment dire, aujourd'hui, qu'on est d'accord sur tout sauf sur l'Europe alors que l'Europe est dans tout ? C'est enfin la solution la plus efficace face à la liste socialiste. Lors du débat sur la révision constitutionnelle, je n'ai rien vu qui entrave cette perspective. Même si nous pouvons regretter que d'autres ne soient pas aussi empressés que nous à résorber le déficit démocratique de l'Europe. »

Q - Cette volonté de démocratiser l'Europe est-elle la réponse à ceux qui vous accusent de conversion ?

- « J'ai déjà largement explicité ma critique du dispositif de Maastricht : le défaut d'ouverture aux pays d'Europe centrale et orientale ; l'aggravation du déficit démocratique ; l'absence de contrepoids politique au pouvoir de la Banque centrale ; le fait que celle-ci n'intègre pas l'emploi dans ses critères de gestion de la monnaie. Je prends acte de l'adoption de Maastricht, j'en tire les conséquences bien que le temps perdu ne facilite pas les choses. Et je reste fidèle à ces objectifs de toujours. Je constate d'ailleurs - et cela me réjouit - que ces idées ont gagné beaucoup de terrain. Même si chacun se garde encore d'en tirer toutes les conséquences, en matière de contrôle des actes communautaires par le Parlement, notamment. »

Q - Charles Pasqua, pour sa part, en tire une autre conséquence : sa démission du poste de numéro deux du RPR. Cela vous gêne-t-il ?

- « La décision de Charles Pasqua s'inscrit dans la logique de sa divergence avec la position retenue par le RPR sur la révision constitutionnelle. Il quitte la direction mais n'en reste pas moins membre du  mouvement, puisque celui-ci est fondé sur la liberté de parole. Je ne doute pas qu'il continue à apporter sa forte contribution au RPR. »

Q - À supposer qu'il y ait liste d'Union, certains à l'UDF vous récusent comme tête de liste. Qu'en pensez-vous ?

- « Je suis très flatté que mon nom soit le premier qui leur vienne à l'esprit puisque je n'ai pas fait acte de candidature. Mais l'essentiel est ailleurs : parler du fond, regarder le projet commun et voir ce que nous allons faire pendant cinq ans au Parlement européen, en fonction des pouvoirs qui lui sont reconnus. Il faut nous accorder là-dessus et non agiter des souvenirs idéologiques ou des querelles personnelles. Sur le plan européen, en outre, il faut s'entendre avec d'autres forces politiques. »

Q - Sous réserve d'une réforme du PPE (Parti Populaire Européen), les élus gaullistes peuvent-ils y adhérer ?

- « Là encore, ne mettons pas la charrue avant les boeufs. Voyons d'abord si les partis qui, en Europe se situent entre les socialistes et l'extrême-droite peuvent faire des choses ensemble comme une campagne coordonnée aux européennes avec un projet commun. Je reconnais qu'il y a une difficulté pour certains démocrates-chrétiens, alliés avec les socialistes dans d'autres pays, mais enfin... Il sera toujours temps ensuite d'étudier la composition de la liste et de choisir les solutions les plus efficaces. »

Q - Ces élections européennes peuvent-elles modifier le climat politique français ?

- « Absolument. Pour autant, il serait bon qu'à cette occasion, l'Europe ne soit pas seulement un prétexte à une consultation à froid sur des problèmes en fait franco-français. Il faut assurer une permanence au débat européen et compter sur des personnalités qui sachent l'animer.

Il reste que sur le plan national, il y aura un état du rapport des forces et cette élection apparaît comme une étape importante avant les municipales, puis les deux grands rendez-vous législatif et présidentiel. Si nous la remportons, notre électorat s'en trouvera conforté et élargi. S'y ajouteront les curieuses alchimies liées à la victoire et qui métamorphosent, par exemple, la division en diversité ou pluralité. »

Q - Si vous êtes tête de liste et siégez à Strasbourg, si la loi sur le cumul des mandats est votée...

- « Attendez ! Avec des si... La seule certitude, c'est que toute tête de liste aux élections devra siéger à Strasbourg. Les Français n'admettent plus les démissions au bout de quelques mois. »

Q - Le Gouvernement peine faire passer certaines de ses réformes. A-t-il, selon vous, mangé son pain blanc ?

- « Plus que d'une difficulté à faire passer des réformes, je crois qu'il s'agit d'une perception plus claire et plus réaliste par l'opinion de la méthode Jospin. Le Premier ministre a deux préoccupations essentielles : maintenir un semblant de cohésion dans la majorité hautement hétéroclite ; préparer sa candidature présidentielle. Ce qui l'incite à satisfaire des publics aux vues largement différentes. La méthode Jospin consiste donc, soit à éluder, soit à faire semblant de traiter les dossiers mais en renvoyant leur facture à plus tard - voir les 35 heures, les emplois-jeunes, les retraites - soit encore à prendre des positions équivoques pour satisfaire tout le monde, comme sur les « sans-papiers ». Ce n'est pas une bonne façon de gérer et cela commence à se voir. »

Q - Vous êtes sourcilleux sur la façon dont Lionel Jospin revisite l'Histoire. Pourquoi ?

- « Trouver dans l'Histoire des signes pour éclairer l'avenir national exige beaucoup de prudence et revient à celui qui incarne l'unité nationale, c'est-à-dire au Président de la République. Je suis par ailleurs toujours réticent face à un gouvernement qui réécrit l'Histoire à sa façon. Laissons l'Histoire aux historiens. De plus, les choix de Monsieur Jospin ne me paraissent pas très heureux. Il a une propension à aller puiser dans l'Histoire des motifs de division, comme si ceux fournis par l'actualité ne suffisaient pas. Enfin, il avance dans le temps : il a commencé par l'abolition de l'esclavage puis Dreyfus, puis 14-18... Peut-être finira-t-il par parler (...)