Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, dans "le Figaro" le 1er décembre 1998, en faveur de la constitution d'une liste unique de l'opposition aux élections européennes de 1999.

Prononcé le 1er décembre 1998

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Le Figaro. - Vous sermonnez les centristes, tentés de mener leur propre liste aux européennes. Vous qui avez toujours cultivé la différence, n’en faites-vous pas un peu beaucoup sur le thème de l’union ?

Alain Madelin. - Je ne sermonne personne. Je prêche l’union de l'opposition car c'est le seul moyen de devancer les socialistes et de donner à l'opposition l'élan nécessaire pour les élections suivantes. De la même manière que je m'inquiétais il y a quelques mois des risques de division qu'aurait fait courir une éventuelle liste gaulliste autonome pour les européennes, je m'inquiète aujourd’hui, c'est vrai, des tentations centristes. Je pense qu'il est possible pour chacun d'affirmer ses convictions dans le cadre d'une liste d’union. Il existe dans l'opposition des différences de sensibilité sur l’Europe. Elles ne nous ont pas empêchés dans le passé d’exercer ensemble des responsabilités gouvernementales et de nous présenter unis aux dernières élections européennes. Enfin, l’opposition, pour l’essentiel, a voté d'un même élan les modifications constitutionnelles liées au traité d'Amsterdam. C'est pourquoi, je le répète, il est possible et nécessaire de constituer une liste d'union de l'ensemble de l'opposition aux prochaines élections européennes.

Le Figaro. - Le refus des centristes devoir Philippe Séguin, l’ancien héraut du non à Maastricht, mener la liste européenne n’est-il pas défendable ?

Alain Madelin. - Je vous rappelle que ma famille, celle des libéraux, se réclame du même héritage européen, de la même volonté de construire l'Europe que les centristes. On ne va tout de même pas rejouer en 1999 le scénario de la division de 1989 ! C'est-à-dire celui d’une liste centriste séparée de la liste de l’union de l'opposition conduite par Valéry Giscard d'Estaing et Alain Juppé. Scénario, qui, à l’époque, n'a rendu service qu’au gouvernement socialiste.

Le Figaro. - Les centristes feraient-ils aujourd'hui le jeu de la gauche ?

Alain Madelin. - Je dis simplement que les divisions de l'opposition ne serviraient que l'actuel gouvernement et qu'il serait vain de construire l'alliance en décembre pour la diviser en juin !

Le Figaro. - Vous n'avez pas eu un brin de nostalgie en voyant la nouvelle UDF se constituer sans vous ?

Alain Madelin. - Cette réorganisation de l'UDF était nécessaire pour que l'alliance se construise à partir de ces trois principaux courants, gaulliste, centriste et libéral. Démocratie libérale a fait ce choix d’union et celui de l’affirmation d'un puissant courant libéral dont j'ai la faiblesse de penser qu'il constitue le véritable élément neuf de l’opposition.

Le Figaro. - L'opposition va devoir se mettre d'accord sur une tête de liste et un projet européen. Vous, comment envisagez-vous de mener campagne ?

Alain Madelin. - Il ne s'agit pas seulement d'être pour l'Europe mais de dire quelle Europe nous voulons et quelle Europe nous ne voulons pas. Nous ne voulons pas d'une Europe, qui, par dérives successives, conduirait à la constitution d'un super État unitaire et centralisateur. Nous ne voulons pas faire de l'Europe un cartel d'États-nations souverains, ni, à l’inverse, un futur État-nation agrandi, avec son gouvernement, son parlement, ses lois, ses impôts. Il nous faut dépasser ce vieux clivage pour imaginer l'Europe autrement. Nous voulons l'Europe de tous les Européens. L'Europe de la subsidiarité, c'est-à-dire de la souveraineté de la personne. L'Europe du droit qui affirme l'autorité et la supériorité des droits de la personne, à la source de l'humanisme européen. L'Europe de la justice comme puissance autonome qui borne le pouvoir et la loi. Si je devais risquer une référence, je dirais que cette nouvelle Europe s’inscrit dans une conception authentiquement libérale au sens que l'on donnait à ce mot au début du siècle dernier et non pas à l'image du modèle fédéral les États-Unis.

Le Figaro. - Philippe Séguin tête de liste, c'est le meilleur choix ?

Alain Madelin. - Peut-être. Pour Démocratie libérale, la seule règle qui vaille est celle de l’efficacité, celle du meilleur. Pour déterminer celui qui nous permettra d'assurer l'expression la plus forte et le score le plus large, j'ai proposé que l'on procède le moment venu à une mesure de l’opinion, et que le choix définitif s’appuie sur la consultation de l'ensemble des comités départementaux de l’alliance.

Le Figaro. - Cette procédure doit-elle être appliquée à toutes les élections ?

Alain Madelin. - J'ai proposé que l'on applique cette règle aux élections municipales et les législatives.

Le Figaro. - Et la présidentielle ?

Alain Madelin. - Soulever la question de l'élection présidentielle aujourd'hui serait le plus mauvais service à rendre à l’opposition.

Le Figaro. - Vous êtes très présent à Paris ces derniers temps. Vous vous préparez à vous présenter pour les municipales ?

Alain Madelin. - Je connais la rumeur. La vérité, c'est qu’aujourd'hui le courant libéral se développe fortement à Paris et en région parisienne et qu'il apparaît comme pouvant, le cas échéant, incarner la relève. Je m'en réjouis.

Le Figaro. - Jacques Chirac est aujourd'hui à mi-mandat. Votre jugement ?

Alain Madelin. - La cohabitation est un exercice difficile. La vraie question est de savoir : à qui profite-t-elle ? On peut constater que la politique de Lionel Jospin commence à patiner.

Le Figaro. - Vous qui, en 1968, militez à l’Occident, que pensez-vous de Daniel Cohn-Bendit ? Le libertaire n'est-il pas devenu libéral ?

Alain Madelin. - Je dois dire que je l'observe avec intérêt et curiosité. Il y a 30 ans, il a contribué à développer une critique de gauche du communisme assez courageuse face au « communistement correct » de l’époque. Je me souviens avoir pensé alors que les jeunes libertaires finissent en vieux libéraux. Il y a encore du chemin ! Mais il est clair que sur certains sujets, comme les privatisations d’EDF ou des chemin de fer, la retraite par capitalisation, la concurrence est la sélection dans les universités, l'autonomie des établissements scolaires, Daniel Cohn-Bendit développe une approche libérale en contradiction avec le PS et les Verts. Puisse cette évolution permettre l’arrivée d'un libéralisme de gauche dans ce pays !
Cela dit, ne cédons pas à l'effet médiatique soigneusement entretenu. Derrière le clinquant des formules ou les approches iconoclastes, il faut aussi regarder le sérieux des solutions.