Déclaration de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères sur le rôle du Patriarche latin de Jérusalem, lors de la remise des insignes de Commandeur de la Légion d'honneur à Monseigneur Michel Sabbah, Jérusalem le 23 décembre 1995.

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Circonstance : Voyage de M. de Charette en Israël et dans les Territoires palestiniens du 21 au 23 décembre 1995-visite au Patriarche latin de Jérusalem, Mgr Michel Sabbah le 23

Texte intégral

Monseigneur,

C’est pour mon épouse et moi-même un très grand plaisir de rendre aujourd’hui visite à votre Béatitude, au siège de votre curie patriarcale. Mes prédécesseurs l’avaient fait avant moi, mes successeurs le feront certainement, comme ils vous ont reçu quelquefois au Quai d’Orsay où vous êtes, vous le savez, le bienvenu. Je me réjouis de poursuivre cette tradition et vous remercie dans cette ville exceptionnelle qu’est Jérusalem, cette cité que le philosophe français Jean Guitton a qualifiée de « ville d’une triple adoration ». Ce n’est pas sans émotion en effet que l’on arpente ces rues comme je l’ai fait ce matin, qui sont chargées de tant de souvenirs historiques et d’un si grand message spirituel. Cette rencontre avec la Ville sainte ne peut laisser indifférent et ne peut que renforcer notre désir d’œuvrer pour y installer la paix afin que soit réalisée la parole du psalmiste : « Jérusalem bâtie comme une ville où tout ensemble fait corps ».

Je me réjouis aussi de cette visite que j’ai le plaisir de vous rendre, parce qu’à cette occasion, il va me revenir, dans quelques instants, le privilège de vous remettre les insignes de commandeur de la légion d’honneur et croyez que je le ferai avec grand plaisir.

Les relations entre la France et le patriarcat latin de Jérusalem, vous le savez mieux que quiconque, Béatitude, sont anciennes, profondes et fécondes. Dès la restauration du patriarcat en 1847, vos prédécesseurs ont trouvé auprès de la France un appui dont nous gardons avec fierté le souvenir. Les chroniques de l’époque retracent ces relations privilégiées. Elles décrivent par exemple l’entrée du patriarche à Bethléem en compagnie du représentant de la France. Elles racontent aussi les épisodes de cette histoire commune qui sont parfois cocasses comme ce jour où sa Béatitude Mgr Valerga et Paul-Émile Botta, consul de France, se retrouvèrent pris ensemble en otage dans une maison de Beit Jala.

Aujourd’hui, cette amitié continue à vivre et la coopération entre la France et le patriarcat latin de Jérusalem se poursuit. Je suis heureux de savoir que vos prêtres sont formés en français et que notre langue, la langue de Molière dit-on, mais aussi après tout celle de Bossuet et de Saint-François de Sales, demeure la langue de vos études. Je me réjouis que certains de nos jeunes viennent passer leurs années de service national dans votre séminaire de Beil Jala, dans certaines de vos paroisses ou dans des communautés religieuses de Terre sainte.

Cette cérémonie qui nous réunit aujourd’hui, Monseigneur, me donne l’occasion de dire à votre Béatitude que la France reste attachée à ces liens d’amitié qui l’unissent aux Chrétiens d’Orient, et, spécialement, à ceux de Terre sainte. A leur égard et à l’égard de certaines communautés, nous tenons de l’histoire des responsabilités particulières. Nous sommes convaincus que le pluralisme confessionnel de cette région, dont les Chrétiens d’Orient sont les artisans, et la tradition de tolérance qu’il a engendrée sont une richesse de votre pays qui peut être une inspiration pour notre monde moderne. Ceci est particulièrement vrai autour de cette mer Méditerranée dont il dépend de nous qu’elle sépare l’Orient de l’Occident ou au contraire qu’elle les unisse. Notre présence dans ce pays, les amitiés que nous y avons, sont aujourd’hui, chacun doit le comprendre, sans exclusive. Notre aie doit aller à toute la communauté nationale. Mais ceci ne nous empêche pas de rester fidèles à nos engagements envers les communautés chrétiennes dont nous sommes heureux de voir tout ce qu’elles apportent à la vie de leur pays.

Monseigneur, ces considérations à elles seules justifieraient que la République française ait décidé d’honorer votre Béatitude en lui conférant le grade de commandeur de la légion d’honneur. Pourtant, dussè-je faire souffrir votre modestie, je dois vous dire qu’elles ne sont pas seules en cause aujourd’hui et que vos mérites personnels justifient aussi amplement cette distinction.

D’abord, je voudrais saluer en vous le pasteur, proche de ses paroissiens. Je sais que vous êtes respecté de vos fidèles, mais aussi des autres communautés chrétiennes, des Musulmans, des autorités publiques. La France aujourd’hui voudrait vous dire qu’elle partage cette estime.

C’est en décembre 1987, quelques jours après le début de l’Intifada, que le Saint-Père vous a élevé au siège patriarcal, premier Palestinien à recevoir cette charge. Puis, vous êtes venu à la rencontre de votre peuple, Palestiniens ou Israéliens. Vous avez parlé haut et fort en faveur de la justice, des droits de l’homme. Votre histoire et votre action illustrent le combat pour la justice, pour les droits du peuple palestinien, pour sa dignité. Ce combat vous l’avez mené dans la vérité et dans la charité, sans jamais vous résoudre à la violence, ni renoncer à chercher la paix et la réconciliation. Aujourd’hui, le pays avance vers la paix. La réconciliation est en cours. Votre rôle n’a pas été négligeable pour parvenir à cette évolution heureuse. Votre devise épiscopale : in pulchritudine pacis » (dans la beauté de la paix) est d’ailleurs tout un programme d’action.

Je voudrais, à ce sujet, vous dire que nous, Français, nous partageons avec votre Béatitude quelques convictions essentielles : d’abord que l’on ne peut résoudre les conflits par la violence, qu’il ne peut y avoir de paix sans justice, que la grandeur des hommes est de vivre ensemble dans la concorde et la fraternité. De même, je sais que vous aimez évoquer la nécessaire solution de la question de Jérusalem. Nous en avons parlé à l’instant, et vous avez une formule que j’ai lue : une ville, deux peuples, trois religions. Je puis vous dire, Monseigneur, que notre attachement à Jérusalem est pour nous une constante de notre politique et que nous souhaitons qu’une solution respectueuse de toutes les parties et garantissant les droits de toutes les religions soit trouvée pour l’avenir de la Ville sainte. Naturellement, nous y travaillerons. Nous y apporterons, avec d’autres, notre contribution.

Permettez-moi, enfin, un dernier mot. Nous savons, Monseigneur, que vous aimez la France où vous avez séjourné. C’est même à Paris, à la Sorbonne, université de Saint-Albert le Grand et Saint-Thomas d’Aquin, que vous êtes allée chercher votre doctorat en philologie arabe. Nous savon que vous êtes un avocat de notre langue et je voudrais vous en remercier du fond du cœur.

Voilà les raisons qui font que j’éprouve beaucoup de plaisir à vous remettre cette décoration qui vous a été attribuée par le Président de la République.

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