Texte intégral
Q. - Je voudrais attirer votre attention sur le développement et la pérennité du programme Rafale, sujet qui a, d'ores et déjà, suscité de nombreuses questions. Un fait est bien connu : conçu à partir des avant-projets d'avions futurs étudiés chez Dassault depuis 1978, le programme Rafale a été officiellement lancé il y a 10 ans, après l'envol au démonstrateur Rafale deux ans auparavant. Techniquement, la réussite de cet avion a été totale. Elle a démontré de manière éclatante que les technologies nouvelles et les concept novateurs de pilotage et de navigation pouvaient être maîtrisés avec une efficacité et une dynamique que nous envient nos concurrents et sans que soit sacrifiée la maîtrise des coûts de développement.
Ces efforts et ces résultats n'ont de sens que si un programme de production est lancé. Ils n'ont de sens pour notre pays qu'éventuellement rapportés à l'exportation. Or, de révision budgétaire en révision budgétaire, quels que soient les gouvernements, ce programme a été largement étalé dans le temps. Alors que le programme initial de 1990 prévoyait la sortie de 36 Rafale avant l'an 2000, le programme réactualisé ne prévoit plus aujourd'hui que deux appareils d'ici à l'an 2000 sur un total de 11 avions à produire d'ici à la fin 2003. Pour des raisons budgétaires, les phases de développement et d'industrialisation ont également subi d'importants retards fortement préjudiciables à notre avance technologique vis-à-vis d'une concurrence qui n'est pas restée inactive. Pour les élus du département de la Gironde et de la région Aquitaine où se trouvent notamment les usines productrices, l'absence de définition et de financement du standard air-sol - lequel répond aux besoins de l'armée de l'air et doit servir de base technique de référence pour la version export que Dassault-Aviation veut développer - est particulièrement préoccupante.
Il est urgent de lancer ce développement si nous voulons être crédibles sur le marché de l'exportation qui commence à douter de la poursuite du programme du Rafale, ce qui conforte la position de nos concurrents. Comment vendre des appareils français à l'étranger, alors que l'armée française ne commande pas une flotte d'avions satisfaisante ?
Je comprends dans une certaine mesure que vous n'ayez pas voulu répondre aux questions suscitées par une information publiée dans Les Échos. Selon cette parution, le gouvernement a décidé de passer commande de 28 avions de combat Rafale pour 103 millions de francs, commande assortie d'une option sur 20 autres appareils pour 5,5 millions de francs. Toujours selon Les Échos, sur les 28 avions qui seraient commandés, 21 le seraient dans la version air et 7 dans la version marine.
Monsieur le ministre, je n'avais pas connaissance de cette information lorsque j'ai rédigé cette question. Le fait d'en disposer aujourd'hui renforce mes interrogations : d'une part, quelles sont les intentions de gouvernement en dehors des deux avions qui seront livrés en 1999 ? D'autres part, quelles sont ses intentions par rapport quant aux commandes françaises et au lancement de ces séries qui nous sont indispensables pour assurer l'exportation de nos avions dans les pays qui en sont fortement demandeurs ?
R. - Votre question repose sur votre excellente connaissance des grands dossiers technologiques et témoigne bien évidemment de votre fonction de représentant vigilant de la Gironde. Vous n'ignorez cependant pas qu'il existe de grands établissements Dassault dans le Val-d'Oise, ce qui contribue à expliquer la présence de mon ancien collègue et ami M. Bernard Angels, qui m'a remplacé sur ces travées.
Comme vous l'avez rappelé, Monsieur sénateur, le programme Rafale constitue un enjeu important pour notre industrie et pour notre défense. Il est au centre des futures capacités opérationnelles de l'armée de l'air, d'une part, et de l'aéronavale, d'autre part. Par ailleurs, en matière industrielle, il représente l'un des point d'appui de notre développement à venir en ce qui concerne tant les techniques d'aéronautique militaire que l'électronique de défense.
À la différence des divers reports que vous avez rappelé pour les déplorer, la revue des programmes engagés par mon ministère à la suite, il est vrai, de coupes budgétaires que nous avions dû consentir l'été dernier pour le budget de 1998 nous a amenés à mettre en cohérence les objectifs opérationnels de la loi de programmation et nos capacités budgétaires.
Avec l'assentiment du chef de l'État, le Premier ministre a annoncé, au début du mois d'avril dernier, un certain nombre de décisions destinées à assurer la reprise de la continuité de la loi de programmation militaire ; il s'agit d'organiser 20 milliards de francs d'économies sur les 340 milliards de francs environ de dépenses programmées dans cette loi. Cette dernière inclut, de surcroît, 20 milliards de francs supplémentaires d'économies au-delà du terme de 2002.
Dans cet objectif de clarification et de stabilisation, les décisions du gouvernement reprécisent les perspectives du programme Rafale. Nous avons tout d'abord choisi de poursuivre le développement du programme Rafale dans ses versions air-air et air-sol. J'ai donc décidé, le 23 juillet dernier, de relancer les travaux de développement du standard dit F 2 qui correspond à la version que nous voulons mettre en service en 2004 auprès de l'aéronavale comme auprès de l'armée de l'air ; c'est une version air-sol qui sera alors la plus moderne. La délégation générale pour l'armement a reçu au début du mois d'août des instructions pour mettre au point ce contrat de développement avant la fin de l'année 1998 et pour le notifier aux principaux industriels participant au programme Rafale - Dassault n'est que le chef de fil - que sont Dassault, Matra Bae Dynamics et Thomson.
Prise à l'issue de la revue des programmes, l'autre décision, qui concerne la commande des appareils de série, est maintenant en cours d'application. Cela vous explique la distance que j'ai prise vis-à-vis de l'annonce faite dans Les Échos, au début de septembre.
J'ai rappelé à cette occasion qu'un journaliste avait publié la mort de Victor Hugo en 1877 tombe et ne l' avait jamais démentie, ce qui, quand Victor Hugo est effectivement mort lui a permis de titrer : « Nous avons été les premiers à annoncer le décès du grand poète ». Les Échos ont fait un peu de même ! Il m'était impossible de démentir puisque nous allons effectivement souscrire ce contrat. Mais la date annoncée n'était pas la bonne.
Au cours de mon audition, au début du mois dernier, par la commission des affaires étrangères et de la défense de cette Haute Assemblée, j'ai précisé que nous avions bien l'intention de passer une commande globale et que le chiffre de 48 appareils correspondait à notre objectif pour cette première commande globale. Cette dernière sera passée dès que les modalités techniques et financières auront été acquises et arrêtées - à l'issue des discussions entre l'administration et les industriels. Nous sommes en bonne voie pour y parvenir. La réunion à laquelle je vais participer tout à l'heure avec mon collègue M. Dominique Strauss-Kahn, nous aidera à progresser encore vers la mise au point de cette commande.
Ces deux décisions vont donc permettre, dès 2004 - ce n'est pas demain, mais tel est le rythme lorsque ces grands programmes ne subissent pas de retard - d'équiper l'aéronavale et l'armée de l'air avec des appareils qui seront les plus modernes en service : ils pourront effectuer des missions aussi bien de défense aérienne que d'attaque au sol. L'un des points forts du programme Rafale est sa très grande polyvalence. Nous pensons ainsi disposer d'un premier escadron complet de l'armée de l'air en 2005. L'officialisation de cette commande, que je crois maintenant proche, donnera en effet aux industriels de meilleures opportunités pour défendre ce programme à l'exportation, en s'appuyant, par ailleurs, sur ces très grandes qualités techniques et opérationnelles. Nous nous situons dans la phase de redémarrage effectif du programme Rafale qui, c'est vrai, a nécessité une véritable « reconstruction » à la suite des décisions d'étalement survenues en 1996 et qui lui ont porté tort.