Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, dans "Libération" le 3 décembre 1998, sur la possibilité de renverser les quatre présidents de régions alliés au FN grâce à une alliance entre le PS et la droite.

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Q - Vous avez appelé le RPR et l'UDF a voté avec la gauche pour repousser les budgets des quatre présidents de régions alliés avec le FN. Etes-vous satisfait des réponses que vous avez reçu ?

L'appel que j'ai lancé est détaché de tout esprit polémique. J'ai simplement voulu trouver une issue à une situation qui blesse d'abord la République, qui handicape la droite républicaine et qui prive la gauche de responsabilités qui lui reviennent électoralement. Or la loi actuelle permet de repousser les budgets présentés par ces quatre « présidents ». La droite républicaine détiens les clefs. Si elle veut, les alliés du FN peuvent être mis en minorité et ainsi contraints à la démission. Je n'ai pour l'instant pas reçu de réponse, ni dans un sens, ni dans l'autre. J'en déduis donc qu'à droite, même si Philippe Séguin a parlé d'or lorsqu'il a qualifié le FN de « honteuse exception française », c'est pour l'instant le temps de la réflexion. Mais je ne perds pas espoir...

Q - Plusieurs responsables de droite ont refusé votre proposition parce qu'ils craignent que la confusion droite-gauche ne favorise le FN...

Notre appel est clair : il ne s'agit pas de bâtir une alliance contre nature ou de proposer une gestion en commun des exécutifs régionaux. Les socialistes sont conscients des risques de confusion. Ainsi, lorsque nous avons laissé l'UDF Jean-François Humbert à la tête de la région Franche-Comté, nous aurions pu demander des postes dans l'exécutif puisque gauche et droite avaient exactement le même nombre d'élus. Nous avons préféré laisser la droite assumer l'ensemble des responsabilités, pour éviter de constituer je ne sais quelle « Sainte-Alliance » contre l'extrême droite. Aujourd'hui, nous faisons un geste supplémentaire puisque les élus socialistes de Rhône-Alpes sont prêts à soutenir une candidature émanant des rangs de la droite républicaine à la place de Millon. Dans les trois autres régions, en revanche, Bourgogne, Languedoc-Roussillon et Picardie, la gauche plurielle est arrivée en tête et a donc vocation à les diriger. Souvenons nous que, pendant la campagne, il était affirmé par les uns comme par les autres que c'était la liste qui avait obtenu la majorité relative des sièges qui avait légitimité à gouverner.

Q - Faire chuter Millon, c'est pour vous un symbole ?

Charles Millon est le symbole d'une droite qui accueille son extrême, mais c'est aussi celui qui, si le RPR et l'UDF en décident, peut être remplacé par un élu émanant de leurs rangs. Ils ne devraient donc avoir aucun scrupule à le renverser.

Q - Et s'il ne le font pas ?

Cela voudra dire que le RPR et l'UDF s'accommodent, qu'ils s'habituent à la pérennisation de cette situation, c'est-à-dire l'alliance avec le FN. Nous aurons été jusqu'au bout de la clarification, nous ne pouvons aller plus loin sans le concours d'autres forces politiques. S'il nous est refusé, les citoyens jugeront.

Q - Vous seriez sûr d'obtenir gain de cause si vous abandonniez à la droite les quatre présidences de région ?

Ce serait une grave entorse au choix des électeurs puisqu'il était convenu par la gauche comme par la droite que ceux qui disposeraient de la majorité relative dans les conseils régionaux prendraient la responsabilité des exécutifs.

Q - En Rhône-Alpes, même si la droite répond favorablement à votre proposition, le PCF, lui, n'entend pas s'y associer ?

L'attitude du parti communiste en Rhône-Alpes est différente de la nôtre. Il estime, pour le moment, qu'il n'a pas à voter pour un président de droite. Nous, nous privilégions l'objectif de la lutte contre les compromissions avec l'extrême droite à toute autre considération. Il sera difficile pour le parti communiste, si l'hypothèse se confirme, de ne pas s'y rallier.

Q - Si ces quatre présidents sont toujours en place après le vote des budgets, changerez-vous votre stratégie d'opposition systématique ?

Notre attitude a eu pour objet de mettre au clair la nature de l'alliance conclue entre la droite et le FN dans ces quatre régions et de démontrer qu'il n'y avait pas de majorité dès lors que le FN était défaillant. Cette stratégie a conduit ces quatre « présidents » à assumer la gravité de leurs actes et à avouer qu'ils avaient en effet « levé le tabou ». Nous avons donc à clarifier le débat public. Si, aujourd'hui, le RPR et l'UDF refusent de faire tomber ces présidents, la droite aura légitimé, par sa pusillanimité et sa frilosité, des accords avec l'extrême droite à l'occasion d'autres élections, notamment municipales. Voilà pourquoi le vote du budget constitue l'épreuve de vérité. Le PS adaptera sa tactique à la nouvelle situation ainsi créée. Et nous pourrons le faire d'autant mieux que chacun aura compris qui a voulu quoi.

Q - Est-ce que ce ne serait pas la situation la plus confortable pour le PS ?

Si le PS n'avait cherché que son propre confort, il aurait pu continuer à diaboliser les alliances avec le FN sans chercher à y mettre un terme. C'est l'intérêt de la droite républicaine que de se débarrasser aujourd'hui de ceux des siens qui laissent le FN mener le bal dans quatre régions de ce pays.