Texte intégral
Date : 28 mai 1997
Source : La Croix
La Croix : Alain Juppé a annoncé, lundi, qu’il ne serait plus le chef du gouvernement après le second tour. Comment réagissez-vous ?
Jacques Barrot : Ce geste volontaire, confirme le sens de l’État du Premier ministre. Il démontre que l’équipe présidentielle a reçu le message des électeurs. Le président en portera témoignage. Mais on constatera, avec le recul, la qualité des fondations posées par Alain Juppé.
La dissolution avait des justifications solides, mais nous ne l’avons pas suffisamment expliquée. La majorité, en l’emportant, aura le temps devant elle. Elle pourra tirer tous les enseignements de cette campagne électorale pour mieux s’adapter aux attentes des Français.
La Croix : Quel premier bilan dressez-vous de ces deux années de gouvernement ?
Jacques Barrot : Toute une série de démarches nouvelles ont été lancée : le débat au Parlement sur la loi annuelle de financement de la Sécurité sociale, la nouvelle stratégie pour l’emploi en créant des conditions plus favorables aux entreprises. Enfin, la loi de cohésion sociale, imaginative et novatrice.
Le gouvernement a, par ailleurs, ouvert de nombreux dossiers : la substitution de la CSG aux cotisations salariales, la réforme de l’impôt sur le revenu. Ce sont des avancées qu’il faudra prolonger.
La Croix : Quelles première leçon tirez-vous de l’avertissement lancé par les électeurs lors du premier tour ?
Jacques Barrot : Si le cap est bon une France plus dynamique et en même temps plus solidaire , la manière d’y parvenir peut-être améliorée par un souci de proximité, de pédagogie et de dialogue.
La Croix : Gouverner autrement, écouter autrement ?
Jacques Barrot : Oui. Une attente s’est exprimée. Elle me confirme dans quelques intuitions qui se sont imposées à moi depuis que je suis au ministère des affaires sociales. Le changement ne peut pas être réussi s’il est perçu comme venant exclusivement d’en haut. Il faut que les acteurs, les Français, se l’approprient eux-mêmes. Cela suppose une pédagogie initiale. Il faut être plus modeste dans les annonces et beaucoup plus vigilant dans l’application. Ce n’est pas un hasard si tous les pouvoirs centraux se trouvent remis en cause régulièrement. En diffusant le changement, en lui donnant les relais sur le terrain, on peut aller plus loin sans créer de crispations sociales ou de refus politiques qui font, en grande partie, le succès du Front national.
La Croix : Quelles sont les clés du succès de la majorité au second tour ?
Jacques Barrot : Il faut libérer les initiatives en s’appuyant sur un État efficace et discret qui doit apporter la stabilité et la sécurité. Il y a vraiment une voie française qu’il faut trouver, garantissant plus de sécurité dans les trois grands champs d’inquiétude. La maladie, la vieillesse, c’est la Sécurité sociale. L’ignorance, c’est la formation tout au cours de la vie. L’inactivité, ce sont les activités d’insertion et les contrats initiative emplois.
La Croix : La campagne de la droite est restée discrète sur ces points…
Jacques Barrot : La majorité n’a pas assez pris conscience de ses acquis et de ses atouts. Elle a été trop timorée. Elle ne les a pas mis en valeur. Les questions de société n’ont pas eu leur place dans la campagne, occultées par le débat strictement politique. C’est sans doute la cause de la dispersion des voix et de l’abstention. Les réunions du second tour dans mon département, la Haute-Loire, sont des rencontres sans discours pour répondre précisément aux questions des gens.
La Croix : Que répondez-vous quand on vous interroge sur le déficit prévisible de la Sécurité sociale dont vous avez la charge ?
Jacques Barrot : Entre 1988 et 1992, il avoisinait 6 % par an. Nous l’avons réduit à 2,6% en 1996 et nous espérons 2 % cette année. Cela marque une décrue significative de la dépense. Pas suffisante, mais qui permet d’approcher un équilibre durable et d’ouvrir un horizon plus dégagé. Nous avons inversé la tendance et forgé les outils d’une meilleure gestion. Cela garantit l’avenir.
Date : 28 mai 1997
Source : Le Figaro
Une « molle indifférence » succède parfois « à l’ardeur de la vie et au souffle de l’initiative ».
« C’est alors, écrit Hegel, que l’activité du peuple n’est plus stimulée : l’âme substantielle du pays n’est plus active. Son action n’a plus qu’un intérêt lointain avec ses plus hauts intérêts. Il tombe dans la routine où Il n’y a plus de place pour la vitalité.
Ce poison subtil et secret qui annihile l’esprit d’entreprise, qui bride tout désir d’initiative, la France n’y succombera pas ! Mais elle pourrait être tentée de renoncer à ce qui fait sa vitalité. Une peur bleue de l’avenir, la crainte des changements dans le train du monde et la séduction amère d’un repli sur soi sont parfois là pour nous rappeler que nous balançons entre deux voies : celle de l’élan créateur, de l’investissement, de l’énergie constructive, et celle, au contraire, de la langueur et de l’essoufflement.
Un examen attentif de son programme économique et social montre que le Parti socialiste n’est pas Insensible à cette deuxième tentation. L’accent mis sur l’emploi public en faveur des jeunes, sur la relance de la consommation, les deux pivots de sa vision économique, trahissent une disposition d’esprit inquiétante. Réduire de manière autoritaire et uniforme le temps de travail, tout miser sur la seule hausse du pouvoir d’achat, renouer avec l’expansion du secteur public ; cela ressemble fort à une politique de défense passive. Un peu comme si les Français étaient appelés à regagner leurs abris. C’est le choix d’une France qui préférerait la quiétude de ses pénates à l’élan des réformes et au goût d’agir.
Un PS hésitant
Qui croira que la France, inspirée par les stratèges socialistes pourra s’exonérer des exigences d’une concurrence mondiale qu’elle devra d’autant plus subir qu’elle aurait feint de l’ignorer ? Les socialistes français ont pourtant été négociateurs et signataires du traité de l’union économique et monétaire.
Mais les voilà aujourd’hui encore saisis par le doute et tentés, sous des prétextes plus ou moins spécieux, d’ajouter de nouvelles conditions pour le passage à la monnaie unique.
Devant le cap européen, le Parti socialiste hésite et oppose un « oui, mais » anxieux, suspicieux. Tout cela donne le sentiment d’une France peu sûre d’elle-même, incertaine dans sa capacité de convaincre ses partenaires. Cette France-là préfère atténuer les exigences de l’union économique plutôt que de la rendre plus attractive, en l’éclairant par une vision plus complète de toutes ses dimensions.
Il ne s’agit pas d’être caricatural, d’opposer le programme du PS à celui de le majorité en disant du premier qu’il se recroqueville à l’abri de la modernité et du second qu’il épouse seul le mouvement de l’Histoire. Mais une vision forte s’impose.
Le monde vit une période de changements accélérés. La révolution technologique, l’arrivée de nouveaux pays entreprenants et décidés dans le commerce international, nous interdisent de nous reposer sur nos lauriers.
Il ne s’agit ni de céder à la tentation du statu quo, ni pour autant de copier servilement d’autres sociétés où, sous prétexte de flexibilité et de compétitivité, on en est arrivé à rechercher des résultats si rapides qu’ils sont porteurs de toutes les précarités à venir.
Passionner notre jeunesse en jetant des ponts plus nombreux entre le monde de l’entreprise et de l’université, en lui ouvrant les portes de la recherche, de l’innovation.
Réorganiser les entreprises pour gagner la bataille du temps : un temps optimisé à la fois pour l’entreprise par l’usage prolongé des équipements, et pour les travailleurs assurés de meilleures conditions de travail.
Tenir le cap d’une gestion beaucoup plus économe de la sphère publique et libérer l’épargne en vue d’investir pour l’avenir.
Tout cela doit se faire dans la perspective d’une Europe politiquement orientée vers le développement. Plutôt que de ratiociner sur la lecture des critères de Maastricht, mieux vaut solliciter de nos partenaires l’affirmation d’une ambition européenne, économique et sociale, d’un modèle de société originale, où l’efficacité des hommes tient plus à leur motivation et à leur formation qu’à une mise sous pression, fruit d’une concurrence sauvage encore accrue par les excès d’une dérégulation idéologique.
Choisir l’avenir
Cela s’appelle passer à l’offensive. Sortir des discours passéistes d’une gauche socialiste française à la remorque de sa clientèle traditionnelle. Mais sortir aussi de certains discours parfois lénifiants d’une majorité qui se doit, aujourd’hui, de parler de demain.
Car le changement est déjà engagé. Premier allègement des prélèvements en priorité sur les revenus du travail. Développement d’une vraie négociation sociale au cœur de nos entreprises. Partage et clarification des responsabilités dans la gestion de le Sécurité sociale. Stratégie économique globale pour l’emploi, délaissant les mirages du traitement social ou statistique du chômage... Voilà déjà un nouveau paysage français qui s’esquisse, traitant le travail non plus comme un bien rare à partager, voire à rationner, mais, comme une force multiplicatrice.
Voilà comment ne pas être disqualifié dans le tournoi économique des nations.
Voilà comment se donner les moyens d’influencer en profondeur un modèle européen que la France peut inspirer, si elle le veut.
Encore faut-il que les Français, au lieu de regarder en arrière comme pour faire durer un monde qui a été le nôtre, saisissent l’occasion d’un nouvel élan, c’est-à-dire, choisissent l’avenir.
Date : 31 mai 1997
Source : Le Monde
À un ami indécis
Tu fais partie de ces Français qui sont toujours restés réfractaires à un débat trop manichéen. Je sais que je n’ai aucune chance de te convaincre en agitant des épouvantails et en te démontrant que les autres ont moins bien réussi que nous quand ils étaient au pouvoir il n’y a pas si longtemps, d’ailleurs.
Tu as vu la majorité à l’œuvre. Il s’en faut de beaucoup qu’elle ait répondu à toutes tes attentes. Et si tu n’es pas content de nous, tu n’es pas dupe non plus du programme socialiste... au point que tu te prends parfois à rêver d’une impossible union nationale qui permettrait aux hommes de bonne volonté de se retrousser les manches ensemble, et de cesser de se renvoyer à la figure de faux arguments.
Mais attention aux confusions ! Notre démocratie a besoin de choix clairs. La France ne peut pas céder aujourd’hui à la tentation de l’unanimisme. Le débat droite-gauche est au cœur de notre tradition républicaine et démocratique. Il ouvre des alternatives respectables parce que respectueuses de nos valeurs fondamentales. Ce n’est pas le moment de lui substituer une confrontation entre une démocratie ramollie par la recherche du consensus à tout prix et une extrême droite prompte à capter l’angoisse d’une partie de la population.
Le Parti socialiste a fait des promesses irréalistes qui ne résisteraient pas à l’épreuve du pouvoir. Mais au bout de combien de temps et après quels dégâts s’en affranchirait-il, sous le regard sourcilleux de l’inévitable allié communiste, posté en sentinelle ? On ne peut imposer aux entreprises des contraintes qui les pénalisent face à une concurrence de plus en plus vive et espérer dans le même temps créer des emplois durables. Comment la France pourrait-elle se faire de nouvelles forces avec de si vieilles recettes ? Les 35 heures, par exemple, étaient déjà dans les 110 propositions du candidat Mitterrand en 1981. Seize ans ont passé, et l’on dirait que personne ne s’en souvient ! Pour qui souhaite un débat objectif et responsable, cette conspiration du silence est inacceptable.
Et lorsque, pour tenir compte des réalités, un gouvernement de gauche serait conduit dans trois mois ? six mois ? un an ? à obliquer et à reprendre un meilleur cap (il le ferait tôt ou tard, je lui en fais crédit), où en serait l’emploi ? L’investissement ? L’Europe ? Et quelle déception, encore une fois, pour ceux qui croient à la politique et qui auraient adhéré aux promesses socialistes ! Qui peut dire où nous conduirait alors une nouvelle montée du scepticisme ? Une fois de plus, les hommes au pouvoir seraient accusés de cynisme, et tu sais bien, cher ami indécis, qui en empocherait les dividendes ! Le Front national ne s’y trompe pas, qui paraît miser sur la victoire de la gauche pour accroître la confusion.
Pardonne ma vivacité, mais j’ai tant à cœur la réussite de notre pays ! Je ne peux pas croire qu’il accepte sans inventaire les propositions socialistes. L’économie ne crée pas assez d’emplois ? Faisons de la place en travaillant moins sans diminution de salaire, les entreprises se débrouilleront pour payer, quitte à sacrifier un peu de leurs chances de développement. Et demandons à l’État de subventionner l’embauche et de créer des emplois semi-publics ! Avec quel argent et quels prélèvements nouveaux ? La question est sans doute impertinente... elle restera sans réponse.
La croissance n’est pas assez forte ? Augmentons les salaires, le regain de la consommation s’amplifiera et les entreprises en profiteront... Mais, cela va sans dire, surtout les entreprises étrangères, dont les coûts de production n’auront pas été alourdis par les nouvelles charges salariales !
La France a du mal à honorer ses engagements en Europe ? La solution est simple, comment ne pas y avoir pensé plus tôt : Renégocions ! Mais, cher ami indécis, va-ton réellement te faire croire qu’on peut aujourd’hui obtenir sans concessions des conditions idéales pour l’entrée dans l’union économique et monétaire ? Il y a des limites à la méthode Coué : un traité se conclut avec des partenaires, et si nous devons, bien sûr, imprimer la marque de la France pour que l’union se fasse dans l’intérêt de l’emploi, nous ne pourrons obtenir de sacrifices de la part de nos grands alliés au prix de la politique du moindre effort en France. Et que se passera-t-il si l’union ne se fait pas ? Où puiserons-nous la force pour relever seuls les défis de la mondialisation ?
Quand on appuie successivement sur les touches du piano pour jouer la partition socialiste, on entend une douce mélodie, certes !
Mais comment retrouver le bon cap, le seul possible, celui de la réforme et de l’adaptation du pays, dans le respect des solidarités essentielles, quand on ne cherche qu’à charmer l’oreille des Français en tentant de leur faire croire que tout est possible ? L’expérience prouve qu’on ne s’affranchit pas du jour au lendemain d’un discours construit pour rassurer et pour flatter. Cher ami indécis, prends le temps de la réflexion, mais fais ton choix en toute connaissance de cause ! Je te fais confiance.