Extraits de l'interview de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, à RTL le 2 février 1999, sur la polémique concernant ses propositions de lutte contre la délinquance, sa conception de l'Europe et la préparation des élections européennes.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Question
«  Y a-t-il un “cas” Chevènement au sein du gouvernement ?

Jean-Pierre Chevènement
- Il y a une campagne qui est menée. Ce n’est pas moi seulement qu’elle vise, c’est le premier ministre. À partir du moment où il a affirmé certaines orientations politiques qui déplaisaient, on a voulu enfoncer un coin entre lui et moi, en utilisant tous les moyens, en se basant sur des faits qui n’ont pas existé, des propos que je n’ai pas tenus ou qu’on a interprétés autrement, c’est-à-dire sur une base vraiment inexistante. Alors, je vais vous répondre très gentiment : j’ai résisté au curare, je résisterai à la calomnie.

Question
- D’où vient cette campagne ?

Jean-Pierre Chevènement
- Il y a, d’une part, un débat, normal, sur la sécurité : donc, on va dépeindre le ministre de l’Intérieur en Père Fouettard, et la ministre de la Justice sera, en quelque sorte, l’institutrice de l’école maternelle ou la gardienne d’une crèche. Dans la réalité, mes propositions pour faire face à la délinquance – faites au Premier ministre, à sa demande – portaient aussi bien sur le domaine de ma compétence que sur des domaines partagés, comme la délinquance des mineurs.
» D’autre part, il y a des gens qui ne sont pas d’accord avec moi. J’observe que le Premier ministre, à l’occasion de ses vœux, a déclaré qu’il est attaché à l’exception française, étant bien entendu que si exception française signifie une certaine arrogance, des rigidités, des archaïsmes, “alors, soyez assuré de ma détermination à les remettre en cause”, déclarait-il ; mais, en même temps, il souhaite que l’État soit le garant de l’égalité et de la solidarité entre citoyens, dans une nation fière de son histoire et qui refuse de se dissoudre.
» Il ajoutait : “Un État ferme est le garant d’une régulation indispensable à l’efficacité du marché.” Il y a, d’un côté, les tenants du libéralisme sans contrôle et d’une vision post-nationale de l’histoire des sociétés européennes ; de l’autre côté, une conception qui refuse de renvoyer la nation aux magasins de l’histoire. Je considère que la nation reste un cadre irremplaçable pour l’expression de la démocratique, qu’elle est le lieu des réformes, le lieu des solidarités, de la cohésion sociale. La nation française se définit par son identité républicaine, c’est-à-dire par une certaine articulation entre ce qu’est une réalité concrète, de soixante millions d’habitants, et des valeurs universelles. Je crois qu’elle est une articulation indispensable entre le particulier – l’enracinement, pour tout dire – et l’universel. Abandonner le terrain de la nation à l’extrême droite, ce n’est pas rendre service à la démocratie.

Question
- Ce débat traverse-t-il, aujourd’hui, la gauche ?

Jean-Pierre Chevènement
- Il y a une sensibilité républicaine, taxée de manière abusive de jacobine, et puis il y a une sensibilité libérale, qui est en partie girondine ou qui procède d’une évolution qui a porté certaines couches sociales de la droite vers la gauche. Il y a aussi un fond chrétien de catholicisme social, très présent au sein de la gauche et avec lequel on peut avoir un dialogue tout à fait fructueux. Moi-même, héritier de la tradition laïque de la gauche française, je peux avoir un dialogue tout à fait constructif avec les descendants du catholicisme social

Question
- Redoutez-vous une Europe construite à l’allemande, s’appuyant sur les régions plus que sur l’État ? Est-ce l’une des raisons pour lesquelles vous manifestez de l’aigreur à l’égard de Daniel Cohn-Bendit et des Verts ?

Jean-Pierre Chevènement
- L’Allemagne est en train d’évoluer. Grâce à l’avènement de la gauche allemande au pouvoir, un projet de loi va être débattu, tout à fait fondamental, portant sur une question qui touche à l’identité allemande elle-même : c’est l’instauration du droit du sol. L’Allemagne va rejoindre la France et la Grande-Bretagne dans l’idée qu’elle se fait d’elle-même en tant que nation. Elle vient à une conception citoyenne, selon laquelle tous les citoyens, quelle que soit leur origine, ont les mêmes droits.

question
- Allez-vous participer aux élections européennes et comment ?

Jean-Pierre Chevènement
- Je crois que l’idée d’une Europe fédérale est derrière nous, parce que plus l’Europe s’étend vers l’est – et elle s’étendra vers l’est –, plus elle perdra en consistance. Donc, je crois à quelque chose qui est plus une confédération, mais moins qu’une fédération, un objet politique non identifié, sur lequel il faut réfléchir. Je crois aux coopérations renforcées, par exemple, entre la France et l’Allemagne, même s’il y a actuellement quelques malentendus. Je crois à la vertu fondamentale de ce dialogue entre la France et l’Allemagne, dès lors qu’il est mené avec franchise et au niveau des sociétés, avec les gens qui comptent, sans le laisser confisquer par quelques-uns, qui en font un objet idéologique.

Question
- Allez-vous vous parler à l’occasion de ces élections ?

Jean-Pierre Chevènement
- L’arrivée d’une tête de liste choisie en dehors des Verts français est de nature à faire avancer, disons-le, les idées libérales. Comment réagir à cela ? Le Mouvement des citoyens et moi-même avions proposé une liste large : Parti socialiste, Parti communiste, Mouvement des citoyens et Parti radical de gauche. Cela aurait été l’occasion de montrer que la gauche a un projet rassembleur, clair, sérieux, à côté d’une agitation dont on peut penser ce qu’on veut.
» Cette proposition a été écartée par le Parti communiste. Je le regrette. Il reste trois possibilités : ou bien nous nous allions avec le Parti communiste, mais je dois dire que c’est mal parti ; ou bien c’est une alliance avec le Parti socialiste et les radicaux de gauche, le Parti socialiste étant notre interlocuteur privilégié ; et puis, il y a une autre hypothèse, c’est qu’il y ait une liste de la gauche républicaine, structurée par le Mouvement des citoyens. Nous allons en débattre au congrès du Mouvement des citoyens, le prochain week-end, et la décision sera prise avant Pâques. »