Interviews de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, dans "Okaz" du 31 mai 1997 et dans "Al Hayat" du 1er juin, sur les relations franco-saoudiennes, la situation au Moyen-Orient et la stagnation du processus de paix au Proche-Orient.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage de M. de Charette en Arabie Saoudite le 31 mai 1997 et au Liban le 1er juin

Média : Al Hayat - Okaz

Texte intégral

Entretien avec le quotidien saoudien « Okaz » - (Djeddah, 31 mai 1997)

Okaz : Excellence, comment évaluez-vous le niveau des relations saoudo-françaises ?

Hervé de Charette : Les relations franco-saoudiennes ont dans l'ensemble toujours été confiantes et de qualité mais elles connaissent aujourd'hui un nouvel élan. Nous sommes en effet entrés, depuis la visite du Président de la République à Djeddah, en juillet 1996, dans une phase ascendante, très prometteuse. Les faits parlent d'eux-mêmes. La visite à Paris du Prince Sultan, les 5 et 6 mars dernier, a été un grand succès tout comme celle que vient d'effectuer le Prince Salman, gouverneur de Riyad. Les 11 et 12 mai, le secrétaire général à l'occasion d'un déplacement, certes moins « médiatisé », s'est rendu à Riyad dans le cadre des consultations régulières avec son homologue Mamun Kurdi, vice-ministre des affaires étrangères. Vous savez qu'il existe de longue date une tradition d'échanges et de concertation entre la France et le royaume mais ces rencontres, quasi-permanentes, à haut niveau sont sans précédent. Elles ont permis, et j'y reviendrai, de confirmer la convergence de vues entre nos deux pays sur les grandes questions régionales et internationales.

Dans le domaine économique, la France et l'Arabie sont l'une pour l'autre des partenaires importants. Nos relations se développent. Toutefois des progrès restent à accomplir pour que nos relations économiques soient à la hauteur de nos relations politiques. La France, qui est le quatrième exportateur mondial, incite ses entreprises à être plus actives sur un marché saoudien dynamique et en pleine transformation mais souvent méconnu. Nous souhaitons que les sociétés françaises puissent participer davantage à l'effort d'expansion de l'Arabie Saoudite et aux grands projets civils d'équipement, comme elles l’ont fait dans le passé. Elles ont tous les atouts technologiques et humains pour y prétendre. Nous les mobilisons. Un examen commun approfondi de nos relations économiques est d'ailleurs en cours, comme l'ont voulu le président de la République et le Roi Fahd, gardien des Deux Saintes Mosquées. Les groupes de travail bilatéraux, formés dans ce but, se sont mis à l'ouvrage en décembre dernier.

Okaz : Quelle impulsion sur les plan politique et économique la visite du Prince Sultan en France a-t-elle donné aux relations bilatérales ?

Hervé de Charette : La visite du Prince Sultan a illustré l'excellente qualité des relations entre la France et le Royaume. Les entretiens que le Prince a eus avec le président de la République, le Premier ministre et le ministre de la Défense ont été très constructifs. Il était particulièrement important pour la France de recevoir l'envoyé du Roi Fahd et du Prince héritier mais aussi l'artisan, depuis plus de 20 ans, d'une coopération étroite avec la France dans le domaine sensible de la défense, coopération stratégique qui traduit la grande confiance du Royaume à notre égard. Cette visite a permis de confirmer la détermination des deux pays à renforcer leurs relations dans tous les domaines dans le cadre d'un véritable partenariat englobant les volets politique, économique et de sécurité. Elle a aussi resserré les liens entre leurs dirigeants.

Okaz : Quelle est la position de la France dans le contexte actuel que traverse le processus de paix au Proche-Orient ?

Hervé de Charette : Cette crise est extrêmement grave pour trois raisons : d'abord parce que le sang a coulé, ensuite parce que la distance entre palestiniens et israéliens n'a jamais été aussi grande et que la confiance a disparu. Enfin, parce que l'on constate que l'on se détache des deux côtés du processus de paix. C'est très inquiétant et nous ne pouvons pas laisser les choses se passer ainsi. C'est pourquoi, à l'initiative de la France, l'Union européenne a soumis un ensemble de dix propositions afin de relancer le dialogue et la mise en œuvre des accords. Elle l'a proposé aux Etats-Unis parce qu'il est souhaitable d'agir avec eux. Les parties connaissent nos propositions. Nous espérons qu'elles les examineront très soigneusement. Nous devons unir nos efforts pour relancer la logique de la paix. Nous sommes très conscients du rôle important que l'Arabie Saoudite peut jouer en particulier grâce à l'étroite concertation qu'elle entretient avec ses partenaires égyptiens et syriens.

Okaz : Quel est le bilan de la visite du Prince Salman ?

Hervé de Charette : Tout d'abord cette visite, comme celle du Prince Sultan, s'est déroulée dans un climat de grande amitié. Le Prince Salman, que j'ai été très heureux de rencontrer longuement, est venu à l'invitation du Maire de Paris, en ami de la France et en ami du président de la République. L'entretien que j'ai eu avec lui a permis de confronter nos idées et nos points de vue et j'ai pu constater, une fois de plus, qu'il existait une large convergence d'approche s'agissant de l'Iran, de l’Irak, de la Bosnie ou encore du processus de paix qui, comme je viens de le souligner, se trouve dans une impasse dangereuse. Nous avons aussi examiné les moyens de développer nos relations économiques car il y ne peut y avoir de liens solides sans coopération économique et commerciale. Je note que le Prince Salman a pu s'entretenir, à l'occasion de sa visite, avec les représentants de plusieurs grands groupes français. Ce qui est certain, c'est que nos deux pays sont décidés à renforcer leurs échanges commerciaux et à surmonter les obstacles.
Bien sûr, nous cherchons aussi à développer les liens entre nos deux peuples. Pour y parvenir, il faut multiplier les actions concrètes. À cet égard, la signature au cours de la visite, d'un pacte d'amitié de coopération entre les villes de Paris et de Riyad dans les domaines de l'urbanisme, de l'adduction et de l'assainissement de l'eau et de la gestion et la distribution de l'électricité me paraît aller dans le bon sens. Le projet de réalisation d'une exposition consacrée à l'Arabie Saoudite à l'Institut du Monde arabe, dont le Prince Salman a pu rencontrer le président, M. Camille Cabana, participe de cette même volonté.

Okaz : Quelle est l'attitude de la France à l'égard de la situation dans le Golfe, l’Irak et l'Iran et d'autre part quelle est sa perception des dangers qui menacent la région du Golfe ?

Hervé de Charette : Je ne vois pas, à court terme, de risque majeur qui puisse entraîner une dégradation de la situation dans la région. Mais je puis vous assurer que la France, qui est très attachée à la sécurité et à la stabilité du Golfe, porte une attention constante aux préoccupations de l'Arabie Saoudite en ce domaine. De manière générale, nous estimons que les différends régionaux doivent être réglés pacifiquement et par le dialogue. S'agissant de l’Irak, notre position est claire. Nous attendons de Bagdad le respect sincère et complet des résolutions du conseil de sécurité, c'est à dire des décisions prises par la Communauté internationale au nombre desquelles figurent un certain nombre d'obligations en matière de désarmement. La vérification sur le terrain incombe à la commission spéciale et à l'AIEA. Nous souhaitons que ces dernières puissent remettre un rapport favorable au conseil de sécurité. Nous pressons donc les autorités irakiennes d'appliquer pleinement les résolutions pour qu'on puisse appliquer le paragraphe 22 de la résolution 687, c'est à dire la levée de l'embargo, qui du point de vue du peuple irakien serait souhaitable. En même temps, la sécurité de la région reste pour nous un souci essentiel. C'est pourquoi nous sommes en faveur du maintien d'un strict contrôle à long terme qui permettra de surveiller les activités de l’Irak en matière d'armement.

De même, la France ne s'est jamais départie d'une grande vigilance à l'égard de l'Iran tout en maintenant avec ce pays un dialogue dont les résultats ne doivent pas être sous-estimées. Cela a été le cas lors de la crise israélo-libanaise d'avril 1996. Il est clair que l'affaire du Mykonos  avec le verdict du tribunal allemand impliquant le pouvoir iranien- tout comme les derniers développements -dont le refus par Téhéran d'accepter le retour de l'ambassadeur d'Allemagne ont eu un impact très négatif. Dès le début de cette affaire, nous avons eu à cœur d'exprimer à nos partenaires et nos amis allemands la solidarité qui est la marque de notre appartenance commune à l'Union européenne. Nous avons également eu le souci de proportionner notre réaction à l'attitude du gouvernement iranien. Pour toutes ces raisons, notre ambassadeur a été instruit de ne pas regagner Téhéran. Il reste que l'Iran occupe une place stratégique dans la région et constitue l'une des clés de l'équilibre de la zone. C'est pourquoi nous espérons que, sans rien céder sur les principes que les européens ont défendu solidairement, il sera possible de sortir de cette crise. L'isolement durable de l'Iran nous semble préjudiciable à long terme pour l'équilibre et la stabilité de la région. C'est pour cela que nous avions considéré positivement le fait que Riyad et Téhéran se parlent à nouveau au plus haut niveau.


Entretien avec le quotidien libanais "Al Hayat" - extraits - (Beyrouth, 1er juin 1997)

Al Hayat : L'administration américaine donne l'impression qu'elle renonce à exercer des pressions en vue de sauver le processus de paix au Proche-Orient. Avez-vous évoqué avec Mme Albright, la semaine dernière, la tentative de sauver ce processus ? Que peut faire la France à ce propos ?

Hervé De Charette : Je commencerai d'abord par faire le bilan de la situation. L'immobilisme caractérise actuellement le processus de paix. Il s'explique par les options faites par le gouvernement israélien vis-à-vis des Palestiniens et des Syriens et du gel des Accords de Madrid et d'Oslo. Il est vrai que le rôle américain rencontre actuellement des difficultés, car Washington a préféré jusqu'à présent entretenir une relation étroite et privilégiées avec le gouvernement israélien, au point que cela a entravé l'objectivité nécessaire, exigée par le retour au dialogue. C'est pourquoi il faut que la France et l'Europe jouent maintenant un rôle plus grand. En réalité, toutes les parties souhaitent ce rôle. Les gouvernements arabes le souhaitent de plus en plus. De même, la partie israélienne regarde vers un rôle européen plus grand. Quoiqu'il en soit, M. Moratinos est devenu partenaire dans les différentes négociations en cours dans la région. Nous devons donc entreprendre de nouvelles initiatives dans les prochaines semaines. Le rôle de la France consistera à pousser les gouvernements européens dans ce sens. Il y a une circonstance favorable à ce genre d'initiative, à savoir le prochain sommet européen d'Amsterdam, le 17 juin. Je crois que c'est une occasion pour que les européens sonnent le glas du danger et qu'ils expriment leur volonté de relancer les choses. Je souhaite que l'initiative du président Chirac, qui sera proposée au cours du sommet européen, pousse les partenaires européens à entreprendre une activité dynamique, visant à sortir le processus de paix de la crise.

Al Hayat : Vous avez sauvé la conférence de Malte d'un échec causé par l'attitude de la présidence hollandaise de l'Union européenne, qui a pris parti pour Israël. Comment s'activera l'Europe pour sauver le processus de paix, grâce à une initiative française ?

Hervé De Charette : L'Europe a toujours adopté une position unifiée vis-à-vis du Proche-Orient, depuis 1979, c'est-à-dire depuis le sommet de Venise, à l'époque du président Giscard d'Estaing. Depuis, le discours européen fût unifié. C'est ce qui a donné à l'Europe sa crédibilité au Proche-Orient. Il est donc dangereux de remettre en cause la position européenne sur le Proche-Orient. Je ne crois pas qu'il en soit ainsi. La France agit en vue de maintenir l'unité de la position et des avis par rapport à cette affaire. Il faut passer maintenant des paroles et des déclarations aux actes. Au cours des dernières années, nous avons remarqué que là, l'Europe a été exclue du processus de paix. Ce que nous avons fait avec le président Chirac depuis deux ans, simultanément aux efforts que nous avons déployés pour ramener la France au Proche-Orient et pour redonner à l'Europe sa place dans la région, s'est réalisé aujourd'hui.

Al Hayat : Quelles sont les initiatives que vous définirez au sommet d'Amsterdam ?

Hervé De Charette : Il faut que l'initiative s'appuie sur les dix points que nous avons proposés. Peut-être faudrait-il les adapter, en prenant en considération les différents points de vue. Notre but est de convaincre toutes les parties que le gel du processus de paix aboutirait inévitablement à la violence.

Al Hayat : Après les élections présidentielles iraniennes, la France dépêchera-t-elle son ambassadeur en Iran ? L'Europe œuvrera-t-elle en vue de la normalisation et du retour des ambassadeurs à Téhéran ?

Hervé De Charette : Nous souhaitons fortement que l'Iran reprenne sa place au sein de la communauté internationale. Cela ne tient pas à nous, mais aux autorités iraniennes. L'élection du président iranien est un indice positif que nous suivrons avec beaucoup d'intérêt. Les ambassadeurs européens pourront retourner à Téhéran, quand les autorités iraniennes accepteront de recevoir tous les ambassadeurs européens accrédités.

Al Hayat : Total-France est sur le point de signer un accord important avec les autorités iraniennes pour le développement d'un champ au sud de Parse pour le gaz. Cela entraînera un désaccord entre les États-Unis et vous, à cause de la loi d'Amato qui stipule des sanctions à l'encontre des sociétés qui traitent avec l'Iran. Accepterez-vous de signer cet accord avant le sommet des huit, qui se tiendra au cours du mois de juin à Denver ?

Hervé De Charette : Les informations sur la signature par Total d'un accord avec les autorités iraniennes, sont fausses. Je n'ai pas actuellement d'informations sur la signature de ce genre d'accord. Je ne peux pas prendre position, en me basant sur des présomptions. La France veut des relations économiques normales avec les différents pays du monde. Elle s'oppose à l'application des lois unilatérales de la part des États-Unis. C'est une position européenne claire que nous avons déjà exprimée.

Al Hayat : Croyez-vous que la résolution n° 986 sur « le pétrole en contrepartie de la nourriture », sera reconduite pour six autres mois ? Ou bien sera-t-elle contestée par les États-Unis ?

Hervé De Charette : La position française souligne la nécessité de reconduire la 986.).