Texte intégral
Mme Sinclair : Bonsoir.
Je reçois ce soir Monsieur Douste-Blazy, ministre de la Culture.
Monsieur Douste-Blazy, bonsoir.
M. Douste-Blazy : Bonsoir.
Mme Sinclair : Tout le monde sait que vous êtes chirurgien d'origine, comment peut-on passer du poste de ministre de la Santé à celui de ministre de la Culture ?
M. Douste-Blazy : Anne Sinclair, les ministres sont avant tout des hommes politiques. Pour occuper la fonction de ministre, il ne faut pas être issu d'un corporatisme. S'occuper de la Culture ou de la Santé, c’est s'occuper des hommes. D'ailleurs, dans la Bible, le mot « ministre » signifie « serviteur ».
Mme Sinclair : Cette émission n'est pas en direct, elle a été enregistrée samedi après-midi. Je recevrai également Zeev Sternhell, historien, et Ghassan Salamé, chercheur au CNRS. Mais tout de suite une pause de deux minutes.
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Mme Sinclair : Reprise de 7 sur 7, en compagnie de Philippe Douste-Blazy.
Le terrorisme, cette semaine, a frappé Israël très durement, au cœur même du pays et la paix au Proche-Orient a subi les coups les plus graves depuis longtemps. Viviane Junkfer et Charif Zouari.
Reportage
« Vision d'horreur en Israël, coup sur coup, à Jérusalem et à Tel Aviv, trois attentats-suicides en une semaine font une soixantaine de morts et plus de 200 blessés. Des actes de barbarie perpétrés par des jeunes kamikazes du Hamas, transformés en bombes ambulantes et totalement imprévisibles.
Sur place, l'émotion est considérable, mais le désarroi cède vite le pas à la colère, jusque dans le camp des partisans de la paix. L'État hébreux boucle à nouveau les territoires, une punition collective qui pénalise plus d'un million de Palestiniens. Acculé par Israël et la Communauté internationale, Yasser Arafat se décide enfin à agir. Il ordonne le démantèlement des réseaux intégristes. La répression s'opère tous azimuts. Et, pour gage de sa bonne foi, il accepte, c'est une première, de collaborer avec les Israéliens mais aussi avec la CIA. Fermeture de mosquées, descente de Police, notamment à l'université islamique de Gaza, fief des intégristes. Perquisition, saisie d'armes. Des centaines de personnes sont arrêtées, parmi elles des chefs politiques du Hamas, mais aussi ceux de la branche militaire clandestine. Israël exige qu'on les lui livre. La plupart ont à peine 20 ans.
Le Monde entier condamne ces attentats. A Paris, une grande manifestation de soutien est organisée. La Libye et surtout l'Iran sont accusés d'être les vrais commanditaires de cette déstabilisation. Les Européens enverront des émissaires sur place pour les sermonner.
Mercredi, un Sommet international contre le terrorisme sera organisé en Égypte. Une trentaine de chefs d'États et de Gouvernements y participeront, dont Bill Clinton, Boris Eltsine et Jacques Chirac.
Au bord de la rupture, Israël et l'OLP se ressoudent dans l'adversité. Un mariage de raison contre le terrorisme, aujourd'hui, l'ennemi commun. C'est un quitte ou double. Arafat gagnera peut-être définitivement aux yeux du Monde ses galons de chef d'État responsable et Shimon Pérès sauvera peut-être son poste de Premier ministre aux élections législatives du 29 mai. Dans un cas comme dans l'autre, c'est la construction de la paix qui est en jeu ».
Mme Sinclair : Philippe Douste-Blazy, qu'est-ce que l'homme que vous êtes, qu'est-ce que le ministre français que vous êtes, a envie de dire ce soir ? A la fois, j'imagine, son émotion et puis peut-être son espoir qu'un Sommet sur le terrorisme, réunissant tout le monde et à l’appel de Yasser Arafat, se tienne la semaine prochaine.
M. Douste-Blazy : Quand on voit ces images, on a envie de dire Que faut-il faire ? Que faut-il faire quand on est devant des jeunes qui véhiculent la mort ? Des jeunes suicidaires. Des jeunes pour lesquels la mort est un outil non seulement politique, mais aussi patriotique et religieux. Alors, bien sûr, on pense aux victimes, aux innocents, aux orphelins. Mais je crois que c'est l'ensemble des Occidentaux qui est devant ce problème du terrorisme. Que ce soit l'ETA basque, le FIS algérien ou que ce soit le HAMAS palestinien, on voit très bien la double volonté : celle de terreur et celle de vengeance.
La terreur : plus c'est horrible, plus ce sont des enfants, des femmes, des innocents, mieux c'est. Et la vengeance : c'est qu'à la haine répond la haine. A la terreur répond la terreur. Et à la vengeance répond la vengeance. Donc, je pense qu'il est aussi rassurant de voir qu'il y a des peuples qui descendent dans les rues – à Paris, il y a quelques jours, à Madrid, à Belfast, à Alger – pour dire : « Arrêtons ! Mettons-nous, à côté des gens qui font la paix, contre les aventuriers de la terreur. Car si la paix ne se fait pas, ce sont les terroristes qui auront gagné ».
Mme Sinclair : Justement, question posée par la SOFRES ce soir : Après les attentats en Israël provoqués par les extrémistes palestiniens, estimez-vous qu'Israël doit suspendre le processus de paix car le prix à payer est trop lourd ? Ou continuer le processus de paix pour ne pas céder au terrorisme ?
Israël doit suspendre le processus de paix : 8 %
Israël doit continuer le processus de paix pour ne pas céder au terrorisme : 84 %
Sans opinion : 8 %
Donc, le souhait très net, en France, en tout cas, d'une poursuite du processus de paix, avec une opinion très mobilisée, notamment chez les jeunes qui sont à 92 % favorables.
Avec nous, ce soir, deux universitaires qui peuvent nous éclairer sur la crise que traversent, en ce moment, le Proche-Orient et le processus de paix.
Zeev Sternhell est israélien. Il est professeur à l'Université hébraïque de Jérusalem. Il est historien, spécialiste autant de la France que d'Israël puisque vous avez écrit beaucoup sur Barrès, sur le nationalisme français, sur l'idéologie fasciste en France.
Ghassan Salamé, universitaire français, d'origine libanaise, professeur à l'Institut des Études politiques, chercheur au CNRS, spécialiste du Proche-Orient et lui aussi militant de la paix.
Zeev Sternhell, vous publiez chez Fayard un livre, cette semaine, qui s'appelle « Aux origines d'Israël ». Un livre où vous expliquez que la dimension nationaliste l'a, dès le départ, volontairement emporté sur la dimension socialiste que voulaient afficher les fondateurs de l'État d'Israël. Mais, cette semaine, c'est un peu au citoyen israélien face aux événements d'aujourd'hui que j'ai envie de poser des questions.
Diriez-vous, vous, le pacifiste de toujours, que le prix à payer pour la paix est décidément bien lourd ?
M. Sternhell : Le prix est lourd, mais cela ne veut pas dire qu'il faut arrêter le processus de paix. Le prix est lourd, nous le disons, et ceux d'entre nous surtout qui, pendant toutes ces années-là, depuis 20 ans au moins, se sont battus pour en arriver précisément à cette négociation avec les Palestiniens, à la création d'une entité nationale palestinienne. Nous l'avons toujours fait en tant que combattants. Je veux dire, par là, chez nous, ce n'était jamais l'Algérie ou le Vietnam, ceux qui se battaient étaient ceux qui manifestaient et ceux qui manifestaient étaient ceux qui battaient. Et ceci nous a donné, si vous voulez, une légitimité morale ...
Mme Sinclair : ... Quand vous dites « nous », ce sont les pacifistes ? C'est-à-dire ceux qui étaient favorables paix.
M. Sternhell : C'est pour cela que je n'aime pas beaucoup ce terme de pacifiste. Je ne suis pas pacifiste. J'ai fait quatre guerres, je me suis battu, j'ai tué des hommes, à deux mètres de distance, de mes propres mains. Je ne suis pas pacifiste, mais je veux la paix. Je veux mettre fin à ce conflit qui dure depuis un siècle. C'est un moment critique aujourd'hui. Nous nous trouvons à un moment d'une importance capitale.
Mme Sinclair : Est-ce que l'argument le plus fort des partisans de la paix qui était de dire : « Rendons les territoires et nous gagnerons la paix » n'est pas aujourd'hui un argument qui va s'écrouler puisque beaucoup d'israéliens disent : « On rend les territoires et on n'a pas la paix. On a moins de paix qu'avant, on est attaqués chez nous, au cœur même » ? Qu'est-ce qui reste comme argument fondamental pour les Israéliens qui veulent la paix ? Qu'est-ce qui leur reste à dire ?
M. Sternhell : Il faut regarder les choses de deux manières, sous deux aspects :
D'une part, je pense que le bus n° 18 est un des bus de mon quartier. Mes filles auraient pu monter dans ce bus-là. Évidemment que j'ai froid dans le dos. Instinctivement, je voudrais dire : « S'il faut payer ce prix-là pour avoir la paix, eh bien, la guerre, c'est quoi ? En quoi consiste-telle la guerre, si la guerre maintenant frappe dans nos rues ? ». Dans le passé, au moins, elle ne frappait que les combattants, maintenant, elle frappe nos enfants. Bien sûr, le prix est excessivement lourd.
D'autre part, il faut se rendre compte que les accords que nous avons signés, la paix que nous faisons, nous l'avons faite avec l'OLP, nous ne l'avons pas faite avec les intégristes. Les intégristes, il faut les frapper, il faut les chercher là où ils se trouvent. Il faut surtout que la Société palestinienne prenne ses responsabilités parce que le terrorisme – on l'a dit depuis très longtemps, c'est bien connu – est un poisson dans l'eau. Il faut assécher le marécage, il faut que la Société palestinienne se lève contre le terrorisme. Il faut que les intellectuels palestiniens prennent la parole.
Mme Sinclair : Ghassan Salamé, vous avez publié un livre, il y a un an, qui s'appelait « Démocratie sans démocrates » paru lui aussi chez Fayard, et qui analysait l'ouverture du Monde arabe, précisément, à la démocratie que vous disiez fragile et réversible.
Que vous inspire ce terrorisme aveugle ? Ces hommes qui sont prêts à tuer et prêts à mourir et qui se présentent comme des héros ? Qu'avez-vous envie de dire à ces kamikazes ?
M. Salamé : Le conflit israélo-arabe a été plein de violence depuis qu'il existe, depuis un siècle à peu près. Mais nous avons assisté depuis quelque temps, depuis une quinzaine d'années en réalité, à l'apparition de ce modèle japonais en fait, du kamikaze, de l'homme, de l'adolescent disposé à tuer en mourant ou à mourir en tuant. On y a assisté pratiquement juste au lendemain de l'intervention israélienne au Liban, en 1982, avec les attaques contre le Drakkar, les Marines américains et, ensuite, contre les positions israéliennes. Et on a, de nouveau, vu beaucoup de ce genre d'activité dans la guerre Irak-Iran, du côté iranien. C'est une inspiration de nature religieuse.
Je pense qu'effectivement tous ceux qui marient le religieux et le politique dans la poursuite des conflits ou dans leur résolution arrivent finalement à inspirer ce genre de confusion entre les besoins politiques de leurs manipulateurs et les besoins spirituels de ces adolescents qui sont très souvent manipulés pour aller commettre ce genre d'acte.
Mme Sinclair : Le Hamas, c'est les deux à la fois. Vous diriez que c'est un mouvement politique et religieux à la fois.
M. Salamé : C'est un mouvement, à l'origine, principalement religieux. Il s'est politisé pendant l'Intifada en réalité. Et ce à quoi on assiste aujourd'hui, c'est à un phénomène assez sérieux. En fait, plus les diplomates réussissent, plus les terroristes sont actifs. Ce n'est pas quand la diplomatie ne marche pas que les terroristes agissent, les terroristes agissent pour arrêter l'activité des faiseurs de paix. Et ceux qui arrivent dans le Hamas, c'est qu'une bonne partie de la direction du Hamas, qui est installée à Gaza, à l'intérieur des territoires, a petit à petit rejoint le processus de paix ces derniers mois. Et ce à quoi on assiste, c'est à la naissance d'un Hamas 2 qui est plutôt télécommandé de l'extérieur et qui ne répond plus aux injonctions d'une direction historique qui a accepté de jouer le jeu à côté de Arafat.
Mme Sinclair : On va venir à l'extérieur. L'impact aujourd'hui du Hamas semble assez réduit dans la population palestinienne puisque les élections qui ont eu lieu dans les territoires ont donné 85 % à l'autorité palestinienne d'Arafat et que les conseils de boycott donnés par le Hamas n'ont pas été suivis.
M. Salamé : Effectivement, tous les sondages qu'on avait avant les élections palestiniennes indiquaient un impact du Hamas d'environ 12 %. Lorsqu'ils ont appelé à boycotter les élections, 9 Palestiniens sur 10 sont allés voter, ce qui est énorme. Ceci dit, il y a une espèce d'ambiguïté dans leur société palestinienne, c'est-à-dire qu'il faut donner aux Palestiniens les moyens de sentir qu'ils perdent quelque chose si le processus de paix s'arrête. Jusqu'ici, n'ayant pas d'institutions, n'ayant pas de reconnaissance internationale, n'ayant pas d'autorité qui leur soit propre, n'ayant pas le droit à l'autodétermination, ils n'avaient rien à perdre, donc, ils ne condamnaient pas ce genre d'action.
Je crois que ce qui est nouveau et qu'on a un peu vu cette semaine parmi les Palestiniens, notamment aux manifestations de Gaza et je dirais encore plus de Naplouse, c'est que la société palestinienne a entre ses mains, maintenant, des Institutions, un Président élu, assez pour dire : « Si le processus de paix s'arrête, eh bien, je perds et donc il faut que je le défende ».
M. Douste-Blazy : Je voudrais poser une question à Zeev Sternhell. J'ai lu votre livre, le récent livre qui vient de sortir : « Aux origines d'Israël ». Et vous terminez, vous qui êtes un historien de l'extrémisme, vous qui avez été un des premiers, il y a 18 ans, à faire l'appel, la paix maintenant. Vous terminez par une question, une incertitude. Vous dites : « Quel prix politique et moral la Société israélienne doit payer pour une solution équitable et raisonnable ? ». C'est la fin du livre. Aujourd'hui, pouvez-vous me répondre sur le politique et le moral ?
M. Sternhell : Nous nous trouvons à un tournant, nous avons pris un tournant. Les accords d'Oslo, dans une perspective historique, ont une importance capitale parce que, pour la première fois, les Israéliens, le mouvement national juif a reconnu la légitimité du mouvement national palestinien. Ces terres-là doivent être partagées entre les deux peuples. Ils vivront l'un à côté de l'autre et n'ont pas l'un sur le dos de l'autre, mais l'un à côté de l'autre, sur un pied d'égalité absolue.
Le prix politique et moral, c'est le prix de la déchirure interne, d'une césure au sein de la Société israélienne, non seulement sur un plan politique mais également sur un plan culturel aussi. Parce que le problème est un problème culturel très fondamental. Le problème de notre identité. Comment nous le concevons.
Un prix, si l’on peut dire, l'assassinat de Rabin, c'est le prix que nous avons déjà payé, la césure au sein de la Société. Le danger réel d'une petite guerre civile, dans la mesure où il faudra un jour – et il le faudra très rapidement – s'atteler au problème des implantations juives en Cisjordanie. Cela ne se passera pas facilement, ce sera un véritable drame. Je crois que la Société israélienne est aujourd'hui prête à payer un prix. Il ne faut pas lui faire endosser maintenant le prix du sang, le prix exorbitant de voir ses enfants monter en fumée dans des autobus qui explosent parce que quelqu'un pense que c'est un acte de patriotisme.
Mme Sinclair : Nous allons revenir sur la poursuite du processus de paix et savoir si vous êtes optimistes ou pessimistes. Je voudrais qu'on revienne un instant sur l'implication d'États étrangers qui seraient derrière les terroristes. Cette semaine, la Libye et surtout l'Iran ont été très fortement montrés du doigt. Vous êtes convaincu de la participation effective de l'Iran derrière le Hamas ? Zeev Sternhell, un mot là-dessus.
M. Sternhell : Cela ne fait pas de doute que le terrorisme a aussi des appuis politiques. Nous savons que nous avons aujourd'hui, face à nous, des États qui pratiquent le terrorisme d'État. Alors, moi, je connais des méthodes plus efficaces qu'un Sommet mondial à Charm El Cheikh. Il faut bien dire que Charm El Cheikh au mois de mars est un endroit merveilleux. Se payer des vacances à Charm El Cheikh, il n'y a rien de mieux.
Mme Sinclair : Ce n'est pas l'objet tout de même du Sommet de la semaine prochaine. Je vous sens ironique là-dessus.
M. Sternhell : Oui, mais pour mener te combat contre le terrorisme, il y a des méthodes plus efficaces que celle-là. Tout d'abord, il faut arrêter le dialogue avec les terroristes. Aussi longtemps que les États-Unis dialoguaient avec Saddam Hussein – il s'apprêtait à envahir le Koweït – en plein dialogue, il a envahi le Koweït. Il faut se battre contre le terrorisme, aussi bien sur le plan de la politique internationale que de mettre face à ses responsabilités la Société palestinienne dans son ensemble, faire du travail sur le terrain, c'est-à-dire qu'il faut mobiliser toutes les forces que nous pouvons.
Mme Sinclair : Philippe Douste-Blazy, Alain Juppé a été très clair cette semaine sur la sévérité vis-à-vis de la Libye et de l'Iran. La visite de Bernard Pons, la semaine dernière, ministre du Gouvernement français en Iran, c'est quelque chose qui ne devrait plus se reproduire ?
M. Douste-Blazy : Ce que l'on dit sur le plan diplomatique, c'est que les relations entre la France et l'Iran, c'est un dialogue critique. Eh bien, à titre personnel, je pense que la partie critique doit être beaucoup plus forte que la partie de dialogue. Mais par rapport au commentaire horrible de la dépêche iranienne qui disait qu'ils étaient très heureux de voir qu'il y avait eu des attentats en Israël, nous l'avons dénoncé très fortement et nous avons demandé au vice-ministre des Affaires étrangères de reporter sa visite à Paris.
Mme Sinclair : Ghassan Salamé, on a vu cette semaine, ce qu'on disait tout à l'heure, une collaboration très réelle dans cette tragédie, efficace, entre israéliens et Palestiniens. A votre avis, aujourd'hui, Arafat avait fait tout ce qu'il pouvait ? Ou, aujourd'hui, s'est-il, comme certains Israéliens disent, réveillé en se disant qu'il n'avait plus d'autre choix ? A-t-il les moyens de traquer le terrorisme chez lui ?
M. Salamé : La presse ne raconte pas l'histoire des tragédies qui n'ont pas eu lieu. Mais je suis persuadé qu'au cours des derniers mois l'autorité palestinienne a arrêté l'œuf plusieurs actions contre Israël. On en a la preuve parce que plusieurs militants, parmi les plus actifs, ont été arrêtés à temps et que, dans plusieurs localités où l'autorité palestinienne avait plus de poids que dans d'autres, eh bien, les actions étaient réduites. Ce qui est d'ailleurs surprenant, c'est que plusieurs des attentats sont originaires de zones qui sont encore sous le contrôle de l'armée israélienne, notamment Hébron et Jérusalem est. Ce qui est inquiétant et ce qui indique que ce que l'armée israélienne n'avait pas pu faire pendant l'Intifada, Arafat tente de le faire.
En réalité, comme toutes les révolutions nationales, il y a un moment de vérité où il faut véritablement marginaliser et éliminer les extrêmes. Arafat s'est engagé dans ce processus, il y a plusieurs mois. Et je suis persuadé qu'il a évité contre lui-même, parce qu'il est aussi menacé que Monsieur Pérès ou que les Israéliens en général, et contre le processus de paix plusieurs attentats.
Alors, maintenant, il faut mobiliser la Société palestinienne. Et, pour cela, il faut lui démontrer les fruits effectifs de ce processus de paix dont elle a été privée jusqu'ici.
Mme Sinclair : Quel avantage elle a à faire la paix.
M. Salamé : Et c'est pourquoi je suis particulièrement inquiet de voir l'ensemble de la population palestinienne punit massivement pour les actes d'une petite minorité, comme les élections l'ont démontré. Il ne faut pas punir l'ensemble des Palestiniens, il ne faut pas les jeter dans les bras du Hamas.
Je suis personnellement persuadé qu'une nette majorité d'israéliens – un sondage l'a encore démontré hier – mais aussi qu'une nette majorité de Palestiniens sont attachées au processus de paix en dépit de ce qui est arrivé. Rappelez-vous, ce processus a pu dépasser le massacre d'Hébron de 30 Musulmans dans la mosquée, a pu dépasser plusieurs actes terroristes en Israël même et je suis persuadé qu'une bonne majorité d'israéliens et de Palestiniens continue à nous soutenir.
Mme Sinclair : Zeev Sternhell, une réaction à ce que vient de dire Ghassan Salamé. Est-ce que la population palestinienne, aujourd'hui, risque d'être punie dans son ensemble, donc de nourrir le Hamas demain ? Et, deuxièmement, croyez-vous que ce processus de paix a reçu un coup fatal ? Ou faites-vous partie des optimistes qui pensent que c'est irréversible et que même si les résultats des élections devaient changer, cela ne changerait pas le processus de paix ?
M. Sternhell : Je ne crois pas que nous essayons de punir aujourd'hui les Palestiniens. Nous vivons avec eux, ils ont besoin de nous, nous avons besoin d'eux. La paix avec la coexistence, c'est comme cela que les Israéliens veulent l'avoir. Mais n'oublions pas que des mesures immédiates devaient être prises. Elles ne pouvaient ne pas être prises. Aucun gouvernement ne pouvait résister aux pressions qu'il subissait, il fallait bloquer l'accès du territoire israélien à la masse des Palestiniens. Ces mesures-là sont des mesures ponctuelles. Cela durera quelques semaines, cela ne durera pas éternellement. Mais il faut que l'autorité palestinienne, pas seulement l'autorité, pas seulement la Police et Arafat, mais aussi la Société, les intellectuels, les cadres, se mobilisent pour éradiquer l'infrastructure du Hamas. C'est cela le problème.
Et la deuxième question : il est évident que si la Droite revient au Pouvoir le 29 mai 1977 ...
Mme Sinclair : ... 1996.
M. Sternhell : J'ai dit 1977, parce que c'était la première chute du mouvement travailliste en 1977. Si la Droite revient au Pouvoir le 29 mai 1996, la paix ne s'en portera pas mieux. Cela ne fait pas de doute. Même si l'on ne revient pas sur les accords signés, la situation sera gelée. Le gel signifie en fait la fin du processus de paix. Et c'est cela le grand malheur. Il faut bien se rendre compte qu'aujourd'hui tout arrêt du processus est en fait une marche arrière. Mais s'il arrive encore un attentat, s'il arrive encore un malheur ou si les Israéliens n'ont pas l'impression que l'autorité palestinienne fait tout ce qui est en son pouvoir, en son âme et conscience, il n'y a pas de chance que Shimon Pérès garde le pouvoir.
Je crois que tout le monde va se rendre compte maintenant que nous avons, là, des intérêts communs. Nous sommes ici vraiment unis par une même problématique, nous faisons face à un même ennemi, mais il faut que les Palestiniens, dans leur ensemble, appuyés par les Arabes, par tous les pays arabes, et par les Européens, par les Américains qui séviraient comme l'Europe sévit contre le terrorisme, contre les États qui préconisent le terrorisme ouvertement. Tout cela est lié. Une faille dans le dispositif fait que d'autres mesures perdent leur efficacité.
Mme Sinclair : Merci beaucoup à tous les deux. Merci Ghassan Salamé, merci Zeev Sternhell, d'avoir donné ce message de paix et j'espère que le Sommet contre le terrorisme ne sera pas que l'occasion d'aller à Charm El Cheikh mais aura, en effet, des résultats positifs.
Un court mot, Philippe Douste-Blazy.
M. Douste-Blazy : Simplement: pour dire qu'au-delà des mots et des paroles, je souhaiterais que la France prenne l'initiative de créer un lieu de culture et d'enseignement sur le sol de Palestine avec des hommes et des femmes de culture israéliens, palestiniens et européens. Je crois que c'est important. Il faut maintenant prouver que nous sommes pour la paix.
Mme Sinclair : Quand vous dites : « Je souhaiterais qu'elle prenne l'initiative », vous êtes ministre de la Culture, vous êtes prêt à la prendre ?
M. Douste-Blazy : Oui, je la prends et je lance cette idée. Je pense que cela important. Il y a beaucoup d'intellectuels français qui ont déjà dit « oui ».
Mme Sinclair : On va faire une courte pause, puis on va voir la suite de l'actualité de la semaine, notamment en France. A tout de suite.
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Mme Sinclair : Reprise de ce 7 SUR 7, revenons en Europe. Jacques Chirac arpente la Franche-Comté. Alain Juppé a la vie dure au Parlement. José-Maria Aznar a la victoire amère en Espagne.
Panoramique
OLÉ ! Après plus de 13 ans de pouvoir socialiste, la Droite revient aux affaires en Espagne. José-Maria Aznar remporte les élections législatives de dimanche dernier face à Felipe Gonzales miné par les scandales.
Douce France : pour la deuxième fois depuis qu'il est Président, Jacques Chirac reprend son bâton de pèlerin et va sillonner les routes au-devant de la France profonde. Un exercice dont il raffole.
Dans le Doubs, à Besançon, grande ville de garnison, le chef de l'État a rassuré. La réforme des armées ne se fera pas dans la précipitation et il y aura des mesures d'accompagnement. Autres sujets abordés : les rythmes scolaires et l'emploi.
Mme Sinclair : Philippe Douste-Blazy, on va parler un peu de politique française : Jacques Chirac monte dans les sondages, Alain Juppé, pas vraiment, vous trouvez que ce découplage est normal ou injuste ?
M. Douste-Blazy : Je vous dirai que c'est la logique de la Vème République : au Président de la République, les grandes orientations, les grands arbitrages, on l'a vu pour sa volonté très forte de restructurer les armées, on l'a vu pour sa politique étrangère en Bosnie. On l'a vu aussi avec son voyage aux États-Unis, qui a été un succès. Et puis j'allais dire par fonction, par nature …
Mme Sinclair : ... le Premier Ministre est au charbon.
M. Douste-Blazy : ... Le Premier Ministre est au premier front de la réforme dans un contexte difficile, après deux septennats socialistes, même si depuis 1993 cela va mieux. Mais il y a quand même le rétablissement des comptes sociaux, le déficit public et puis, bien sûr, une croissance essoufflée.
Je voudrais dire que le Premier Ministre a beaucoup de courage et il a aussi une vraie détermination et une vraie volonté.
Quand on me dit que le Premier Ministre baisse, ce n'est pas le Premier Ministre qui baisse dans les sondages, c'est l'ensemble du gouvernement et l'ensemble de la Majorité, et je voudrais que cette Majorité s'en souvienne.
C'est très important pour moi, parce que, aujourd'hui, on croit avoir bien expliqué. Or, les Français ont le sentiment inverse : on n'a jamais raison contre les Français. Donc, il faut que nous réexpliquions, et toujours réexpliquions.
Mme Sinclair : Vous parliez de la Majorité, elle est frondeuse et elle est critique contre le gouvernement. Est-ce que vous diriez que c'est un signe de bonne santé et qu'il est normal que le Premier Ministre accepte qu'on le critique, y compris même au sein de la Majorité, ou diriez-vous que, par exemple, Philippe Auberger qui est rapporteur général du Budget mais qui a des fonctions au sein du RPR, il est normal qu'il ait été sanctionné comme membre d'un Parti, partie prenante bien sûr de la Majorité ?
M. Douste-Blazy : Ce n'est pas au Secrétaire Général de Force Démocrate, que je suis, d'aller régler les problèmes internes au RPR ...
Mme Sinclair : D'accord ! Mais votre sentiment ?
M. Douste-Blazy : Mon sentiment est le suivant, sans langue de bois : autant je pense qu'il est souhaitable, comme l'a dit d'ailleurs Édouard Balladur il y a quelques heures, qu'il y ait des réflexions, des critiques, des suggestions, des propositions de la part des députés, autant je n'admets pas l'agressivité.
On ne peut pas être à la fois dedans et dehors, dans la Majorité et hors de cette Majorité.
Pour reprendre, si j'osais devant vous, une expression populaire, je dirais : « On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre ».
Et cette Majorité aujourd'hui elle me rappelle le suicide des baleines, vous savez ces grands animaux, très pesants, très puissants, auxquels rien ne peut arriver et qui finissent par s'échouer sur une plage sans que personne ne comprenne pourquoi.
En 1981, l'un des meilleurs Premier Ministre que nous ayons eu de la Vème République, Raymond Barre, avait fort à faire avec une partie de sa Majorité, nous avons perdu en 1981. Je voudrais que cette Majorité s'en souvienne pour 1998. Il faut qu'elle soit responsable, qu'elle ne joue pas contre son camp. Qu'est-ce qu'elle lui reproche ?
Mme Sinclair : Alors, tous dans le rang ?
M. Douste-Blazy : Ce n'est pas tous dans le rang. Oui aux propositions, oui aux suggestions. On ne peut pas demander à la fois au Parlement de jouer son rôle et en même temps de critiquer les députés qui font des propositions ou des suggestions. Mais l'agressivité, non. Car c'est marquer contre son camp, et cela, c'est inadmissible.
Mme Sinclair : Alors vous rappeliez que vous êtes secrétaire général de Force Démocrate dont le Président est François Bayrou. Force Démocrate, c'est l'ancien CDS, pour ceux qui ne seraient pas encore habitués au nouveau sigle. C'est une des composantes de l'UDF ; l'UDF où il y a la bataille qui fait rage – je ne sais pas si les Français sont vraiment très concernés, mais en tout cas l'UDF l'est – entre Léotard, Madelin et puis le troisième homme, Rossinot.
Alors, vous êtes Léotard ou Madelin, vous ?
M. Douste-Blazy : Je vote pour François Léotard. Je me doute comme vous que beaucoup de Français pensent que cette élection à la présidence de l'UDF n'est pas le moment majeur de la vie politique française.
Je pense le contraire pour deux raisons, parce qu'il y a un double enjeu d'abord un enjeu électoral. Si nous voulons gagner en 1998, cette Majorité doit avoir deux piliers, un pilier à droite, qui est le RPR et un parti au centre de la vie politique française, indépendant du RPR, il ne s'agit pas de faire la photocopie du RPR, il s'agit de faire – et je le pense – le plus grand Parti de France, la majorité de la Majorité …
Mme Sinclair : Si je comprends bien, vous aimeriez bien damer le pion au RPR aux prochaines élections pour être devant ?
M. Douste-Blazy : Lorsque l'on va faire un Parti, lorsque l'on fait un Parti, c'est pour qu'il soit fort. Moi, j'y crois. Parce que c'est le deuxième enjeu, c'est l'enjeu politique : quelle est la politique pour l'UDF ? Je viens de vous dire que je la voulais au centre, est-ce avec Alain Madelin qui, à mes yeux, est non seulement à droite de l'UDF mais à droite de la Majorité ou est-ce avec François Léotard qui est au centre de gravité, comme beaucoup l'ont dit, de l'UDF et qui, surtout, a une candidature de rassemblement : François Bayrou à Force Démocrate, le Parti Républicain, les adhérents directs, Simone Veil, beaucoup d'autres personnalités sont derrière François Léotard. Et puis c'est quelqu'un qui a toujours fait passer – et c'est très important pour moi – le politique, le social avant l'économique.
Mme Sinclair : Alors, vous disiez : l'UDF est au centre. Moi, j'ai envie de vous demander : qu'est-ce qu'un centriste ? Est-ce quelqu'un qui toujours, entre deux propositions, choisit la voie moyenne, pas tout à fait ceci, pas tout à fait cela ?
M. Douste-Blazy : Auriez-vous posé la question, Anne Sinclair, à un RPR ou à un Socialiste ?
Mme Sinclair : Non, c'est une question qui se pose à propos des centristes parce que l'on a toujours le sentiment qu'ils sont au milieu du gué, où sont-ils les centristes ?
M. Douste-Blazy : Beaucoup de gens pensent comme vous que nous avons une identité floue, à géométrie variable, si j'ai bien compris ?
Mme Sinclair : Je me fais le reflet de ce qu'ils pensent, ce n'est pas forcément ce que je pense !
M. Douste-Blazy : Je vous en remercie. Mais je vais vous prouver le contraire : nous avons une identité positive très forte. Nous avons changé de nom, nous nous appelons Force Démocrate. Nous avons un projet autour de trois axes : d'abord nous voulons passer l'homme au cœur de la Société.
Pour nous, ce n'est ni tout à l'État, ni tout au marché, à l'argent.
Mme Sinclair : Est-ce que tout le monde ne dit pas cela aujourd'hui ? N'y-a-t-il pas une révolution culturelle dans tous les Partis qui fait que, justement, les positions extrêmes se sont un peu élimées et qu'aujourd'hui vous êtes rattrapé par tout le monde ?
M. Douste-Blazy : Ce n'est pas vrai. Le mot important pour nous. C’est le mot de responsabilité.
Regardez les Socialistes, en France, en Espagne, ils ont triplé les déficits publics.
Regardez sur le plan social : traitement social du chômage, mais 22 % de chômage en Espagne et, en France, on a vu ce qu'ils ont fait !
Nous, nous souhaitons qu'il y ait véritablement ... regardez, nous sommes les premiers hommes à connaître la mondialisation de l'économie, les premiers hommes à pouvoir changer les spécimens, les premiers hommes à pouvoir exploser la planète, eh bien je crois que les hommes politiques aujourd'hui doivent prendre leurs responsabilités et qu'ils doivent présenter un sens au présent et à l'avenir. Vous n'y arriverez pas si vous n'êtes pas profondément humaniste.
La deuxième caractéristique des centristes, c'est que nous sommes à la fois contre les totalitarismes et les extrémismes.
Et, enfin, surtout, nous sommes le Parti Européen. Nous sommes les héritiers des pionniers de l'Europe. Pour nous la France, l'avenir de la France, c'est l'Europe.
Mme Sinclair : Alors, on va dire un mot de l'Europe. Avant vous me parliez de : « nous sommes contre les extrémismes ». J'ai vu, il y a deux jours, que vous aviez demandé une inspection du Ministère de la culture sur la ville d'Orange, une ville qui a une direction, un Maire aujourd’hui Front National. Quel est le sens de cette inspection dans des affaires communales ?
M. Douste-Blazy : Oui, j'ai été le premier à tirer le signal d'alarme en juillet dernier. Avec le Front National, je crois que ce n'est ni diabolisation, ni banalisation, ni insulte, mais un seul devoir s'impose à tous, c'est le devoir de vigilance.
A Orange, c'est quand même le premier Maire depuis 1869 à remettre en cause l'un des plus grands Festivals d'Art lyrique de ce pays ...
Mme Sinclair : Les Chorégies.
M. Douste-Blazy : Les Chorégies d'Orange.
A Toulon, la Municipalité vient d'arrêter, de stopper brutalement une subvention aux Restaurants du Cœur.
Anne Sinclair, chaque fois qu'il y aura un risque d'atteinte à la cohésion sociale ou culturelle d'une ville du Front National. Le Front National m'aura sur son chemin.
Mme Sinclair : Qu'est-ce qui se passe, là, à Orange, qui vous inquiète tant ?
M. Douste-Blazy : Ce qui m'inquiète, il y a quelques jours le Maire d'Orange propose une commission municipale pour savoir si un livre peut être pris ou non à la bibliothèque, comme s'il fallait un visa municipal.
Mais ce que je voudrais vous dire, c'est que ce débat sur le Front National est très important. Il faut que nous soyons à la hauteur pour l'immigration, pour la sécurité, mais ce devoir d'intransigeance, beaucoup d'hommes politiques nous l'ont appris, en particulier Jacques Chirac qui n'a jamais eu un discours ambigu sur le Front National.
Je vois beaucoup d'artistes ... il y a beaucoup d'hommes de culture, de femmes de culture au Ministère, ils n'ont pas toujours, comme vous le savez, mes idées politiques, mais ils reconnaissent toujours le discours non ambigu du Président sur ce sujet.
Mme Sinclair : Alors vous avez parlé de l'Europe en disant les centristes, leur motivation première, foncière, totale, c'est l'Europe. Dans trois semaines à Turin commence une grande négociation entre les gouvernements européens, sur les institutions et sur des tas d'autres choses, qu'aimeriez-vous qui sorte de Turin ?
M. Douste-Blazy : En ce qui concerne l'Europe, il y a deux manières de voir le problème aujourd'hui : ou c'est la fin d'un cycle, ou alors c'est le début d'une page que l'on veut tous écrire, et ma génération veut l'écrire.
Alors, si c'est la fin d'un cycle, on voit lequel ? C'est d'un cycle économique. On a fait le marché unique, l'acte unique, la monnaie unique. Je suis pour la monnaie unique.
Nous avons fait la première puissance économique du monde sans le savoir, faisons la première puissance monétaire du monde.
J'allais dire : ne revenons pas sur les trois acquis de l'Europe.
Mme Sinclair : Tout le monde dit : pas que du monétaire, du politique et du social ?
M. Douste-Blazy : J'y arrive ! A côté de cette Europe de Francfort, des taux d'intérêt, des banquiers, des économistes, il faut faire l'Europe de Sarajevo, de Srebrenica, l'Europe de la paix, l'Europe des Droits de l'Homme, l'Europe de la dignité, l'Europe de la culture. Et cela, c'est l'Europe politique.
Nous proposons, nous, centristes, puisque vous me demandiez tout à l'heure ce qu'étaient que les centristes, nous, les démocrates, nous proposons trois choses : la première, c'est qu'il y ait un visage et une voix, que nous donnions un visage et une voix à l'Europe.
Mme Sinclair : Un Président de l'Europe ?
M. Douste-Blazy : Un Président du Conseil Européen élu par lui. La pire chose qui peut arriver à une démocratie, c'est le manque de visage devant les gouvernants. Et la pire des frustrations aujourd'hui, c'est de voir, pour les Européens, ce manque d'identification.
Un Président qui serait à la fois responsable de la politique étrangère, de la politique de défense, que l'on n'ait plus de gosses qui saignent pendant trois ans à Sarajevo, à deux heures de Paris.
Et puis aussi une modification du scrutin au niveau des députés européens. On ne peut pas continuer aujourd'hui comme cela. Il suffit d'être sur une liste – je l'ai été, je le sais – pour être député européen. Je souhaite qu'il y ait un scrutin uninominal par circonscription.
Et, enfin, troisièmement, remplacer la règle de l'unanimité par la Majorité qualifiée : si nous sommes 25, 24 sont d'accord, 1 est contre. Il n'est pas possible de s'arrêter parce qu'un seul est contre.
Mme Sinclair : On va voir le reste des évènements de la semaine :
Maurice Papon, doit-il être traduit devant les Assises pour avoir fait déporter un certain nombre de Juifs de Bordeaux pendant ta guerre. C'est le débat de la semaine.
L'hommage de la semaine, c'est celui rendu à Marguerite Duras.
Panoramique.
« C'est tout », quel titre prémonitoire pour le dernier livre de Marguerite Duras morte dimanche dernier à 81 ans.
Elle était née au bord du Mékong dans une Indochine coloniale qui nourrira toute son œuvre. Une œuvre austère et poétique sur le silence, l'absence et la difficulté d'aimer.
Justice : quelle est la responsabilité exacte de Maurice Papon dans la déportation de 1 690 Juifs de Bordeaux dont 223 enfants entre 1942 et 1944 ?
Mme Sinclair : Philippe Douste-Blazy, Maurice Papon, souhaitez-vous, premièrement, qu'il soit traduit devant les Assises et, deuxièmement, si oui, est-ce pour juger l'homme ou est-ce pour juger Vichy dont le Président Chirac avait – cela avait été remarqué et salué par tout le monde – souligné la responsabilité dans les évènements de la guerre ?
M. Douste-Blazy : Comme ministre, vous comprendrez que je ne commente pas une décision de justice en cours. Mais comme citoyen, il s'agit en fait du regard que nous portons sur cette période trouble de Vichy. Et je voudrais vous dire que mon regard est très proche de celui de l'actuel Président de la République qui, pour la première fois depuis cette époque, un homme politique de ce niveau, parle haut et fort – et il l'a fait devant le Mémorial de rafle du Vel d'Hiv en juillet dernier –, il dit cette phrase que j'ai retenue et que je vous cite : « La France a commis un geste irréparable. Patrie des Droits de l'Homme, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. Nous conservons à leur égard une dette imprescriptible ». Je suis fier de cette petite phrase.
Mme Sinclair : A la question posée, c'est donc : vous souhaitez que Papon soit jugé, et Papon comme représentant du système de Vichy ?
M. Douste-Blazy : Absolument.
Mme Sinclair : Marguerite Duras. Marguerite Duras enthousiasmait certains, elle en horripilait d'autres. Vous faites partie des vrais conditionnels ou pas ? Au ministre de la Culture et puis aussi au lecteur, au cinéphile.
M. Douste-Blazy : C'était un merveilleux écrivain. Je dirai que ce que j'admirais chez elle, c'est à la fois cette alliance de sévérité, de pessimisme, il faut bien le dire, et puis, en même temps, cet amour de la vie et cet humour. Mais c'est un cinéaste, vous avez raison : « lndia Song », « Delphine Seyrig », « Le camion », avec une sorte de passion, on ne savait pas d’où cela venait, avec Gérard Depardieu.
Et, enfin, je voudrais simplement, en un mot, associer à la mémoire de Marguerite Duras, la mémoire de son mari, Robert Anthelme qui a écrit un livre très important pour moi, sur la déportation, qui s'appelle « L'espèce humaine ».
Mme Sinclair : Un résistant.
Cette semaine, avant que nous parlions Culture, je voulais juste signaler, je ne sais pas si cela vous a profondément marqué, mais c'était la Journée de la Femme le 8 mars, comme tous les 8 mars d'ailleurs, Hasina Azrin a considéré que c'était une journée un peu dérisoire. Il faut dire que quand on voit les chiffres, que 72 % des violences sur les femmes au Bangladesh sont dues au fait du retard apporté dans le service des repas à leur mari, on peut comprendre, en effet, qu'elle trouve que cette journée est très symbolique.
J'ajoute aussi qu'il y a deux millions de femmes françaises qui sont battues.
Je ne sais pas si le Ministère de la Culture est sensible ? J'espère que oui. Il ne va pas me dire que non, d'ailleurs !
M. Douste-Blazy : Bien sûr. Surtout que ce chiffre est absolument abominable.
Vous savez, sur la place des femmes dans la Société, il y a ceux qui parlent beaucoup et ceux qui font ...
Mme Sinclair : Qu'est-ce que vous faites, vous ?
M. Douste-Blazy : Je vais vous dire : au ministère de la Culture, il y a 8 directions. Sur les 8 directions, il y en a 5 qui sont dirigées par les femmes. J'espère que mes collègues feront pareil.
Mme Sinclair : Alors, la Culture. Vous disiez vous-même la Culture, c'est la littérature, c'est le cinéma, c'est la musique, ce sont les arts plastiques, et puis ce sont les lieux, les pierres, les monuments. Vous venez de créer la Fondation du Patrimoine, pouvez-vous déjà en dire deux mots et dire si ce sera votre grande œuvre ?
M. Douste-Blazy : Est-ce que ce sera ma grande œuvre, je ne sais pas !
Mme Sinclair : Est-ce que vous voulez que ce soit votre grande œuvre ?
M. Douste-Blazy : Bien sûr, je le veux.
Chaque ministre doit se poser une seule question aujourd'hui : que puis-je faire pour faire baisser le chômage ? Aujourd'hui, nous avons 400 000 monuments historiques, répartis merveilleusement sur l'ensemble du territoire. C'est un réseau culturel. Il n'y a pas un seul village qui n'ait pas une église romane, une chapelle, un lavoir, un rempart. Or, tous ces monuments historiques sont en train de tomber, il faut les rénover, les restaurer, les entretenir.
Et, en même temps, nous avons des centaines de milliers de jeunes au chômage ou des chômeurs de longue durée. Eh bien, département par département, avec la Fondation du Patrimoine qui est une Fondation privée, où les entreprises publiques et privées pourront donner de l'argent, mais aussi tous nos concitoyens ...
Mme Sinclair : ... c'est un peu une révolution culturelle française, cela ! parce que ce n'est pas du tout une habitude française. C'est une habitude anglaise, cela existe en Angleterre « National Trust » mais en France, cela n'existait pas ?
M. Douste-Blazy : Cela n'existait pas. C'est une révolution culturelle. L'idée n'est pas de moi, elle est de Jacques Toubon. Mais je la mets en œuvre aujourd'hui.
De quoi s'agit-il ? Département par département, nous allons faire une liste des monuments historiques à rénover et une liste des entreprises de travaux publics spécialisées dans ces rénovations, et nous allons, avec 40 millions de francs de la Fondation, pouvoir créer 10 000 emplois, et puis cela permet de sauver des métiers qui disparaissent : ceux qui sont des merveilleux ébénistes, des escalieristes, enfin, bref, tous ces métiers qui font notre patrimoine culturel.
Mme Sinclair : Vous dites : c'est pour sauver des emplois ...
M. Douste-Blazy : C'est pour en créer, surtout !
Mme Sinclair : Cela ne va-t-il pas encourager l'État à être absent, parce que c'est son rôle à l'État d'intervenir pour sauver le patrimoine français ?
M. Douste-Blazy : Que fait l'État aujourd'hui ? L'État restaure, rénove 40 000 monuments historiques qui sont les plus beaux monuments de ce pays, mais il y a les autres. Or, les autres, ce sont les monuments de proximité que tous ceux qui nous regardent aujourd'hui, voient dans leur village ou dans leur ville. Il faut aussi s'en occuper.
Mme Sinclair : Chaque ministre de la Culture aime bien poser sa marque. Quelle sera la marque Douste-Blazy ?
M. Douste-Blazy : Avec le Président de la République, nous souhaitons que le ministère de la Culture soit le ministère de la Culture pour tous, c'est-à-dire dans la ligne d'André Malraux qui, en 1966, avait cette phrase : « Faire de la Culture, ce que la lllème République a fait de l'Enseignement ».
Mme Sinclair : Mais vous reconnaissez d'autres filiations, Jack Lang, c'est une filiation ?
M. Douste-Blazy : Jack Lang a été l'un de mes prédécesseurs illustres. Entre André Malraux et Jack Lang, il y a deux caractéristiques communes : ils sont restés tous les deux 10 ans et ils ont été tous les deux « ministre d'État ».
Rendez-vous en 2005, si vous voulez !
Mme Sinclair : C'est un appel du pied au Président de la République et au Premier ministre pour donner à la Culture ce statut de Ministère d'État, si j'ai bien compris ?
M. Douste-Blazy : Non. C'est uniquement pour faire un clin d'œil.
Non, la ligne, c'est celle d'André Malraux : être le ministre de la Culture pour tous.
Tout enfant de ce pays doit avoir droit aux musées, au cinéma, au théâtre comme il a droit à l'alphabet.
Aujourd'hui, le ministère de la Culture, à mon avis, est resté trop longtemps parisien. C'est vrai pour les équipements : il y a beaucoup plus d'équipements à Paris qu'en province. Il y a beaucoup plus d'équipements aux centres villes que dans les banlieues. Il y a plus d'équipements dans les villes que dans les campagnes. Donc 2/3 de mon budget, cette année, va vers la province.
Deuxièmement, c'est vrai pour l'enseignement, car tout enfant a droit à avoir une initiation pour la Culture, la musique, la danse, la peinture, la sculpture, les arts plastiques. Je vais passer un projet de loi cette année pour l'enseignement artistique spécialisé et également général.
Et, enfin, la Culture est un outil de lien social. Il faut que nous soyons présents dans les banlieues, c'est fondamental.
Aujourd'hui, à mon avis, la Culture, c'est l'apprentissage de l'autre. C'est la compréhension des autres cultures, et c'est donc la tolérance.
Mme Sinclair : Alors, vous disiez tout à l'heure, il y a ceux qui parlent et il y a ceux qui font. Il y a un certain nombre de gens qui vous reprochent de parler beaucoup et de ne pas faire encore grand chose en matière de banlieue ?
M. Douste-Blazy : Écoutez, je leur dirai que c'est la première fois depuis 20 ans que l'on donne 45 millions de francs pour ce projet « Banlieue », qu'il y a aujourd'hui 30 projets, que, l'année prochaine, il y en aura 50. Qu'avec des femmes et des hommes de culture, nous ne considérons pas les gens des banlieues comme des spectateurs. On n'arrive pas à 22 heures, on ne repart pas à 2 heures du matin, à quoi cela servirait ? Nous rentrons dans ces banlieues pour les rendre acteurs. Ils se modifient avec l'expression corporelle, l'expression verbale, l'étude des textes. Ils se modifient … et cela diminue beaucoup de choses dans ces banlieues.
Mme Sinclair : A propos des banlieues, je voudrais signaler qu'au Zénith le 15 et le 16 mars, puis après en tournée dans toute la France, jusqu'au 3 avril, il y aura le spectacle du bal des exclus qui est, d'après et en présence de l'Abbé Pierre, un spectacle justement consacré à l'exclusion, avec comme spectateurs privilégiés des gens qui généralement sont éloignés des lieux de culture.
Philippe Douste-Blazy, vous êtes ministre de la Culture mais aussi de la Communication, sans que ce soit spécifié, mais aussi de la Communication. On a vu arriver dans le ciel européen le magnat australo-américain « Murdoch » qui s'est allié, certes, à des entreprises françaises mais qui va arroser encore plus l'Europe, l'Allemagne, est-ce que cela vous effraie ?
M. Douste-Blazy : Je suis contre les cultures dominantes. Je suis pour qu'on ait des cultures plurielles et je voudrais que la France puisse se battre et puisse rayonner culturellement. Et pour cela, je crois qu'il faut évidemment se protéger dans un premier temps et être meilleur que les autres aussi.
Se protéger c'est le combat que nous avons gagné au Parlement Européen : 50 % de nos programmes télévisés seront français et européens.
Être meilleur : je voudrais que la télévision française soit beaucoup plus culturelle.
On me dit que chaque fois que l'on fait des émissions de fond ou culturelles, il y a moins d'audience. Ce n'est pas vrai. Je veux modifier le cahier des charges et des missions du Service public pour qu'il y ait beaucoup plus d'émissions sur la musique, sur le théâtre, sur le cinéma, sur la danse.
Mme Sinclair : Vous allez intervenir ?
M. Douste-Blazy : Oui. Beaucoup de progrès ont été faits récemment, c'est vrai ! Mais c'est vrai aussi pour le secteur privé, car il y a des conventions avec le CSA, conventions passées ou à venir.
Mais je veux que le ministre de la Culture aujourd'hui se batte pour qu'il y ait plus de la culture à la télévision.
Nous passons trois heures de télévision par jour, c'est mon rôle pour que les enfants de ce pays ne puissent pas avoir obligatoirement qu'une culture américaine.
Mme Sinclair : 30 secondes pour nous dire si l'arrivée un peu plus forte de cette culture américaine est quand même quelque chose qui doit troubler le ministre de la Culture française ?
M. Douste-Blazy : Une anecdote qui m'a toujours frappé : dans un Tribunal d'une ville moyenne de France, on me dit qu'un délinquant sur dix, lorsqu'il rentre au Tribunal, il commence son audition, il regarde le Président du Tribunal et il dit – plutôt que de dire : monsieur le Président – votre Honneur, comme dans les feuilletons américains.
Eh bien, je dis que si nous ne faisons pas attention, si nos programmes audiovisuels et cinématographiques ne sont pas aidés comme je le fais maintenant, alors nous aurons une déculturation. Je veux me battre pour que la France puisse rayonner. C'est l'avenir de ce pays.
Mme Sinclair : Merci, Philippe Douste-Blazy d'avoir participé à ce 7 SUR 7.
Dimanche prochain, je recevrai Michel Rocard ainsi que Marina Vlady.
Dans un instant, le Journal de 20 heures avec Claire Chazal.
Merci à tous.