Texte intégral
Mme Sinclair : Bonsoir.
Le Parlement a changé de majorité, la France a changé de Gouvernement, tout est allé très vite cette semaine depuis la nomination de Lionel Jospin comme Premier ministre.
Nous allons revivre ensemble, ce soir, cette folle semaine au terme de laquelle j’ai choisi d’inviter Philippe Séguin, l’homme vers qui, à droite, tous les regards convergent. On attend de lui une analyse, que s’est-il donc passé ? On attend aussi de savoir quel rôle il entend jouer au sein de l’opposition ?
À tout de suite avec Philippe Séguin.
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Mme Sinclair : Bonsoir à tous. Bonsoir Philippe Séguin.
M. Séguin : Bonsoir.
Mme Sinclair : Merci d’avoir accepté mon invitation ce dimanche.
La France vient de vivre une alternance politique, imprévue il y a encore un mois et demi. Et on va ensemble, si vous le voulez bien, en tirer les leçons, les conséquences.
La Gauche est au pouvoir depuis dimanche. Au démocrate que vous êtes, j’aimerais bien savoir comment vous jugez cette période qui commence, est-ce, au fond, une alternance classique ou est-ce un séisme politique ?
M. Séguin : C’est une alternance inattendue. Je crois d’ailleurs que lorsqu’on portera les premiers jugements sur le Gouvernement socialiste, il faudra se souvenir qu’il n’avait rien demandé, j’entends le Parti socialiste. Il n’avait pas demandé cette dissolution et il avait laissé passer un certain nombre de messages, il y a encore quelques semaines, aux termes desquels il n’était pas prêt, il était en période de préparation.
Cela étant dit, il faut lui laisser le temps de prendre ses marques, le juger à ses actes. Et puis, ma foi, on verra bien ! Pour ce qui nous concerne, dans l’opposition, il nous reviendra de jouer notre rôle et, pour être crédibles, de bâtir un projet alternatif.
Mme Sinclair : On va, si vous voulez, revoir ensemble la folle semaine où il s’est quand même passé pas mal de choses. Et puis, après, on va décrypter tout cela. Récit de cette semaine, Viviane Junkfer, Alain Badia.
Dimanche : les invités s’installent sur les plateaux de télévision. À Droite, les mines sombrent ne laissent plus de doute. 20 heures, c’est la confirmation, la gauche remporte haut la main les élections législatives. La France change de couleur, le rose, le rouge et le vert prennent place sur l’hexagone.
Lundi : Voilà, c’est fait, sans protocole, ni chichi, Lionel Jospin l’annonce lui-même à la presse à sa sortie de l’Elysée. Un nouveau ton politique est donné.
Mardi : la passation de pouvoirs à Matignon n’a duré que 12 minutes, c’est la plus courte jamais enregistrée.
Mercredi : 8 femmes, quatre à des postes-clés dont une Verte. Trois communistes, un Mouvement des citoyens, trois radicaux, en tout, 14 ministres, deux délégués et 10 secrétaires d’État. Lionel Jospin a tenu ses engagements, il a su dire « non » pour mieux tourner la page mitterrandienne et il a su composer un gouvernement que l’on dit : « pluriel ».
Jeudi : Premier conseil des ministres au grand complet à l’Elysée. Le président Chirac a tenu à serrer la main de chacun. La cohabitation est d’emblée placée sous le signe du respect mutuel.
Samedi : Première apparition publique, premier discours de la cohabitation. Le président Chirac est à Lille, en terre socialiste, pour le 35e Congrès de la Mutualité française. Une visite prévue de longue date, mais évidemment pas dans ces conditions. Le chef de l’État affirme qu’il entend défendre les acquis européens et il définit ses prérogatives face à un Premier ministre de gauche.
Mme Sinclair : Malgré quelques petites sautes de son, je crois que tout le monde aura suivi quand même…
M. Séguin : …aura compris le sens général.
Mme Sinclair : Oui, aura compris le sens de ce qui s’est passé, en effet.
J’aimerais justement que, peut-être, avec vous on cherche à comprendre qu’est-ce qui s’est passé vraiment ? Comment, en un mois, la majorité RPR-UDF s’est-elle autodétruite ?
M. Séguin : Est-ce finalement l’événement en soi qui est si important ou ce qu’il révèle ? Je suis très frappé par un constat, songez-y ! Lionel Jospin va être le 6e Premier ministre de la France en 6 ans ? C’est tout de même quelque chose d’extraordinaire ! On n’avait pas vu cela depuis des décennies. C’est dire que la France a un vrai problème. Un problème qui a été évoqué, d’ailleurs, tout au long de la campagne. On est en ce moment, pour certains du moins, dans une période d’euphorie, d’optimisme, c’est la règle du jeu ! Mais il ne faut tout de même pas oublier tout ce qui s’est dit pendant cette campagne.
Pendant plusieurs jours, les éditorialistes, les observateurs, un certain nombre de responsables politiques disaient que cela se jouerait à rejet contre rejet, et que, en fait, cette campagne nous donnait la révélation de l’ampleur de la crise dans laquelle se trouvait dans la France : crise économique et sociale, certes ! Mais aussi crise politique et crise morale. Cette crise que l’on voit venir depuis un certain nombre d’années et qui atteint probablement son point culminant avec cette alternance inopinée pour tout le monde. Elle me paraît avoir deux caractéristiques ou du moins elle peut se résumer en deux propositions très simples :
La première, c’est que c’est la première fois depuis des décennies et des décennies, peut-être depuis plus d’un siècle, que des parents n’ont plus la certitude que leurs enfants auront un monde meilleur que le leur. Au contraire, les parents ont le sentiment que le monde de leurs enfants sera un monde pire. Alors, c’est un changement phénoménal.
Certes, le monde dans lequel nous vivions n’était pas parfait, était marqué par inégalité, mais du moins, de décennie en décennie, on avait le sentiment que les choses allaient dans le bon sens, allaient en s’améliorant. Ce n’est plus le cas. Il ne faut pas s’étonner du vertige qui saisit les Français.
Deuxième élément à prendre en considération et qui est plus politique celui-là : les gens ont en face d’eux des responsables politiques, comme moi, comme d’autres, dont ils ont le sentiment, et ce sentiment n’est pas infondé, qu’ils ont de moins en moins de prise sur les choses et qu’à l’inverse il y a toute une série de décisions, d’orientations qui sont fixées ailleurs, dans des conditions qu’on ignore, par des gens qu’on ne connaît pas.
Mme Sinclair : Vous voulez dire : « moins de prise sur les choses parce que la mondialisation ou l’Europe fait que cela vous échappe ? ou parce qu’il y a eu un certain style de Gouvernement qui a été aussi condamné ?
M. Séguin : Je ne vise pas en particulier un gouvernement ou un autre, mais il y a eu probablement un style de gouvernement qui était de plus en plus inadapté et de plus en plus insupportable dans la mesure où on avait le sentiment que le Gouvernement ne maîtrisait plus vraiment les choses. Mais il y a surtout ce sentiment que toute une série de décisions, concernant notre vie quotidienne, concernant notre emploi, concernant notre statut, sont prises dans des conditions, je le répète, dont on ignore tout, et par des gens qu’on ne connaît pas, qu’on ne peut pas interpeller, qu’on ne peut pas sanctionner.
Alors, d’un côté, on a une démocratie bien huilée, on vient encore d’en faire la démonstration, mais qui donne l’impression de tourner à vide. Et, de l’autre côté, c’est l’absence totale de démocratie.
Mme Sinclair : Les raisons, vous dites, de cette crise profonde de notre société remontent loin. Je me souviens qu’il y a quatre ans déjà, vous dénonciez le Munich social, c’est-à-dire l’abandon de l’intérêt pour l’emploi, le sacrifice, au profit des grands équilibres financiers et monétaires. On a le sentiment – pardonnez-moi – que vous avez bien peu pesé sur le cours des choses depuis quatre ans. Cette analyse était la vôtre, elle l’est toujours aujourd’hui, mais elle était solitaire.
M. Séguin : Oui, mais j’ai le sentiment qu’elle a singulièrement progressé, même s’il faut…
Mme Sinclair : On va en parler, avec une accélération dans les dernières semaines.
M. Séguin : …des événements tout à fait douloureux à mes yeux.
Mme Sinclair : Revenons en arrière, sur ces quatre ans quand même.
M. Séguin : Que s’est-il passé ? Il s’est passé que le Monde a changé et que notre place dans le Monde, notre place en Europe, ont changé. Il s’est passé un phénomène énorme qu’on appelle « la mondialisation » et auquel nous n’avons pas su apporter de véritables réponses.
La mondialisation, qu’est-ce que c’est ? Ce sont deux phénomènes qui se nourrissent l’un-l’autre. C’est, d’une part, l’explosion technologique, c’est le fait qu’on produise plus et mieux avec moins de gens, et cela donne un élément d’explication fondamentale à la crise de l’emploi. C’est, d’autre part, la libération des échanges et la mise en concurrence de pays à statuts différents. Si vous ajoutez à cela, les progrès de la communication, l’irruption des nouvelles technologies et leurs exigences en terme de niveau culturel, en terme de formation, vous vous rendez compte qu’en face nous sommes totalement impuissants, nous ne sommes pas armés, mais pas plus à gauche qu’à droite. Et il y a un décalage entre notre système politique, entre notre organisation, entre nos réponses et, d’autre part, cette nouvelle réalité, qui explique ces changements successifs et cette instabilité politique dont nous venons de constater une nouvelle illustration.
Mme Sinclair : Cette mondialisation ne date pas d’il y a deux ans, elle existait déjà…
M. Séguin : …certes, mais ses effets sont de plus en plus visibles et de plus en plus perceptibles, de plus en plus ressentis.
Mme Sinclair : Et quand Jacques Chirac, en 1995, a été élu, il a été élu sur vos analyses, notamment sur la fracture sociale et de ne pas oublier les problèmes quotidiens des gens. Je voudrais qu’on revoit un discours qui était fameux, qui était le discours que vous avez prononcé à Épinal, une phrase de ce discours, qui datait du 31 mars 1995, donc juste avant le premier tour de l’élection présidentielle.
« 31 mars 1995 :
M. Séguin : Cher Jacques Chirac, demain, si, comme je l’espère, tu gagnes cette élection, ne te laisse pas voler ton message, ne te laisse pas voler ta victoire, n’oublie pas le pacte républicain. »
Mme Sinclair : …Philippe Séguin, Jacques Chirac a oublié ?
M. Séguin : Non, il n’a pas oublié.
Mme Sinclair : Il s’est laissé voler sa victoire ?
M. Séguin : D’abord, il faut se souvenir de quelque chose, c’est que 1997 n’efface pas 1995, Jacques Chirac est toujours là.
Mme Sinclair : C’est clair !
M. Séguin : Oui, oui… et on s’en rendra compte, je crois, chaque jour davantage. D’ailleurs, il a dit des choses, hier, qui sont des choses fortes et dignes. Moi, ce qui m’a beaucoup marqué dans son discours de Lille, c’est cette référence aux valeurs, ces valeurs sur lesquelles il avait bâti toute sa campagne de 1995. Il est toujours là.
Mme Sinclair : Certes, mais votre discours-là voulait dire de ne pas oublier les thèmes sur lesquels il avait été élu…
M. Séguin : …certes !
Mme Sinclair : Et c’est vrai que ce qu’on a appelé le tête-à-queue d’octobre 1995, qui était un changement brutal de politique qui ne vous a pas plu, cela n’a échappé personne…
M. Séguin : …ce n’était pas un changement brutal de politique, c’était la prise en considération d’un certain nombre de contraintes, dont même le Gouvernement actuel devra tenir compte, sauf à renoncer à réaliser la monnaie unique dans les délais prévus, voire même à renoncer à réaliser la monnaie unique tout court.
Mme Sinclair : Cette semaine, dans Le Monde, il y a eu un feuilleton qui est paru, écrit par Denis Tillinac, deux jours de suite, donc un écrivain corrézien, proche du président de la République, et qui essayait d’analyser les raisons du désenchantement. Notamment, sa thèse est que le président de la République a été isolé. Il a été un peu, explique-t-il, victime des barons un peu englués dans la pensée unique et dans la technocratie. Est-ce votre analyse aussi ?
M. Séguin : Non, je crois qu’il faut laisser l’événementiel de côté. Tout cela, c’est l’écume des choses. L’important, c’est ce que j’ai essayé de vous dire, c’est la difficulté que nous avons à apporter des réponses à une nouvelle donne.
Nous sommes en train de vivre, en l’espace de quelques années, des changements que nos ancêtres vivaient en un demi-siècle, en un siècle, voire davantage. Il ne faut donc pas s’étonner de ces difficultés que nous avons à nous adapter, il faut simplement en prendre conscience et avoir le courage de trouver les réponses qui s’imposent.
Mme Sinclair : Je vais quand même vous entraîner sur un terrain un plus politique, c’est-à-dire qu’il s’est passé quelque chose au milieu de toutes ces difficultés, c’est qu’il s’est passé une dissolution. Cette dissolution a été voulue par le président de la République, vous, vous étiez plutôt contre. Pourquoi, à votre avis, s’est-il rangé aux analyses de ceux qui la prônaient ? Au fond, quel était le soubassement de l’analyse qui justifiait les discussions ?
M. Séguin : Je ne voudrais pas vous paraître pratiquer la langue de bois…
Mme Sinclair : Ah ! non !
M. Séguin : …mais la dissolution est indiscutable. Je veux dire par là qu’on ne peut pas la discuter, c’est une prérogative du président de la République.
Mme Sinclair : Indiscutable, mais était-elle bienvenue ?
M. Séguin : Il a usé de cette prérogative, il n’a de compte à rendre à personne et il n’existe pas, en dehors du changement de Gouvernement, d’autres conséquences de la dissolution. Je veux dire par là que ceux qui voudraient remettre en cause l’exercice plein, total de ses prérogatives par le président de la République, au motif qu’il aurait, j’ouvre des guillemets, « raté une dissolution », sont complètement à côté de la plaque.
Mme Sinclair : Néanmoins si la dissolution n’avait pas été faite pour obtenir le résultat que l’on a.
M. Séguin : Eh bien, ce serait peut-être passé dans quelques mois !...
Mme Sinclair : Ce que je veux dire est plus profond, ce n’est pas politicien ce que je vous demande.
M. Séguin : Je regrette beaucoup de ne pas vous avoir convaincue des raisons profondes de la situation dans laquelle nous sommes. Je serais presque tenté de dire que tout le monde a perdu dimanche dernier. Alors, nous, bien sûr, nous avons perdu encore plus que les autres, mais il ne faut pas s’y tromper ! Nous sommes tous en crise. Il ne faut pas oublier le score du Front national, il ne faut pas oublier les votes blancs, il ne faut pas oublier le fameux message du premier tour. Le message du premier tour est adressé à l’ensemble des responsables politiques, sans exception.
Mme Sinclair : Il ne faut pas oublier non plus, peut-être, une campagne qui n’a pas été très bien comprise…
M. Séguin : …cela est probable !
Mme Sinclair : Avez-vous compris, vous, que le Premier ministre soit viré au lendemain du premier tour et qu’on vous demande à vous, dans les trois derniers jours, d’essayer de gagner la bataille ?
M. Séguin : On ne m’a rien demandé. Il s’est trouvé que je me suis retrouvé en première ligne, mais personne ne m’a rien demandé en particulier. Il s’est trouvé, du jour au lendemain, que les caméras de télévision et les journalistes sont venus suivre mes déplacements et mes réunions.
Mme Sinclair : Après que le Premier ministre ait déclaré forfait.
M. Séguin : D’ailleurs, je vous ferai observer que, pendant toute la deuxième semaine, j’ai quitté Épinal seulement à quatre reprises, une fois pour passer deux heures au total à Bar-le-Duc, une autre fois, deux heures pour aller à Nancy, une autre fois, trois heures pour aller à Chambéry et, une dernière fois, pour faire un aller et retour à la finale du championnat de France de rugby.
Mme Sinclair : Mais on peut faire campagne à Épinal. Vous l’avez montré, d’ailleurs…
M. Séguin : Pour le reste, je suis resté dans ma circonscription et j’ai assumé le calendrier qui était le mien.
Mme Sinclair : Quand je disais : « cette campagne n’a pas été bien comprise », vous dites : « certes ! »…
M. Séguin : …il y a eu certainement un décalage entre l’acte fort et même, par certains côtés, dramatique de la dissolution et le ton de la campagne, un décalage qui a sûrement nourri la perplexité des Français, oui, sûrement !
Mme Sinclair : Les conséquences de ce scrutin sont la cohabitation, on vient de le voir ! Vous parliez, vous-même, du président de la République qui, hier, a voulu donner le sens qu’il souhaitait donner à sa fonction, est-ce que cette fonction vous semble néanmoins entamée ou atteinte ?
M. Séguin : Pas du tout ! Et le serait-elle que ce serait notre rôle, à nous, opposition, et notre rôle, plus particulièrement au RPR, de veiller à ce que la personne, le statut et le rôle du président de la République soient intégralement préservés. C’est notre rôle premier.
Mme Sinclair : Et quant à l’étranger on décrit une France dont un Président est affaibli, cela vous choque ?
M. Séguin : Il y a toujours eu des journaux francophobes et, en particulier, dans le monde anglo-saxon.
Mme Sinclair : Et Raymond Barre qui n’est pas francophobe, quand il parle de payer le prix de l’échec, à votre avis, cela voulait dire quoi ?
M. Séguin : Raymond Barre n’a jamais été très favorable au principe même des cohabitations et toutes les cohabitations ont appelé de sa part des remarques acerbes.
Mme Sinclair : Avant d’en venir aux conséquences pour la majorité, pour le RPR, faudrait-il tirer de tout cela des conséquences institutionnelles dans le fonctionnement des institutions et si oui, lesquelles ?
M. Séguin : C’est probable ! Je crois qu’il faut, d’abord, que nous recherchions tous ensemble, d’ailleurs, un autre mode de rapport avec nos électeurs, avec nos administrés. Je crois que le temps où, d’un côté, il y a ceux qui savent et qui décident et, de l’autre côté, ceux qui doivent suivre d’une façon ou d’une autre, ce temps-là est révolu. Je crois qu’il faut plus d’humilité de notre part, plus d’efforts de pédagogie et aussi plus d’efforts d’écoute.
Mme Sinclair : Cela est un comportement plus que les institutions ?
M. Séguin : Certainement.
Il faut, d’autre part, trouver des solutions en matière de démocratisation de l’Europe. Cela est une nécessité absolue. Actuellement, les réponses qui sont apportées sont des réponses largement insuffisantes. Pour ma part, je continue de croire que, au moins à titre transitoire, une participation plus active des parlements nationaux au processus de décisions serait opportune pour légitimer ces décisions et faire en sorte que les gens aient en face d’eux des interlocuteurs porteurs des explications, des justifications des décisions qui sont prises et capables d’exprimer, à qui de droit, leurs aspirations. Il faut d’autre part, à l’évidence, renforcer les prérogatives du Parlement.
Certains pensent qu’il faut aller encore plus loin, aller vers un régime présidentiel. Je ne sais pas si nous en sommes déjà là ? Toujours est-il que…
Mme Sinclair : …pour vous, cela aurait pu être une fonction de cette dissolution ? Enfin, vous avez laissé entendre que cela pouvait être l’amorce de ce débat-là ?
M. Séguin : Si la majorité ancienne était revenue, je crois que le problème se serait immanquablement posé. En tout état de cause, pouvons-nous, face à l’ampleur des problèmes que nous avons à traiter, nous satisfaire de cette instabilité permanente que j’ai tenté de décrire, j’en doute !
Et puis, d’autre part, il faut aussi que le Parlement apprenne à user de toutes les prérogatives qui lui sont reconnues. Et, à cet égard, je pense qu’un accord pourra être atteint entre la majorité et l’opposition sur le problème de la nouvelle limitation des cumuls, voire sur leur interdiction totale que j’appelle de mes vœux.
Mme Sinclair : On va entrer de plus en plus dans le concret et voir ce qui se passe dans la majorité et au RPR. Mais, tout de suite, une page de publicité.
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Mme Sinclair : Vous êtes à 7 SUR 7 en compagnie de Philippe Séguin. On va parler du RPR, parce que cela a été quand même cette semaine, devant tous les Français ahuris, une sorte de lutte aux couteaux assez violente, qui faisait plus, disaient Alain Rollat et Pierre Georges dans Le Monde, penser à la cour d’Henri Ill et la Reine Margot où l’on s’étripait dans les couloirs du Louvre. Que s’est-il passé, vraiment, à votre avis ? Vous n’êtes pas un spectateur ?
M. Séguin : Il s’est passé qu’après l’échec, après le constat de l’ampleur de la crise à laquelle nous sommes confrontés, nous souhaitons nous organiser pour relever les défis auxquels nous sommes nouvellement confrontés. Ce que nous souhaitons c’est, comme toujours, revenir à nos origines. Le gaullisme, qu’est-ce que c’est ? Cela paraît quelque chose de bien longtemps. Ce sont pourtant des choses très modernes. C’est d’abord quelques principes simples : c’est la volonté de donner à chacun – la capacité de maîtriser son destin individuel, la possibilité de participer à une aventure collective et puis, d’autre part, c’est une méthode. La méthode, c’est un mouvement politique, ouvert, qui se donne pour vocation de représenter l’ensemble des sensibilités, voire des contradictions de la société française, qui assume sa diversité, qui cherche à en réaliser la synthèse en dégageant des lignes d’action. C’est tout le sens de la démarche qui s’accomplit.
Nous souhaitons un mouvement qui soit un mouvement réconcilié, un mouvement rénové et un mouvement ouvert.
Mme Sinclair : Avant la réconciliation, comme dirait Raymond Barre, il y a la décomposition, et c’est plutôt à cela qu’on a assisté cette semaine…
M. Séguin : Oh ! il faut un temps pour tout.
Mme Sinclair : …vous n’êtes pas qu’un observateur, là vous avez été un acteur. Parlons franchement.
M. Séguin : Il faut un temps pour tout. Je ne vais pas éluder la question que vous ne m’avez pas posée.
S’agissant d’Alain Juppé, je crois qu’il faut laisser au temps le soin de rendre à Alain Juppé les justices qui lui sont dues et, en particulier, celle-ci : c’est qu’il a été Premier ministre dans des circonstances exceptionnellement difficiles.
Cela étant, la vie politique est ce qu’elle est, c’est-à-dire que je ne doute pas que très prochainement, très rapidement, Alain Juppé se retrouvera en position de mettre ses qualités, qui sont tout à fait éminentes, au service de son mouvement, d’abord, et au service de son pays, en général. Je n’en doute pas un instant.
Mme Sinclair : Cela, ce sont beaucoup de fleurs que les gens taxent un peu d’hypocrisie, vous le savez bien ?
M. Séguin : Peut-être, mais ce n’est vraiment pas un problème d’homme ou un problème de contrôle d’appareil.
Mme Sinclair : Il faut quand même expliquer aux Français, parce que cette semaine ils ont vu Alain Juppé offert en victime expiatoire ?
M. Séguin : C’est si loin de ce que je suis, de ce que je pense. Vous voyez, si j’ai franchi le pas, si j’ai accepté de me porter candidat à la présidence du RPR, dès lors que des assises étaient annoncées dans ce but, c’est pour un certain nombre de raisons : c’est d’abord parce que je crois qu’il faut que, le plus rapidement possible, comme je vous l’ai dit, nous nous donnions les moyens de défendre, si besoin est, le président de la République. Parce que, d’autre part, je n’ai aucune envie de voir un jour le Front national à 20 ou à 25 % et apparaître comme l’opposition aux yeux des Français. Et, enfin, troisième raison, parce que je crois, parce que je pense que, lorsque nous reviendrons, il faudra que ce soit de manière durable et que ce soit avec de vraies réponses aux problèmes du pays.
Un mouvement réconcilié, vous ai-je dit, rénové, ouvert, qu’est-ce que cela veut dire ? Réconcilié, cela veut dire qu’il doit faire toute sa place à toutes les sensibilités, à tous les hommes, à toutes les femmes de qualité qui sont en son sein, leur donner la possibilité de s’exprimer.
Mme Sinclair : Ce n’est pas cela ?
M. Séguin : Eh bien, il faut que ce soit plus le cas que cela ne l’est aujourd’hui et s’organiser en conséquence, c’est-à-dire en finir avec toute tentation de centralisme démocratique. Et s’organiser pour faire en sorte que la liberté d’expression, la tolérance soit la règle. Et puis il faut s’ouvrir et, à partir de notre capacité nouvelle de dialogue, de confrontation des idées, à tirer à nous des hommes et des femmes nouveaux. C’est cela notre ambition.
Mme Sinclair : Revenons brièvement à la cuisine parce qu’elle ne nous a quand même pas été tout à fait indifférente cette semaine. Il y avait des assises qui étaient prévues en septembre. Alain Juppé s’est interrogé sur le fait de savoir s’il fallait bousculer les statuts. Est-ce qu’il fallait aller aussi vite pour demander des assises dès juillet et vous porter candidat tout de suite, est-ce que cela justifie l’urgence ?
M. Séguin : Je pense que le plus vite on aura réglé ce problème, le plus vite on se sera remis en position…
Mme Sinclair : Le problème étant Alain Juppé ?
M. Séguin : Mais non, pas du tout. Je vous le redis, je vous le redis…
Mme Sinclair : Je vous taquine.
M. Séguin : Écoutez, enfin que les choses soient bien claires, ce à quoi nous souhaitons appeler notre mouvement, c’est à une nouvelle métamorphose. Ce ne sera ni la première, ni la dernière des métamorphoses. Depuis sa fondation il y a un demi-siècle, il en a connu de nombreuses. Il s’est constitué pour contester un régime contestable, la IVe République. Ensuite, il s’est transformé pour soutenir l’action du général de Gaulle. Ensuite, il s’est transformé à nouveau pour soutenir l’action de Georges Pompidou. Et, enfin, il a connu une quatrième transformation en 1976, sur laquelle nous continuions de vivre, pour porter l’un des siens à la présidence de la République, ce qui est fait depuis 1995.
Eh bien, aujourd’hui, il faut qu’il connaisse à nouveau une métamorphose, qu’il devienne ce mouvement politique moderne, apte à correspondre à cette nouvelle façon de faire de la politique qu’on évoquait tout à l’heure et apte à apporter des réponses aux problèmes extraordinairement complexes posés par la mondialisation.
Mon problème, ce n’est pas de remplacer Jacques Chirac. Jacques Chirac demeure notre inspirateur…
Mme Sinclair : C’est une question que je n’avais pas posée.
M. Séguin : Il demeure notre inspirateur et notre référence, cela va de soi.
De la même façon, il ne s’agit pas de changer un ordre de succession. Nous ne sommes pas une monarchie héréditaire. Toute la démarche qui est entreprise, elle est le contraire des arrière-pensées qui lui sont prêtées trop souvent.
Mme Sinclair : Je vais vous parler encore peut-être des hommes, mais derrière des hommes, il y a des idées. Vous dites : il faut réconcilier, mais aujourd’hui on vous a vu plutôt faire alliance avec ce qu’on appelle les balladuriens et que vous dénonciez, autrefois, comme les tenants – autrefois, il n’y a pas si longtemps – de la pensée unique, dont vous êtes très éloigné.
Est-ce qu’aujourd’hui c’est une alliance de circonstance, une alliance tactique, ou êtes-vous réconcilié sur le fond des choses et sur l’analyse que vous faites ?
M. Séguin : Écoutez, je crois que, de part et d’autre, on arrive, surtout après tous ces évènements, à un constat : il va falloir que nous trouvions le moyen de faire la synthèse entre, d’une part, la nécessité incontestable, urgente, de libérer l’esprit de l’entreprise, de libérer les forces d’innovation, de création, parce que la mondialisation est là, qu’on le veuille ou non, et qu’il faut se battre sur son front, et puis, d’autre part, de maintenir, voire d’accroître la solidarité, quitte à lui donner de nouvelles formes, quitte à la moderniser. Et nous sommes condamnés à faire cette synthèse. Hors de cette synthèse, il n’y aura pas de réponses durables aux problèmes de la société française.
Alors, je devrais mettre de l’eau dans mon vin, d’autres devront en mettre aussi. Mais c’est pour cela que le dialogue sera le fond de toute notre démarche.
Mme Sinclair : C’est pourquoi on vous a connu associé à la bataille politique avec Charles Pasqua, un temps. Avec Alain Madelin le temps très court d’un deuxième tour de présidentielles. Aujourd’hui, avec Édouard Balladur et Nicolas Sarkozy, c’est votre troisième synthèse ou votre troisième mariage ?
M. Séguin : Il ne s’agit pas de mariage, il ne s’agit pas d’alliance, il s’agit de reconnaître l’existence de chacune de ces sensibilités. Que chacune de ces sensibilités ne prétende pas à être à elle seule le mouvement et qu’on recherche les voies de la synthèse et du compromis. Une société, c’est cela, vous savez, ce sont des aspirations contradictoires dont il faut bien assurer la synthèse.
Un mouvement politique comme le nôtre, qui n’est pas un parti précisément – parce qu’un parti est la représentation de certains intérêts d’une partie de la population, d’ailleurs le terme « Parti » est bien là pour le dire – doit se donner, je le répète et je le répèterai souvent, comme ambition de représenter toutes ces contradictions et d’essayer de les dépasser. C’est à cet exercice que nous sommes maintenant appelés. Et nous devons oublier les rancunes, les rancœurs. Nous devons travailler dans l’union parce que c’est cela qui conditionne notre capacité à revenir aux responsabilités et c’est cela, je le crois très sincèrement et très profondément, qui conditionne la capacité, un jour, pour la France à sortir des difficultés.
Mme Sinclair : Pour aller au-delà même de ce que vous dites dans l’idée du rassemblement, est-ce que l’avenir à droite, c’est un seul parti, comme le souhaiterait d’ailleurs Édouard Balladur, une sorte de parti conservateur libéral ? Ou sont-ce deux partis…
M. Séguin : On verra ! On verra ! On en discutera…
Mme Sinclair : …voire trois, avec une composante centriste ?
M. Séguin : …encore que le mot « conservateur », je vous le laisse parce qu’il a une tonalité qui ne me paraît ni correspondre aux idées d’Édouard Balladur…
Mme Sinclair : …une tonalité britannique ?
M. Séguin : Oui, mais s’il s’appelle le Parti conservateur, c’est pour des raisons historiques. Il ne s’agit pas de conservatisme. Il s’agit de savoir dans quel sens on évolue. Alors, il y a des propositions…
Mme Sinclair : Un seul parti pour regrouper l’ensemble de la majorité, puisque vous parlez de rassemblement ?
M. Séguin : On verra ! On verra ! Mais d’abord réglons nos problèmes internes, dépassons-les et puis, ensuite, voyons quelles sont les meilleures méthodes de collaboration, de coopération avec nos amis de l’opposition.
Mme Sinclair : Vous parliez tout à l’heure du Front national, visiblement il pose de plus en plus de problème à la droite…
M. Séguin : Non, non, je suis désolé. Cela, c’est une façon de voir les choses que je récuse totalement. Le Front national pose des problèmes à la France parce que le Front national est le révélateur des problèmes français. Voilà ce qu’est le Front national. Il est le révélateur de notre crise. Parce que les gens qui votent pour le Front national, pardonnez-moi, n’adhèrent pas, dans leur grande majorité, aux idées du Front national. Ils utilisent le vote « Front national » comme un vecteur de leurs angoisses et de leur volonté de rejet, ce qui donne la clé aux problèmes politiques posés par le Front national. Il est évidemment hors de question de passer des accords avec lui, ce qu’il faut faire, c’est travailler, traiter le terreau sur lequel il prospère, et ce terreau, c’est évidemment le chômage avec toutes ses implications.
Mme Sinclair : Quand vous avez lu les papiers d’Alain Peyrefitte ou de Jean d’Ormesson cette semaine appelant à lever le tabou, précisément, à une alliance demain avec le Front national…
M. Séguin : Je ne suis pas sûr d’avoir lu tous les papiers cette semaine parce que j’ai été très occupé.
Mme Sinclair : Quand vous avez entendu un certain nombre de gens à droite, qui réclament et qui disent : « Levons les tabous vis-à-vis du Front national », avez-vous été saisi de la même indignation que celle qui vous saisissait il y a un instant ?
M. Séguin : Je vous redis ce qui est le fond de ma pensée : ce n’est pas par un accord avec le Front national – au demeurant, si certains étaient tentés par un accord avec le Front national, droite et extrême-droite, il faut savoir que l’extrême-droite exploserait, parce qu’une grande partie du vote Front national est un vote qui est d’origine de gauche. Par définition, on ne retrouverait plus ce vote à l’arrivée – qu’il faut se déterminer, c’est par rapport au problème dont l’existence et l’importance du Front national sont aujourd’hui les révélateurs.
Mme Sinclair : Un dernier mot, avant de parler des sujets chauds qui attendent le Gouvernement, sur le gouvernement Jospin : beaucoup de femmes à des postes de commande et non pas à des postes décoratifs, cela vous a intéressé ?
M. Séguin : Ce sont des choses que l’on a déjà vues en 1993, notre capacité d’émerveillement est un peu émoussée depuis. Enfin, que ce soient des hommes, que ce soient des femmes, l’essentiel, c’est que ce soient de bons ministres.
Mme Sinclair : J’ai cru que vous alliez me dire en 1995, mais elles n’avaient guère duré.
M. Séguin : L’essentiel, c’est que ce soient de bons ministres. Non, c’était 1995. Oui, je me suis emmêlé dans les dates.
Mme Sinclair : Et sur le Gouvernement lui-même, vous avez un salut, un commentaire à faire ?
M. Séguin : La dernière chose que je lui ferais, c’est procès d’intention. Il faut attendre de le voir à l’oeuvre, attendre, en particulier, la déclaration de politique générale du Premier ministre et la réponse à toute une série de réponses que l’on se pose, parce que ce ne sont pas les questions qui manquent.
Mme Sinclair : Parmi les questions que l’on se pose, il y a évidemment des dossiers chauds qui vont venir très vite. Viviane Jungfer, Alain Badia.
Dossiers brulants : C’est indéniable, le gouvernement Jospin plaît à la Bourse de Paris, mais tout n’est pas rose pour autant. Chiffres et dossiers sont là pour rappeler à la nouvelle équipe l’ampleur des difficultés qui l’attendent. La croissance reste atone, la consommation des ménages aussi. Les exportations sont encore et toujours le principal moteur de l’activité.
Même si les prévisions de croissance ne sont pas remises en cause, il faut bien à nouveau le constater, la reprise tant annoncée n’est toujours pas enclenchée.
L’emploi, la réduction du temps de travail et les salaires, ces trois grandes priorités, toujours les mêmes, seront au cœur de la conférence nationale voulue par Lionel Jospin dès juin.
Europe : ne pas laisser filer les déficits mais ne pas, non plus, renoncer à l’euro. La monnaie unique est l’autre gros dossier qui attend Lionel Jospin, c’est aussi l’un des plus épineux de la cohabitation.
Lionel Jospin tient à rencontrer Helmut Kohl, le 13 à Poitiers, lors du sommet franco-allemand.
Mme Sinclair : Philippe Séguin, si la droite avait été élue dimanche, vous seriez sans doute. Premier ministre aujourd’hui…
M. Séguin : Cela, c’est une mauvaise façon de commencer la question.
Mme Sinclair : Ah, bon ! Pourquoi, ce n’est pas vrai ? Ce n’est pas plausible ce que je viens de dire ?
M. Séguin : Non, non, mais poursuivons.
Mme Sinclair : D’accord. Alors, vous auriez donc devant vous, en gros, les mêmes dossiers que Lionel Jospin aujourd’hui…
M. Séguin : Je ne sais pas si j’aurais répondu à votre invitation !
Mme Sinclair : D’accord. Mais, alors, comme vous ne l’êtes pas, vous voyez les dossiers qui se posent aujourd’hui : l’euro, l’emploi, quelle est l’urgence, quelle est la priorité, quels sont pour vous à la fois les sujets les plus brûlants et quelles réponses apporter ?
M. Séguin : J’ai dit que je ne ferai pas de procès d’intention, je vais m’en tenir à cette position. On ne peut pas ne pas constater que le Gouvernement s’est infligé un certain nombre d’hypothèques et, d’autre part, va avoir à surmonter certains risques de contradiction. J’espère le dire sans souci polémique excessif.
Pour ce qui concerne les hypothèques, c’est incontestablement deux promesses, je n’aime pas beaucoup ce mot mais c’est ainsi que les deux choses ont été ressenties, qui sont vraiment rentrées dans l’esprit de beaucoup de Français, c’est d’abord 35 heures payées 39, je sais que cela va beaucoup agacer le Gouvernement qu’on le lui rappelle, mais c’est ainsi, et puis c’est ainsi d’autre part les 700 000 emplois financés, semble-t-il, sur fonds publics. Ce sont deux hypothèques avec lesquelles il va falloir compter.
D’autres que moi, moins insensibles aux risques de la polémique, diraient que, d’un côté, il y a le risque politique d’oublier ses promesses et de l’autre côté le risque économique de les assumer.
Mme Sinclair : Vous connaissez cela ?
M. Séguin : Mais je résiste à la tentation, vous l’aurez constaté.
Et puis, d’autre part, il y a les risques de contradiction. Il va y avoir le risque de contradiction entre ce qui va être fait en matière de politique économique, de politique intérieure, et ce qui va être dit ou fait sur le plan européen.
J’ai pris connaissance avec beaucoup d’intérêt des fameuses quatre conditions de Monsieur Jospin sur la réalisation de l’euro, avec visiblement plus d’intérêt que ses propres amis socialistes européens, si j’ai bien compris, mais c’est un discours qui n’est tenable, qui n’est crédible que dans la mesure où la France se met en position de respecter les critères, c’est-à-dire dans la mesure où ces quatre conditions n’apparaissent pas comme autant d’échappatoires.
Il y a d’ailleurs une autre échappatoire auquel il va falloir savoir résister, j’espère que l’on ne va pas nous faire le coup de l’héritage pour expliquer les difficultés à réaliser l’euro, je l’espère de tout cœur, parce que nous avons eu 6 Premier ministres depuis 6 ans, je l’ai dit tout à l’heure, et aucun ne porte à lui seul la responsabilité des difficultés que nous aurions à respecter les critères en question.
Or, sur le plan intérieur, si j’ai bien compris, s’agissant de la réalisation des 3 %, on va se priver de trois leviers que semblait devoir s’autoriser le Gouvernement précédent :
- d’abord, c’est un effort de modération de la dépense publique, je n’ai pas eu l’impression qu’il était annoncé ;
- c’est, d’autre part, un refus de bénéficier de tout ou partie, en tout cas, des recettes de privatisation ;
- et, troisièmement, c’est l’existence de certaines mesures nouvelles.
Entre les 3 % et, d’autre part, cette triple perspective, il y a incontestablement une contradiction.
Mme Sinclair : Quand Lionel Jospin, il y a deux jours en Suède, dit qu’il maintient ses conditions pour l’euro mais qu’il veut respecter l’échéance de 1999, cela vous semble tenable ?
M. Séguin : Il dit, me semble-t-il, une chose et son contraire.
Mme Sinclair : C’est-à-dire que vous n’auriez pas pu respecter, vous, l’échéance de 1999 ou vous n’auriez pas posé de conditions ?
M. Séguin : Nous aurions pu les respecter et, éventuellement, nous aurions pu infléchir, après 1999, les choses dans la mesure où nous aurions respecté les 3 %, compte tenu de ce que sur les trois points que j’ai évoqués, modération de la dépense, recettes de privatisation, absence de mesures nouvelles, nous avions une autre position que celle que nous croyons voir venir. Mais je me trompe peut-être ! Ce sont des questions que je pose.
Mme Sinclair : Ce triptyque était le vôtre ?
M. Séguin : Dans la mesure où le Traité est notre loi commune, je vois mal comment, pour arriver à 3 %, nous aurions pu éviter le triptyque en question.
Mme Sinclair : C’est la première fois que je vois Philippe Séguin avec tant de vigueur le critère de 3 %.
M. Séguin : Excusez-moi, mais je ne suis pour rien, à la différence de Monsieur Jospin et de ses amis, dans le traité de Maastricht. Puis-je rappeler qu’il y a au sein du Gouvernement, autre élément de contradiction, des personnalités, tout à fait estimables d’ailleurs, qui ne sont pas pour rien dans les critères, dans le fait que la Banque centrale n’a pas en face d’elle un Gouvernement économique, dans le fait que l’emploi a été passé par pertes et profits et, d’autre part, que l’Italie ne sera pas forcément dans Ies premiers pays à pouvoir adhérer. Moi, je n’y suis strictement pour rien. En revanche, je crois que Monsieur Védrine, le ministre des Affaires étrangères, avait une responsabilité éminente auprès de Monsieur Mitterrand lors de la négociation, que Madame Guigou n’était pas rien dans le Gouvernement s’agissant des affaires européennes. Or, avec les quatre conditions, on s’attaque à l’essence même du Traité, à ce qui fait son corps, aux raisons qui ont fait qu’un certain nombre d’Européens, comme moi, l’avait, contesté à l’époque.
Alors, vous me parliez tout à l’heure du Gouvernement, je redoute des esquisses de contradictions entre les uns et les autres.
Pendant la campagne électorale, j’ai eu le malheur de dire, pour répondre à une objection du style de celle que vous faisiez tout à l’heure, que, s’agissant du traité de Maastricht, il était devenu la loi commune et que, si je pouvais regretter qu’il ait été voté en son temps, tel qu’il est, j’ai regretté aussi que l’on ait perdu la bataille d’Azincourt et la bataille de Crécy mais que, bon, c’était ainsi et qu’il fallait en assumer les conséquences.
Que n’ai-je entendu de la part d’une haute personnalité socialiste, enfin du Mouvement des citoyens, qui est aujourd’hui ministre de l’Intérieur. Il m’a dit que, après Crécy, après Azincourt, il y avait eu Jeanne d’Arc. Que, moi, j’étais un lâche, un capitulard, il y avait eu Jeanne d’Arc.
Alors si Monsieur Chevènement, pour ne pas le citer, veut jouer les Jeanne d’Arc face à Madame Guigou ou qu’il y aura une erreur de casting difficilement contestable, je crois que cela promet quelques contradictions.
Mme Sinclair : Je ne voudrais pas que l’on termine cette émission sans dire un mot de politique étrangère, et notamment de l’Algérie.
L’Algérie où, cette semaine, il y a eu des élections législatives, sans surprise, le Parti du président Zeroual, que l’on voit ici voter, a obtenu la majorité devant les Islamistes et le Front démocratique. L’opposition a dénoncé des fraudes massives, plus de 300 000 soldats et policiers ont été mobilisés pour l’occasion. Mais cette assemblée, comme vous le savez, n’aura pas de réels pouvoirs puisque c’est le président Zeroual qui les détient tous. Et quant à la population, elle est, hélas, sans grande illusion face aux problèmes de la pauvreté et du terrorisme. Elle n’attend plus grand chose. Un terrorisme qui a fait 60 000 victimes en 5 ans.
Philippe Séguin, vous avez regardé ces évènements avec tristesse, indignation ?
M. Séguin : J’ai entendu les observateurs de l’ONU tenir, sur les conditions de déroulement de ces élections, des propos qui étaient moins sévères que les vôtres.
Il est bien possible que cette Assemblée n’ait pas autant de pouvoir qu’en a le Congrès américain pour limiter, là, les comparaisons. Mais, enfin, du moins il va y avoir, après un président élu au suffrage universel et dans des conditions qui, elles, n’avaient pas été contestées, une assemblée où se retrouveront toutes les forces politiques algériennes, à l’exception du FIS et du GIA., si tant est que l’on puisse considérer le GIA comme une force politique, ce sera un lieu de confrontation. Cela peut – et je veux retenir cette lecture optimiste – être un nouveau pas dans le sens de la normalisation démocratique. Cela étant, tout ce qui se passe en Algérie est extraordinairement douloureux et comment ne pas souhaiter à ce pays martyr de retrouver les voies de la paix.
Mme Sinclair : Philippe Séguin merci beaucoup d’être venu ce soir au terme de changements profonds dans la politique française. Merci d’être venu.
Dimanche prochain, Grand Prix de Formule 1 du Canada, donc pas de 7 SUR 7. Je vous retrouverai le dimanche 22 juin. Et tout de suite le 20 heures de Claire Chazal.
Merci à tous. Bonsoir.