Articles de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, dans "Lutte ouvrière" des 6, 13, 20 et 28 juin 1997, sur la déclaration de politique générale de Lionel Jospin, les conflits sociaux et l'Europe sociale.

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Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

Date : 6 juin 1997
Source : Lutte Ouvrière

Jospin a le temps, mais pour les travailleurs, il y a urgence

Contre le chômage, la précarité et les bas salaires, il faut prendre sur les profits patronaux

On peut se réjouir en voyant les visages défaits et en entendant le concert de lamentations des hommes de droite, si arrogants durant les quatre dernières années où ils gouvernaient. Même si l’on sait qu’ils ne subiront pas les affres du chômage, cela fait plaisir de les voir vivre l’épreuve du licenciement.

Cela dit, on va voir combien de temps la gauche va mettre pour prendre, reprendre devrait-on dire, le visage, les attitudes, les idées et les actes de la droite. Robert Hue a rapidement renoncé à demander des mesures immédiates pour ne pas décevoir l‘électorat communiste vis-à-vis duquel il s’est engagé et qui a permis au PCF d’obtenir trente-neuf députés.

Les dirigeants socialistes lui ont répondu que, bien qu’ils n’aient « pas le droit de décevoir », il y aura peut-être quelques « symboles » mais qu’il faudra surtout de la patience et de la durée.

Lionel Jospin, dès le soir du 1er juin, s’en prenait à ceux qui voudraient « tout, tout de suite », visant ainsi les dirigeant du Parti communiste. Et les dirigeants communistes n’ont même pas eu droit à un petit geste ou à une promesse explicite sur le SMIC, les salaires ou les impôts. Ils non même pas eu le petit quelque chose avec lequel ils auraient pu justifier leur soutien. Et pourtant ils ont mis en deux jours leurs prétentions sous la table, pour accepter de participer au gouvernement avec deux ministres, celui de la Jeunesse et des Sports et celui des Transports, de l’Équipement et du Logement.

Bien sûr, c’est se lier encore plus les mains. Tenus par la discipline gouvernementale, les dirigeants du PCF ne pourront que tout approuver et s’interdire de s’opposer à quelque mesure gouvernementale que ce soit. Sinon leurs ministres seraient, une fois de plus, obligés de démissionner du gouvernement. Mais Robert Hue tient à cette participation et il a accepté tous les renoncements voulus par Jospin.

Le Parti Socialiste, Lionel Jospin en tête, n’a rien promis aux travailleurs et aux masses populaires dans cette campagne électorale. Il n’aura donc pas de mal à tenir parole ; trois cent cinquante mille emplois pour les jeunes dans les collectivités locales, c’est une goutte d’eau face aux millions de chômeurs !

Et quand Lionel Jospin parle de gouverner « dans la durée », cela veut dire qu’il compte bien, malgré cinq ans au gouvernement, se retrouver en bonne position pour la présidentielle, c’est-à-dire sans être discrédité auprès d’une majorité de l’électorat. Si toutefois les hommes de la grande bourgeoisie lui en laissent la possibilité.

Rien ne prouve que l’électorat auquel il voudra plaire soit vraiment les classes populaires, les travailleurs, les chômeurs, les jeunes. Pour cet homme, issu du ministère des Affaires étrangères et qui avait sollicité une place d’ambassadeur alors qu’il ne croyait plus à l’avenir du Parti Socialiste, les classes populaires sont le dernier des soucis. Pour gagner la présidentielle, il cherchera plutôt à gouverner sans avoir à heurter les catégories sociales petites-bourgeoises.

Jospin, comme ses prédécesseurs de droite, espère que la crise cessera bien d’elle-même un jour. Mais si elle ne cesse pas, il perdra sa popularité comme les autres. Car le patronat, face à la crise, ne fera de cadeau à aucun gouvernement. Il exigera que le gouvernement impose des sacrifices aux masses populaires pour préserver ses profits.

Les travailleurs et les classes populaires ont, dans leur grande majorité, voté pour la gauche mais certainement avec beaucoup moins d’illusions qu’en 1981. Ils ne lui feront pas crédit très longtemps et le gouvernement socialiste se trouvera immanquablement confronté à des conflits sociaux s’il ne répond pas aux attentes du monde du travail. Les trois millions de chômeurs, les deux millions de travailleurs en situation précaire, les jeunes qui doivent entrer dans le monde du travail, les mal-logés, sont plus préoccupés du lendemain que de l’avenir. Surtout celui de Jospin.


Date : 13 juin 1997
Source : Lutte ouvrière

Non, les travailleurs ne peuvent pas faire crédit à Jospin.

Il faudra patienter jusqu’au 19 juin prochain pour que Jospin fasse sa déclaration de politique générale. En attendant, lui et ses ministres se contentent de gestes symboliques, destinés à faire croire qu’il va appliquer ses maigres promesses. Mais dès qu’on y regarde d’un peu plus près, les décisions prises relèvent tout au plus de l’effet d’annonce, que pratique chaque gouvernement dans les premiers jours de son existence.

Il y a certes l’annonce de la régularisation de la situation d’une partie des sans-papiers. Cela concernerait, selon les estimations, entre 10 000 et 40 000 personnes qui verraient enfin leur situation normalisée. Cette décision est la bienvenue. Mais pour les autres travailleurs immigrés, tout le monde a souligné l’extrême prudence des déclarations en ce qui concerne l’avenir. On nous dit que les lois Pasqua-Debré seront abolies. Mais on nous dit qu’elles seront remplacées. Il eut pourtant été mieux de nous dire dans quel esprit le nouveau gouvernement légifèrerait sur cette question.

Pour ce qui concerne le sort des travailleurs de Vilvorde, menacés de perdre leur emploi le 31 juillet, l’attitude du gouvernement est encore plus significative. Pas question de revenir sr la décision du PDG de Renault (pas plus d’ailleurs sur celle annoncée par Calvet, que nos nouveaux ministres se sont bien gardés de dénoncer).

On s’est contenté de nommer un expert qui doit examiner le bien-fondé de la décision de la fermeture de l’usine. Si son rapport donne raison à Schweitzer, l’usine pourrait très bien fermer le 31 juillet, comme le patron de Renault l’a décidé.

D’ailleurs le Premier ministre belge a rapporté qu’au cours de l’entretien qu’il avait eu avec Jospin sur cette question, ce dernier avait déclaré que « ce n’est pas le gouvernement qui décidait » et qu’il n’avait pas une « entreprise directe sur l’entreprise Renault ». François Hollande, le nouveau premier secrétaire du PS, abondait dans le même sens, déclarant que malheureusement, « des décisions irréversibles » avaient déjà été prises. Autrement dit, il se dessine déjà que Jospin, le Premier ministre, se prépare à renier les propos du candidat Jospin lors de la manifestation de Bruxelles en soutien aux travailleurs de Vilvorde. Mais ce sera, nous dit-on déjà, pas la faute de l’ancien gouvernement qui a laissé Renault prendre des décisions « irréversibles ».

Le gouvernement de droite nous a déjà joué cette musique. Il justifiait ses mesures les plus impopulaires en invoquant l’ardoise laissée par les socialistes. L’alternance permet à chaque nouveau gouvernement de rejeter les fautes sur son prédécesseur et de continuer à mener la même politique au service du patronat.

Le soir même de la victoire électorale de son parti, Jospin affirmait que son action « s’inscrivait dans la durée ». Mais les trois millions de chômeurs, les deux millions de travailleurs en situation précaire, les jeunes qui ne vont pas trouver du travail, les sans-logis, ne peuvent pas accepter que leur situation catastrophique soit « inscrite dans la durée ». Leur problème, ce n’est pas l’espoir dans un avenir lointain, c’est la crainte du lendemain.

Les travailleurs n’ont aucune raison de concéder au gouvernement Jospin un délai de grâce. Ils n’ont aucune raison de faire crédit et ne le peuvent pas.

La manifestation appelée pour le mardi 10 juin par la presque totalité des organisations syndicales a suivi de près le changement de gouvernement.

Le secrétaire général de la CGT, Louis Viannet, affirmait à la veille de cette journée de grève que le gouvernement Jospin n’avait pas besoin de consultations avec les uns et les autres pour décider l’arrêt des plans dits sociaux et pour donner plus qu’un simple « coup de pouce » au SMIC.

Mais quel plan d’action proposent donc les confédérations syndicales pour imposer ce revendications-là, au cas fort prévisible où le gouvernement ne voudrait pas les satisfaire ? Car la manifestation du mardi 10 juin, qui rassemblait entre 40 000 et 80 00 participants, et qui fut un succès, n’aura pas de sens et ne pèsera sur la politique du gouvernement que si elle n’est pas sans lendemain. Il ne faut pas d’une succession de « journées » corporation, comme on en a vu, mais qu’elles constituent des étapes vers la mobilisation générale des travailleurs.

A en juger par les premières réactions de la Bourse, le patronat et les milieux financiers ne se sont guère affolés à l’annonce du nouveau gouvernement Jospin. La présence des trois ministres communistes ne les a pas fait changer d’avis – au contraire, ils y voient, et certains le disent, une garantie contre ce qu’ils appellent les « désordres sociaux ».

Le patronat apprécie les références de Jospin, de Martine Aubry et des autres, comme il a apprécié la modération du programme du Pari socialiste. Industriels et banquiers escomptent que les mesures en leur faveur continueront, comme avant, ainsi que les profits élevés. Ce qui, pour les travailleurs, signifierait l’aggravation du chômage, la diminution des salaires réels, l’affaiblissement des protections sociales et la plongé d’une fraction croissante du monde du travail dans la misère. Voilà à quoi il faut mettre un coup d’arrêt.

Jospin n’a pratiquement rien promis pendant sa campagne qui pourrait changer le sort des travailleurs. Alors, il faut l’obliger à tenir même les promesses qu’il n’a pas voulu faire…

 

Date : 20 juin 1997
Source : Lutte ouvrière

Vilvorde, Electrolux, etc.

Les ministres bavardent à Amsterdam, pendant que les patrons licencient à la pelle !

Jospin, et accessoirement Chirac, voudraient nous faire croire qu’en ayant fait accepter par leurs partenaires européens à Amsterdam quelques généralités sur la nécessiter de préserver l’emploi au niveau européen, cela peut changer quelque chose pour l’emploi en Europe. Mais ces quelques phrases n’engagent ni eux ni personne.

En revanche, la mesure concrète de ce que sera l’avenir et celle des capacités de nos gouvernants à résoudre les problèmes de l’emploi de l’Europe comme du pays, c’est le trust Suédois Electrolux qui l’a donné !

Electrolux, ce sont les marques Arthur Martin, Zanussi et bien d’autres, dans l’électroménager. Il emploie plus de 100 000 personnes dans des dizaines de pays, surtout en Europe, dont 3 000 en France sur une dizaine de sites. Il a réalisé l’an passé un bénéfice de plus de deux milliards et demi de francs et de 500 millions au premier trimestre de cette année, c’est-à-dire qu’il est parti pour les deux milliards dans l’année.

Pourtant ce trust a décidé de fermer vingt-cinq de ses usines et de licencier 12 000 personnes soit un huitième de ses effectifs. Il n’a encore dit ni où, ni qui, et depuis cette annonce, 100 000 travailleurs vivent dans l’inquiétude. Avec leurs familles, cela fait 300 000 personnes plongées dans le désespoir.

Voilà la réponse du capital aux phrases creuses de nos dirigeants politiques, qu’ils s’appellent Chirac, Jospin, Helmut Kohl ou Tartempion, tous des gens incapables de s’attaquer aux bénéfices du grand capital pour protéger les travailleurs.

N’oublions pas non plus que des milliers de salariés de Renault, multinationale française, vivent eux aussi dans l’angoisse à Vilvorde. Tout ce que Jospin a obtenu, c’est la nomination d’un expert qui doit rendre son rapport le 30 juin. S’il dit que Renault a raison, cela ne retardera même pas d’un jour la fermeture de Vilvorde prévue par Schweitzer pour le 31 juillet.

Il y a aussi les presque 3 000 suppressions d’emplois annoncés par Peugeot. Suppressions qui viennent après bien d’autres et qui, dans doute, en précèdent bien d’autres. Que feront Chirac et Jospin contre ces mesures ? Qu’a-t-on fait à Amsterdam ?

Rien, bien sûr ! Chaque fois que ces licenciements ont été annoncés, les actions en Bourse des entreprises en questions ont monté car c’était l’annonce des bénéfices supplémentaires. Et pour les vautours qui vivent de la vente et la revente des actions et du travail des autres, l’angoisse et le malheur des travailleurs sont autant de sources de profits et de joie.

Pendant que les dirigeants politiques essaient de nous endormir avec Amsterdam ou avec notre nouveau gouvernement, le grand patronat continue imperturbablement à licencier. Il sait que les gouvernements peuvent changer mais qu’ils restent à son service.

La seule chose dont on soit certain, c’est que, dans toute l’Europe, il y a une classe ouvrière. Il y a des travailleurs, ouvriers, employés, techniciens, qui subiront tous le même sort, qui sont tout traités de la même façon et qui ont tous les mêmes exploiteurs. Et quand ce ne sont pas exactement les mêmes exploiteurs parce que l’un est suédois et l’autre français, ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau et ont le même comportement.

Alors, ne faisons pas confiance à personne. Ni aux hommes politiques de droite ou de gauche qui gèrent les affaires de la bourgeoisie, ni aux traités internationaux.

Il faut impose au grand patronat un autre partage des profits.

Les travailleurs veulent leur part, avec laquelle on pourrait assurer un salaire décent à l’ensemble des chômeurs.

Quant au travail, il faut le partager entre tous. Cela serait une gestion rationnelle de l’économie dont seule souffrirait la petite minorité qui accumule de colossales fortunes sur la misère des autres.


Date : 28 juin 1997
Source : Lutte ouvrière

Pour faire « social », lors de sa déclaration de politique générale, le nouveau Premier ministre a trouvé une solution économique : annoncer qu’il allait supprimer les allocations familiales aux gens qui bénéficient de revenus importants.

Le principe n’est, en lui-même, pas contestable. Les nantis de la société n’ont pas besoins de ces allocations pour élever leurs enfants. Mais quand on place la barre à 25 000 F de revenus mensuels pour un couple, ce ne sont pas seulement les riches que l’on vise, c’est aussi toute une fraction de la population laborieuse, pour laquelle cela entraînerait une baisse sensible de son niveau de vie.

Et puis surtout, tout dépend de ce que fera Jospin de l’argent ainsi économisé. Mais il se garde bien de le dire et, à part cette précision sur les allocations familiales qui a fait couler beaucoup d’encre, il préfère rester dans le flou. D’après bien des commentateurs, le Premier ministre semble avoir placé sa politique sous le signe de la fidélité aux engagements pris durant la campagne électorale. Mais si c’est vrai, c’est uniquement parce qu’il ne s’était engagé pratiquement à rien vis-à-vis des travailleurs, et il n’y a donc pas de quoi se réjouir.

Il y a certes eu une augmentation de l’allocation de rentrée scolaire, par rapport à ce qu’elle était sous le gouvernement Juppé… mais au niveau de ce qu’elle était sous Balladur. Et comme cette allocation ne tombe qu’une fois par an, cela ne coûte pas cher à l’État.

Le fameux coup de pouce au SMIC qu’on nous présentait à l’avance comme un signe du « changement », s’est réduit à un maigre 4 % d’augmentation, c’est-à-dire exactement la même chose que ce que Chirac avait fait en arrivant à l’Élysée.

Quant à une augmentation des salaires qui sont supérieurs au SMIC, il n’en a même pas été question. La réduction du temps de travail, on verra plus tard. Des mesures concrètes pour lutter contre le chômage ? On verra plus tard aussi. Pour tout ce qui est vital et urgent pour des millions de travailleurs, Jospin n’est pas pressé. Il a, dit-il, toute une législature devant lui. Ce n’est même pas « demain on rase gratis ». C’est « dans cinq ans, on verra ce qu’on a pu faire ».

Tout en disant regretter que Jospin n’ait pas fait mieux pour le SMIC, les députés du Parti Communiste Français (à une exception près) ont malgré tout fait mine de trouver dans cette déclaration suffisamment d’éléments positifs pour voter la confiance au gouvernement.

Mais cette déclaration de Jospin, comme l’attitude des élus du PCF, n’a pu surprendre que ceux qui nourrissent des illusions sur ce que ferait la gauche au gouvernement.

On ne peut pas combattre le chômage et ses méfaits, sans s’en prendre aux profits capitalistes. Or ce n’est ni dans les intentions de Jospin ni dans celles de ses alliés. Au salon du Bourget, le Premier ministre est allé assurer Dassault et ses pareils qu’il défendrait les intérêts de « l’aéronautique française », c’est-à-dire les leurs. Et il n’y a pas que les intérêts des avionneurs qui préoccupent Jospin. Il y a ceux de l’ensemble des grands patrons, aux yeux desquels il veut apparaître comme un gérant loyal et efficace de leurs intérêts, agissant pour leur permettre de maintenir leurs profits, en imposant au besoin de nouveaux sacrifices aux travailleurs.

Quant au chômage, dont Jospin sait que son évolution conditionnera les résultats de son parti lors des futures échéances électorales, il se contentera de faire comme tous les gouvernements qui l’ont précédé depuis le début de la crise : des vœux pour que vienne enfin une reprise économique qui amènerait la création d’emplois, tout en étant prêt, si comme il est probable elle n’est pas au rendez-vous, à céder la place dans quelques années au nom de l’alternance.

Alors, il faut voir les choses en face : si nous voulons que des mesures soient prises pour empêcher les entreprises de supprimer des emplois, alors même qu’elles réalisent des bénéfices, comme Electrolux ; si nous voulons que des mesures soient prises pour créer réellement les innombrables emplois qui manquent dans les services publiques utiles à la population ; si nous voulons voir nos salaires rattraper le retard qu’ils ont accumulé au cours des quinze dernières années ; il nous faudra imposer tout cela au patronat et au gouvernement.