Texte intégral
Giscard a été élu le 19 mai 1974, Chirac le 7 mai 1995. A 21 ans de distance, je suis frappé par la similitude des situations politiques et des problèmes de la France. Je me réjouis de la convergence, désormais acquise, entre les deux hommes.
Tandis que j’observais, il y a un an, l’enthousiasme de celles et de ceux – surtout des jeunes – qui avaient soutenu la candidature de Jacques Chirac, d’autres images me revenaient : celles de Valéry Giscard d’Estaing au milieu des siens, le soir du 19 mai 1974, alors qu’il venait, à 48 ans, d’être élu le plus jeune président de ce siècle, après une campagne éblouissante contre François Mitterrand, que tout pourtant paraissait porter vers le succès.
Si j’en parle aujourd’hui, ce n’est pas par nostalgie. C’est parce que les choix de Giscard en 1974 – « Giscard-le-jeune », comme on l’aurait peut-être appelé autrefois – sont d’une remarquable actualité.
Car Giscard-le-jeune était, c’est naturel, Giscard-le-moderne. Son projet, c’était de faire entrer la France dans la modernité. De Gaulle avait rendu à la France sa dignité et son autorité dans le monde. Giscard voulait faire de la France un pays moderne, ayant sur ses rivaux une longueur d’avance. C’était cela le changement qu’il proposait dans la continuité de la Ve République. C’était pour cela que les Français l’avaient élu : pour sa jeunesse et pour son esprit de réforme. Giscard n’a jamais dévié de cette démarche. Elle lui a valu bien des controverses, parfois violentes, par exemple à propos du vote à 18 ans, ou des lois sur la famille. Aujourd’hui, il ne viendrait à personne l’idée d’en débattre, il en restera le souvenir d’un président qui voyait juste, qui comprenait son temps et qui savait en anticiper les exigences.
Les circonstances ont changé, mais Jacques Chirac est aujourd’hui confronté à la même interrogation : face au mouvement de globalisation du monde, la France va-t-elle se raidir et de replier sur elle-même, comme elle en a la tentation, ou va-t-on, au contraire, reconquérir des marges de manœuvres et retrouver une longueur d’avance sur les autres ?
Après 14 ans de socialisme, qui se sont traduits par un recul des positions de la France, l’enjeu pour notre pays, c’est encore celui de la modernité voulue ou refusée. Le choix de Jacques Chirac est clair : c’est celui de la modernité. C’est aussi le nôtre. Pour tenir le cap, il faudra de la ténacité à l’immense coalition des conservatismes. Un an après son élection, Valéry Giscard d’Estaing avait été compris et battait des records dans les sondages. Aujourd’hui, comme en 1974, c’est le changement qui doit l’emporter sur l’immobilisme.
L’Europe
L’autre visage de la modernité française, c’est notre engagement européen. Pour Giscard, c’est un choix permanent qui s’est manifesté, à l’époque, par trois décisions spectaculaires prises en harmonie avec le chancelier allemand Helmut Schmidt :la création du premier système monétaire européen, l’élection du Parlement européen au suffrage universel et la réunion régulière, deux fois par an, du Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement européens. Quoi de plus actuel que la question de l’engagement européen de la France ? Aujourd’hui encore, des tendances contradictoires s’opposent au sein de la majorité et c’est au chef de l’Etat qu’il appartient d’imprimer sa marque et de montrer la voie. Le fait est que Jacques Chirac – alors que certains en doutaient – a clairement fait le choix de la monnaie unique et de ses conséquences politiques.
En 1974, pour rassembler la majorité, Giscard confiait à Jacques Chirac le poste de premier ministre, avec une équipe gouvernementale renouvelée et rajeunie. Les Français découvraient de nouveaux visages qui étaient, pour eux, les signaux du changement attendu et promis. Que des événements ultérieurs aient brouillé ce projet ne change pas la justesse de cette démarche. La leçon en est simple. Elle vaut pour aujourd’hui : ce n’est pas au président de composer avec les humeurs de la majorité parlementaire, ni avec les regrets de telles de ses composantes. C’est à la majorité parlementaire de devenir la majorité présidentielle, c’est-à-dire de s’incliner devant le choix fait par les Français d’un nouveau président de la République, élu sur un projet qu’il lui revient de mettre en œuvre avec le concours de la majorité. Ne répétons pas les erreurs du passé.
1974-1995 : deux victoires, séparées par une longue suite d’échecs. En 1974, Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac travaillaient ensemble à la modernisation française. Dans un monde différent, les voici à nouveau ensemble pour une ambition comparable. C’est la meilleure chance de la France.