Texte intégral
Discours de M. Alain Juppé
« Mes chers compagnons,
Nous venons de livrer une bataille décisive.
J'étais le "chef de la majorité", désigné pour conduire l'action.
L'action a échoué.
Il est normal, il est juste, il est en tout cas conforme aux usages de tirer maintenant les conséquences de cet échec et, pour moi, de tourner la page. À Athènes comme à Venise, on exécutait les stratèges vaincus. Le progrès de la civilisation a heureusement adouci les mœurs politiques...
Au sein de notre mouvement, il convient de donner sans tarder la parole à nos militantes et à nos militants qui sont la source de notre légitimité. C'est pourquoi je propose à notre Conseil national de convoquer, dans les plus brefs délais, des assises extraordinaires.
* Un nouveau président
Elles éliront, conformément à nos statuts, un nouveau président. Je l'avais souhaité dès la semaine dernière. C'est devant vous, mes chers compagnons, que je voulais confirmer mon intention de ne pas briguer un nouveau mandat.
Nos assises devraient aussi envoyer un message simple et clair à l'ensemble de nos concitoyens.
Il s'agit d'abord, selon moi, d'exprimer une double volonté :
- la volonté de rester unis.
Dans la tourmente, on ne divise pas, on n'exclut pas, on rassemble. Plus que tous autres, les gaullistes doivent se rassembler !
C'est ce que Philippe Séguin a su faire au sein de notre groupe à l'Assemblée nationale.
Je le félicite pour sa brillante élection et je l'assure de mon concours ;
- la volonté aussi de soutenir Jacques Chirac qui, pour traverser l'épreuve de la cohabitation, doit pouvoir compter sur nous, et sans doute, à terme, sur une force politique élargie qui regroupera autour de lui toutes celles et tous ceux qui se reconnaissent dans sa vision et dans son action.
Mais nous ne serions pas vraiment à l'écoute des Français, nous n'aurions pas vraiment compris la leçon des élections législatives si nos assises n’étaient pas, en même temps, l'occasion d'une réflexion approfondie sur ce que nous sommes, sur ce que nous croyons, sur ce que nous avons à dire à nos compatriotes.
* Réflexion approfondie
Certes, nous avons des convictions fortes et nous tenons à des valeurs dont il nous incombe d'assurer la pérennité.
Mais ce serait trahir l'esprit même du gaullisme que de nous enfermer dans des certitudes figées. Nous devons faire un retour critique sur nous-mêmes.
Nous croyons à la liberté, qui est l'un des fondements de la République, mais aussi le principe de toute organisation économique et sociale créatrice. Comment, dès lors, libérer en France l'initiative, l'esprit d'entreprise, la capacité d'innovation, sans se faire immédiatement taxer de libéralisme sauvage ? Comment convaincre les Français que la croissance et l'emploi naîtront du dynamisme des entrepreneurs et non point des décrets des bureaucrates ?
Nous croyons à l'égalité et à la fraternité, qui ont inspiré à Jacques Chirac des vues généreuses sur la cohésion sociale et le modèle social français. Mais comment réduire efficacement la fracture sociale et construire la France pour tous sans alourdir encore des systèmes qui confondent trop souvent solidarité et assistance ? Comment concilier la belle idée de partage et la belle idée de responsabilité ?
Nous croyons en l'État autour duquel s’est constituée la Nation française. Mais comment l'État peut-il à la fois répondre au besoin d'autorité qui s’exprime partout, assurer l'ordre républicain, faire régner la sécurité sans laquelle il n’y a point de liberté authentique, contrôler fermement les mouvements de population, et, en même temps, permettre au citoyen de prendre le pouvoir chaque fois que participation et proximité valent mieux que technocratie et centralisation ?
* L'amour de la France
Nous croyons en la France, en son identité irréductible et plus encore que d’y croire, nous l'aimons. Mais nous savons aussi qu'elle restera d’autant mieux elle-même, qu'elle sera la locomotive d'une Union européenne élargie et renforcée, capable de se doter d'une monnaie et d'une sécurité communes. Comment éviter que nos différences de sensibilité sur cette question fondamentale ne nous paralysent dans l'action ?
Ces quelques questions n'épuisent pas le débat qu'il nous faut ouvrir sans timidité intellectuelle, et sans excès passionnels.
Nous ne ferons, pas non plus, l'économie d'un examen critique de nos conceptions traditionnelles sur la frontière entre sphère publique et sphère privée, entre politique et morale, entre liberté individuelle et esprit civique.
Pour nous guider, nous aurons la boussole des valeurs qui donnent sens à notre engagement politique :
- valeurs républicaines de liberté, d’égalité, de fraternité, mais aussi de laïcité ;
- valeurs humanistes, ce que le général de Gaulle appelait "une certaine idée de l'homme" fondée sur le respect de la dignité de chacun, sur la tolérance, sur l'ouverture d'esprit et la générosité ;
- valeurs patriotiques, ce que le général de Gaulle appelait "une certaine idée de la France" à laquelle nous attachent amour et fidélité.
Ces valeurs sont notre bien commun. À mes yeux, elles ne sont pas, elles, négociables, parce qu'elles relèvent de l'ordre de la morale.
* Une œuvre considérable
Je voudrais encore ajouter quelques mots.
Je veux remercier tous les ministres de mon gouvernement qui ont formé autour de moi une équipe loyale, courageuse, décidée à entreprendre les réformes nécessaires. L'œuvre accomplie est considérable. Elle donnera bientôt la plénitude de ses fruits.
Je remercie tous les parlementaires qui ont soutenu sans faiblir l’action que nous avions définie ensemble. Je pense tout particulièrement à nos députés : je félicite ceux qui ont été élus ou réélus : je dis ma sympathie à ceux qui ont payé le prix fort de notre échec.
Je remercie à travers vous chaque militante et chaque militant du rassemblement. Je suis l’un des leurs depuis 1976, depuis la fondation du RPR.
Pendant près de dix ans, j'ai animé le mouvement, d'abord comme secrétaire général, sous l'impulsion de Jacques Chirac, puis comme président. Dès 1988, nous avons entrepris ensemble la rénovation du rassemblement en le dotant de statuts plus démocratiques où le vote des militants est reconnu, à tout niveau, comme source de légitimité ; en y favorisant aussi l'expression des diverses sensibilités dans un climat de liberté et de compagnonnage.
J'exprime une particulière gratitude à l'équipe qui m'a entouré durant cette période si féconde : à Jean-Louis Debré, secrétaire général adjoint, de 1993 à 1995 ; à Jean-François Mancel, secrétaire général depuis mon élection à la présidence ; à tous nos secrétaires départementaux et délégués régionaux ; à tous nos cadres, du terrain ou de la rue de Lille ; à chaque compagnon ; à chaque ami.
* Merci aux militants
Nous avons vécu ensemble des moments difficiles et des moments d'enthousiasme ; des échecs et des victoires. Tous m'auront profondément marqué. Tous auront changé ma vie. C'est à nos militants que je les dois.
Nos militants sont courageux.
Nos militants sont désintéressés.
Nos militants sont loyaux.
Nos militants sont formidables.
C'est sur eux que je me suis appuyé au fil des années.
Et c'est pourquoi j'éprouve envers eux respect et reconnaissance.
Je leur demande de m'accueillir tout simplement comme l'un des leurs.
Et je leur dis : nous n’avons pas fini de travailler ensemble : il n'est pas temps de déposer le fardeau : de nouveaux combats nous attendent pour défendre notre idéal et l’intérêt supérieur de la France. »
Le nouveau président du groupe RPR de l'Assemblée nationale, Philippe Séguin, candidat à la présidence du mouvement gaulliste, s'est exprimé en clôture du Conseil national.
* Soutenir le Président de la République
« Nos pensées, aujourd'hui, doivent aller d'abord à celui qui, entre tous, a vocation à rassembler la Nation : au premier d'entre les Français, au Président de la République, à Jacques Chirac. Je l'ai dit, et je le redirai aussi souvent qu'il sera nécessaire : 1997 n'a pas effacé 1995. Le chef de l'État que les Français ont élu a tracé des perspectives ambitieuses pour notre pays. Ces perspectives, notre mouvement les a faites siennes. Ces perspectives, le Président de la République est le seul à pouvoir les incarner sur la durée (…). À nous de relayer les interventions du Président de la République. Au-delà du respect que nous lui portons et de l'espoir qu'il représente, Jacques Chirac est pour nous le symbole vivant de la Ve République, de cette République qui est le cœur de notre combat. »
* Renouveau gaulliste
« Il s'agit de montrer qu'ici, au RPR, nous avons compris le message des Français. Que nous sommes aptes à incarner un renouveau, le renouveau de la République, et que ce renouveau, nous sommes à même de le mettre en œuvre dès maintenant au sein du mouvement gaulliste. C'est pour accomplir avec vous ce renouveau que je me porte candidat à la présidence de notre mouvement (…). La France est ainsi faite qu'elle rechigne aux changements qu'elle n'initie pas elle-même. Et c'est le propre du gaullisme, depuis un demi-siècle, que d'avoir à lui fournir à la fois une explication et une méthode, bien à elle, pour comprendre et affronter l’avenir. Alors, je vous le dis, si nous n’étions pas capables, d'ici les prochaines échéances, de délivrer aux Français ce mode d'emploi de l'avenir, alors.je le crains, la porte serait grande ouverte pour toutes les aventures. C'est bien ce défi que je vous propose de relever, tous ensemble, avec et pour le Président de la République. »
* Un débat constant
« Je vous propose de devenir le creuset d'une force politique nouvelle, démocratique, décentralisée, au sein de laquelle pourront se reconnaître, dialoguer, concourir, toutes celles et tous ceux qui partagent avec nous la même idée de l'Homme, la même passion de la France, les mêmes valeurs de la République. Oui, nous devons montrer que le gaullisme est une idée neuve. Que la conception vigoureuse de la politique et de l'action dont il est porteur est plus que jamais nécessaire dans le monde actuel, dans ce monde où l'on voudrait dépouiller l'individu, priver le citoyen de toute possibilité de maîtriser les choses (…). Nous devons, et je m’y engage, organiser au sein de notre mouvement un débat constant, un débat vivant, qui permette à tous, aux jeunes comme aux plus anciens, à ceux qui veulent réfléchir, à ceux qui veulent faire bouger les choses, de s'exprimer librement (…). Je vous propose de bâtir le rassemblement du XXIe siècle afin qu’il devienne la première force politique de notre pays ! Cette tâche exaltante, j'entends la mener à bien avec l'ensemble des personnalités de notre mouvement, au sein d'un rassemblement définitivement réconcilié et résolument ouvert. »