Conférence de presse de M. Jacques Godfrain, ministre de la coopération, sur la coopération franco-mauritanienne, l'organisation des élections en Mauritanie et l'aide au développement en Afrique, Nouakchott le 6 juin 1996.

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Circonstance : Voyage de M. Godfrain en Mauritanie, le 6 juin 1996

Texte intégral

Q. : Quel est le but de votre visite en Mauritanie ?

Jacques Godfrain : Je suis venu, invité par le président de la République de Mauritanie, pour faire le point des actions conjointes que la France et la Mauritanie mènent en ce moment, en matière de coopération, principalement de coopération économique, et vous avez remarqué que dans mon programme de voyage, il y avait une visite, ce matin, au Banc d’Arguin, qui est un des sujets d’application de la coopération française. Il y avait aussi la signature de deux autres conventions, l’une sur la vie associative et démocratique et puis une autre, importante, sur l’organisation des prochaines élections qui auront lieu en novembre, en Mauritanie. Et puis, c’est une occasion pour moi de dire tout le bien que je pense de la situation en Afrique. Vous savez que je suis, comment dirais-je, un infatigable afro-optimiste, alors, je ne le dis pas qu’à Paris, je le dis aussi en Afrique.

Q. : Optimiste en Afrique ? Alors qu’on voit la situation en Centrafrique ? Ou au Congo ?

Jacques Godfrain : Oui, je vais vous dire pourquoi. Est-ce que vous croyez que nous, Européens, nous pouvons donner des leçons à la terre entière alors qu’il se passe ou qu’il s’est passé, il y a quelques semaines encore, les choses que vous savez en Europe centrale ? Est-ce que vous pensez qu’en Extrême-Orient tout est parfait, alors que j’entends dire qu’il y a des journalistes assassinés au Cambodge ? Est-ce que l’on peut clamer que le monde entier va bien sauf l’Afrique ? Non ! L’Afrique a ses problèmes, comme le monde entier a ses problèmes, et de grâce, je le dis à l’opinion publique internationale, ne mettez pas le projecteur tout le temps sur ce qui va mal en Afrique, parce qu’en Afrique, il y a des choses qui vont bien. C’est le problème de la bouteille à moitié vide et à moitié pleine, et bien, je dis que la bouteille africaine est à moitié pleine, et d’autres disent que la bouteille africaine est à moitié vide. Je relève des points très positifs en Afrique, je n’en fais pas l’inventaire, mais vous m’avez cité par exemple le Congo. Le Congo a un président de la République qui a été élu et qui gouverne son pays, qui nomme ses ministres. Il y a une vie, une vie démocratique, il y a une majorité, une opposition. Vous parlez de la République centrafricaine, mais je suis navré de vous dire que si on avait été pessimiste il y a trois semaines sur la République centrafricaine, vous auriez peut-être aujourd’hui un nouveau Rwanda. Comme on est optimiste, on se dit qu’ils sont en train de se tirer d’affaire. Ce n’est pas mal non ?

Q. : Monsieur le ministre, a-t-il été question durant vos entretiens de l’affaire du Sahara ? Et quel est le rôle que la France peut jouer ?

Jacques Godfrain : Nous en avons très peu parlé. Simplement, nous savons tout le rôle de médiation que peut jouer la Mauritanie dans cette affaire.

Q. : Comment la France peut-elle concilier la diminution de son aide économique à l’Afrique et sa volonté de renforcer la démocratie dans ces pays ?

Jacques Godfrain : D’abord, je vous dirai que nous n’avons pas à rougir de notre aide, nous sommes aujourd’hui, en chiffres absolus, les deuxièmes donateurs du monde avec 60 millions d’habitants, et une situation économique en France qui n’est pas excellente. Je vais vous citer un chiffre : quand un Français paye 100 francs d’impôt, il y a 20 francs qui vont au remboursement de la dette. Le service de la dette publique en France est tel que, presque un quart des contributions fiscales vont à son remboursement. Donc, nous ne sommes qu’un pays de 60 millions d’habitants. Le premier donateur du monde est le Japon ; les États-Unis d’Amérique sont très loin derrière nous, avec près de 300 millions d’habitants. Vous imaginez ce que c’est, ce qui nous permet de faire en sorte que le prochain G7, qui aura lieu à Lyon, soit à notre initiative, le G7 du développement. C’est le premier G7 auquel participe le directeur du FMI, le président de la Banque mondiale et le secrétaire général des Nations unies. Donc, ne jugez pas notre aide à l’Afrique exclusivement sous l’angle de l’aide publique au développement. C’est aussi une aide publique qui entraîne le secteur privé, qui entraîne l’investissement privé.

Q. : Pour continuer sur cette lancée, la France a joué un rôle très important dans la démocratisation en Afrique, mais ce qui menace la démocratisation aujourd’hui, c’est la misère, le développement de la pauvreté. Or, on voit se développer un paradoxe entre ce qu’on demande à la France en matière d’augmentation de l’aide au développement et le débat en France qui a porté, un moment, sur le maintien ou non du ministère de la coopération.

Jacques Godfrain : Je suis d’accord. Notre aide, notre appui correspondent à trois mots très forts, retenez-les bien car ils vont marquer l’action de la France dans l’avenir : c’est simplicité, un seul guichet ; efficacité, que chaque franc dépensé ait une portée économique et sociale pour les populations ; et troisièmement, la transparence, et ça aussi nous y tenons, parce que comme il s’agit de l’argent du contribuable, nous avons des comptes à rendre, et il faut qu’il sache où il passe. Je peux rendre des comptes à qui me les demande, on sait exactement où va l’argent.

Nos missions de coopération, nos ambassades sont là pour examiner les projets et j’insiste sur une chose, ce sont des projets de proximité. Si on veut imaginer une évolution où tout change, il faut que les populations ressentent en direct ce qui est apporté conjointement avec des efforts locaux. D’abord, tous les projets sont conjoints. Il n’y a pas de projets français en Mauritanie. Les projets sont des projets franco-mauritaniens. Et dans tous les pays, je dis la même chose. La deuxième chose c’est que ces projets sont faits justement pour lutter contre la misère locale. Vous remarquez que pendant mes voyages, je ne reste jamais dans la capitale. Je vais sur le terrain, je vais voir comment l’argent est dépensé, je vais voir comment agissent nos coopérants. Quelquefois, je dis qu’il vaut mieux cinquante dispensaires qu’un seul hôpital, je dis qu’il vaut mieux 100 puits qu’un grand barrage. Je crois que ce qui compte, c’est que la vie des gens soit transformée en mieux par la coopération conjointe.

Et puis, je vais aborder un sujet qui pour moi n’est pas délicat à aborder, qui peut l’être pour d’autres. Je suis là pour protéger l’État de droit, aussi bien ici qu’en France.

Q. : Vous avez dit que l’une de vos préoccupations majeures, à la coopération, c’était la lutte contre les grands trafics. Vous débarquez au moment où des actions de grande envergure sont menées.

Jacques Godfrain : Simplement, la coopération en matière d’ordre public est très au point puisque les États, je pense à la Mauritanie en particulier, qui ont choisi de lutter contre les trafics de drogue, de stupéfiants, d’hallucinogènes, mènent une action efficace, ont notre appui et j’apprécie le fait qu’en Mauritanie, ce soit un souci des autorités.

Q. : (Inaudible)

Jacques Godfrain : La France est intervenue en République centrafricaine pour une raison principale, c’est qu’il y avait des Français et des étrangers en danger en République centrafricaine. Je suis heureux de dire que non seulement des milliers des Français ont ainsi été mis en sécurité, mais aussi des centaines de Mauritaniens. Ils nous ont fait part de leurs remerciements. Deuxièmement, parce qu’on ne peut pas à la fois prôner la démocratie, le pluralisme, la liberté de la presse, d’association, la constitution de partis politiques, tenir ce discours et, quand ces institutions sont en danger, ne rien faire. Donc, à l’appel des autorités légalement élues, à l’appel aussi des pays qui entourent la République centrafricaine, nous sommes intervenus. Je vous dirai que nous aidons la Mauritanie et ce que j’ai signé cet après-midi est révélateur sur la constitution de l’État de droit, sur l’organisation des prochaines élections. Cela veut dire que le fait que la Mauritanie ait choisi la démocratie nous donne un certain nombre de devoirs.

Q. : Que pensez-vous du processus de démocratisation en Mauritanie ?

Jacques Godfrain : L’État de droit est indispensable, la démocratie est un outil, c’est un outil du développement. Je l’ai dit tout à l’heure, l’aide publique au développement est loin d’être suffisante, elle est, au contraire, le moteur qui entraîne derrière lui l’investissement privé, et il n’y a rien de mieux pour que l’investissement privé surgisse et se développe que l’État de droit. Je vais citer un chef d’État africain que j’ai vu il n’y a pas longtemps et qui m’a dit, retenez bien cette phrase : « Si je comprends bien, pour le développement, il vaut mieux un bon ministre de la justice qu’un bon ministre des finances ». Et je trouve cette phrase magnifique, et je la répète à l’envi, parce que lorsqu’on sait qu’il y a une justice indépendante, des codes fiscaux, des codes douaniers, des codes du droit des affaires, des tribunaux de commerce, qu’il y a enfin tout l’arsenal juridique et judiciaire, les investisseurs du monde entier sont prêts à venir. Quant au contraire, rien n’est sûr, lorsque c’est l’insécurité, lorsqu’on ne sait pas comment on sera jugé, ni dans quelles conditions, à ce moment-là, on ne vient pas. Pour nous, l’État de droit, ce n’est pas seulement le plaisir de dire que tous les cinq ans, il y a une élection, si ce n’était que ça, ce serait bien insuffisant, pour nous la démocratisation est un des moteurs de l’investissement privé. Et puis, c’est aussi le signe que l’on fait confiance à l’individu, que tout ne vient pas de l’État, que le moteur économique, c’est l’initiative individuelle, l’entreprise, l’entreprise privée. Et quelle meilleure image que de dire : « on fait confiance à l’individu quand il vote, donc on lui fait confiance aussi en tant qu’acteur économique. » C’est un tout, le développement passe par la voie démocratique.

Q. : Comment appréciez-vous le redressement économique en Mauritanie ?

Jacques Godfrain : Je trouve que dans de nombreux domaines il y a un effort de rigueur de gestion. Si je ne veux dire qu’un mot pour définir ce que je vois, c’est que, véritablement, on cherche la rigueur dans la gestion. Alors, je ne vous citerai pas les noms des entreprises et activités mauritaniennes, mais on a en face de nous des interlocuteurs responsables, qui savent de quoi ils parlent, qui connaissent leurs dossiers, et qui, sur la scène africaine nous rendent, si vous me permettez l’expression, afro-optimistes.

Q. : Une question sur les réfugiés.

Jacques Godfrain : J’ai rendu hommage au chef de l’État pour l’action qu’il avait menée dans le sud. Je lui ai rendu hommage.

Q. : Vous venez d’évoquer la coopération entre la France et la Mauritanie en matière de (inaudible). Quelle appréciation avez-vous de la coopération en général entre les deux pays ?

Jacques Godfrain : Elle est exemplaire. J’aime la citer, d’abord parce qu’elle est en augmentation, ça vient d’être dit. Mais il n’y a pas que le quantitatif qui compte, je fais la distinction entre le développement et le progrès, parce que dans le progrès, il y a l’homme qui est au cœur. Le développement, beaucoup de monde en parle, dans le monde entier, il y a des officines qui en parlent, des quantités d’experts qui parlent du développement, c’est le dernier mot à la mode. Moi, je parle de progrès parce que c’est l’homme qui est au cœur de nos préoccupations, et quand on va dans un village se rendre compte qu’il y a eu un effort pour l’électrification, l’assainissement, l’arrivée de l’eau, c’est bien l’avis des gens qui compte, ce n’est pas un « éléphant blanc », c’est ça notre coopération. Notre véritable coopération, elle est là.

Q. : La coopération française s’intéresse-t-elle aux préparatifs d’organisation en cours des élections législatives ?

Jacques Godfrain : Oui, tout à fait. La convention que nous avons signée tout à l’heure est la convention pour l’organisation des futures élections. C’est vrai que ça a un coût en matériel, en constitution des listes électorales, en transport des urnes pour le dépouillement, en assurance de pluralisme aussi. Lorsqu’on fait imprimer, je prends l’exemple du Tchad, qui vient d’avoir lieu, lorsqu’on prend en charge l’impression de ces bulletins de vote, parce qu’il y a près de dix candidats aux élections présidentielles, c’est un appui au pluralisme.

Q. : Au Niger, vous vous investissez vous-même beaucoup.

Jacques Godfrain : Tout à fait. Je suis très heureux qu’au Niger, tout cela ait débouché sur des élections. Il y a un président de la République et un Premier ministre, qui je crois me souvenir, ont dit qu’après tout, c’était peut-être une solution.

Q. : (Inaudible)

Jacques Godfrain : Notre rôle en Centrafrique a été simple : c’était un rôle de sécurisation des étrangers. Je ne fais pas un cas personnel du président Ange-Félix Patassé, simplement, il y avait un président qui avait été élu avec 53 % des voix. Ce n’est pas un score de dictateur, 53 % des voix, ça veut dire qu’il y a une majorité et une opposition, et demain, il en sera ainsi dans la plupart des pays africains. Donc, le rôle de la France, c’est ce que j’ai dit tout à l’heure : à partir du moment où l’on défend la démocratie, il faut aller jusqu’au bout et savoir prendre les décisions qui s’imposent, ne pas s’arrêter aux discours, dire qu’il y a un pays qui a élu son président qui respecte, je le pense, j’en suis même certain, l’opposition, la majorité, et défendre cette forme de gouvernement. Dans notre esprit, la démocratisation ce n’est pas simplement une élection un jour. La démocratie, c’est au quotidien, c’est la possibilité pour tout un chacun de dire ce qu’il pense en toute liberté, c’est le respect des droits de l’homme, comme on disait tout à l’heure, et puis, chacun d’entre vous pense ce qu’il veut, mais il y a une limite à cela, la non-ingérence dans les affaires des pays. Les pays africains sont indépendants. Moi, je me réfère au général de Gaulle et au discours de Brazzaville, c’est le grand discours fondateur des indépendances. C’est le grand discours du 20e siècle sur les indépendances africaines. Il faut savoir jusqu’où, nous Français, nous pouvons aller, et à mon sens, la limite, c’est l’indépendance des pays.

Q. : Votre sentiment sur l’intérieur du pays ?

Jacques Godfrain : Je vais vous dire, Saint-Exupéry a écrit qu’il fallait accrocher sa charrue à une étoile, et cette nuit, j’ai vu des millions d’étoiles. Je veux dire que demain, il y aura des millions de charrues en Mauritanie.

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