Interviews de M. Brice Lalonde, président de Génération écologie, à France-Inter le 8 mai et France 2 le 11 mai 1997, sur la stratégie électorale et le financement de la campagne de Génération écologie pour les élections législatives de 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Elections législatives les 25 mai et 1er juin 1997

Média : France 2 - France Inter - Télévision

Texte intégral

Date : Jeudi 8 mai 1997
Source : France Inter/Édition du matin

France Inter : Il y a un point sur lequel vous devez nous éclairer : il s’agit de ces candidats que vous avez recrutés pour avoir le minimum de candidats pour bénéficier d’un financement durable ; vous avez lancé un appel au peuple ; cela ne s’est pas fait en catimini. Résultat : des gens vous ont rejoints, qui ne sont pas militants, qui ne sont pas impliqués dans la campagne et que vous vous faites accrocher sur ces candidats à 11,31 francs. Est-ce si difficile que cela de trouver des candidats écologistes ?

B. Lalonde : La dissolution brutale de l’Assemblée nationale a pris tous les partis par surprise. Les grands partis ont beaucoup d’élus, beaucoup d’énarques et beaucoup de personnes qui peuvent prendre des congés facilement et se lancer dans la bataille ; les petites formations qui s’appuient uniquement sur les Français comme vous et moi, les Français qui ne sont pas des politiciens professionnels, ont, elles, beaucoup plus de difficultés. Les mères de famille ont beaucoup de mal pour trouver des gardes pour leurs enfants ; les gens qui ont du boulot ont beaucoup de mal, surtout quand c’est leur propre entreprise, à prendre des congés. Par conséquent, nous avons demandé à tous nos adhérents d’y aller, d’avoir du courage pour demander à leurs amis de se porter candidats. Ils l’ont fait. J’avais lancé un appel. Beaucoup de Français sont venus nous rejoindre et nous ont aidés. Je les remercie du fond du cœur, parce qu’au fond, l’essence même de la politique, c’est bien cela : demander aux Français un sursaut citoyen et leur demander de se présenter. Là-dessus, nous sommes diffamés par la clique des politiciens professionnels, de tous ces gens qui ayant piqué dans la caisse sans vergogne depuis des années et des années veulent maintenant me donner et donner aux citoyens français des leçons de morale : « Ah, ces candidats qui ne sont pas énarques ! Ah, ces candidats qui n’ont pas de quartiers de noblesse ! » C’est incroyable d’entendre cela ! Je les soutiens du fond du cœur, je les remercie et je condamne fortement tous ces partis politiques qui osent donner des leçons de morale à ceux qui veulent s’engager dans la vie publique française.

France Inter : Dans l’inflation des candidatures – 20 % de plus cette année  n’y a-t-il pas aussi une volonté de recevoir des subsides de l’État du fait de la législation ? N’est-ce pas un effet pervers de la loi ?

B. Lalonde : Cette loi, qui l’a votée ? Cette loi a été votée dans la tartuferie générale par tous les partis qui ont piqué de l’argent et qui veulent se donner tout d’un coup bonne conscience et faire oublier leurs péchés en disant « Bon, allez, maintenant, ce sont les électeurs qui vont faire l’argent des partis politiques. » Mais tous les partis politiques utilisent les élections pour se financer, tous ! Et tout d’un coup, on tomberait sur Génération Ecologie ? Pourquoi ? Parce que Génération Ecologie est un mouvement indépendant, un mouvement libre ! Évidemment, ça dérange, les mouvements libres ! Alors, Le Monde, qui roule pour le Parti socialiste tout le monde le sait  dénonce Génération Ecologie. Mais excusez-moi : les parachutages, Mme Aubry n’est pas parachutée ?! Et moi, dans ma circonscription, à Saint-Malo, j’ai une dame qui s’appelle Isabelle Thomas : personne ne la connaît, elle est parachutée ! Pourquoi viendrait-on, tout d’un coup, se précipiter uniquement sur Génération Ecologie ? Parce que ça dérange, Génération Ecologie ! Parce que c’est un mouvement libre !

France Inter : Génération Ecologie existe bien et a bien des militants ?

B. Lalonde : Génération Existe, a des militants. Au fond, quel est l’enjeu de cette élection ? Je lis dans les journaux et je vois dans ma circonscription que les Français ne sont pas passionnés par ce débat, sans doute parce qu’encore une fois, on nous ressert le conflit droite-gauche. On a des équipes qui nous assènent des prescriptions, des programmes qu’on ne comprend pas très bien, qui disent « Votez pour moi, je suis le meilleur ! » Il n’y a rien sur le rôle des Français. C’est cela qui est dramatique. Je crois que l’enjeu de cette élection, l’enjeu de l’an 2000, c’est la fabrication du citoyen français du XXIe siècle. Comment sera le citoyen français du XXIe siècle ? Comment va-t-on le former ? Quelle langue parlera-t-on ? Quelle éducation ? Comment lui apprendre l’entreprise ? Au fond, je pense que la guerre entre la droite et la gauche, c’est terminé : ils sont complémentaires ; tout le monde sait qu’il faut de l’efficacité économique et de la protection sociale, le dosage étant la seule question. Mais le véritable problème, c’est la place de la France alors que nous avons dans la pièce à côté, grâce au fax, à l’ordinateur, 50 % de la population mondiale  l’Asie  qui est à côté, qui travaille pendant que nous, on dort ! Au fond, la compétition, la place de la France, la compétition complète de la société française, c’est cela, l’enjeu essentiel, et personne n’en parle !

France Inter : L’article de J. Chirac n’a pas clarifié les enjeux ? Vous avez pris position pour lui à l’élection présidentielle.

B. Lalonde : Justement : j’ai trouvé que la campagne de J. Chirac avait été très forte, que cet homme qui avait été trahi par une partie des siens avait fait preuve d’une volonté remarquable et qu’il cassait le conflit droite-gauche en expliquant bien qu’il fallait à la fois s’attaquer à la fracture sociale, à l’absence de cohésion sociale et moderniser le pays. Depuis, c’est lui qui résiste le mieux au Front national. Je suis ulcéré et écœuré de voir, quand je me déplace un peu partout en France, la connivence qu’il peut y avoir entre une partie de l’opposition et le Front national. On n’en parle pas, mais on est bien content que le Front national monte, parce que comme ça, on prend la majorité par devant et par derrière ! Bravo, bravo ! Ça, c’est moral et vraiment cynique ! Par conséquent, je ne regrette pas le choix que j’ai fait il y a deux ans. En revanche, je trouve qu’il y a une forte distance entre les promesses, l’engagement, la fougue de la candidature de J. Chirac et ce qui s’est passé après : le Gouvernement, E. Balladur qui revient, ceci, cela ! Bref, n’en parlons pas. Mais l’élan doit revenir, en effet. Cet élan ne peut s’appuyer que sur les Français, que sur les citoyens français, pas sur la caste et l’aristocratie d’État. Qu’est-ce qui ne va pas en France ? C’est le divorce considérable entre l’élite, les mêmes de père en fils, des dynasties, et la masse des Français. Il faut casser cette distance. Il faut que ce soient les Français eux-mêmes qui se ruent en politique, qui prennent la politique d’assaut.

France Inter : Vous-même, vous n’êtes pas impliqué dans la campagne de la majorité, pas plus qu’elle ne vous implique !

B. Lalonde : Absolument ! Génération Ecologie est un mouvement libre. Je défends ici l’écologie libre, depuis toujours. Dans ma circonscription, toutes les formations politique sont représentées. Génération Ecologie est représentée. Il n’y a aucune relation. Nous sommes libres. Au fond, l’écologie, cela concerne tous les Français. L’eau pure, la santé, l’environnement, le fait que vous ayez des particules cancérigènes qui se collent sur le code génétique, il y a une espèce de soupe chimique dans laquelle on vit, ça ne va pas ! Le fait qu’il y ait moins d’eau, que cette eau ne soit pas potable, cela n’a rien à voir avec la droite et la gauche ! C’est fondamental pour la vie des Français ! Et on est en train de démolir la France : regardez les désordres climatiques qui sont sans doute dus à des problèmes d’environnement ! Nous laissons à nos enfants un pays qui commence à foutre le camp, qui est dégradé, qui n’est pas entretenu correctement, avec des savants fous qui nous préparent n’importe quoi ! Et en plus, une dette considérable qui s’accroît de 10 000 francs par seconde, vous m’entendez ? 10 000 francs par seconde ! C’est la dette de la France. On est en train de tout transmettre à nos enfants : « Démerdez-vous, les enfants ! ». C’est cela, la politique de la France ? Il faut donc des contre-pouvoirs libres pour dire cela aux Français et leur expliquer les enjeux.

France Inter : Et votre programme ?

B. Lalonde : Vous remarquerez que la plupart des idées des écologistes sont reprises par les autres formations politiques, comme s’ils les avaient inventées. Ainsi, le partage du travail, la loi Robien. Quel est le programme ? Il est très simple : la santé par l’environnement. Au lieu de dépenser de plus en plus pour la santé, il faut que l’environnement soit propre, il faut que l’on puisse respirer de l’air sans attraper de bronchiolites. Il faut qu’on puisse manger du bœuf sans attraper la maladie de la « vache folle. » Il faut du travail pour tous. Depuis le temps qu’on parle des charges sociales qu’il faut baisser ! Les écologistes disent : « C’est la pollution qui doit payer la protection sociale, ce n’est pas le travail. » Il faut arrêter de taxer le travail. Il faut un déplacement à fiscalité égale vers une taxation de la pollution et de la consommation de biens non-renouvelables. Il faut évidemment réduire la durée du travail. Il ne faut pas opposer les deux. Il faut accroître la présence de la France à l’étranger. Enfin, il faut de l’honnêteté en politique, il faut la fin des privilèges de la noblesse d’État. Il ne faut pas que, sous prétexte de sortir d’une grande école, on puisse passer des cabinets ministériels aux grandes entreprises publiques où on perd énormément d’argent et ensuite vers la haute administration. Les énarques restent dans la haute administration ; les Français font de la politique.

 

B. Lalonde (Génération écologique)
France 2 – 20 heures
D. Bilalian : D’abord des éclaircissements, B. Lalonde, vous avez été surpris, votre mouvement a été surpris par ces élections, certains ont dit que vous auriez choisi des candidats un peu à la légère pour obtenir des fonds publics que l’on alloue pour ces élections. Une réponse là-dessus ?

B. Lalonde : En période électorale, toutes les attaques sont bonnes. Je pense que ce que l’on reproche à Génération Ecologie, c’est d’exister et de présenter des candidats. Tous les partis politiques présentent des candidats et tous ces candidats pour l’ensemble des partis sont ensuite le fondement du financement des partis politiques. Si on me reproche à moi de ne pas être écologiste, que quelqu’un le dise carrément, franchement, ça fait simplement 25 ans que je défends l’écologie, et Génération Ecologie défend l’écologie avec de simples citoyens qui ont accepté d’être candidats. C’est évident que c’est très difficile pour un mouvement jeune qui n’a pas de politiciens professionnels, pas d’énarques, quand il y a une dissolution tout d’un coup – il faut garder les enfants, il faut demander un congé – c’est difficile mais nous y sommes parvenus et nous avons 400 candidats. Et en fait, que nous reproche-t-on ? On nous reproche d’exister et d’être libres ! C’est le maître-mot que je voudrais défendre ici : nous sommes libres ! Il faut que les électeurs comprennent qu’il y a deux mouvements écologistes. Il y a un mouvement écologiste qu’on appelle les Verts, qui sont rouges, c’est devenu une annexe du Parti socialiste et du Parti communiste, et puis il y a Génération Ecologie qui représente une écologie populaire, qui ne veut pas se ranger dans la bannière d’un camp politique.

D. Bilalian : Justement, vous et votre mouvement, vous penchez de quel côté ? Vous avez demandé à voter J. Chirac, vous avez été ministre de gauche ? Vous êtes où aujourd’hui ?

B. Lalonde : Nous sommes libres et vous savez pourquoi nous sommes libres ? Parce que la gauche et la droite, c’est deux millions de chômeurs chacun, ils ont tous les deux échoué. Et en réalité, ce qu’il faut que nous comprenions aujourd’hui… Pourquoi cela va si mal en France ? C’est parce qu’il y a une nouvelle noblesse, nos ancêtres ont fait la Révolution en 1789, c’était pour abolir les privilèges, eh bien aujourd’hui la classe politique de droite comme de gauche a échoué, il y a une nouvelle noblesse qui passe de la tête des partis à la tête des administrations aux ministères aux partis politiques et aux grandes entreprises qu’elle est en train de couler. Cette classe politique a ruiné le pays. Il faut se rendre compte que la dette de la France, c’est 4 500 milliards de francs et que toutes les secondes qui passent, c’est 10 000 francs supplémentaires pour nos enfants. Et par conséquent, un jour, il faut se rendre compte que cette classe politique de gauche comme de droite, il faut la remplacer, il faut que les citoyens français fassent de la politique leur affaire.

D. Bilalian : Alors justement, cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu’au second tour, vous n’appelez pas à voter ? Vous appelez à vous abstenir ?

B. Lalonde : On ne reparlera du second tour, moi, ce qui m’intéresse, c’est le premier tour. Et c’est de dire aux Français qu’il y a deux choses très importantes. Les deux richesses de la France, c’est la terre et les hommes. Et il faut donc soigner la terre et les hommes et aujourd’hui. C’est un véritable scandale de voir à quel point la terre est négligée, que l’eau est polluée, que l’on puisse manger de la vache folle… Le pays de l’art de vivre qui se laisse aller comme cela à se négliger – et entre nous soit dit – les hommes aussi… tout ce chômage, c’est invraisemblable.

D. Bilalian : Justement, on parle beaucoup d’emploi dans cette campagne, on parle de l’Europe, on parle de l’immigration – un peu moins - l’écologie n’intervient pas tellement dans le débat, est-ce c’est parce que vous êtes divisé, vous n’arrivez pas à vous réunir, vous, les écologistes ?

B. Lalonde : Non, je pense que c’est parce que la totalité des partis politique négligent complétement l’environnement, c’est parce que la politique de l’environnement de ces dernières années a été une catastrophe, il y a un recul considérable alors que l’écologie est l’amie de l’emploi. L’écologie a créé 200 000 emplois en France dans les dernières années. Les pays les plus modernes sont les pays les mieux tenus ; une France propre, c’est une France forte et par conséquent, il est très important que l’on comprenne cela et il faut aussi que nous comprenions tous qu’il y a trop d’impôts, y compris qui pèsent sur les salaires, et qu’il faut se servir de l’écologie de manière à ce que les taxes e pèsent plus sur les salaires mais sur la pollution. Il faut complètement détaxer le travail. Avec l’espèce d’échec total de la noblesse politique française, de cette nouvelle aristocratie, je crois que les Français ayant fait l’expérience de la gauche et de la droite, ont intérêt maintenant à donner leur chance à des mouvements nouveaux.