Texte intégral
L’Événement du jeudi - 26 juin 1997
L’Événement du jeudi : Jacques Chirac ne se sent-il pas trop seul ?
Jean-Louis Debré : Il mesure sûrement le poids de ses responsabilités.
L’Événement du jeudi : Vous le voyez souvent ?
Jean-Louis Debré : Il m'arrive de le rencontrer.
L’Événement du jeudi : Aurez-vous bientôt, comme Jacques Toubon, un bureau à l'Élysée ?
Jean-Louis Debré : J'en ai déjà un à l'Assemblée nationale, un autre à Évreux, dans l'Eure, un troisième au siège du RPR, rue de Lille. Pourquoi voudriez-vous que j'en aie un quatrième ?
L’Événement du jeudi : L’autorité du président n'est-elle pas désormais réduite ?
Jean-Louis Debré : Elle est à mon sens renforcée. En période de cohabitation, la clef de voûte des institutions, c'est le Président de la République. Il est le garant de l'impartialité de l'État et de la réputation de la France à l'étranger.
L’Événement du jeudi : Comment trouvez-vous Lionel Jospin ?
Jean-Louis Debré : Comme je l'imaginais : irréaliste et mal préparé. Très tourné vers le passé, aussi. C'est un professionnel de la politique de l'apparence, un homme habile à gérer ses multiples contradictions. Je suis frappé du nombre de missions et de commissions qu'il a annoncées. C'est la façon moderne d'enterrer les dossiers ou de fuir ses responsabilités.
L’Événement du jeudi : Comme Charles Pasqua, partagez-vous certains engagements de Lionel Jospin ?
Jean-Louis Debré : J'ai aimé le voir réaffirmer les valeurs de la République, comme je le fais dans mon livre (1). Chaque parlementaire doit se faire le pédagogue des valeurs de la République, à commencer par l'honnêteté et la moralité en politique.
L’Événement du jeudi : Que pensez-vous de votre successeur au ministère de l'intérieur, Jean-Pierre Chevènement ?
Jean-Louis Debré : J'espère qu'il ne va pas démissionner une troisième fois ! Ce ministère et la police en particulier ont besoin d'un ministre qui dure. Cela dit, Jean-Pierre Chevènement a le sens de l'État.
L’Événement du jeudi : Était-il judicieux de conserver Jean-Charles Marchiani au poste de préfet du Var ?
Jean-Louis Debré : Pas de commentaire.
L’Événement du jeudi : Était-il adroit de maintenir Olivier Foll à la tête de la police judiciaire de Paris contre l'avis de la justice ?
Jean-Louis Debré : Je ne regrette pas ma position. Olivier Foll est un très grand policier, grâce à qui la police judiciaire a retrouvé son efficacité perdue. Sa décision de ne pas suivre le juge Halphen lors de sa perquisition chez le maire de Paris n'était pas forcément contestable. Je considère en droit, ayant longtemps été juge d'instruction, que son attitude était conforme au code. Si le juge veut l'assistance de la PJ pour mener une perquisition, il doit faire une demande écrite. La chambre criminelle de la Cour de cassation l'a admis en indiquant : « Cette opération donnera nécessairement lieu à la rédaction d'un procès-verbal faisant état de cette réquisition. » Elle reconnaît, dans son style, que le juge a commis une erreur. Olivier Foll a donc eu raison d'agir comme il l'a fait. Dans cette affaire, pour certains, le droit était bien loin.
L’Événement du jeudi : Mais la chambre criminelle l'a condamné et vous l'avez maintenu...
Jean-Louis Debré : C'est le ministre de l'intérieur qui nomme les fonctionnaires de police. Je crains, à ce propos, que le traitement infligé à Olivier Foll ne soit le début d'une triste chasse aux sorcières à l'encontre des hauts fonctionnaires qui ne sont pas classés à gauche.
L’Événement du jeudi : Votre obstination n'a-t-elle pas provoqué quelques dégâts dans l'opinion ?
Jean-Louis Debré : Dans certains cercles parisiens, peut-être. Mais dans l'Eure et ailleurs, on a compris que le ministre de l'intérieur soutenait ses fonctionnaires. On a également vu que nous avions de vrais résultats, sur le dossier corse, contre le terrorisme basque, contre les réseaux islamistes.
L’Événement du jeudi : Assumez-vous votre part de responsabilité dans la défaite de la droite ?
Jean-Louis Debré : Oui, c'est une défaite collective. Cependant, le Front national, en maintenant ses candidats, a montré qu'il avait choisi de faire triompher la gauche... laquelle n'a jamais cessé de jouer avec lui. Le système électoral a amplifié le mouvement. Cela dit, je crois que nous avons bien fait de conduire la politique qui était la nôtre, à l'opposé de toute démagogie.
L’Événement du jeudi : Un regret ?
Jean-Louis Debré : Notre erreur est de ne pas avoir clairement expliqué le bilan de douze ans de socialisme, qui fait du remboursement des dettes le deuxième budget civil de la nation.
L’Événement du jeudi : Le bilan d'Alain Juppé ?
Jean-Louis Debré : Il sera jugé positif par les Français plus tôt qu'on ne le pense.
L’Événement du jeudi : Mais on l'a empêché de se représenter à la tête du parti...
Jean-Louis Debré : Pas à ma connaissance.
L’Événement du jeudi : Comment envisagez-vous la renaissance du RPR ?
Jean-Louis Debré : Il est normal, après la défaite, qu'il y ait des tensions et des amertumes, mais tout cela doit rester dans certaines proportions. Le mouvement gaulliste a toujours été fort lorsque régnait l'esprit de compagnonnage.
L’Événement du jeudi : Votre parti doit-il changer de nom ?
Jean-Louis Debré : Pour moi, RPF, UNR, UDR, RPR, peu importe. C'est l'inspiration gaulliste qui compte. Mais il y a plus urgent que changer de nom revoir l'organisation, retrouver une base populaire, donner davantage la parole aux militants.
L’Événement du jeudi : Pensez-vous que son prochain secrétaire général sera Nicolas Sarkozy ?
Jean-Louis Debré : Pas de commentaire.
L’Événement du jeudi : N'avez-vous pas contribué, par les modifications à répétition des lois sur l'immigration, au renforcement de l'extrême droite ?
Jean-Louis Debré : Pas du tout. Ma démarche était fondée sur le respect des lois de la République. Elle était fidèle à la tradition de ce pays : une tradition d'accueil des étrangers qui viennent participer à notre « communauté de destin », comme disait Renan. Il s'agissait de lutter contre ceux qui violent délibérément nos lois, contribuant au développement du racisme et de la xénophobie. Mais aussi de prendre en compte l'évolution de l'immigration, qui n'est plus un apport de travailleurs, mais un afflux d'ayants-droit ne cherchant plus à s'assimiler.
L’Événement du jeudi : On vous accuse d'avoir ouvert la porte à l'extrême droite dans la police...
Jean-Louis Debré : C'est faux ! Simplement, je suis un républicain et je respecte la loi. Je ne pouvais pas empêcher le Front national police de se présenter. Est-ce qu'un ministre a le droit d'intervenir dans une procédure syndicale et d'entacher un vote d'irrégularité ? Je suis stupéfait que ce soient des hommes de gauche qui aient réclamé l'intervention du gouvernement dans un scrutin syndical.
L’Événement du jeudi : Vous pouviez saisir la justice.
Jean-Louis Debré : J'ai consulté des conseillers d'État. Ils m'ont indiqué que l'autorité publique ne pouvait bloquer la candidature de telle ou telle organisation.
L’Événement du jeudi : À votre avis, les affaires judiciaires ont-elles pesé sur la campagne ?
Jean-Louis Debré : Certains juges, une minorité, se permettent une certaine dérive. Ils jouent avec la justice et l'honneur des hommes. Regardez Michel Roussin, que l'on a fait démissionner de son poste de ministre de la coopération et qui a finalement obtenu un non-lieu ! Certains juges oublient la présomption d'innocence. Et je suis révolté par les violations systématiques et orientées du secret de l'instruction.
L’Événement du jeudi : Lionel Jospin évoque une réforme des renseignements généraux. La pensez-vous utile ?
Jean-Louis Debré : Si nous avons été bons contre le terrorisme, c'est notamment grâce aux Renseignements généraux. Il n'y a pas de police performante sans renseignement. Je défendrai toujours les RG, qui ne sont pas, contrairement aux dires de certains, une police politique.
L’Événement du jeudi : Imaginez-vous que la cohabitation puisse durer cinq ans ?
Jean-Louis Debré : On peut tout imaginer, même le pire pour la France.
L’Événement du jeudi : Faudra-t-il l'écourter ?
Jean-Louis Debré : Il y a la possibilité de dissoudre. Ce sera le cas de nouveau à partir du printemps 1998.
L’Événement du jeudi : À quelles conditions peut-on dissoudre une seconde fois ?
Jean-Louis Debré : Celles prévues par la Constitution. C'est-à-dire aucune.
L’Événement du jeudi : Quelle a été, selon vous, la première erreur du gouvernement Jospin ?
Jean-Louis Debré : Avoir fait annoncer sur les marches de Matignon la régularisation d'étrangers par des personnes en situation illégale.
(1) En mon for intérieur, J.-C. Lattès.
Le Figaro - 30 juin 1997
Le Figaro : Règlement de comptes, divisions. À quelques jours des assises du RPR, comment voyez-vous l’avenir de ce parti ?
Jean-Louis Debré : Il faut positiver cette défaite. Sans renoncer à nous interroger sur nos erreurs, ne nous éternisons pas à scruter le passé et à nous lamenter sur notre défaite. Il importe de faire en sorte que la majorité de demain soit différente de la majorité d’hier. Retrouvons les raisons qui ont contribué au succès de Jacques Chirac. Le moment est venu de revoir les structures et le fonctionnement du RPR. Il est nécessaire que nous retrouvions la tradition gaulliste, et le RPR, une assise populaire, une plus grande capacité à comprendre les aspirations, les souhaits de celles et de ceux qui travaillent. Donnons la parole aux militants. Le thème de la participation doit être remis au goût du jour comme d’autres points forts du gaullisme qui ont été peu à peu abandonnés. Montrons notre capacité de générosité et de fraternité, mais aussi notre souci d’ordre et d’efficacité.
Le Figaro : Le mouvement s’est-il coupé de ses bases populaires avec l’arrivée d’Alain Juppé ?
Jean-Louis Debré : L’exercice du pouvoir éloigne des réalités. Nous nous sommes trop laissé séduire par la pensée unique. Il faut réagir contre cette tentation et réintroduire le débat au sein de notre mouvement.
Alain Juppé a donné à notre mouvement une structure efficace. N’oublions jamais ce qu’il a fait pour que le RPR continue à être un grand parti politique.
Le Figaro : Revenir aux sources, à la « tradition » du gaullisme, est-ce suffisant et adapté au monde d’aujourd’hui ?
Jean-Louis Debré : Il nous appartient en premier lieu de défendre la patrie, les valeurs nationales. Mais la France doit aussi être l’âme de l’Europe. Une Europe humaine et non technocratique ou bureaucratique. Une Europe qui s’enrichit de la diversité des nations qui la composent, au lieu de chercher à aseptiser les différences.
Le Figaro : Le RPR a été créé pour accompagner la marche vers l’Élysée de Jacques Chirac. Ne doit-il pas changer de nature ?
Jean-Louis Debré : Le RPR n’est pas une écurie présidentielle. C’est avant tout un mouvement qui défend certaines valeurs de la République, une certaine idée de la France et de son rang dans le monde, une certaine conception de l’État, un État qui ne gère pas tout, mais qui, recentré sur ses missions régaliennes, assume en ce domaine pleinement son rôle. Croire que Jacques Chirac a été élu Président de la République parce qu’il dirigeait le RPR procède d’une erreur d’analyse manifeste. L’élection présidentielle s’est jouée sur un concept, c’est-à-dire, sur une orientation qui rencontre l’adhésion du peuple. Après la France de de Gaulle, la modernité de Giscard d’Estaing, le socialisme de Mitterrand, Jacques Chirac a réussi à incarner la République, et, avec elle, l’idée d’une réappropriation par nos concitoyens, de leur propre destin.
Un mouvement politique ne peut s’épanouir durablement que s’il défend des valeurs, un idéal.
Le Figaro : Certes, mais avec Philippe Séguin, candidat potentiel à l’élection présidentielle, à la tête du RPR Jacques Chirac ne perd-il pas la main sur ce parti qu’il a créé ?
Jean-Louis Debré : Penser que l’on peut avoir une influence sur les compagnons du RPR en se démarquant de Jacques Chirac et en critiquant son action est une utopie.
Le Figaro : Le RPR a-t-il pour mission de protéger le président ?
Jean-Louis Debré : Jacques Chirac a été élu pour sept ans. Il symbolise la France et incarne l’État. Ses pouvoirs sont clairement établis par la Constitution. Il est le garant du bon fonctionnement des institutions. Le Président de la République a tiré les conséquences des élections législatives en nommant Lionel Jospin comme Premier ministre. L’épreuve le renforce dans son autorité. Le RPR doit soutenir son action.
Le Figaro : Jacques Chirac a tout de même commis une faute politique…
Jean-Louis Debré : Est-ce une faute politique que de donner au peuple la possibilité de s’exprimer ? Nous vivons en démocratie. La faute politique eut peut-être été de ne pas entendre la voix des Français et de confisquer le pouvoir. En provoquant ces élections législatives anticipées, Jacques Chirac a peut-être évité une crise de société.
Le Figaro : Cette troisième cohabitation doit-elle mener à une réflexion sur le fonctionnement des institutions de la Ve ?
Jean-Louis Debré : Certainement. Mais il ne faut pas jouer avec les institutions. Pour écarter les calculs, les combinaisons politiciennes qui nuisent à la démocratie, ne convient-il pas de réfléchir aux modes de scrutin pour les élections législatives ? Pourquoi ne pas s’interroger sur les mérites du scrutin majoritaire à un tour ?
Le Figaro : Le tort du RPR a-t-il été de livrer deux batailles à la fois : contre le FN et contre le PS ? Faut-il, comme le suggère certains militants et certains dirigeants, lancer des passerelles vers le parti de Jean-Marie Le Pen ?
Jean-Louis Debré : Il est normal de combattre ceux qui ne prônent pas les mêmes options que vous. Le socialisme est mauvais pour la France. Le FN véhicule des valeurs qui ne sont pas celles du gaullisme. Mais il est important que dans les mois qui viennent, les responsables du mouvement aient un débat à ce sujet et que nous arrêtions une position claire.
Le Figaro : Les assises du RPR vont-elles permettre la réconciliation des balladuriens et des chiraquiens ? Nicolas Sarkozy doit-il être secrétaire général ?
Jean-Louis Debré : La nomination du secrétaire général est la responsabilité du président du mouvement.
Le Figaro : Vous êtes un proche de Jacques Chirac. Y a-t-il vraiment un veto du président sur le nom du maire de Neuilly ?
Jean-Louis Debré : Le problème ne se pose pas en ces termes. L’agitation, les combines, les calculs autour de tel ou tel, sont profondément déplacés. Je suis persuadé que Philippe Séguin saura choisir une équipe capable de rassembler des gaullistes. Ce rassemblement n’étant possible que dans la loyauté et la fidélité à Jacques Chirac et dans le soutien loyal à son action à la tête de l’État.
Le Figaro : Un mois après la défaite, quelle est votre analyse ? Comment l’ex-majorité a-t-elle pu en arriver là ?
Jean-Louis Debré : Nous avons souffert de ne pas avoir su expliquer qu’il n’y aurait pas d’avenir possible pour la France, pas d’amélioration de l’emploi, sans une remise en ordre des finances publiques. Nous n’avons pas su expliquer que, lorsque le deuxième budget civil de la nation est consacré au remboursement des dettes, lorsque les impôts des contribuables sont utilisés pour combler les dettes plutôt que pour des dépenses d’investissement, on ne s’en sort pas, et la France est dans l’impasse. Avec beaucoup de courage, Alain Juppé a écarté les chemins de la facilité. Mais nous, n'avons pas suffisamment expliqué cette politique. La politique, c'est aussi l'art de communiquer, et nous avons échoué dans ce domaine. Les Français veulent tout, tout de suite, et ils ont préféré se tourner vers ceux qui leur promettaient le bonheur immédiatement. Même si ceux-ci ont, dans le passé, mené ce pays à la ruine économique et à la déroute sociale.
N'avons-nous pas donné aussi l'impression, après le succès de Jacques Chirac, en 1995, d'être restés au milieu du gué ? Audacieux en politique étrangère, capables de bouleverser l'organisation de notre défense, de réformer le fonctionnement de la police nationale, mais hésitants à l'idée de nous affranchir du conformisme qui, en matière économique, tient lieu de politique.
Le Figaro : En clair, vous pensez que, pendant deux ans, le Gouvernement s'est trop éloigné de l'esprit de la campagne présidentielle de 1995 ?
Jean-Louis Debré : Le débat ouvert lors de la campagne présidentielle n'est pas clos. Si les pesanteurs et les réflexes du jeu politique ont remis au goût du jour l'affrontement classique entre droite et gauche, le vrai clivage est ailleurs. Il se situe entre ceux qui croient à la France et ceux qui· n'y croient pas ou plus. Cette ligne de fracture ressurgira rapidement, ne serait-ce que parce que le passage à l'intégration européenne est devant nous. Les Français, en élisant Chirac, ont dit qu'ils croyaient à la capacité de la France à maîtriser son destin. Avec· Alain Juppé, depuis deux ans, refusant le laxisme, nous avons entrepris de redonner à la France la capacité d'exister et de conduire son destin. C'est ce qui a été engagé en matière de finances publiques par le Gouvernement d'Alain Juppé. C'est ce que j'ai voulu initier en matière de lutte contre le terrorisme et l'insécurité.