Texte intégral
Défense européenne
L'Europe est au premier rang de nos préoccupations. Au moment où nous préparons la Conférence de révision du Traité sur l'Union européenne, les derniers développements en Bosnie, mais aussi la pression croissante des contraintes économiques, nous prouve plus que jamais l'urgence de bâtir une politique de défense commune. Les Européens ont démontré leur capacité d'initiative politique en ex-Yougoslavie ; ils ont consenti des sacrifices en vies humaines. Mais ils n'ont pas su mettre en avant ensemble les moyens militaires au service de leur politique. La crédibilité de nos plans de paix s'en est trouvée, sur le moment, compromise.
Coopération européenne en matière d'armements
Nous devons désormais travailler à la cohésion de nos moyens d'action. L'armement est un domaine prioritaire, où se rejoignent les préoccupations du court terme et de l'avenir : les coopérations y portent sur des actions très concrètes, tout en s'inscrivant dans la longue durée inhérente aux contraintes de ce secteur d'activité. L'Europe de l'armement comporte des enjeux politiques, militaires et économiques, qui reflètent dans sa globalité la cohérence du projet européen. Nous avons progressé dans ce domaine un peu à la manière préconisée par les fondateurs de la CECA et du traité de Rome : le tissu des alliances industrielles et des programmes conjoints a créé des « solidarités de fait » qui sont appelées à se renforcer toujours plus. Nous devons donner aujourd'hui une nouvelle impulsion à ce processus en prenant acte de sa dimension stratégique. Nos politiques d'armement se développeront dorénavant dans une perspective résolument européenne. C'est à cette échelle que nous pourrons disposer des armements dont nous avons besoin, tout en contribuant à l'effort national de maîtrise des dépenses publiques.
GAEO (Groupe d'armement de l'Europe occidentale)
Le projet d'Agence européenne des armements a été mentionné pour la première fois dans la déclaration des pays membres de l'UEO, annexée en février 1992 au traité de Maastricht. Ce projet s'inscrivait ainsi dans la perspective d'une politique de défense commune : il était alors porté par neuf États. La déclaration de Maastricht n'assignait aucun objectif précis à la future agence : elle visait à concrétiser l'approfondissement de la coopération dans ce domaine. Le GAEO, depuis qu'il fait partie intégrante de l'UEO, a été chargé d'étudier les voies pour faire aboutir l'initiative. Les travaux ont bien avancé, et je puis en témoigner en tant que président du GAEO depuis cette année. Cependant, il ne faut pas se cacher les difficultés.
Le GAEO fonctionne selon un format « à treize » qui ne correspond, en fait, à celui d'aucune des institutions qui ont un pouvoir d'orientation et de décision en matière de politique de sécurité et de défense. Il devra trouver sa place dans les réaménagements institutionnels qui, au fil des adaptations et des élargissements, toucheront l'Union européenne, l'UEO et l'OTAN. Le GAEO manque par ailleurs d'homogénéité : c'est inévitable, mais cela complique singulièrement l'aboutissement d'un projet commun en matière d'armement. Les enjeux liés aux questions d'armement, et de défense en général, sont encore perçus de manière assez fortement hétérogène, même si l'on assiste à des prises de conscience, parfois tardives. Les solutions envisageables auront des incidences bien différentes sur les économies et sur les appareils de défense nationaux. Le principal reste l'absence de consensus sur les objectifs en matière de politique d'armement, et donc sur les prérogatives qui pourraient être accordées à une structure commune qui serait au service de ces objectifs.
Coopération franco-allemande (armement) – UEO
Ces objectifs ne valent, selon nous, que s'ils sont ambitieux et s'ils reposent sur un solide socle de coopérations industrielles et de programmes. C'est pourquoi la meilleure voie réside pour le moment, dans la mise en place d'une structure franco-allemande, créée au 1er janvier 1996. Par cette initiative, nous voulons intensifier et rationaliser nos coopérations, et contribuer ainsi à la consolidation d'une base industrielle et technologique performante. Nous y voyons le moyen pour les États d'acquérir au meilleur rapport coût/efficacité les matériels nécessaires à l'équipement de leurs forces. Notre démarche vise donc à sauvegarder et développer les capacités industrielles et technologiques exigées par la politique de sécurité, tout en tirant avantage de la libre concurrence. Nous harmoniserons dans toute la mesure du possible nos cadres politiques et administratifs d'armement, ainsi que nos besoins en matière d'équipement. Ces évolutions devraient encourager l'industrie d'armement à se restructurer dans un cadre qui sera désormais de mutuelle dépendance.
L'entreprise dans laquelle nous nous lançons avec l'Allemagne s'inscrit dès le départ, tout comme le Corps européen, dans la perspective d'une politique de sécurité et de défense européenne. Loin de se substituer à l'idée d'une agence européenne, elle constitue une étape utile et concrète vers ce but. Nous souhaitons d'ailleurs donner d'emblée à cette nouvelle structure le statut juridique d'organe subsidiaire de l'UEO, considérant qu'elle est destinée à s'ouvrir progressivement aux autres membres et à prendre sa place dans la politique de défense que l'UEO est chargée de mettre en œuvre pour le compte de l'Union européenne. Il n'était cependant pas possible d'accorder à l'ensemble de nos partenaires un droit de regard sur ses activités : la participation à une telle structure implique, pour lui donner un sens, la mise en commun d'un volant substantiel d'activités industrielles et commerciales, et un engagement effectif dans une politique européenne d'armement.
Europe de l'armement
Dans notre esprit, l'initiative franco-allemande peut être le prélude à la constitution d'un espace européen de l'armement au sein duquel des États volontaires s'accorderaient sur le partage de règles en matière d'exportations, d'acquisitions et de maintien de la base industrielle. Un tel espace pourrait prendre place progressivement dans le cadre de l'Union européenne. Le Président de la République a engagé une vaste réforme de l'État et une réflexion de fond sur notre politique de défense. Le Comité stratégique a été mis en place dans ce cadre. Les adaptations qu'il préconisera seront largement guidées par l'évolution du contexte européen. Elles demanderont des efforts, mais une claire conscience des nouveaux enjeux nous aidera à en relever les défis, comme nous avons su le faire par le passé.
La Conférence intergouvernementale de 1996 procédera à une révision du traité de Maastricht qui devrait toucher à des points essentiels dans une large gamme de domaines. Pour nous, elle devrait aussi permettre à l'Europe de l'armement de franchir une nouvelle étape. L'Europe de la défense, qui est une condition de l'affirmation pleine et entière de l'identité européenne, ne pourra pas exister sans un volet armement. Je ne manquerai pas de le rappeler, au cours du grand débat qui s'engage. Ariane et Airbus ont montré qu'il pouvait y avoir une Europe qui gagne. Pour cela, il a suffi de la volonté politique d'œuvrer ensemble. Ce que nous avons réussi pour l'espace et l'aéronautique, nous devons le réussir pour l'armement.