Texte intégral
G. Leclerc : Un volet social vient compléter le pacte de stabilité monétaire, n’est-ce pas un vrai succès pour la France et pour le gouvernement Jospin ?
L. Poniatowski : Disons que tout le monde a obtenu satisfaction. Kohl voulait absolument son pacte de stabilité sur le volet monétaire, il est maintenu, on n’y touche pas. La France voulait un volet social – même si c’est un engagement verbal puisqu’il ne viendra pas, comme vous le savez, qu’en octobre prochain –, la France a obtenu satisfaction sur cet engagement de la part de ses partenaires. Cela dit, ce volet social, il faudra quand même être vigilant parce que, ce n’est pas nouveau. Avec Delors en décembre 1994, on avait déjà négocié une sorte de pacte sur l’emploi et vous vous souvenez peut-être aussi qu’il s’agissait d’investir près de 600 milliards dans les 15 pays pour des grands travaux. Et quand je dis qu’il faudra surveiller, c’est qu’il est quand même paradoxal de voir qu’on s’engage vers un pacte sur l’emploi, dans une voie qui devrait être à peu près la même que cette voie Delors mais en France, on ferme les robinets, on supprime les grands travaux.
G. Leclerc : Donc, en clair, vous craignez que tout ça reste un peu lettre morte ?
L. Poniatowski : Non. Je ne fais pas de condamnation a priori. Je constate que ce pacte pour l’emploi est du déjà-vu. En 1994, c’est resté lettre morte. Il va falloir être vigilant et se battre pour qu’en octobre 1997, il y ait un pacte réel.
G. Leclerc : La cohabitation a bien marché, à première vue ?
L. Poniatowski : Elle n’a pas trop mal marché. C’est un bon signe. Cela montre que le Président de la République et le Premier ministre savent faire preuve d’intelligence pour essayer de faire avancer le bateau français dans le même sens.
G. Leclerc : Les premiers pas du Gouvernement. On a entendu S. Veil donner un satisfecit sur la régularisation des sans-papiers au cas par cas avec un médiateur. C’est votre avis ?
L. Poniatowski : Oui, pour régler les cas par cas difficiles parce qu’on en connaît tous un certain nombre. Non, si c’est une porte ouverte à ce à quoi on avait assisté en 1981 : on avait commencé à petites doses et, au total, on avait ouvert la porte à une régularisation de pas loin de 300 000 immigrés clandestins. Et moi, j’ai peur de cela. J’ai peur que cette porte entrouverte de 40 000 régularisations aille bien au-delà et que ça constitue une sorte d’appel d’air notamment vers l’Afrique, en disant : venez chez nous, même si vous êtes en situation clandestine, on vous accueillera, on vous donnera des papiers. Donc, oui pour régler des cas qui sont difficiles sur le plan humain, non si c’est une porte ouverte. Et d’ailleurs, j’ai apprécié la restriction et l’inquiétude de Chevènement.
G. Leclerc : Sur les autres premières décisions du Gouvernement, sur les autres annonces comme l’arrêt de Superphénix, d’un certain nombre d’autoroutes ?
L. Poniatowski : J’ai peur. Je n’ai pas d’idée fixe sur tous ces problèmes. Par exemple, Rhin-Rhône, je me pose des questions. Il est vrai qu’il ne faut pas faire de grands travaux pour faire des grands travaux, pour faire plaisir à quelques élus. Et donc, qu’on remette en cause et qu’on remette sur le tapis un certain nombre de grands investissements, ce n’est pas une mauvaise chose. Mais par contre, souvenez-vous de ce s’est passé en France au lendemain de la guerre, souvenez-vous de ce qui s’est passé aux États-Unis au lendemain de la grande crise. Que font ces démocraties ? Elles se lancent dans des projets de grands travaux pour refaire démarrer l’emploi et les entreprises, notamment dans le BTP. Là, nous prenons la décision inverse. Nous supprimons une autoroute. Enfin Mme Voynet veut supprimer l’autoroute Bordeaux-Lyon ! Il faut faire attention. Il ne faut pas oublier que la France est un pays dans lequel il y a plus de trois millions de chômeurs, deux millions d’exclus, on a besoin de travail, on a besoin d’emplois. Donc, avant de mettre un grand trait, une grande croix rouge sur des grands travaux, que ce soit des TGV ou des autoroutes, il faut faire très attention. Et là, rassurez-vous, je ferai partie de ceux qui feront de l’opposition. Je serai vigilant sur ce sujet.
G. Leclerc : Est-ce que l’opposition a tiré toutes les leçons de l’échec aux législatives ? On entendait hier F. Léotard dire que les libéraux devront désormais être eux-mêmes, préparer les prochaines échéances sous leurs propres couleurs. Vous êtes d’accord ?
L. Poniatowski : Bien sûr, je suis d’accord. Tirer toutes les leçons, nous sommes en train de les tirer. L’avantage d’un échec, si je puis dire, c’est qu’il faut se regarder en face, il faut voir ce qu’on a fait de bien, ce qu’on a fait de mal, pourquoi. Et puis, les lendemains d’élections ont des périodes qui sont bonnes. Les candidats reviennent du terrain. Ils ont vu beaucoup de Français, entendu beaucoup de choses, y compris deux choses pas agréables sur ce que nous avions fait depuis deux ans, que nous n’aurions pas dû faire, ou bien sur la manière dont nous avons mené cette campagne. Donc, il faut en tirer les leçons.
G. Leclerc : Et la leçon principale ?
L. Poniatowski : La leçon principale, c’est qu’il ne faut pas faire de promesses quand on ne peut pas tenir. Et là, mêmes nos adversaires feraient bien d’en tenir compte parce que, ce que j’ai entendu le plus en tant que candidat de terrain, c’est : monsieur Ponia, on nous avait promis pendant la campagne présidentielle qu’on allait baisser les impôts et les charges et on est en train de mourir sous les impôts et les charges. Cela je l’ai entendu partout. Beaucoup plus que des critiques sur la stratégie et la manière dont la campagne était menée. Et ça, il faut en tenir compte. Et justement, quand je parlais des travaux tout à l’heure : donnons du travail aux gens et diminuons les charges.
G. Leclerc : Et puis, il y a la question du FN. On entend quelques dissonances : d’un côté, ceux qui rejettent toute l’idée d’alliance ou même de dialogue avec le FN et d’autres, comme A. Peyrefitte, qui disent qu’il faut cesser d’excommunier, de culpabiliser les électeurs du FN.
L. Poniatowski : Il faut distinguer deux choses. Moi, je ne veux pas d’alliance avec les dirigeants du FN. Par contre, j’ai bien l’intention d’aller au-devant de ces électeurs du FN qui ont, pour certains d’entre eux, simplement voulu nous sanctionner et qui l’on fait sévèrement et au premier tour et au deuxième tour. Je ne considère pas que ces électeurs sont des racistes, des xénophobes et je veux aller au-devant d’eux pour savoir pourquoi, comment, ils peuvent aller suivre les idées de certains de leurs leaders qui sont des idées que je condamne totalement.
G. Leclerc : Cela veut dire quand même un peu essayer de comprendre et de reprendre certaines de leurs idées ?
L. Poniatowski : Non, c’est aller voir au-devant d’eux pourquoi ils ont pu faire ce geste, franchir ce pas et notamment voter pour des idées qui, pour la plus grande majorité d’entre eux, ne sont pas les leurs. Vous savez, même dans les petites communes rurales de ma circonscription : le FN fait 20 % des voix dans une commune de 200 habitants, dans un endroit où il n’y a pas le moindre problème d’immigration.
G. Leclerc : C’est éventuellement ce que M. Mégret appelle la discipline nationale, des accords entre la droite normal et le FN ?
L. Poniatowski : Moi, je ne suis pas pour ce genre d’accord. Je suis pour me pencher sur les préoccupations en matière de sécurité, d’immigration notamment et comment on peut répondre à leur attente.