Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, à RTL le 7 août 1997, sur les restrictions budgétaires, le projet d'une "journée de préparation à la défense" et les ventes d'armes.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

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R. Arzt : Dans le plan de réduction des déficits publics présenté il y a quinze jours, il est demandé au budget militaire de faire deux milliards d’économies. De quelle façon vont se faire, précisément, ces économies ?

A. Richard : On va le discuter autour du Premier ministre dans les semaines qui viennent. Ce sera très difficile et j’ai souhaité que cet effort soit un effort lié de façon très précise à la nécessité de tenir l’objectif des déficits pour l’année 1997.

R. Arzt : Pour le budget 1998, les arbitrages sont en train de se faire. Jusqu’à combien, à votre avis, peuvent aller les baisses de crédits de la défense ?

A. Richard : Cela dépend de ce que l’on veut conserver comme objectif d’efficacité de défense. Cela aussi, ce sera une délibération collective du Gouvernement. Est-ce que, à l’occasion d’une nécessité financière sérieuse dont je suis pleinement solidaire, on veut changer ou non la politique de défense ? Je ne pense pas que ce sera le cas.

R. Arzt : On a l’impression qu’il est possible, dans les crédits d’équipement, en les gérant d’une façon différente, de garder cette efficacité qui vous tient à cœur ?

A. Richard : Cela, c’est sûr. Simplement, il faut plusieurs années pour cela et il ne faut pas oublier que la France est par ailleurs un pays qui est très bien placé dans les hautes technologies ; ceci a, comme pour les États-Unis d’ailleurs, un rapport étroit avec sa politique d’équipement de défense et je ne vois pas pourquoi on serait admiratif quand c’est l’accomplissement des États-Unis et pourquoi on serait péjoratif quand il s’agit de la politique de la France. Si nous avons des économies à faire sur un certain nombre de programmes d’équipements militaires, il faut veiller à ce que cela se fasse sans affecter notre efficacité industrielle à terme.

R. Arzt : Est-ce que, par exemple, il y a des programmes dont vous pouvez modifier la liste des programmes qui sont déjà retenues et qui engagent l’État.

A. Richard : Je n’ai pas l’intention de proposer au Gouvernement de modifier la liste des programmes qui sont déjà retenus et qui engagent l’État.

R. Arzt : Donc, tout cela se fait sur une sorte de négociation et d’objectifs ?

A. Richard : En effet, il faut avoir un dialogue responsable avec les firmes de l’équipement militaire.

R. Arzt : Vous n’imaginez pas qu’on vous dise de baisser d’un certain pourcentage du produit intérieur brut le budget de la défense ?

A. Richard : Cela a déjà été fait de façon substantielle. Les gouvernements précédents qui l’ont fait ont choisi de ne pas tellement le mettre en valeur, ce qui est leur choix politique libre, mais il faut le constater.

R. Arzt : C’est-à-dire que vous le mettrez en valeur, vous expliquerez ?

A. Richard : En tout cas, je crois que la défense repose sur des choix politiques et celui de la France, de longue date, est d’être très présente dans les crises internationales – on peut dire que cela n’est pas rentable que ce n’est pas intéressant. Il y a des tas de pays qui sont totalement absents de la scène internationale quand il y a des crises et qui ne s’en portent pas plus mal. Je trouve que c’est un choix à la fois qui a des bases de principe, qui a aussi une certaine efficacité politique et qu’il faut le maintenir. Dans ce cas-là, il faut en avoir les moyens.

R. Arzt : S’il y a des restrictions budgétaires, est-ce que vous les expliquerez soigneusement aux militaires, ou bien vous leur demandez d’être disciplinés ?

A. Richard : De toute façon, quand on a une évolution financière dans n’importe quel secteur de la vie publique, d’une part il ne faut pas le faire partir d’une démarche « anti-État » stupide consistant à dire, dès l’instant où quelque chose est dépensé par l’État, que c’est mal dépensé. C’est totalement inexact. Il faut avoir aussi un certain respect, un dialogue un peu responsable avec les partenaires du ministère concerné. D’autre part, il faut avoir une démarche, un peu de contrat et se dire : est-ce que nous sommes collectivement capables de réaliser, pour quelques pour- cent de moins, les objectifs qui nous ont été fixés ? C’est pour cela que j’ai dit, à propos de la loi de programmation militaire, que l’objectif politique n’est pas de dépenser les milliards qui ont été prévus mais d’obtenir les moyens concrets de présence militaire qui ont été programmés.

R. Arzt : Un mot sur la journée de préparation à la défense que vous venez d’instituer : C. Millon, votre prédécesseur, considère que pour les jeunes, ce sera un simple acte administratif et pas une sensibilisation à la défense. Qu’est-ce que vous lui répondez ?

A. Richard : D’abord, je n’ai pas du tout de dialogue polémique avec C. Millon qui a fait un travail tout à fait honorable dans ce ministère et qui, lui-même, s’exprime de façon parfaitement responsable dans les dialogues politiques. Je vous rappelle que je ne l’ai pas instituée mais que je viens de l’inscrire dans un avant-projet de loi qui sera soumis à l’approbation du Gouvernement le 20 août et sera ensuite débattu par le Parlement.

R. Arzt : Il y a des chances qu’il aboutisse, non ?

A. Richard : C’est possible mais j’ai été parlementaire longtemps et je trouve déraisonnable qu’un gouvernement pense que les lois sont faites simplement parce qu’il a approuvé le projet. Quant à cet appel de préparation à la défense alors que ce qu’on pouvait reprochez au rendez-vous citoyen était de convoquer les jeunes pour une série de choses qui n’étaient pas en rapport avec la défense même si elles étaient intéressantes. Les autres objectifs, nous ne les mettons pas du tout de côté mais simplement, nous soulignons que nous allons les atteindre en grande partie par le grand programme d’emploi des jeunes.

R. Arzt : Votre fonction ministérielle comporte un important volet international. Vous étiez en Afrique dans trois pays, la semaine dernière, et vous avez dit que la France ne devait plus arbitrer entre forces rivales.

A. Richard : Ce n’est pas une vision personnelle. Je crois que c’est l’opinion de tous les pouvoirs publics.

R. Arzt : Sujet un peu différent, c’est ce qui se passe dans l’île d’Anjouan dont la population réclame un rattachement à la France. La France peut-elle s’en désintéresser ?

A. Richard : La France ne se désintéresse nulle part des problèmes d’aide au développement. Je vous rappelle que c’est le pays développé qui a, de loin, la contribution au développement la plus élevée. Ce qui se passe à Anjouan n’est qu’un symptôme de plus de ce que l’Afrique a du mal à se développer et de ce que beaucoup d’autres pays que la France pourrait retrousser les manches comme nous le faisons et essayer de contribuer à un développement plus rapide de l’Afrique.

R. Arzt : Quand même, il y a un appel plus précis. C’est une sorte de demande de recolonisation sur la base du volontariat.

A. Richard : Ce n’est pas, me semble-t-il, vraiment en discussion. Le gouvernement français a déjà fait connaître sa position sur le sujet.

R. Arzt : Où en est le rapprochement Dassault-Aérospatiale ? Le Gouvernement veut qu’il se réalise sans privatisation d’Aérospatiale. S. Dassault n’est d’accord pour ce rapprochement que si Aérospatiale est privatisée. Avez-vous les moyens de convaincre S. Dassault ?

A. Richard : Ce sont des sujets qui donnent lieu à des négociations, à des études précises et qui ne donnent pas lieu à des déclarations. Donc, les déclarations sont soit inutiles soit contre-productives.

R. Arzt : Vous avez l’impression d’avancer quand même ?

A. Richard : Ce serait déjà une déclaration.

R. Arzt : Le coût des équipements militaires français est d’autant plus équilibré qu’il y a des achats par des armées étrangères. Vous étiez récemment en Arabie saoudite, un pays qui est intéressé par le char Leclerc. Quelles sont les perspectives de vente pour le char Leclerc, là-bas ?

A. Richard : Je n’y étais pas en tant que vendeur et vous avez observé que j’ai passé beaucoup de temps en Égypte, dont chacun sait que c’est un pays politiquement important, qui a pris des risques pour la paix au Proche-Orient et avec lequel nous souhaitons avoir une meilleure coopération militaire alors que ce n’est pas un gros acheteur d’armes. Donc, la politique de vente d’un certain nombre d’équipements que la France a mis au point et qui sont de haut niveau – je veux vous rendre sensible au fait qu’il y a plusieurs catégories de pays sur le plan militaire suivant qu’ils détiennent ou pas certaines possibilités technologiques. Je pense par exemple à la vision nocturne, à des véhicules plus ou moins adaptés selon les secteurs, je pense aux missiles guidés, etc.

R. Arzt : Et le char Leclerc en Arabie saoudite ?

A. Richard : Je ne suis pas vendeur d’armes ! Le char Leclerc a déjà été vendu, comme vous le savez, à un autre pays qui est les Émirats arabes unis et il est possible que d’autres pays fassent ce choix. Ce sera très important pour le Giat mais c’est d’abord aux commerciaux de cette entreprise de s’assurer qu’il pourrait être vendu.

R. Arzt : La France pourrait recommencer à vendre des armements à Taïwan comme cela a été fait sous certains gouvernements de gauche ?

A. Richard : La France a pris un accord avec la République populaire de Chine et il n’y aura pas de nouvelles ventes.

R. Arzt : Sur toutes les questions que nous venons d’aborder, y a-t-il parfois des discussions serrées entre le Gouvernement et le Président Chirac ?

A. Richard : Mesurez que dans d’autres pays aussi, il y a des coalitions, des diversités à l’intérieur des gouvernements et la France n’est pas tout handicapée par ce fait. Il y a une volonté de part et d’autre, j’en suis convaincu, de trouver des positions communes et jusqu’à présent, on l’a démontré. C’est évidemment un peu mal commode pour les commentateurs car ce serait plus intéressant s’il y avait beaucoup de désaccords publics.