Texte intégral
Europe 1 – lundi 9 juin 1997
J.-P. Elkabbach : Voici venu le temps de l’Europe : D. Strauss-Kahn s’explique à partir d’aujourd’hui à Luxembourg. Il a confirmé hier que le gouvernement entend respecter le calendrier de l’euro et la date du 1er janvier 1999. Qu’en pensez-vous ?
R. Hue : J’ai effectivement entendu D. Strauss-Kahn. J’ai aussi entendu L. Jospin : L. Jospin a dit à Malmö – cela me semble très important – que les engagements pris pendant la campagne électorale seraient tenus. Ces engagements sont très précis, ils ont fait l’objet d’une déclaration commune entre le parti communiste et le parti socialiste et ils disent : pas d’austérité, Maastricht est dépassé, il ne faut pas l’Europe des marchés financiers, il faut une Europe sociale. Autant d’éléments qui me vont bien. Il a d’ailleurs précisé les choses, lors de cette réunion européenne. Le pacte de stabilité a été un temps très fort où, en fait, J. Chirac s’est aligné sur Kohl. Je crois qu’aujourd’hui, la question qui est posée est de se dégager d’un pacte qui, effectivement, est une contrainte.
J.-P. Elkabbach : Vous voulez donc que le pacte soit abandonné, complété ou renégocié ?
R. Hue : Je pense que l’idée d’une réorientation de la politique européenne, qui figure d’ailleurs dans le discours de L. Jospin, doit se traduire par une disposition au niveau de ce pacte qui ne lèse pas la souveraineté nationale. Là-dessus, il n’y a pas d’ambiguïtés possibles. D’ailleurs, L. Jospin dit lui-même qu’il n’est pas question, que l’Europe se substitue aux nations qui la composent. La nation est le cadre fondamental de la démocratie, de la souveraineté. Il y a là, effectivement, à modifier sensiblement la conception qui prévalait jusque-là concernant le pacte de stabilité.
J.-P. Elkabbach : Même P. Séguin s’est rallié au 3 %.
R. Hue : Aujourd’hui, je trouve cette volte-face un peu caricaturale : P. Séguin, qui montrait tous les inconvénients des critères de Maastricht, s’y rallie maintenant et les soutient ! Si les critères de Maastricht, c’est davantage d’austérité – ce que je pense – il faut que tout ce qui concerne davantage d’austérité soit gommé. Il y a des engagements de pris.
J.-P. Elkabbach : Le Premier ministre, L. Jospin, prépare sa déclaration de politique générale prévue pour le 19 juin. Quelles sont les priorités ? Quand vous vous êtes mis d’accord, avez-vous fixé le montant de l’augmentation du Smic ?
R. Hue : Le parti communiste a fait un certain nombre de propositions. Dans la discussion que j’ai eue avec L. Jospin dès le lendemain du second tour, c’est-à-dire lundi dernier, mardi matin exactement, nous avons évoqué non pas des conditions mais des propositions que nous faisions.
J.-P. Elkabbach : Le montant significatif d’augmentation, donc ?
R. Hue : C’est au Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale qui devrait être prononcée le 19 juin, de prendre en compte ces éléments. J’ai toute raison de penser qu’il les prendra en compte. La hauteur du Smic, ce n’est pas maintenant qu’on va pouvoir en décider.
J.-P. Elkabbach : Vous connaissez le montant de l’augmentation ?
R. Hue : Je sais ce que nous avons proposé. Nous pensons qu’il faut que cette augmentation soit suffisamment significative dès le 1er juillet. Nous avons effectivement proposé qu’il y ait une augmentation qui porte sur 8-10 %. Nous attendons de voir ce que sera cette proposition du Premier ministre.
J.-P. Elkabbach : Quand on vous dit que beaucoup de PME ne pourraient pas supporter une telle augmentation ?
R. Hue : Nous avons proposé en même temps qu’il y ait des dispositions immédiates de prises par rapport aux PME-PMI, notamment une aide concrète vis-à-vis de leurs charges financières, de tout ce que pourrait entraîner celle politique d’augmentation du Smic. Mais en même temps, il faut bien que s’engage cette logique nouvelle de progrès social, de relance par les salaires pour permettre les emplois. On ne peut pas contourner cela.
J.-P. Elkabbach : Soutenez-vous L. Jospin si, pour arriver où il veut, il prend son temps ?
R. Hue : Il faut à la fois bien voir qu’il faut la durée pour un certain nombre de propositions mais en même temps – c’est étroitement lié, c’est indissociable – il faut bien prendre en compte les attentes du pays. Elles continuent. Il y a une sorte de dynamique qui se poursuit au lendemain du deuxième tour.
J.-P. Elkabbach : On voit un peu d’agitation sociale : le moment n’est-il pas venu, au moins pendant un temps, de réclamer aux syndicats qu’ils mettent la pédale douce sur certaines de leurs revendications pour laisser le gouvernement s’installer ?
R. Hue : Il est dans la vocation des syndicats de faire valoir les exigences des salariés. Il n’y a pas du tout à freiner quoi que ce soit.
J.-P. Elkabbach : Pas de pause ?
R. Hue : Non, pas de pause. Dans l’attente des Françaises et des Français, il y a ces exigences. Avant de connaitre les résultats des élections, j’avais dit que quel que soit le gouvernement qui serait en place, il faudrait qu’il y ait ce mouvement social. Ce mouvement social n’est pas synonyme de confrontation, de conflit. Il y a aussi l’idée de faire valoir des revendications. Si le Gouvernement s’inscrit tout à fait dans ses engagements, il va prendre en compte ces revendications.
J.-P. Elkabbach : Le mouvement social s’exprime à travers les syndicats ; demain, il y a des manifestations de chômeurs, de sans-papiers. Quelle réponse donner aux sans-papiers ? Il y a une revendication pour régulariser un certain nombre d’entre eux. Faut-il régulariser ?
R. Hue : Il faut très vite rencontrer les représentants des sans-papiers. Il y a des situations à régulariser. Elles sont nombreuses. Mais il y a à prendre en compte la réalité. Il y avait d’ailleurs un certain nombre de gens qui avaient travaillé à définir les critères à prendre compte pour que les sans-papiers puissent être régularisés. Il faut prendre en compte ces critères sur lesquels avaient travaillé des experts. Toul cela me semble aller dans le bon sens.
J.-P. Elkabbach : Pour le PC, gouverner avec le PS, en minoritaire, cela a été une décision historique. Quel a été l’élément déterminant pour que vous entriez dans un gouvernement ?
R. Hue : La décision d’entrer au gouvernement a été étroitement liée aux propositions que nous faisions d’être, dans ce Gouvernement, porteurs de ce que nous avions dit pendant la campagne électorale. Nous avons voulu à la fois que soit pris en compte ce qu’avaient exprimé les électeurs en votant communiste, mais aussi nous avons voulu montrer que nous étions une force constructive utile au pays et qu’au moment où il fallait effectivement s’engager dans une nouvelle politique et qu’il y avait une dynamique de créée, les communistes devaient y participer.
J.-P. Elkabbach : C’est un contrat de législature ? Vous êtes là pour cinq ans si ça dure cinq ans ?
R. Hue : Nous inscrivons notre participation au Gouvernement, comme notre volonté de contribuer à la mise en œuvre de sa politique, dans la durée. II y a aujourd’hui naturellement une situation qui appelle des mesures rapides mais en même temps, nous nous inscrivons dans cette progressivité qui a été évoquée.
J.-P. Elkabbach : Est-ce que les trois ministres communistes sont chargés d’appliquer la politique de leur parti ou les avez-vous perdus, au PC, pendant la durée de leurs fonctions ?
R. Hue : En tant que ministres communistes, ils vont jouer pleinement leur rôle dans le Gouvernement. Ils sont solidaires d’un gouvernement mais en même temps, ils portent une identité communiste, ils portent une démarche, ils portent des choix. Tout cela sera tout à fait compatible, en tous les cas je le pense, avec ce que sera la déclaration du Premier ministre.
J.-P. Elkabbach : Aux transports, quand J.-C. Gayssot dit qu’il faut remettre en cause la réforme de la SNCF et qu’il veut empêcher la privatisation d’Air France, ce sont les choix du PC ou ce sont les siens ?
R. Hue : C’est le choix du peuple. Le peuple a élu des représentants. Il y a eu des élections législatives, le suffrage universel est passé et il faut aujourd’hui appliquer la politique pour laquelle le peuple s’est exprimé.
J.-P. Elkabbach : Le président de la République a défini les rôles et les devoirs d’un président cohabitant. Alors, cela va ?
R. Hue : Écoutez, c’est le respect de la Constitution. Je crois que le président de la République doit tenir compte lui aussi de ce qu’a été l’expression du suffrage universel.
J.-P. Elkabbach : Entre L. Jospin et R. Hue, est-ce qu’il y a des règles de cohabitation ?
R. Hue : En tous les cas, il y a des rapports qui, j’espère, seront fructueux dans l’avenir comme ils l’ont été dans la dernière période. Nous prévoirons des formes de rencontre singulières entre le Premier ministre et le responsable d’un des partis politiques importants de la majorité.
J.-P. Elkabbach : Vous pensez que la cohabitation va être souple, dure ?
R. Hue : Faut-il parler de cohabitation ? Il y a des conditions dans lesquelles nous travaillons ensemble. Nous avons établi, avant les élections, des déclarations communes. Tout cela va être mis en œuvre. C’est un esprit d’harmonie qui m’anime.
J.-P. Elkabbach : Je termine par une citation du Premier ministre belge qui est venu rencontrer L. Jospin et qui a dit, en sortant : « il faut comprendre que la position occupée aujourd’hui par M. Jospin est différente de celle qui était la sienne auparavant ».
R. Hue : C’est la pire des choses. Ne pas tenir les engagements pris et changer de politique une fois que l’on est au pouvoir, c’est ce qu’a fait Chirac et cela l’a conduit à l’échec. Ce n’est surtout pas ce qu’il faut faire et je ne pense pas que c’est ce qui se fera.
J.-P. Elkabbach : Mais enfin, c’est la découverte des réalités, cela !
R. Hue : Les réalités, on les connaissait avant. Il y a des engagements qui ont été pris et il faut les tenir. Le peuple attend beaucoup de ce point de vue.
L’Humanité - 16 juin 1997
L’intervention du secrétaire national à la fête du PCF à Carmaux (Tarn)
Après avoir remercié les communistes du Tarn et leur secrétaire fédéral, Roland Foissac, pour leur invitation et salué les élus présents – dont les députés socialistes Paul Quilès et Thierry Carcenac – Robert Hue a indiqué qu’il se réjouissait d’autant plus de ce rendez-vous au pays de Jaurès « qu’il se tient deux semaines après la victoire de la gauche aux élections législatives, dans un lieu hautement symbolique des meilleures traditions de la gauche française. »
Traduire en actes les engagements. « L’immense figure de Jean Jaurès n’a jamais cessé d’être présente ici. Elle a inspiré, et continue d’inspirer, l’engagement à gauche de nombreux militants. Elle demeure une référence forte pour des millions de citoyens, attachés aux valeurs de progrès et de solidarité. »
« Dans ce moment nouveau que nous vivons, comment n’évoquerions-nous pas la démarche novatrice de Jaurès, sa vision du monde et de l’humanité, nous qui voulons fonder notre conception de l’action politique et nos pratiques sur la capacité des femmes et des hommes, des citoyens, à être les acteurs de la transformation de la société. »
Rappelant les raisons de la défaite de la droite et la force de l’attente de changement exprimée lors de l’élection, le secrétaire national du PCF a souligné : « Ce qui est maintenant à l’ordre du jour c’est de traduire en actes concrets, législatifs et gouvernementaux, les engagements pris pendant la campagne électorale.
(…) Le Premier ministre détaillera ses intentions cette semaine devant les députés. Tous les Français y seront extrêmement attentifs, et plus particulièrement celles et ceux dont les difficultés appellent immédiatement des mesures significatives, notamment pour améliorer leur pouvoir d’achat et ouvrir des perspectives concrètes de créations d’emplois. Ainsi, il est beaucoup question ces jours-ci du niveau de la revalorisation du Smic au 1er juillet. Il est clair qu’il doit être suffisant pour améliorer la vie des salariés percevant le salaire minimum, et du même coup pour impulser une relance de la consommation et donc de l’activité économique. De même, nous souhaitons que la loi cadre sur la réduction à 35 heures du temps de travail sans diminution de salaire voie le jour le plus rapidement possible. Et qu’elle soit suivie d’actes, concrets au meilleur rythme possible. C’est une condition essentielle pour qu’elle produise au plus vite ses pleins effets en matière de créations d’emplois. Je rappelle qu’elle permet d’en envisager 500 000 environ.
Le pacte de stabilité monétaire est néfaste. « Concernant l’Europe, chacun sait les discussions en cours entre la France et les partenaires européens. Je veux redire ici combien ce qu’il est convenu d’appeler « le pacte de stabilité monétaire » est néfaste car il vise à imposer aux peuples et aux pays d’Europe encore et toujours plus d’austérité et de chômage pour satisfaire aux exigences des marchés financiers. »
« Ce jugement, partagé et exprimé au cours de la campagne électorale par nous communistes, aussi bien que par d’autres responsables de formations de gauche – notamment Lionel Jospin –, n’a bien sûr, selon moi, aucune raison d’être modifié. Les efforts entrepris par le gouvernement français pour amener les partenaires européens à adopter, à l’inverse du « pacte de stabilité », des objectifs sociaux et de développement de l’emploi vont évidemment dans le sens de ce qui avait été indiqué avant les élections. Je veux, au moment où je parle, alors que les discussions au niveau européen vont se poursuivre, rappeler que, parmi les messages délivrés par les Français dans leurs votes, il y a le message fort de l’inquiétude devant les conséquences d’une mise en œuvre des conditions d’austérité édictées pour le passage à la monnaie unique. Un récent sondage a montré que 58 % de nos concitoyens sont favorables à une négociation pour modifier ces conditions. De même, on le sait, nos concitoyens dans leur majorité souhaitent être consultés le moment venu sur les nouvelles dispositions qui seront arrêtées par les partenaires européens pour les nouvelles étapes de la construction européenne. Je pense qu’il faut entendre cette inquiétude et cette attente d’une réorientation de la construction européenne dans le sens d’une Europe sociale, de progrès, de sécurité et de paix. »
« Plus généralement, il faut, me semble-t-il, s’attacher à répondre au mieux dès les prochaines semaines aux attentes des Françaises et des Français aussi bien en matière de mesures sociales significatives qu’en matière de démocratie : nos concitoyens ne veulent pas seulement être écoutés, ils veulent être entendus et être partie prenante aux changements sociaux et politiques qu’ils espèrent. »
Les rencontres citoyennes. « Les parlementaires communistes, les ministres communistes ont la volonté de s’inscrire, de façon originale et constructive, dans cette démarche. C’est important, mais on connaît l’opinion du parti communiste : ce qui est, ce qui va être décisif pour que les attentes ne soient pas déçues, et pour, au-delà, construire le changement dont notre peuple, notre société, notre pays ont besoin, c’est l’intervention des citoyens, avec les forces politiques se mettant à l’unisson de leurs exigences, de leurs aspirations.
« C’est le sens de notre décision d’organiser, partout dans le pays et dès à présent, mille rencontres citoyennes. »
L’une de ces rencontres se tenait immédiatement sur la fête. Robert Hue a invité ses auditeurs à y participer.