Texte intégral
Rouge: 5 juin 1997
Des ministres communistes, et après ?
Le faux suspens n’aura duré que deux jours. Les communistes vont au gouvernement, suivant une orientation politique qui ne leur laissait aucun autre choix. Cependant, Robert Hue et la direction du parti ont dû ramer pour convaincre une base plus que réticente. Sans parler de l'opposition de la fraction de Rémi Auchédé, ou de la critique plus ou moins publique formulée par Maxime Grémetz et des amis de Georges Marchais.
C'est sous la pression des délégués que Robert Hue avait dû accepter, lors du dernier congrès, l'idée d'une consultation des militants avant toute décision, en cas de victoire de la gauche. Celle-ci acquise, on a assisté à une mise en scène assez exceptionnelle scandée par deux réunions du Bureau national, trois du Comité national et deux soirées de débats dans les cellules ou les comités fédéraux. Plus de 30 000 militants auraient participé à ces débats, ce qui est nouveau et positif.
Dans un premier temps, Hue a déclaré devant le Comité national qu'il n'avait pas encore toutes les assurances politiques de la part du PS permettant de décider d'une participation tout de suite, et non plus tard. Il a donc envoyé une lettre aux socialistes demandant des réponses précises sur certaines revendications. Missive dont le contenu ne put être rendu public. Pour convaincre les militants, qui se prononcent le soir même sur la « démarche », les grandes lignes en sont résumées dans un document publié par l’Humanité. Et là, surprise, ces exigences reprennent mot pour mot les généralités de la fameuse déclaration commune PS-PC. On peut donc se douter de la réponse qui, cependant, ne viendra jamais sous forme écrite. Dans un deuxième temps, en effet, en guise de geste et non de réponse, Lionel Jospin accepte de recevoir Robert Hue « entre une heure vingt et une heure et demie », comme le souligne L’Huma. Bigre, quel honneur ! Mais là encore, malheureusement, le contenu des « avancées » et des promesses ne saurait être dévoilé car, entre-temps, Lionel est devenu Premier ministre. Et Robert de déclarer : ce « ne serait ni élégant ni correct ni même dans l’esprit républicain qui m’anime. Quand on a un entretien de ce type avec un Premier ministre, il appartient à celui-ci de donner son sentiment devant le Parlement ». C'est donc sur la base d'une lettre non publiée et d'un entretien dont on ignore le contenu que la direction du PC a demandé à ses militants « d'apprécier positivement les avancées » pour décider d'aller au gouvernement...
De toutes façons, R. Hue avait précisé devant le CN que les fameuses précisions demandées sur les 35 heures, le SMIC ou la fiscalité n'étaient pas des conditions. En effet, ces « propositions communistes allaient être un élément de travail de la majorité gouvernementale et seront au cœur de la réflexion du gouvernement lui-même ». Comme on peut le constater, les garanties d'une autre politique sont gigantesques...
Tout cela était prévisible. La direction du PC a construit son propre piège en refusant, dans un premier temps, d'œuvrer à une vaste discussion publique sur le contenu d'une politique de changement, et en refusant de rassembler toutes les forces voulant une rupture nette avec le libéralisme, afin d'être, ensuite, capable de changer le rapport des forces au sein de la gauche. Au lieu de cela, par sectarisme mais aussi pour des raisons politique liées à son orientation, le PC s'est présenté aux élections seul, sur un programme social et économique en fait peu éloigné du nôtre. Le double langage apparaît ici. Pendant la campagne électorale, on présente un programme plutôt correct, en affirmant que l'on ne refera pas le coup de 1981 et que, cette fois-ci, on exige des garanties. Puis, on entre au gouvernement, parce qu'on veut y aller coûte que coûte malgré l’absence d'engagements clairs à satisfaire les revendications sociales.
Ainsi, à la dernière minute, pour cause de dissolution, Robert Hue a dû négocier avec le PS un texte commun creux, complètement en retrait, pour finalement être obligé d'aller au gouvernement sans programme, avec un rapport de forces dérisoire. Alors nombreux sont aujourd'hui les communistes déboussolés qui, inquiets, se raccrochent à la seule garantie qui n'existait pas en 1981, le « mouvement social ». C'est, notamment, le cas des camarades refondateurs de Futurs, chauds partisans de la participation et qui se retrouvent avec une dizaine de députés. L’histoire a pourtant montré qu'une fois au gouvernement, et à juste titre, le PS impose la solidarité sur son programme. L'exercice sera bien difficile pour les ministres communistes - comme d'ailleurs pour ceux des Verts ou du MDC. Prendront-ils la tête des luttes pour imposer, à leurs collègues du gouvernement, les exigences du mouvement social ? L'avenir tranchera vite. Et on peut encore rêver de se tromper.
Chacun, avant et après les législatives, a fait ses choix. Mais, pour répondre à la volonté d'une grande majorité d'électeurs et de militants de gauche, il est possible, tous ensemble, de se mettre d'accord pour créer les instruments populaires capables de peser sur le pouvoir. Là sera l'épreuve de vérité sur les intentions des uns et des autres. Les communistes, toutes tendances confondues, sont-ils prêts à aider à la création d'un réseau de comités unitaires pour le changement, regroupant sans exclusives les forces ayant contribué à battre la droite ? Voilà désormais la vraie question pour qui veut réussir. Et il y a urgence.
Rouge : 12 juin 1997
Les « rencontres citoyennes »
Le groupe communiste à l’Assemblée a nommé à sa présidence Alain Bocquet, initialement hostile à la participation au gouvernement Jospin. Dans une situation inconfortable, entre exigences populaires et solidarité gouvernementale, le Bureau national du PCF appelle à organiser un millier de « rencontres citoyennes ».
Le groupe communiste sera finalement composé de trente-six députés, puisque les trois élus de la Réunion ont préféré s’inscrire au groupe Radical-Citoyen-Vert (RCV). C’est à l’unanimité qu’il a élu Alain Bocquet à sa présidence. Hostile à la participation gouvernementale, tout comme Georges Hage ou Maxime Gremetz, le député du Nord a finalement voté pour, tout en maintenant ses réserves. En fait, Robert Hue aura toutes les peines à imposer son autorité à un groupe jaloux de ses prérogatives et profondément divisé. Mais n’est-ce pas un peu l’image du PCF ?
Les refondateurs de Futurs avaient déjà obtenu le principe de liberté de vote, décision maintenue et qui pourra avoir quelques répercussions étant donné le rôle charnière des communistes pour assurer une majorité absolue au PS. Avec un tiers de refondateurs, un tiers de réputés « conservateurs » et plusieurs indépendants, Robert Hue se trouve relativement isolé au Parlement comme, du reste, dans l’appareil. S'il a pu emporter l'adhésion critique des militants à la participation au gouvernement, c'est en partie en s'appuyant sur un réflexe légitimiste encore présent, mais fragile.
En effet, l'orientation de la direction du PC est balbutiante. Publiquement, il s'agit d'être au gouvernement pour pousser à gauche et faire entendre les exigences du mouvement social. Celles-ci ont même été chiffrées, comme l'augmentation du SMIC : 1 000 F avec 500 F tout de suite. Mais, rapidement, certains engagements pris par Robert Hue sont passés à la trappe, comme l’organisation d’un référendum sur la monnaie unique.
La contradiction est difficile à assumer : comment se faire l’interprète de revendications qui ne sont pas inscrites dans le programme du PS, tout en maintenant la solidarité gouvernementale ? Lorsque l’on demande à Robert Hue si « la garantie, c’est la présence de ministres communistes ? », il est bien obligé de répondre, dans l’Humanité, « non, c’est l’intervention citoyenne ». C’est dans cette situation compliquée que le Bureau national du PCF vient de lancer la perspective d’« un millier de rencontres citoyennes ».
La cible est précisée : « Les 10 % d’électrices et d’électeurs qui ont accordé leurs suffrages à nos candidats et, au-delà, celles et ceux parmi les électeurs qui ont choisi un autre vote à gauche ou à l’extrême-gauche, parmi les abstentionnistes et les jeunes non-inscrits qui partagent une volonté de changement réel. » Il s’agit d’une « démarche décentralisée », mais « d’un processus de long terme, de longue haleine, pas du tout éphémère », ajoute Robert Hue. « Ces rencontres seront organisées dans des lieux qui pourraient devenir des espaces citoyens et démocratiques. » Il ne s’agit pas d’être des observateurs, fussent-ils vigilants, de ce que fait le nouveau gouvernement, mais d’être ensemble partie prenante du nécessaire travail de construction d’un tel changement politique. » Enfin, précise-t-on, cette « dynamique politique » est différente de la « dynamique sociale ». Elle aura le PCF comme relais et la fête de l’Humanité « permettra de marquer cette démarche de façon significative ».
Essayons de décrypter cette nouvelle langue de bois pour comprendre le sens d’une démarche qui, au premier abord, apparaît un peu comme un self-service. Nous pouvons trouver, dans ce magasin, pour résumer simplement, une apparence de pôle de radicalité organisé en comités de base décentralisés, mais sous le contrôle du parti. On peut aussi y voir, si on le souhaite, la simple poursuite des forums du passé, certes intéressants mais sans lendemain. Tout est donc possible. Mais si la confusion est grande et les interprétations multiples, la proposition mérite d’être retenue et précisée.
Il y a, nous semble-t-il, aujourd’hui deux types de regroupements possibles, et même complémentaires. Le premier devrait s’adresser à toutes les composantes, sans exclusives, qui ont contribué à battre la droite et qui voudraient, tout simplement, s’organiser à la base et dans l’unité pour faire en sorte que les exigences de la population soient entendues et appliquées par le gouvernement. Pour cela, il faudrait que se structure un réseau de collectifs de débat et d’action dans toutes les villes. « Espace démocratique », « Rencontre citoyenne », « Comité unitaire pour le changement », le sigle importe peu. Le PC est-il prêt à aider à la construction de cette force populaire qui a trop fait défaut, après chaque victoire de la gauche, en 1936 comme en 1981 ?
Le deuxième terrain d’organisation concerne la gauche radicale et devrait se réaliser sur une plateforme. Rassembler la gauche radicale et écologiste pour peser sur l’ensemble de la gauche, c’est ce que nous essayons de faire, avec d’autres, notamment depuis les grandes mobilisations de 1995. Or, aujourd’hui, même au pouvoir, la gauche est loin de répondre à ces exigences. Il y a donc un enjeu véritable dans les mois qui viennent, si on ne veut pas connaître un nouvel échec : organiser toute la gauche à la base, dans un puissant mouvement populaire, et structure en son sein une gauche radicale anticapitaliste.
C’est dans cet esprit que nous répondrons positivement aux propositions du PCF. En visant, par le débat public, à créer les conditions d’une dynamique permettant au peuple de gauche de devenir un acteur du changement nécessaire. Ce qui ne saurait se faire que selon des modalités unitaires, et non sous l’égide de telle ou telle composante du camp progressiste. C’est dans cette optique, et dans tous les domaines, que la mobilisation s’impose. Mais il n’y a rien à craindre de démarches qui mobilisent, quelles qu’en soient les arrières pensées.
Date : 5 juin 1997
Déclaration du bureau politique de la LCR
La droite vient d’être battue sans appel. La politique des Juppé, Madelin, Sarkozy, Balladur et autres Séguin est rejetée par le pays.
Mais c'est aussi Chirac qui subit une défaite cuisante, lui qui a voulu se livrer à un hold-up sur le débat électoral, en provoquant la dissolution de l'Assemblée et en tentant ainsi, à la hussarde, de retrouver une majorité.
Désavoué massivement, sa légitimité est en cause. Il n'a aucun droit à prétendre freiner le changement que veulent les citoyens. Il devrait, lui aussi, partir !
Maintenant à gauche toute !
Nous nous sommes rassemblés pour mettre la droite en échec. Cette victoire, notre victoire, est d’abord la revanche de la grande mobilisation de novembre et de décembre 1995 ! La gauche, qui vient d’obtenir une large majorité, doit répondre aux aspirations populaires et rompre avec la politique de la droite.
Les désastres du passé ne sauraient se rééditer. Ne l’oublions pas : le Front national a confirmé qu’il se trouvait en embuscade, cherchant à récupérer le désespoir dans lequel le libéralisme et Maastricht plongent des millions d’hommes et de femmes. De nouvelles déceptions à gauche lui ouvriraient un boulevard.
Attendre, différer les mesures d’urgence qui s’imposent pour desserrer l’étau du libéralisme maastrichtien, laisserait au patronat et à la finance le temps de se reprendre, de spéculer pour faire pression sur le nouveau gouvernement. On prendrait le risque d’anéantir l’espoir qui vient de naître.
Nul n'imagine que tout peut se faire tout de suite. Mais un changement de cap doit se manifester dès les prochaines semaines et refléter nettement la volonté de mettre en œuvre une autre politique, répondant aux attentes de l'électorat populaire.
Pour combattre le chômage, la flexibilité et la précarité, imposer la réduction massive du temps de travail, dans la perspective des 32 heures d'ici deux ans. Et, tout de suite, une loi-cadre doit être votée fixant la durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures, sans perte de salaire et avec embauches correspondantes. Cela garantirait notamment que l’embauche massive de jeunes, promise par Lionel Jospin, aboutisse à de véritables contrats de travail dans les secteurs public et privé.
Pour en finir avec l’austérité, aller vers l’augmentation des bas salaires et assurer un revenu décent à chacun. Et, tout de suite, s’impose le relèvement de 1 000 francs du SMIC et des minimas sociaux.
Pour défendre et revaloriser les services publics, les soustraire aux critères du profit. Et, tout de suite, les privatisations doivent être arrêtées, à commencer par celle de France Télécom.
Pour redistribuer les richesses, aller vers l'abolition de tous les impôts proportionnels (CSG, RDS...) et une réforme fiscale radicale, imposant le capital et les revenus financiers. Et, tout de suite, il est nécessaire de ramener à zéro le taux de TVA sur les produits de première nécessité et de taxer les mouvements spéculatifs de capitaux.
Pour se donner les moyens du changement et satisfaire les besoins sociaux les plus urgents, préparer la rupture avec le traité de Maastricht qui impose un modèle ultralibéral et des banques centrales indépendantes, aux mains de gouverneurs tout-puissants, tel Jean-Claude Trichet en France. Et tout de suite, un collectif budgétaire doit voir le jour, s’extrayant du carcan imposé par les « critères de convergence ». Dès la prochaine Conférence intergouvernementale européenne, à la mi-juin, doit aussi être dénoncé le « pacte de stabilité » né de l’accord de Dublin, qui condamne les peuples à l’austérité perpétuelle.
Pour l’égalité, il convient de préparer un plan d’accueil et d’intégration des populations immigrées. Et, tout de suite, l’urgence consiste à régulariser les sans-papiers et à abroger les lois Pasqua-Debré.
Lionel Jospin annonce une grande conférence d'ici l'été. Très bien ! Mais il ne peut s'agir de renvoyer aux calendes le signal, les choix qu’attend le peuple de gauche. Au moment où l'on parle, à juste titre, d'une nouvelle façon de faire de la politique, cette conférence doit avoir pour objet de satisfaire les exigences les plus urgentes du mouvement social, de prendre des engagements précis et datés envers les salariés, les chômeurs, la jeunesse. Elle doit mettre à la même table de négociation tout le mouvement syndical et associatif. Surtout dans la mesure où ils concernent l’avenir de tous et toutes, ses travaux doivent être publics.
Tous ensemble, changeons d’avenir pour de bon !
Seule, la mobilisation de tous et toutes vaincra demain les résistances au changement. Un gouvernement de gauche sans la mobilisation sociale est voué à l'échec. En 1981, c'est l'inexistence d'un grand mouvement populaire qui a permis que soient bradées les espérances du monde du travail. Aujourd'hui autant qu’hier, des mesures authentiques de lutte contre le chômage, contre les privilèges, contre les inégalités s'affronteront à de puissants intérêts. Notre seule garantie réside donc dans un mouvement encore plus puissant que celui de novembre-décembre 1995, associant salariés et chômeurs, secteur public et secteur privé.
Syndicalistes, membres d'associations, militants politiques, citoyens, agissons pour faire entendre les exigences du mouvement social et avoir la garantie que le changement sera au rendez-vous. Rassemblons-nous dans des comités unitaires pour le changement, regroupant toutes les composantes du mouvement social, de la gauche et de l'écologie progressiste.
Changer d'avenir, c'est notre affaire maintenant !
Il faut une nouvelle force politique à gauche
Avant les législatives, en militant en faveur d’une « Entente de l’espoir », la LCR proposait que la gauche se rassemble sur la base des exigences du mouvement social. Elle en appelait, pour cela, à un vaste débat public grâce auquel les citoyens, toutes les forces progressistes, à la base comme au sommet, auraient pu donner leur point de vue sur le contenu et les moyens d’une politique transformatrice. Mais la volonté n’en existait pas à gauche.
Le nouveau gouvernement résulte uniquement d’un accord entre états-majors. Ni le programme du parti socialiste ni les déclarations signées par ce dernier avec le parti communiste, les Verts ou le Mouvement des citoyens de ne s’engagent clairement à répondre aux principales revendications sociales. La campagne électorale a même vu les représentants du PS revoir à la baisse leurs promesses et multiplier les concessions à la logique libérale développée ces vingt dernières années. Force est, dans ces conditions, de constater qu'il n'existe pas de garantie sur l'action future du gouvernement de Lionel Jospin.
Il est décidément urgent de changer la gauche. Toutes les luttes, depuis novembre et décembre 1995, ont cruellement manqué d'un correspondant politique, porteur de radicalité et de volonté rassembleuse, honnête et fidèle à son programme. Chez beaucoup d’électeurs et d’électrices de gauche ou écologistes, s’exprime fortement l’aspiration à une gauche qui ne recule pas et aille jusqu’au bout de ses engagements. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes présentés au premier tour de ces législatives, tout comme l'ont fait d'autres courants affichant une ambition similaire. Hélas, ces candidatures sont restées éparpillées, concurrentes et elles ont généralement été victimes du « vote utile ». S’il en était allé autrement, le rapport des forces électorales serait aujourd’hui différent et nous disposerions d’atouts plus nombreux pour faire triompher l’exigence d’un changement authentique.
Travailler à une gauche différente, fidèle aux ambitions du mouvement social et ne renonçant pas à combattre le système capitaliste, cela reste l’objectif de la LCR. Elle en appelle à présent au débat entre toutes les forces et militants qui formulent le même constat, afin qu’ensemble, nous définissions les bases d’un travail en commun dans la situation ouverte par le scrutin du 1er juin et que nous posions les jalons d’une nouvelle force politique à gauche.