Interviews de M. Charles Millon, vice-président de Démocratie libérale, à RMC, le 16 juillet 1997, dans "Le Progrès" du 25 juillet, dans "Valeurs actuelles" le 26 juillet, à Europe 1 le 6 août, notamment la politique de défense du gouvernement et le projet d'abandon du rendez-vous citoyen, ainsi que sa proposition de créer "une formation unique de l'opposition" pour s'opposer au FN.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - Emission Journal de 8h - Europe 1 - La Tribune Le Progrès - Le Progrès - RMC - Valeurs actuelles

Texte intégral

RMC - mercredi 16 juillet 1997

P. Lapousterle : Comment avez-vous ressenti la déclaration du chef de l’Etat le 14 juillet, M. Million ? Est-ce que vous n’avez pas trouvé qu’il parlait plus à ses électeurs qu’à l’ensemble des Français ? N’a t-il pas été un peu partial dans ses critiques des décisions du gouvernement Jospin ?

C. Millon : Président de tous les Français, le Président de la République a fait le bilan des derniers évènements et le bilan des premières décisions du gouvernement socialiste. Il s’est montré attentif aux problèmes des Français. Il s’est déclaré vigilant. Je crois qu’on attend de lui ce rôle, cette mission de vigilance. Il est là pour garantir les libertés constitutionnelles, il est là pour expliquer qu’il ne peut pas ne pas donner son point de vue. Il n’est pas un homme politique « désincarné ». Il a des convictions, et comme le Président de la République précédent avait déclaré qu’il ne serait pas inerte, Jacques Chirac a énoncé très clairement son opinion sur les évènements du monde et sur les évènements de la France. »

P. Lapousterle : Il n’était pas un peu tôt, un mois après que les Français aient condamné la politique du Gouvernement Juppé, de critiquer systématiquement toutes les décisions du gouvernement Jospin ?

C. Millon : Il était temps que le Président de la République affirme sa position dans le jeu de la cohabitation. Je pense qu’il a choisi la Fête nationale du 14 juillet pour le faire vis-à-vis de tous les Français. C’est très bien ainsi.

P. Lapousterle : Vous n’êtes pas un amoureux de la cohabitation, vous M. Millon ?

C. Millon : Non, pas du tout. Et je souffre en constatant que pour la troisième fois notre pays est entré dans ce type de situation. Car c’est une situation, qui, quoiqu’il arrive, est paralysante et retarde les décisions. Et il suffit de constater aujourd’hui ce qui se passe pour constater que l’un des objectifs majeurs du Premier ministre c’est d’attendre, d’éluder, de tergiverser, et de différer. Et que les problèmes, à mon avis, n’attendent pas, et qu’on voit peu à peu s’accumuler, sur le pays, un certain nombre de difficultés qui provoqueront sans doute des orages après les prochaines élections cantonales et régionales, mais on a un pays qui est complètement paralysé par une cohabitation que personnellement je regrette.

P. Lapousterle : Vous pensez que le gouvernement Jospin ne va pas assez vite ? Et qu’il aurait pu aller plus vite, un mois à peine après avoir été mis en place ?

C. Millon : Je pense qu’il a une technique, une tactique. C’est de différer les problèmes. C’est-à-dire qu’il annonce des décisions pour faire plaisir à son électorat, et il ne les applique pas pour ne pas créer de difficultés.

P. Lapousterle : Vous pensez à quoi quand vous dits ça ?

C. Millon : Toutes.

P. Lapousterle : Le rendez-vous citoyen, qui était le substitut au service militaire, qui était votre projet, est largement critiqué par les plus hauts responsables du parti socialiste qui cherchent une autre formule. A priori, vous pensez qu’une autre formule peut être valable ? Est-ce que vous l’étudierez ? Est-ce qu’éventuellement vous la voterez à l’Assemblée nationale ?

C. Millon : Je suis un peu étonné du débat qui est en train de naître. Et je souhaiterais qu’on en discute vraiment au fond. Quelle est la question que nous avons voulu aborder avec le rendez-vous citoyen ? C’est la question de la citoyenneté, c’est la question de la République. Il avait été, dans la tradition française, fait que le service militaire était devenu un moment de grande citoyenneté pour tous les jeunes Français. Et puis l’évolution du monde, la chute du mur de Berlin fait qu’aujourd’hui, il n’y a pas besoin de service militaire, comme il y avait besoin avant de service militaire. Cela, tout le monde l’admet. Est-ce que pour ce faire, il n’est pas nécessaire qu’à un moment donné, dans la vie d’un jeune Français et d’une jeune Française, il y ait une rencontre, pour se rendre compte qu’on fait partie d’une communauté nationale, d’une République ? Je pose la question aux hommes politiques, je leur demande d’imaginer des réponses, le rendez-vous citoyen en est une.

P. Lapousterle : Mais tout le monde l’a trouvé un peu bancale à l’époque. On n’a pas attendu aujourd’hui pour entendre des critiques sur la solution proposée.

C. Millon : Je n’attends pas les critiques dans ce domaine-là. J’attends les contre-propositions.

P. Lapousterle : Si une nouvelle période de rigueur était indispensable après l’audit qui aura lieu lundi prochain, est-ce que ça veut dire que toute majorité et tout Gouvernement, finalement, au bout du compte, pour permettre à la France de rentrer dans l’euro, aurait dû décider cette rigueur ?

C. Millon : Vous me permettez tout d’abord de faire part de mon étonnement de cette méthode des audits.

P. Lapousterle : Vous l’aviez fait M. Balladur l’avait fait.

C. Millon :  Ce n’est pas une raison suffisante pour que j’approuve cette méthode. Nous sommes dans une République, nous avons des institutions qui sont acceptées par tous les Français. Il y a une Cour des comptes, une Assemblée nationale, un Sénat, le budget est voté par une Assemblée nationale et un Sénat, il est appliqué par une administration qui est considérée comme une des meilleures administrations au monde. Il y a la Cour des comptes qui est là pour contrôler dans le cadre de ses compétences, et puis, chaque fois qu’il y a un changement de majorité, on fait comme si le précédent gouvernement, ou la précédente équipe avait fraudé et qu’on est obligé de faire un audit. Il faut arrêter ce genre de choses. Il faut revenir à une République tranquille, respectueuse des règles et puis du droit. Et puis à ce moment-là, on prend les comptes tels qu’ils sont. Aujourd’hui, c’est une vraie comédie. On sait ce qu’il y a dedans, mais on fait semblant de ne pas savoir pour pouvoir en fait justifier des attitudes et des mesures. Alors j’aurais aimé que M. Jospin, qui disait qu’il faut gouverner autrement, commence par changer ce type d’habitudes.

P. Lapousterle : Affaire Thomson, Lionel Jospin a décidé l’arrêt de la privatisation, telle qu’elle était en tout cas conçue par le gouvernement auquel vous apparteniez, choisissant d’abord de regrouper en France, avec forte présence de capitaux publics. Est-ce que vous pensez que c’est une mauvaise procédure ?

C. Millon : C’est une procédure qui retardera la constitution des grands groupes européens. Il faut savoir que nos partenaires Allemands, Anglais, Italiens, souhaitent construire une industrie Européenne électronique de défense, et que pour ce faire, un certain nombre de négociations avaient été engagées, qu’à cette fin il était souhaitable que les entreprises électroniques de défense soient privées et que les négociations puissent être engagées. Le Gouvernement semble avoir choisi une autre solution. Je pense que rapidement, il se rendra compte que si l’on veut faire contrepoids à l’industrie américaine qui devient conquérante, qui est d’une force assez extraordinaire, il faudrait une industrie européenne.

P. Lapousterle : Mais n’est-il pas bon que l’Etat français soit, en partie en tout cas, propriétaire des industries de défense ?

C. Millon : Si l’on ne pense pas qu’il est bon de construire une industrie européenne de défense, oui, vous avez sans doute raison. Mais je suis favorable à l’Europe et je pense qu’une des dimensions importantes de l’Europe, c’est l’industrie européenne de défense.

P. Lapousterle : Vous présidez la région Rhône-Alpes, qui est une région extrêmement importante en France. Vous avez connu, comme les autres présidents de région, des budgets difficiles, avec des menaces de paralysie : est-ce qu’à quelques mois de ces élections régionales, il faudrait changer cet état de choses par un changement du scrutin ou un changement du fonctionnement en ce qui concerne le budget, pour éviter la paralysie des régions – vous, le décentralisateur ?

C. Millon : J’aurais souhaité une modification du scrutin, je ne m’en suis jamais caché. Je regrette qu’à quelques mois de l’échéance, on ne soit pas parvenu à modifier le mode de scrutin. Je vais le dire très clairement au Premier ministre d’aujourd’hui, Lionel Jospin, comme je l’ai dit très clairement au Premier ministre d’hier, Alain Juppé, il ne faut pas chercher de consensus dans ce domaine-là. Il faut provoquer des débats et il est bon qu’à l’Assemblée ou au Sénat, on débatte du mode de scrutin des régionales et qu’à partir de ce moment-là, il y ait une majorité qui se dégage car on verra ceux qui sont favorables à de vraies régions, des régions qui peuvent gérer leur budget, qui peuvent avoir des projets, qui peuvent transformer économiquement, socialement, culturellement, un espace, qui est un espace important dans la France d’aborder le XXIe siècle avec des structures décentralisées.

P. Lapousterle : Vous avez rejoint la formation de Madelin. Je ne sais pas si c’était exactement votre tasse de thé. Est-ce que vous pensez que l’opposition actuelle, la droite, doit se regrouper en un seul parti ? Est-ce que c’est urgent, indispensable ? Ou est-ce qu’il faut que chacun vive sa vie ?

C. Millon : Je pense qu’aujourd’hui, l’opposition doit d’abord se poser. C’est ce qu’elle fait : Philippe Séguin au RPR, Alain Madelin à Démocratie libérale, François Bayrou à Force Démocrate. On se pose avec des convictions, des idées, avec des analyses. Mais très rapidement, elle doit se recomposer. Elle ne peut se recomposer que dans une formation unifiée car il faut dire les choses telles qu’elles sont : aujourd’hui, sur notre droite, il y a une force politique qui ne pourra pas rentrer dans des jeux politiques classiques et que si l’on veut que l’alternative ce ne soit pas le FN, il faut que la droite classique, l’opposition classique, UDF et RPR, constitue une grande force qui soit dynamique, qui soit attrayante pour l’opinion et qui ose dire ses convictions et ses analyses, qui ose énoncer les valeurs qui motivent leur engagement politique.

P. Lapousterle : Et dont le patron est le Président de la République ?

C. Millon : Pas du tout. Le Président de la République est Président de la République, il a des convictions et il l’a dit très clairement le 14 juillet. Il est une référence, il sera une référence, il est la référence actuellement de tous ceux qui sont engagés dans l’opposition mais j’appelle de mes vœux une grande formation qui sera démocratique, qui pourra élire ses dirigeants et qui permettra ainsi aux Français d’avoir un choix clair entre une gauche telle qu’on l’a vue et une droite qui soit démocratique, qui soit une alternance réelle.

P. Lapousterle : Je ne sais pas pourquoi mais j’ai l’impression qu’on devra attendre un petit moment pour voir cela.


Le Progrès - Vendredi 25 juillet 1997

Le progrès : L’abandon du « Rendez-vous citoyen » qui vient d’être annoncé est-il ressenti comme un désaveu par l’ancien ministre de la Défense ?

Charles Millon : Non ! Tout simplement parce que la politique menée par mon successeur s’inscrit dans la continuité de ce que j’avais entrepris sous l’autorité du Président de la République. Alain Richard n’a pas remis en cause mais plutôt confirmé, la professionnalisation des Armées, la loi de programmation militaire et les restructurations industrielles. Dans un entretien au Monde, il s’interroge sur la durée et le contenu de ce Rendez-vous citoyen ; je crois pour ma part qu’il faut attendre le projet global du ministre avant de porter un jugement.

Le progrès : Cet abandon ne modifie-t-il pas la philosophie de votre projet ?

Charles Millon : Tel qu’il était envisagé le Rendez-vous citoyen avait trois : garantir l’égalité des chances, promouvoir le volontariat et favoriser l’engagement civique. Ceci dans la perspective d’une armée professionnelle qui exige un renforcement des Réserves. Et le Rendez-vous avait justement pour mission de faire connaître à la jeunesse de France l’organisation du système de Défense, les possibilités d’engagement volontaire et d’engagement dans la Réserve.

Le Progrès : La décision du gouvernement répond-elle à un besoin d’améliorer ce que vous aviez mis en place où n’y voyez-vous qu’une décision politique ?

Charles Millon : Il est clair que je ne me départirai pas de mon attitude de réserve. J’espère simplement que dans ce cas-là – d’autant que pour l’instant il ne s’agit que d’une proposition et non d’une décision – ce n’est pas seulement la logique comptable et financière qui s’impose. Car il me semble difficile d’oublier la dimension civique du Rendez-vous citoyen.

Le Progrès : Quelles sont les répercussions de cet abandon ?

Charles Millon : Ce qui avait été envisagé devait avoir deux conséquences. D’abord, il devait maintenir l’esprit de Défense car il est évident que moderniser un outil ne servirait à rien si cet esprit de Défense n’est pas entretenu dans le pays.

Il devait aussi permettre de reconvertir un certain nombre de locaux militaires, abandonnés du fait de la réduction du format des Armées, et qui devaient être affectés au Rendez-vous citoyen. C’était le cas, notamment, de la caserne de Sathonay-Camp, dans la région Rhône-Alpes.

Le Progrès : Craigniez-vous que votre successeur et la nouvelle majorité remettent en cause le principe de la professionnalisation des Armées ?

Charles Millon : Je n’y ai jamais cru, parce qu’elle est logique. Excepté une faible minorité, personne n’a contesté le principe d’une professionnalisation. L’important est que celle-ci ne soit pas remise en cause.


Valeurs actuelles - 26 juillet 1997

Valeurs actuelles : D’où vient, selon vous, que la droite n’ait jamais été confirmée une seule fois au pouvoir en vingt ans ?

Charles Millon : Cela tient d’abord à l’incapacité des Français à assumer les révolutions que vivent tous les pays développés depuis une vingtaine d’années. Ces révolutions impliquent des réformes que nos concitoyens savent indispensables – et même, qu’ils disent souhaiter – mais dont ils se refusent à supporter le coût, en termes de droits acquis.

Ajoutez à cela l’incapacité des hommes politiques à expliquer le sens de leur action – bref, à devenir pédagogues – et vous avez la clé du divorce qui sépare périodiquement la droite de son électorat – mais aussi la gauche, ne l’oublions pas !

Valeurs actuelles : Vous dites : il y a un déficit d’explication. Mais n’y a-t-il que cela ?

Charles Millon : Je dis : il y a un déficit de politique ! On a oublié que la politique ce n’est pas seulement l’art de s’ajuster à la réalité. C’est aussi s’efforcer de faire évoluer les choses… En se contentant d’agir sur des variables, forcément limitées, on substitue une politique technocratique de droite à une politique technocratique de gauche, et les électeurs se désintéressent de la démocratie.

Valeurs actuelles : Donc, que fallait-il dire aux Français qui n’ait pas été dit ?

Charles Millon : Il fallait leur montrer le chemin. Il fallait oser proclamer en quoi les sacrifices que nous demandions étaient porteurs de mieux-vivre pour l’avenir. Il fallait aussi oser parler de nos propres valeurs, sans concession pour les modes venues de gauche.

Valeurs actuelles : Par exemple ?

Charles Millon : Par exemple sur la défense l’école libre et sur la réforme du système éducatif ; sur notre condamnation de l’économie mixte imposée par François Mitterrand ; ou encore sur la décentralisation, à propos de laquelle nous avons été trop frileux…
Et que nous aurions dû mener à son terme.

Le président de la République a montré le chemin en 1995. Mais, à l’échelon de l’exécution, les choses n’ont pas suivi.

Valeurs actuelles : C’est donc un problème d’hommes ? ...

Charles Millon : C’est une question de système. D’enfermement de la sphère politique loin des réalités quotidiennes, phénomène qui a développé chez nos concitoyens le sentiment d’être pris en otages par une politique dont ils ne percevaient plus le sens… Facteur aggravant : depuis une dizaine d’années, la droite ne dispose plus de l’argument qui avait fait sa fortune depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : la peur du communisme.

Nous nous devions, dès lors d’attirer pour nous-mêmes, et non plus contre les autres. C’est ce défi que la droite n’a pas su relever.

Jean-Pierre Soisson dit : pour recréer une dynamique de droite, le RPR et l’UDF doivent faire avec le FN ce que le PS a fait avec le PC : une sorte de « programme commun ».

Cet argument n’est pas recevable. S’allier avec le FN aujourd’hui – outre les graves questions d’éthique que cela soulèverait – ne servirait qu’à le légitimer. De plus, quand Mitterrand a conclu le programme commun, le PC était sur la voie du déclin. On peut s’allier avec un concurrent ; jamais avec un adversaire. Surtout quand cet adversaire s’avère, dans certaines circonscriptions, plus fort que le RPR ou l’UDF pris séparément. Non content de lui donner un quitus idéologique, nous lui offrirons le marchepied qui lui manque pour progresser encore !

Valeurs actuelles : Quel est, alors, la solution ?

Charles Millon : Même si je suis un peu seul à le proclamer, j’estime que l’unique moyen de retrouver le pouvoir tout en barrant la route au Front national, c’est d’aller vers une formation unique de l’opposition.

Sur le fond, il n’y a plus vraiment d’obstacle…

Sur la forme, cela créerait une dynamique nous permettant, à coup sûr, d’être plus forts que le Front national. A condition, bien sûr, de tenir un langage de clarté qui permettrait à tous les électeurs de droite de se reconnaître en nous…

Valeurs actuelles : Y compris à ceux du FN ?

Charles Millon : Mais bien évidemment ! Pourquoi nous ont-ils quittés ? Parce que nous avons donné le sentiment de ne plus concevoir les élections que comme un moyen de départager nos écuries présidentielles, et que, tout à cette compétition, nous ne parlions plus suffisamment de la France et de ses enjeux.

J’ajoute que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, une formation unique de la droite ne tarirait pas le débat idéologique. Il l’organiserait. Voyez le parti conservateur britannique ! Il est traversé de courants très différenciés. Mais il va uni aux élections.

Si un parti de ce type existait en France, la question de la présidentielle serait réglée par des primaires.
Et toute notre énergie pourrait se consacrer à la seule compétition qui vaille : celle des idées ! Paradoxalement, l’électeur disposerait d’une offre idéologique bien supérieure à celle qui prévaut aujourd’hui…


Europe 1 - mercredi 6 août 1997

B. Laporte : Vous êtes l’un des responsables de l’actuelle opposition, vous êtes également l’un des responsables de l’UDF. C’est d’abord à l’ex-ministre de la Défense que je voudrais m’adresser : deux mois après la victoire de la gauche aux législatives, deux mois après la formation du Gouvernement, avez-vous l’impression que votre successeur au ministère de la Défense défait ce que vous avez entrepris, ou bien le sentiment qui domine est-il celui d’une certaine continuité ?

Charles Millon : Tout d’abord, je me suis donné comme règle une certaine réserve car je considère que le prédécesseur dans un poste ministériel doit attendre que les évènements se déroulent, que les décisions soient prises pour pouvoir émettre des jugements. Je constate aujourd’hui qu’A. Richard a confirmé un certain nombre d’orientations qui avaient été prises par le gouvernement précédent, sous l’autorité, du reste, du Président de la République, c’est-à-dire la professionnalisation. Deuxièmement, la loi de programmation militaire : je me félicite que ces grands choix ne soient pas remis en cause. Alors c’est vrai qu’A. Richard a annoncé qu’il soumettrait un nouveau projet de loi concernant le service national, et en particulier concernant le Rendez-vous citoyen ou sa suppression. Sur ce point-là, je le regrette car je crois que le Rendez-vous citoyen était un élément substantiel du contrat républicain. »

B. Laporte : Comment vit-on précisément l’abandon d’une initiative importante, comme ce Rendez-vous citoyen ? C’était un peu votre bébé ? La solution qui est préconisée par A. Richard vous semble-t-elle intéressante ?

Charles Millon : Très franchement, je ne peux pas bien la concevoir. Car aujourd’hui, il existe trois jours qui sont devenus à peu près une demi-journée. A. Richard propose une journée où les jeunes filles et les jeunes gens français viendraient se faire enregistrer. C’est un acte administratif, mais ce n’est certainement pas un acte de sensibilisation ou de mobilisation tel que nous avions pu l’envisager.

B. Laporte : C’est un sentiment que vous avez sur la continuité qui est global concernant la politique que mène l’actuel gouvernement depuis sa formation ?

Charles Millon : Pour ce qui est des décisions essentielles, le Gouvernement, en matière de Défense, a choisi la continuité. On l’a vu dans le domaine des industries européennes de l’armement avec la confirmation des accords pour ce qui est du Tigre par exemple, lors du salon du Bourget. On l’a vu dans le domaine des relations de partenariat avec des pays tels que l’Egypte ou l’Arabie saoudite, puisque mon successeur y est allé, et a confirmé en réalité la politique traditionnelle de la France vis-à-vis de ces pays. Et on vient de le voir enfin en Afrique, puisque le plan qui a été décidé est un plan qui avait été préparé par le précédent gouvernement, et qui permet de maintenir la présence de la France en Afrique, avec une réorganisation de notre système militaire.

B. Laporte : Cela veut dire que sur certains sujets, comme la Défense, il n’y a plus véritablement de différences entre la droite et la gauche, il n’y a pas une politique de Défense de gauche ?

Charles Millon : Je ne dis pas cela. Je dis que dans l’état actuel des choses, c’est-à-dire deux mois après la prise de ses responsabilités, le gouvernement actuel a confirmé les choix qui avaient été effectués par le gouvernement précédent. Il n’empêche qu’il faut laisser du temps au temps, et attendre quelle est la politique définitive qui sera mise en place. Je suis très inquiet à titre personnel, de voir qu’on puisse envisager à nouveau des coupes budgétaires. La communauté de Défense avait fait un effort considérable depuis deux ans, en faisant passer le budget de la Défense de 205 milliards de francs en 1996, à 185 milliards de francs en 1997. J’entends parler de nouvelles réductions, je dis : attention, danger ! Car à partir de ce moment-là, je ne sais si l’on pourra tenir le pari de la professionnalisation. CAR faire passer une armée de conscription à une armée professionnelle, coûte cher. Je ne sais pas si on tiendra aussi le pari de l’équipement. Or les armées modernes sont des armées qui doivent être équipées d’une manière très sophistiquée si elles veulent avoir la mobilité et l’efficacité voulues. C’est pourquoi j’attendrai le budget 1998 pour pouvoir porter un jugement qui soit clair. Il est toujours possible, en fait, de faire des économies supplémentaires. Mais à force de tirer sur la corde, je crains qu’un jour elle ne casse.

B. Laporte : Le rôle de la France au-delà de ses frontières ? Votre successeur disait hier ou avant-hier dans Libération que la présence militaire française ne servirait plus à arbitrer les forces rivales, sous-entendant que cela l’était précédemment. Qu’en pensez-vous ?

Charles Millon : Je pense qu’il a tort. Les forces françaises n’ont jamais servi à arbitrer entre les forces rivales. Je voudrais donner comme illustration ce qui s’est passé en Centrafrique puisque j’ai eu la charge de suivre ces évènements lorsque j’étais rue Saint-Dominique. La France s’est toujours donné comme mission, comme rôle, de respecter les accords de coopération militaire qui étaient passés. Deuxièmement, lorsque le gouvernement légal et légitime demandait que l’on puisse veiller à la sécurité de nos ressortissants et à la sécurité publique, nous l’avons toujours fait. Nous ne nous sommes jamais immiscés dans les affaires intérieures du pays.

B. Laporte : Aux Comores, on se trouve face à quelque chose d’inattendu à savoir une île qui demande à être rattachées à la France. Cela évoque quels commentaires pour vous ?

Charles Millon : Cela évoque un commentaire concernant la politique de coopération que la France doit mener et développer. Pourquoi les Comoriens de l’île d’Anjouan sont en train de réclamer un rattachement à la France ? C’est parce qu’ils ont sous les yeux l’île de Mayotte avec un certain nombre d’avantages fiscaux, sociaux qui sont donnés aux Français de Mayotte.

B. Laporte : On sent que c’est très intéressé effectivement.

Charles Millon : Je ne dis pas que c’est très intéressé mais je dis qu’ils font une comparaison. A partir de ce moment-là, si l’on veut que Les Comores réussissent comme pays indépendant, trouvent un équilibre économique et politique, il va falloir peut-être avoir une politique de coopération avec des objectifs très clairs qui permettent des échanges économiques. En effet, c’est par les échanges économiques que l’on arrive à créer de la richesse plus que par des systèmes de dons et subventions qui, parfois, se perdent comme l’eau dans le sable.

B. Laporte : En attendant, dans cette affaire, la France se doit de respecter une certaine neutralité ou doit-elle encourager ou donner des signes à ceux qui désirent revenir dans le giron français ?

Charles Millon : La France est respectueuse de l’indépendance des peuples. Les Comores sont indépendantes. Aujourd’hui, il y a un certain nombre de tensions. La France peut simplement rappeler qu’elle est à la disposition des Comores pour développer une politique de coopération. C’est ce qu’elle a fait, je crois, tout à fait récemment. Elle ne peut pas s’immiscer dans les affaires des Comores car cela serait violer les lois internationales.

B. Laporte : Dans un mois, ce sera la rentrée politique. Quels sont les missions que dois se donner l’opposition dont vous faites partie, pour redresser la barre et envisager aux régionales de redresser la situation ?

Charles Millon : On a deux missions essentielles. La première est de faire connaître notre projet pour la France, notre vision de la société, les valeurs auxquelles nous faisons référence pour pouvoir mettre sur pied des solutions aux problèmes qui sont posés. C’est une réflexion politique fondamentale qu’il convient d’engager. Elle a déjà été engagée par un certain nombre d’entre nous et j’en suis, mais aussi avec des professionnels et des intellectuels. Je crois que dans une période d’opposition, on retrouve la dimension des convictions qu’on avait moins mis en valeur au moment où on avait les responsabilités du pouvoir. La deuxième mission est la mission d’union car il est bien évident que si l’opposition, la droite ne s’unit pas, sa division servira les abstentionnistes ou les protestataires, voire même les extrémistes. A partir de ce moment-là, on se condamnera à rester dans une opposition qui sera stérile. C’est la raison pour laquelle je consacre mon temps d’une part à un travail de refondation sous l’angle des idées, et deuxièmement, à un travail d’union pour qu’enfin, la droite puisse vivre un congrès d’Epinay comme la gauche l’a vécu en 1971 et que l’on ait un paysage politique français ou d’un côté, il y ait les sociaux-démocrates ou les socialistes et de l’autre côté, les républicains, la droite républicaine.