Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, dans "Le Figaro" du 22 août 1997, sur le projet de remplacer le rendez-vous citoyen par une journée d'"Appel de préparation à la défense" (APD), la poursuite de la professionnalisation des armées et le problème des crédits d'équipement.

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

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Le Figaro : Le rendez-vous citoyen fut notamment critiqué parce que ‘inutile » pour la défense. En quoi une seule journée d’appel de préparation à la défense sera-t-elle plus utile que les cinq qui étaient envisagées ?

Alain Richard : Ayons bien à l’esprit que cette journée sera précédée par une initiation aux questions de défense dans le cadre des programmes scolaires. Ce qui permettra de répondre à l’une des préoccupations des partisans du rendez-vous citoyen (RVC). Cette phase d’initiation est inscrite dans le projet de loi. Elle a bien sûr reçu l’accord du ministre de l’éducation Claude Allègre.

Dans ce contexte, la journée unique pourra se concentrer sur la connaissance des missions de la défense et des métiers militaires. Ce sera aussi l’objectif assigné à une préparation militaire modernisée et attractive qu’à partir de 18 ans des jeunes gens qualifiés pourront suivre en vue de devenir réservistes.

Le Figaro : Même sommaire, la visite médicale des trois jours permettait de déceler des problèmes de santé que la médecine scolaire n’avait pas mis en évidence.

Alain Richard : L’examen médical avait pour but de déceler des aptitudes militaires avant l’incorporation. Or, celle-ci est désormais suspendue. D’autre part, nous avons souhaité que l’appel à la préparation de défense (APD) soit organisé de façon très déconcentrée, au niveau départemental, alors que les outils de tests médicaux contraignaient, par leur coût, à une concentration des centres d’examen.

Reste qu’un bilan de santé des jeunes de 18 ans à son utilité pour eux-mêmes et pour la nation. Il s’agit alors d’une question qui relève de la santé publique.

Le Figaro : Plus court, plus sommaire, l’APD n’a-t-il pas d’abord comme logique de faire des économie d’encadrement et d’argent ?

Alain Richard : Si nous avions été motivés par les seules questions d’argent, nous aurions pu, comme nous le suggèrent certains élus de l’opposition, supprimer toute convocation. Notre motivation de principe a été de maintenir l’indispensable lien armées-nation. La réforme vise à rééquilibrer les relations des jeunes et de la défense dont ils doivent comme citoyens devenir responsables.

Le Figaro : La carte d’électeur sera-t-elle remise aux jeunes à l’occasion de cette journée ?

Alain Richard : Ce n’est pas à exclure. L’enchaînement, entre 16 et 18 ans, de la fin de la scolarité obligatoire, du recensement, de l’appel à la préparation de défense et de la majorité civile marquent pour les jeunes leur accès à la citoyenneté. C’est pourquoi, également, la participation des jeunes filles à l’APD relève d’un principe non discutable.

Le Figaro : Les volontariats ne seront plus des « petits boulets ». Contrairement à ce que prévoyait le RVC, les activités offertes pourront se substituer à des emplois permanents. Ce seront donc de vrais contrats à durée déterminée (CDD) ?

Alain Richard : Là réside, avec la préparation militaire, l’une des deux principales novations du projet de loi. Le volontaire aura effectivement un véritable statut professionnel. Lui seront proposés des emplois militaires adaptés à un jeune sans expérience, ce qui ne veut pas dire sans qualification. Le contrat sera d’un an, renouvelable jusqu’à cinq ans. La rémunération sera harmonisée avec elle des emplois-jeunes. La majorité de ces volontaires militaires (16 000 sur un peu plus de 27 000) sera placée auprès des unités de gendarmerie. Ainsi sera renforcé notre potentiel de sécurité publique.

Le Figaro : Ne craignez-vous pas une confusion des statuts de volontaires et d’engagés. Avec pour conséquence des menaces sur la politique de recrutement des armées ?

Alain Richard : Je préfèrerais parler de diversité. Les statuts de volontaires et d’engagés permettront de mieux répondre aux motivations et perspectives professionnelles des jeunes. Une partie des volontaires aura la possibilité de demander à effectuer une véritable carrière militaire. Une autre utilisera cette première expérience professionnelle en vue d’une future activité civile. Dans les armées, les volontaires tiendront principalement des emplois de techniciens de base.

Le Figaro : Le projet de loi fait explicitement référence aux effectifs militaires inscrits dans la loi de programmation militaire. Est-ce une exigence de la cohabitation ?

Alain Richard : Le gouvernement de Lionel Jospin a fait siennes les options stratégiques qui ont motivé la professionnalisation des armées. Si nous voulons que s’exerce réellement l’influence de la France en faveur de la paix et de la coopération internationale, il nous faut des forces armées disponibles et mobiles, donc professionnelles.

Alain Richard : Ce choix fixé, il importe d’en définir les modalités d’application. Il est de loin préférable de poursuivre la réforme déjà engagée – d’autant qu’elle est particulièrement complexe – plutôt que de réinventer tout un dispositif. Les états-majors ont conduit des études longues et il ne serait pas sérieux qu’arrivé depuis un ou deux mois le gouvernement décide de tout mettre à bas.

Il y a en matière de défense un impératif de continuité et de stabilité qui s’impose dans toute démocratie. On a pu le constater chez plusieurs de nos partenaires européens qui ont connu une alternance politique. La France ne fait pas exception.

Le Figaro : Le redéploiement de la présence française en Afrique, la redéfinition de certaines missions ne vont-ils pas conduire à une nouvelle réduction du format des armées, notamment de l’armée de terre ?

Alain Richard : Ma ligne de conduite est de réussir la professionnalisation sans sacrifier l’efficacité opérationnelle ni les impératifs d’équité sociale. Bouleverser les prévisions d’effectifs, déjà en baisse sensible, serait contre-productif.
Dans le projet de budget pour 1998, chacun pourra constater que le volume des crédits de rémunérations et de fonctionnement s’inscrit dans les principes de la réforme des armées.

Le Figaro : Mais il y a la baisse annoncée du titre V. Diminuer les crédits d’équipement et préserver l’emploi comme le souhaite le Gouvernement, comme le demandent les syndicats, n’est-ce pas revenir sur les restructurations industrielles ? N’est-ce pas, également, menacer la cohérence de la loi de programmation militaire ?

Alain Richard : L’annonce évoquée d’une réduction des crédits d’équipements est prématurée. Actuellement, le travail du Gouvernement sur le budget 98 s’attache à prendre en compte, avec une grande détermination, la conduite de la rénovation de la défense. Il est sûr qu’une réduction, même raisonnable, des crédits d’investissement disponibles affaiblirait le plan de charge des entreprises d’équipement militaire. Cette préoccupation aura tout son poids lorsque le Gouvernement arrêtera définitivement ses choix budgétaires. Une fois ceux-ci effectués, je veillerai, dans une concertation attentive, à la poursuite de la modernisation de ces industries.

Le Figaro : Quand pensez-vous pouvoir annoncer des décisions, et des calendriers, sur la fusion Dassault-Aerospatiale et sur l’avenir de Thomson ?

Alain Richard : Avant la fin septembre.

Le Figaro : Le budget 1998 n’est certes pas bouclé, mais la défense sera bien mise à contribution…

Alain Richard : Il y aura inévitablement interaction entre le volet dépenses et le volet recettes de la loi de finances. Je manquerais à mes devoirs en avançant des chiffres n’ayant pas valeur de décision. Quand, concernant l’aspect défense, le projet sera prêt, il sera présenté au président de la République, avant que n’en soit saisi le conseil des ministres. Cela ne veut pas dire que le chef de l’État sera d’accord avec nos choix, mais cette démarche nous apparaît naturelle.

Le Figaro : Quel mécanisme de concertation a été instauré pour que fonctionne la cohabitation, notamment en matière de défense ?

Alain Richard : Le Premier ministre rencontre chaque fois que nécessaire le président de la République. Le ministre des affaires étrangères et le ministre de la défense ont avec lui un entretien hebdomadaire et chaque fois qu’une question touche aux missions constitutionnelles du chef de l’État.

Le Gouvernement est juge de ses choix d’opportunité politique. Il les prépare dans la concertation et la collégialité avec un souci de responsabilité que chacun a pu constater. Par ailleurs, les usages constitutionnels et ceux du dialogue républicain sont notre loi. Si les Français ont choisi très lucidement une majorité et donc un Gouvernement de gauche après avoir élu un président de la République de l’autre famille politique, c’est parce que nous ferons tous bon usage de nos prérogatives.