Interview de M. Bruno Mégret, délégué général du FN, dans "Le Monde" du 11 juin 1997 et article dans "Français d'abord" du 15 juin (intitulé "la troisième force"), sur le résultat des législatives, et sa proposition de mise en place d'une "discipline nationale de respect mutuel" entre RPR, UDF et FN, avec désistement réciproque, pour les élections de 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Français d'abord - Le Monde

Texte intégral

Le Monde - 11 juin 1997

Le Monde : Les élections législatives vous laissent-elles un goût amer !

Bruno Mégret : Il n'y a pas de goût amer. C'est vrai qu'on aurait souhaité la victoire du Front national, c'est-à-dire une majorité de députés, mais nous savions que ce n'était pas pour cette fois-ci. Pour le reste, ce n'est pas le Front national qui est responsable de la défaite de la droite. Cet échec résulte principalement de la décision du RPR et de l'UDF de désigner, nommément, institutionnellement, le Front national comme adversaire politique au même titre que le parti socialiste et, donc, de se battre sur deux fronts. Quand on ouvre deux fronts, c'est généralement le début de la fin.
Le Front national a maintenu ses candidats partout où il le pouvait, ce qui est bien la moindre des choses lorsqu’on n’est pas dans un système d'alliance. Pour les circonscriptions où il n'avait pas de candidat, il n'a pas fait d'appel à voter pour la gauche. Si la droite a perdu, c'est parce qu'elle n'a pas rompu avec la politique socialiste de l'époque Mitterrand - ni en 1993 ni en 1995 - et qu'elle a désigné le Front national comme adversaire. Sans compter l'énorme erreur qu'a été la dissolution. La droite a provoqué sa propre chute.

Le Monde : Les déclarations de Jean-Marie Le Pen, avant le premier tour, sur sa préférence pour « une assemblée de gauche », n’y ont-elles pas contribué ?

Bruno Mégret : Je pense que la victoire du parti socialiste n'est pas une bonne chose pour la France. Les socialistes vont mener une politique nocive, qui va compromettre davantage la sécurité, la prospérité et la souveraineté des Français. C'est pourquoi nous allons être les opposants les plus résolus du nouveau pouvoir. D'ailleurs, je pense que les socialistes vont échouer, car ils doivent aujourd'hui mettre en œuvre un programme qu'ils n'avaient pas conçu dans la perspective d'une victoire. Ils sont pris à leur propre piège : ou ils appliquent leur programme, et ce sera la catastrophe économique ; ou ils y renoncent, et ce sera une déception extrêmement forte dans leur électorat.
Le Front national a amélioré son score et il est parvenu à maîtriser l'érosion du second tour. Cela prouve qu'il a fidélisé son électorat et qu'il est devenu une force autonome, dans un système politique désormais tripolaire. Il constitue à présent la troisième force politique du pays. L'heure de vérité est d'autant plus proche que le RPR et l'UDF sont déstabilisés par l'échec qu'ils ont eux-mêmes provoqué. Nous espérons une nouvelle progression du Front national dans le cadre d'une stratégie de rassemblement national. Nous appelons tous ceux qui sont déçus par la classe politique, et principalement par le RPR et l'UDF, à nous rejoindre ou à prendre des initiatives qui leur permettent de se tourner vers nous. Le Front national s'est construit par des apports d'électeurs d'autres mouvements, et nous sommes disposés à ouvrir très largement nos portes.
Le RPR et l’UDF sont structurellement minoritaires. Ils sont pris en tenaille entre la gauche et le Front national. Dans une telle situation tripolaire, la formation du centre est amenée à disparaître ou à se rapprocher de l'une des forces qui l'encadrent. En clair, cela veut dire que le RPR et l'UDF ont le choix entre trois solutions : ou ils poursuivent leur politique « ni gauche ni Front national », et ils sont condamnés ; ou ils se rapprochent de la gauche et institutionnalisent le Front républicain, ce qui ne sera pas impossible quand, affaibli par ses échecs et le départ des communistes, le parti socialiste cherchera de nouveaux soutiens ; ou ils se tournent vers le Front national.

Il ne s'agit pas pour le RPR et l'UDF de mettre en œuvre un programme commun ou de passer des accords de gouvernement avec le Front national, mais, tout simplement, de reconnaître sa légitimité et d'instaurer une discipline nationale de respect mutuel. Cela existe à gauche et se traduit, lors des élections, par un « désistement républicain ». Pourquoi cela n'existerait-il pas à droite ? Je suis tout disposé, par exemple, à mettre en œuvre une telle « discipline nationale », dans les Bouches-du-Rhône, pour les élections cantonales, en 1998. Ainsi le conseil général, qui est à gauche, pourrait basculer sans difficulté à droite. De la même manière, pourquoi ne pas envisager de tels accords, à titre expérimental, en Seine-Saint-Denis ou dans le Val-de-Marne, où les communistes ont encore la mainmise sur les conseils généraux ?

Le Monde : Pensez-vous à quelques choses ou à quelqu’un de particulier en déclarant qu’ « il faut qu’il y ait de nouveaux partis qui émergent et qu’il y en ait, parmi ceux-là, au moins un qui puisse accepter le Front national comme partenaire ?

Bruno Mégret : Si la droite institutionnelle se contente d’une recomposition se résumant au remplacement de M. Juppé par M. Séguin, cela ne changera à rien. Le problème n’est pas celui des hommes, mais celui de la ligne politique. Le RPR et l’UDF ne correspondent à aucune réalité politique de fond. Il n’y a pas de différence idéologique entre ces deux formations, et on trouve en leur sein des gens qui ne sont pas d’accord entre eux sur des grandes questions comme Maastricht, l’immigration ou l’euro. La vraie rénovation consisterait à restructurer les organisations politiques de l’ancienne majorité sur des corps de doctrine cohérents et clairement affichés.
Il se trouve qu’au sein du RPR et de l’UDF il y a des courants, des personnalités, des militants et des électeurs qui ont des convictions très proches des nôtres. Il est certain que, si la restructuration des partis de l’ancienne majorité se faisait sur la base de convictions homogènes, il y aurait à droite une organisation qui n’aurait aucune raison de ne pas travailler avec nous pour passer des accords, voire des accords de gouvernement.

Le Monde : Sur quelle base ?

Bruno Mégret : Sur la base d’une priorité donnée à l’impératif de souveraineté nationale par rapport à la mondialisation, tant dans ses composantes migratoires que dans ses manifestations économiques.


Français d’Abord - 2e quinzaine de juin 1997

Après les législatives

La troisième force

Consacré troisième force politique française derrière la gauche et la coalition RPR-UDF, le Front national se trouve, plus que jamais, en position d'incarner la véritable alternative à une classe politique en pleine déliquescence.

En s’appuyant sur la gâchette de la dissolution de l’Assemblée nationale, Chirac n’a pas seulement atomisé sa propre majorité en ramenant la gauche au pouvoir. Il a aussi bouleversé le paysage politique français dans son ensemble.
En consacrant le Front national troisième force politique française, les électeurs ont donné naissance à un système politique tripolaire. Avec 15,03 % des voix, soit un gain de 2,5 points par rapport à 93, le Mouvement national obtient un véritable succès. De plus, en franchissant la barre du deuxième tour dans 133 circonscriptions sur les 577 que compte notre pays, et en limitant les reports de voix vers les autres candidats de droite au second tour, le Front national démontre qu'il est bien une force politique autonome. Un phénomène d'autant plus appréciable que l'issue incertaine du scrutin poussait les électeurs au « vote utile » pour la droite ou la gauche. Le Front national confirme donc qu'il ne saurait être une simple force d'appoint, mais qu'il est bien une force de relève.

RPR et UDF minoritaires

En descendant au niveau des 31 %, la coalition RPR-UDF paye au prix fort ses graves erreurs politiques et stratégiques. Chacun le reconnaît aujourd'hui, en s'épargnant de rompre vraiment avec la politique menée avec ses prédécesseurs socialistes et en désignant le Front national comme adversaire, la droite a créé elle-même les conditions de sa propre défaite. Comme l'a écrit Alain Peyrefitte dans le Figaro, au lendemain du second tour, « à vouloir rechercher l'éloge de ses adversaires, on finit par faire leur politique ». Résultat : nombre d'électeurs de droite n'ont pas jugé nécessaire de soutenir un gouvernement qui ne tenait pas ses promesses. Ce sont ceux-là mêmes qui chaque jour nous rejoignent plus nombreux.

La gauche piégée

De son côté, la gauche n'est pas dans une meilleure situation. Le parti socialiste n'avait pas prévu sa victoire. Il a fait campagne sur un programme démagogique qui n'était pas destiné à être mis en application mais seulement à mobiliser le maximum de voix. Aujourd'hui, les socialistes sont donc pris au piège d'une équation sans solution. S'ils appliquent leur programme, ils font exploser l'économie française. Et s'ils ne l'appliquent pas, ils vont décevoir si terriblement leur électorat que celui-ci s'en détournera durablement.
Pour autant, la droite RPR-UDF est dans l'incapacité totale d'exploiter cette faiblesse de la gauche car elle est désormais structurellement minoritaire. Trois solutions s'offrent à elle. Soit elle se rapproche de la gauche et institutionnalise en quelque sorte le front républicain, mais alors elle ouvre un espace immense à la progression de notre Mouvement. Soit, elle se tourne vers le Front national et accepte de jouer le jeu de désistement réciproque face à la gauche, et elle dédiabolise le FN et facilite ainsi son ascension. Ou alors, elle continue à se battre sur deux fronts comme lors des dernières élections et elle sera laminée entre la gauche et le Front national.

Le temps du Front

Face à cette situation, l'avenir appartient au Front national. Notre Mouvement doit s'affirmer comme la véritable opposition face au pouvoir socio-communiste de cohabitation avec le RPR. Il lui revient par ailleurs de rassembler très largement tous ceux qui bien au-delà de ses rangs actuels partagent ses analyses et ses convictions. Enfin il lui faut placer le RPR et l'UDF en position d'être seuls responsables de leurs échecs. Pour cela, le FN doit proposer une discipline nationale de désistement réciproque avec les partis de la droite institutionnelle. Il ne s'agit pas de réaliser des alliances qu'il est hors de question de passer avec des partis que l'on combat, mais simplement de permettre une pratique comparable à celle existant à gauche même du temps ou le PS et le PC s'opposaient violemment.
Désormais le Front national représente plus que jamais la véritable alternative face à la classe politique. Dans un système tripolaire, c'est en général la force centrale - en l'occurrence le conglomérat RPR-UDF - qui est condamné à disparaître. C'est donc le Front national qui est amené à incarner l'espoir et la renaissance nationale.