Interviews de M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'état aux DOM TOM, à RTL et dans "Les Nouvelles Hebdo" le 28 août 1997, dans "Les Nouvelles Calédoniennes" du 3 septembre, à Radio Rythme Bleu le 5 et dans "Le Progrès" du 10 septembre, sur le référendum d'autodétermination de la Nouvelle Calédonie, et l'aide de la métropole.

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Circonstance : Voyage de M. Queyranne en Nouvelle Calédonie du 1er au 6 septembre 1997

Média : Emission L'Invité de RTL - La Tribune Le Progrès - Le Progrès - Les Nouvelles calédoniennes - Les Nouvelles Hebdo - Radio Rythme Bleu - RTL

Texte intégral

RTL – jeudi 28 août 1997

O. Mazerolle : Vous partez pour la Nouvelle-Calédonie ; les accords de Matignon consécutifs au drame d'Ouvéa, datent déjà d'il y a neuf ans et l'an prochain, en principe, doit se tenir le référendum sur l'autodétermination en Nouvelle-Calédonie. Il aura lieu de toute manière ?

J.-J. Queyranne : Ce référendum est prévu par la Constitution, il aura lieu d’ici décembre 1998, mais reste à en déterminer la forme, puisqu'en Nouvelle-Calédonie, depuis dix ans, neuf ans, les choses ont beaucoup évolué.

O. Mazerolle : Le mot « indépendance » est encore à l'ordre du jour en Nouvelle-Calédonie ?

J.-J. Queyranne : Le mot « indépendance » est évidemment le leitmotiv, le mot d'ordre en ce qui concerne le FLNKS. Mais en même temps, les Kanaks souhaitent, je crois – ils l'ont exprimé quand ils sont venus à Paris –, avec les Européens qui sont là-bas, ceux que l'on appelle les Caldoches, une solution consensuelle. C'est cette solution consensuelle que l'on va essayer de déterminer, donc peut-être d'éviter un référendum d'autodétermination sur le thème « oui ou non pour l'indépendance », mais aller vers une nouvelle étape. Je crois que les deux parties y sont disposées aujourd'hui.

O. Mazerolle : Les Kanaks, ou tout au moins certains d'entre eux, l'Union calédonienne notamment, vous reprochent de ne pas faire beaucoup d'efforts pour le partage des richesses de l'île à leur destination. Certains vous disent même que vous avez une attitude de petit papa colonial ?

J.-J. Queyranne : Oui, c'est un peu excessif. Il y a un projet, depuis trente ans, qui est de construire une usine au nord. Il faut savoir que la Nouvelle-Calédonie, en ce qui concerne la Grande Terre, l'île principale, fait 400 kilomètres de long – Paris-Lyon à peu près – et 60 à 80 kilomètres de large. Et effectivement, l'usine principale, métallurgique est au sud, ainsi que la ville de Nouméa. Donc, il y a toujours l'idée d'un rééquilibrage au nord par la création d'une nouvelle usine. Le gouvernement approuve cette démarche, reste maintenant à définir les modalités. Et c'est pour cela qu'une mission a été confiée à P. Essig, pour essayer de déterminer les conditions de réalisation de cette usine.

O. Mazerolle : Votre objectif est donc un accord politique avec maintien de la Nouvelle-Calédonie dans le giron français ?

J.-J. Queyranne : L'objectif est une solution qui s'inspire des accords Matignon, qui permette aux deux communautés de continuer à vivre ensemble dans la paix, en assurant la promotion des Kanaks.

O. Mazerolle : Mais dans le giron français ?

J.-J. Queyranne : Il y a possibilité de se maintenir dans le cadre de la République en donnant une plus large autonomie. Mais moi, je ne peux pas présager des dispositions qui seront à discuter dans les prochains mois.

O. Mazerolle : Le budget 1998 est en cours de discussion au sein du gouvernement, il y a la loi Pons qui prévoit des exonérations fiscales pour des investissements dans les DOM-TOM, vous êtes favorable au maintien de cette loi ?

J.-J. Queyranne : Je suis favorable dans la mesure où cette loi sert à l'emploi. Elle sert à l'emploi, j'ai pu le voir en Polynésie par exemple, dans le domaine de la pêche où se développe une pêche locale avec un chantier naval de construction de petits bateaux, dans le domaine du tourisme. Mais on a mis le doigt sur un certain nombre d'excès, de déviations, de dérives de la loi Pons et je crois qu'il faut à tout prix, vis-à-vis de la loi Pons qui a d'ailleurs évolué, lui donner ce caractère de priorité à l'emploi. Parce que la loi Pons représente, en 1996, deux milliards de recettes fiscales qui ne sont pas rentrées dans les caisses.

O. Mazerolle : Donc, plutôt maintien avec quelques amendements éventuels ?

J.-J. Queyranne : Nous en discutons. Les arbitrages ne sont pas rendus.

O. Mazerolle : Elle sert l'emploi, donc vous n'allez pas dire non.

J.-J. Queyranne : C'est mon objectif. Mais les arbitrages ne sont pas aujourd'hui tout à fait rendus.

O. Mazerolle : Vous n'avez pas l'air contre le principe de la loi ?

J.-J. Queyranne : Le principe me paraît bon dans la mesure où il sert l'emploi.

O. Mazerolle : Il y un autre problème soulevé par les élus des DOM-TOM, c'est de savoir s'il y aurait deux catégories de Français. Certains vous demandent pourquoi la prime des sursalaires – parfois jusqu'à trois fois leur salaire de métropole – est maintenue pour les fonctionnaires de la métropole qui vont dans les DOM-TOM. C'est si terrible que ça d'aller aux Antilles ou à La Réunion pour trois fois le salaire de la métropole ?

J.-J. Queyranne : Ce chiffre est totalement excessif. Il y a effectivement une indemnité qui est donnée aux fonctionnaires qui servent outre-mer, qui était consécutive à la difficulté d'avoir des fonctionnaires présents dans ces départements, il y a une vingtaine ou une trentaine d'années. La question a été prise par le gouvernement précédent pour La Réunion, d'une mauvaise manière. Elle a provoqué il y a quelques mois des émeutes, une situation très difficile. Je crois que ce dossier, aujourd'hui, ne peut pas être repris de la même façon, c'est-à-dire qu'il faut une véritable concertation, il faut en même temps une étude approfondie de ce qu'est la constitution des prix, des revenus dans les départements d'outre-mer. Donc, la méthode qui a été employée précédemment ne me paraît pas bonne, c'était une démarche plutôt autoritaire. Il faut travailler avec les fonctionnaires.

O. Mazerolle : Mais l'objectif sera quand même la diminution de cette prime ?

J.-J. Queyranne : L'objectif, c'est de voir quelles sont les conséquences de cette situation sur l'économie des départements d'outre-mer et puis, peut-être, de faire évoluer les choses. Mais travaillons avec les fonctionnaires sur place.

O. Mazerolle : Est-ce qu’il y a deux France ? Pourquoi les étrangers qui se trouvent en situation irrégulière dans les DOM-TOM ne sont-ils pas concernés par les opérations de régularisation qui concernent les étrangers se trouvant en métropole ?

J.-J. Queyranne : Il n'y a pas deux France mais il y a des situations particulières outre-mer. Par exemple, la Guyane, c'est 20 départements français, des territoires avec des forêts, donc des pénétrations qui peuvent se faire de ressortissants brésiliens, surinamiens ou d'autres nationalités, donc on ne peut pas appliquer de la même façon les textes qui sont en vigueur en métropole et en outre-mer. Ceci étant, j'ai demandé aux préfets, sur le plan local, de prendre en compte les dispositions générales qui existent dans le cadre de leur pouvoir, de régulariser éventuellement sous contrôle du juge judiciaire, du juge administratif pour tenir compte des situations particulières. Mais on ne peut pas décalquer les dispositions qui concernent la métropole de la même façon en Guyane, à Saint-Martin par exemple ou sur d'autres départements d'outre-mer.

O. Mazerolle : Soutenez-vous l'action des Lyonnais qui vont maintenir ouvertes les barrières de péage du périphérique de contournement ?

J.-J. Queyranne : Nous souhaitons qu'une solution soit dégagée et qui permette de sortir de ce qui est aujourd'hui...

O. Mazerolle : Soutenez-vous l'idée qu'on maintienne ouvertes les barrières de péage ?

J.-J. Queyranne : Je ne suis pas pour des solutions de cette nature mais je comprends l'irritation des Lyonnais qui se sentent piégés dans cette affaire. Il faut en sortir. Ce sont les propositions que nous avons faites auprès de M. Barre ?


Les Nouvelles Hebdo : 28 août 1997

Jean-Jack Queyranne : Avec le Premier ministre Lionel Jospin, nous avons déjà reçu à Paris les principaux représentants des forces politiques en Nouvelle-Calédonie, notamment les partis signataires des accords de Matignon, le FLNKS et les parlementaires du RPCR. Mais il m'a semblé important de me rendre aussi sur place pour être à l'écoute de la société calédonienne, des forces politiques, dans le cadre des accords de Matignon et de l'échéance de 1998. Il faut rappeler que, parallèlement, Lionel Jospin a confié une mission à Monsieur Essig. Mission qui porte sur la difficile question de la réalisation de l'usine du Nord auquel le gouvernement est attaché. Monsieur Essig doit faire l'inventaire, analyser le projet, voir ses conditions de réalisation et il rendra ses conclusions au Premier ministre, le 15 septembre.

En parallèle, il y a des discussions politiques qui doivent exister et en tant que ministre de l'outre-mer, en charge de ce secteur, il me paraît important de les mener sur place avec tous les partenaires concernés. Donc ce sera, pendant cette semaine, l'occasion de recevoir les forces politiques mais aussi de me rendre dans les trois provinces, pour avoir une meilleure connaissance des réalités locales, là-bas en Nouvelle-Calédonie.

L’Hebdo : Sur ce dossier minier, l’UC vous accuse de partialité, cela risque-t-il de peser sur votre déplacement ?

Jean-Jack Queyranne : Non, mais je crois que la notion de « partialité » qui est adressée à l'ensemble du gouvernement est excessive. Justement, le gouvernement a chargé Monsieur Essig, qui est un expert indépendant, incontestable, d'écouter tout le monde, de faire une évaluation et de la rendre publique. Donc le gouvernement a choisi une démarche qui vise à consulter les différentes parties prenantes de ce difficile dossier du nickel. On ne peut pas l'accuser de partialité alors qu'au contraire il s'agit de mener, en toute indépendance, une œuvre d'intérêt général...

L’Hebdo : Vous-même, avez-vous une solution à proposer pour sortir de l’impasse ?

Jean-Jack Queyranne : Ce n'est pas à moi d'avoir des solutions au dossier minier. Nous attendons les conclusions de la mission Essig et, à l'heure d'aujourd'hui, ce n'est pas au ministre ni au gouvernement de dégager des solutions. Je crois que Monsieur Essig mène son travail avec une volonté de dialogue et en approfondissant fortement la question pour éviter que les décisions soient prises à l'emporte-pièce. Donc je vous donne rendez-vous après le 15 septembre sur ce dossier du nickel. Aujourd'hui, je ne peux pas en dire plus...

L’Hebdo : L’échéance de 1998 se rapproche, avez-vous le sentiment que le dossier calédonien pourra tenir le calendrier ?

Jean-Jack Queyranne : Le dossier avance à travers cette mission Essig. Quand il est arrivé au début du mois de juin, le gouvernement a trouvé une situation fortement conflictuelle sur ce dossier et il a souhaité prendre la mesure des enjeux et en faire l'inventaire dans un délai rapproché. Il ne s'agit pas d'une mission pour renvoyer le dossier et c'est pour cela que l'objectif est fixé au 15 septembre. Deux mois, ça veut dire que Monsieur Essig travaille et va travailler avec beaucoup d'intensité et à partir de là nous aurons des propositions à décliner qui pourront être confrontées avec les différents interlocuteurs.

Laissons Monsieur Essig faire son travail, je crois que tout le monde en profitera. Ne polluons pas son travail par telle ou telle déclaration politique, telle ou telle préconisation. Je préfère qu'il travaille de façon tout à fait objective et tout à fait indépendante et je pense que, sur cette base, le 15 septembre, nous pourrons faire des propositions. Et puis il y a le processus politique... Il faut rappeler à ce propos que le dialogue n'a jamais été interrompu. Lionel Jospin a reçu en ma présence le FLNKS pendant plus d'une heure et demie, fin juin. Il faut mener en parallèle ce dialogue politique. C'est l'objectif du gouvernement.


Les Nouvelles Calédoniennes : 3 septembre 1997

Didier Fléaux : Vous êtes aujourd’hui dans le Nord, demain dans les Îles. Vos deux premières journées sur le territoire ont-elles été positives ?

Jean-Jack Queyranne : J’ai rencontré les principaux responsables politiques. Je vais revoir l'Union calédonienne jeudi, le président du FLNKS samedi et recevoir le Palika vendredi. De mes entretiens, plusieurs choses apparaissent clairement. Et tout d'abord qu'il y a une perception commune de la question minière. Tout le monde croit à la nécessité de réaliser une usine dans le Nord, tous les courants politiques, économiques et syndicaux. C'est une question d'aménagement du territoire, de rééquilibrage économique, de création d'emplois, de ressources fiscales.

Didier Fléaux : Cette réalisation dépendra des conclusions du rapport Essig.

Jean-Jack Queyranne : Il faut attendre en effet ce rapport qui sera remis aux alentours du 15 septembre et mon rôle n'est pas de m'impliquer dans la mission Essig. Mais je constate que cette réalisation est une impérieuse nécessité. L'usine du Nord était prévue depuis trente ans, depuis le général De Gaulle.

Didier Fléaux : Dans quel état d’esprit avez-vous trouvé vos interlocuteurs ?

Jean-Jack Queyranne : Un esprit de dialogue. Neuf ans après les accords Matignon, on mesure les effets positifs. On a appris à travailler ensemble, à tracer des perspectives pour vivre ensemble dans le futur. La promotion du monde mélanésien et l'apprentissage des responsabilités sont effectifs. Et puis, il y a une attente sur le devenir institutionnel. Tous mes interlocuteurs me l'ont dit : il faut que les discussions sur l'avenir puissent être engagées rapidement sinon le territoire sera pénalisé. De son côté, le FLNKS souhaite à la fois que l'État joue un rôle actif et il a en même temps la volonté d'entrer dans les discussions.
Le RPCR, lui aussi, souhaite ardemment engager les discussions. Chacun sait que l'échéance de fin 98 ne pourra pas être repoussée. Le souhait d'aboutir à un accord partagé existe et il est réciproque.

Didier Fléaux : En cas de déblocage de la question minière en septembre, vous estimez donc que très vite les négociations pourraient s’engager ?

Jean-Jack Queyranne : Lors de mon entretien avec le FLNKS, M. Lepeu m’a clairement indiqué qu’il n’y aura pas d’autre préalable. J’interprète ce propos de façon positive ! Si on parvient à lancer le projet minier, les discussions iront vite. Certes, les positions restent à rapprocher mais je n'imagine pas que ceux qui travaillent ensemble depuis neuf ans puissent se tourner le dos. Le FLNKS me l'a dit. Ils peuvent entrer en discussions dès le mois d'octobre. Il faudra alors débattre des questions de souveraineté, des rapports entre le territoire et les provinces, de l'organisation de l'exécutif, des rapports avec l'Europe, et l'environnement régional.

Didier Fléaux : Comment ressentez-vous l’opinion publique sur le territoire ?

Jean-Jack Queyranne : J'ai vu aujourd'hui le maire de Nouméa, Jean Lèques. Sa ville s'est engagée dans une politique contre l'exclusion. Ça n'a pas été facile mais les résultats sont là. Je suis allé aussi à Païta. Toutes mes rencontres m'ont permis de voir une société calédonienne qui est vivante, qui n'est pas figée. Avec un esprit d'entreprise prometteur pour l'avenir. Aujourd'hui, je me rends en province Nord et demain en province des Îles. Le rôle d'un ministre n'est pas de rester dans son bureau à Paris et de recevoir des délégations. Il est aussi d'aller sur le terrain.


Radio Rythme Bleu : 5 septembre 1997

Elisabeth Nouar : Monsieur le ministre, bonjour et merci d'avoir accepté cette invitation. Vous quittez demain la Nouvelle-Calédonie après un séjour très dense car vous êtes allé dans les trois provinces et que vous avez eu de très nombreux entretiens. Vous devez vous rendre, ce matin, sur le chantier du centre culturel Jean-Marie Tjibaou et c'est demain matin que vous dresserez le bilan de ce séjour face à la presse. En arrivant lundi dernier à Nouméa, vous vous êtes dit convaincu et je vous cite : « que nous parviendrons dans les semaines et les mois qui viennent à surmonter les obstacles qui existent encore et à trouver ensemble les voies et les moyens d'un nouveau vivre ensemble de tous les Calédoniens ». Qu'est ce qui fondait cet optimisme et avez-vous la même conviction aujourd'hui au terme de ce voyage ?

Jean-Jack Queyranne : Ce n'était pas un optimisme mais un souhait que l'on puisse évoluer dans les discussions politiques. On sait qu'il y a ici un préalable qui a été posé par les partenaires de l'accord Matignon, c'est le FLNKS sur la question des mines. Quand je suis arrivé, M. Essig venait de rendre sa mission, je crois qu'il a été bien reçu ici et actuellement il est en train de rédiger son rapport qu'il remettra au Premier ministre autour du 15 septembre. En même temps, ce que j'ai vu ici me renforce dans ma conviction que ce déplacement était utile. D'abord, parce qu'il a permis de rencontrer ici les forces politiques mais pas uniquement les acteurs sociaux, de rencontrer les chefs d'entreprise, les représentants des différents cultes et en même temps de voir la société calédonienne et ses différentes composantes. Certes, c'est un peu rapide mais je crois qu'il y a une attente, une attente pour que les choses se débloquent, pour que l'on entre dans les discussions et cela on me l’a exprimé d'un côté comme de l'autre. C'est-à-dire que l'on sorte d'une situation qui ne favorise pas la stabilité, les investissements économiques. Il faudra discuter, ça ne se passera pas très vite. Je pense que maintenant tout le monde essaye de regarder cette échéance et ma venue, peut-être modestement, aura permis de débloquer un peu les choses. J'avais le sentiment ici d'une société où les gens à la fois se connaissent et travaillent ensemble mais où les positions étaient figées. Essayons de les débloquer pour avancer sur la question institutionnelle.

Cette question n'est pas la seule à traiter. Il faut traiter de l'insertion de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, ici dans le Pacifique, des relations avec l'Europe. La Nouvelle-Calédonie ne vit pas dans un monde à part. Il faut traiter aussi des questions relatives à la promotion, je pense en particulier des Kanaks. Hier, je voyais un jeune qui était à Lifou et qui allait passer son Bac et me disait : je veux faire une classe préparatoire et ensuite faire médecine. C'est une très belle ambition. J'ai posé la question, combien y a-t-il de médecins kanaks qui exercent ? On m'a dit il y en a 2. Alors, ça aussi, c'est une mission de rééquilibrage qui, au-delà des institutions, doit intéresser toute la société calédonienne. Quand j'ai interrogé le recteur en lui demandant combien il y avait de professeurs kanaks dans les lycées ? Il m'a dit il y en a 5. Tout ça ce sont des chiffres qui doivent faire réfléchir l'ensemble de la société calédonienne pour qu'un effort supplémentaire de promotion, il y a eu le programme 400 cadres, mais qu'un effort supplémentaire de promotion soit fait, pour qu'ici, tous ceux qui vivent ici aient le sentiment d'être vraiment partie prenante de cette société.

Elisabeth Nouar : En attendant, les choses sont un petit peu bloquées, vous disiez avoir espéré à contribuer à débloquer les choses, mais depuis la rupture des discussions en avril 96, toute l'actualité calédonienne tourne autour du dossier minier de l'usine du Nord. Le gouvernement auquel vous appartenez a souhaité une remise à plat du dossier avec notamment l'envoi de la mission Essig.

Pensez-vous vraiment que ce rapport, qui doit être rendu public, rendu au Premier ministre le 15 septembre, pourra faire avancer les choses et débloquer la situation ?

Jean-Jack Queyranne : Je l’espère. La lettre de mission de Lionel Jospin à Philippe Essig, c’était de dire, examinez les conditions de réalisation de cette usine en fonction des projets existants. M. Essig a mené un travail d’inventaire rapide, certes, mais il a essayé de voir quelles étaient les ressources.

Il ne s'agit pas d'imaginer une usine qui ne serait pas viable, qui vivrait uniquement à coups de subventions publiques. Mais d'essayer d'évaluer sa crédibilité économique. En même temps, je suis frappé, tous les milieux, tous ceux que j'ai rencontré disent, il faut réaliser ce rééquilibrage économique, cet investissement pour des raisons d'aménagement du territoire, pour des raisons de dynamique économique car on pense que si ce projet est engagé et s'il réussit, il pourra avoir un effet d'entraînement dans le secteur du Nord.

Quand on survole la Nouvelle-Calédonie, on se rend compte que c'est un pays magnifique, mais que c'est un pays vaste et que pratiquement toute l'activité est concentrée sur une très faible surface sur la [mot illisible] de Nouméa. Quand on regarde la population, on s'en rend compte. 20 000 habitants dans les îles, un peu plus de 200 000 ici, disons autour de 100 000. Ce chiffre est sujet à quelques interrogations. Il y en a 120 000 qui vivent à Nouméa, donc sur le reste du territoire, il y a 60 000 habitants ici sur la Grande Terre. Il y a des potentialités qui existent, elles sont énormes.

Elisabeth Nouar : Pour ce rééquilibrage et cette usine du Nord, le problème qui se pose, c'est celui de l'accès à la ressource. On a l'impression tout de même qu'il n'y a pas trente-six solutions pour en sortir. Est-ce qu'éventuellement on va de nouveau se diriger vers un nouveau bras de fer entre l'État et ERAMET pour pouvoir fournir cet accès à la ressource ?

Jean-Jack Queyranne : Je n’ai pas les conclusions mais je pense que l’État devra faire connaître ses positions dans la mesure où il y a volonté politique. Il faudra discuter avec tous les partenaires. Mais la réalisation de cette usine me paraît, aujourd’hui, comme devant être une impérieuse nécessité donc il faudra en déterminer les modalités plus précisément. Je pense que je ne vais pas entamer les conclusions du rapport Essig. Mais à partir du moment où il y aura un engagement qui sera pris, je ne sais pas encore les conclusions, je pense qu’il faudra mettre le paquet pour que ça soit réalisé.

Nicolas Vignoles : Mais sur ce dossier, Léopold Joredie a fait un parallèle entre le rapport Essig et le rapport qui avait été demandé sur Vilvorde pour souligner que dans les deux cas, la décision va rester aux industriels quelles que soient les prises de positions politiques.

Jean-Jack Queyranne : Bien sûr, je vous l'indiquais. Ce n'est pas un projet qui va être monté à coups de subventions publiques donc qui ne serait pas viable économiquement. Il faut évaluer le projet, sa capacité à être réalisé dans un délai raisonnable. Quand P. Essig est parti, je crois qu'il a évoqué la date de 6 ou 7 ans. Ce qui correspond aux études, aux investissements à réaliser sur place pour les constructions. Je pense que si un chantier s'ouvre en matière de construction, il va en lui-même créer des emplois, dynamiser le secteur du BTP pour la réalisation de cette infrastructure. Voilà ce que je souhaite aujourd'hui et je pense que cet avis est quasi unanime dans la société calédonienne.

Elisabeth Nouar : Pour l’instant, c’est le projet Falconbridge SMPS qui est retenu. Vous le savez des interrogations, des doutes, voir des soupçons ont été exprimés sur le fonctionnement interne de la SMSP. Alors c’est aux administrateurs d’assurer le contrôle de cette société, mais dans la mesure où c’est une société qui est très directement associée à ce projet usine du Nord et qu’elle peut peser sur l’évolution politique, est-ce que l’État se sent interpeller par ces interrogations ou est-ce qu’il estime que ce n’est pas son problème ?

Jean-Jack Queyranne : Deux choses. D'abord la SMSP est une société qui dépend d'une société d'économie mixte ; en grande partie la SOFINOR. Je souhaite que les élus et les responsables politiques exercent les décisions qui s'imposent. Ils n'ont pas perdu à mon avis la maîtrise des décisions et les orientations doivent passer par la société d'économie mixte qui existe. Dire que la SMSP échappe à tout contrôle, c'est disons un certain aveu d'impuissance. Je pense que les responsables politiques doivent s'interroger sur ce qui est aujourd'hui un instrument, pour réaliser des investissements. Une action que tout le monde souligne comme une certaine réussite économique. Mais peut-être on se dit que la société a échappé au contrôle politique. Ça c'est aux politiques de prendre une décision.

D’autre part, et ça c’est ce qui relève de la responsabilité de l’État, il ne faut pas charger l’État de gérer les sociétés à la place de ceux qui ont la tâche de les gérer. Par contre, l’État doit s’assurer que si un investissement est réalisé et que les fonds publics sont engagés, que cela se fasse dans la transparence et au profit d’un intérêt public et non pas d’un intérêt privé.

Nicolas Vignoles : Tout le monde semble partir du principe que le rapport Essig va débloquer la situation et qu'il va permettre la levée du préalable minier. Mais si ce n'est pas le cas, que peut-il se passer à votre avis ?

Jean-Jack Queyranne : Je n'en sais rien. Vous savez attendons les conclusions de M. Essig, les discussions qui auront lieu. Au-delà de moi-même en tant que politique, on a eu plusieurs personnes qui sont venues sur le territoire, je pense à M. Essig mais je pense aussi à M. Gandois qui est venu au début du mois de juillet. Lui aussi, ayant vu la Nouvelle-Calédonie, est convaincu qu'il faut faire cette usine. Vous voyez que c'est un consensus large car ça saute aux yeux quand on est ici, ça saute aux yeux que ce rééquilibrage est nécessaire. Voilà, je ne vous dirai pas le scénario dans l'autre hypothèse, attendons le 15 septembre.

Elisabeth Nouar : Si Nicolas Vignoles vous pose cette question, c'est notamment parce que Rock Wamytan a déclaré au moment du départ de P. Essig que s’il réussissait, l’histoire de la Calédonie retiendrait son nom et que s’il échouait, il représenterait beaucoup de choses dans ce qui risque de se produire au lendemain du 15 septembre. Est-ce que vos interlocuteurs indépendantistes vous ont tenu des propos de ce genre et que faut-il en penser ?

Jean-Jack Queyranne : Non, ils n'ont pas utilisé ce genre de menaces. Ils ont simplement dit leur espoir que ce dossier avance de façon positive et qu'à partir de là, ils étaient prêts à rentrer dans les discussions, qu'il n'y avait pas d'autre préalable, qu'on ne multiplierait pas les obstacles. Ils m'ont dit aussi que ces discussions pouvaient s'engager dans les prochaines semaines. On a évoqué le mois d'octobre. Nous verrons bien, je ne vais pas imposer un calendrier, mais je pense que du côté du FLNKS, on joue pas non plus la montre.

Elisabeth Nouar : Avant de venir en Nouvelle-Calédonie, vous avez souhaité que les discussions politiques puissent exister en parallèle au dossier minier. Sous quelles formes peuvent reprendre les discussions politiques et sous quelles formes elles peuvent exister avant la levée du préalable ou si le préalable n’est pas levé ?

Jean-Jack Queyranne : Déjà par ma présence ici, j'ai été reçu par tout le monde. J'ai pu dialoguer avec tout le monde et moi je dois rendre hommage ici à l'esprit d'accueil, d'hospitalité de tous les Calédoniens. Je suis allé dans des municipalités RPCR, FLNKS, j'ai été reçu vraiment de la même façon comme quelqu'un représentant l'État français, envers qui on avait des exigences, mais enfin quelqu'un que l'on accueillait et à qui on faisait prévaloir ses points de vue dans un esprit d'hospitalité et de dialogue. Je pense que c'est une société qui depuis les accords Matignon fonctionne sur le travail en commun, sur le dialogue entre tous les partenaires. Ça c'est positif. À partir du moment où la question minière pourra être levée, moi je prendrai des initiatives. On a déjà discuté des grandes questions qui devaient être évoquées. Ces initiatives pourraient par exemple conduire à ce que nous ayons des réunions à Paris sur les thèmes qui sont les thèmes de souveraineté, de pouvoir, d'organisation notamment de l'exécutif, de rapport entre les provinces et le territoire, du rôle des communes, de l'environnement régional, des questions aussi qui sont posées sur « l'immigration » donc sur l'installation des personnes sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie.

Vous voyez qu'il y a plusieurs corbeilles de dossiers qu'il va falloir examiner et travailler au fond. Il y a des idées qui existent mais en même temps, on ne les a pas vraiment jusqu'à présent mises sur la table. Je pense que ces discussions entre les partenaires de la société calédonienne sont indispensables. L’État doit la faciliter, doit permettre qu'elle s'engage et doit amener lui-même des propositions.

Elisabeth Nouar : Vous parliez de l'accueil que vous avez reçu ici, on sait également que le FLNKS s'est dit surpris par la gestion du dossier par l'actuel gouvernement. Avant votre arrivée, vous en avez eu connaissance, l'UC vous a accusé de partialité et a eu des propos discourtois à votre égard. Depuis c'est la presse métropolitaine qui a fait état d'un certain nombre de déclarations assez dures de la part de Rock Wamytan et Bernard Lepeu. Là encore, est-ce qu'ils vous ont tenu les mêmes propos dans votre rencontre et quels commentaires vous inspirent ces déclarations un peu dures ?

Jean-Jack Queyranne : J'ai eu, quand j'ai rencontré le FLNKS, une déclaration générale au départ et ensuite on a quand même discuté 2 h 30. Le FLNKS avait mis cette question du préalable minier en disant toute discussion politique doit être sous les ténors. Moi je ne pense pas que c'est la bonne méthode.

Le rôle d'un ministre, c'est de se rendre sur les lieux dont il a la responsabilité pour rencontrer la société. Le rôle d'un ministre, ce n’est pas d'attendre les délégations à Paris. J'ai voulu le faire, je l’ai fait de façon tout à fait ouverte. Je n'entends pas non plus me mêler des problèmes internes de telle ou telle formation politique, notamment en ce qui concerne le FLNKS. Je trouve, après 4 jours que j'ai passés ici, que ma visite pour reprendre les termes de M. Wamytan n'était pas inopportune et qu'elle était utile.

Nicolas Vignoles : Sans vous immiscer dans les affaires intérieures du FLNKS, vous connaissez les divisions du camp indépendantiste, vous avez rencontré la plupart des protagonistes, vous avez rencontré hier soir l'UC, vous avez rendez-vous avec le Palika qui n'a pas souhaité s’associer avec la délégation indépendantiste. Est-ce que ces divisions inquiètent le partenaire État ?

Jean-Jack Queyranne : Le FLNKS est signataire des accords de Matignon, donc c’est le principal partenaire qui représente l’identité kanak, l’identité mélanésienne. J’ai déjà dit que je souhaitais que le FLNKS soit sûr de lui. Je trouve que ce n'était pas négatif mais très positif. On est un partenaire qui entre pleinement dans les discussions. Il faut qu'à l'intérieur du FLNKS ses problèmes soient évoqués. Le ministre lit les journaux, on ne peut lui demander de ne pas lire les déclarations de tel ou tel. On ne peut pas les prendre en négatif. Je crois que ça contribue au débat démocratique puis le FLNKS tiendra son congrès à la fois du mois de septembre et ce congrès décidera d'une ligne politique. Nous souhaitons avoir des partenaires qui discutent, qui aient leur position, qui aient leurs idées, qui veulent progresser ensemble mais qui soient sûrs d'eux-mêmes pour discuter car ils auront clarifié leurs idées.

Elisabeth Nouar : Le Palika a eu l’occasion de dire que si le gouvernement proposait l’ouverture de discutions, il serait présent quoi qu’il arrive. Plusieurs responsables de l’UC ont individuellement souhaité la reprise la plus rapide possible des discussions comme J. Lafleur. Il a même ajouté qu’il fallait peut-être que cela se fasse sans que tout le monde soit réuni autour de la table. Comment vous réagissez à ces prises de position, est-ce que ce ne sont pas des appels du pied au gouvernement et pouvez-vous prendre des initiatives ?

Jean-Jack Queyranne : Je n'ai pas encore rencontré le Palika, je le fais tout à l'heure. J'ai vu Paul Néaoutyine dans sa mairie, nous avons parlé de la gestion locale essentiellement, donc le Palika va me faire valoir son point de vue.

Faut-il démarrer des discussions avec des absents ? J'aimerai mieux que tout le monde soit autour de la table. Ma position est plutôt d’essayer que tout le monde soit présent sinon on ne peut prendre le train en marche.

J. Lafleur m'a fait part de son souhait, lui aussi, que les choses s'engagent, il connaît très bien la Calédonie. Il sait très bien que souvent il faut discuter, palabrer longtemps mais il exprime ce que l'on ressent très profondément dans toutes les communautés.

Je discutais par exemple avec de jeunes mélanésiens et je disais pour vous qu'est-ce que c'est 1998 ? Ils savent qu'il y aura quelque chose en 98. Mais en même temps, ils parlent de leur avenir, de leur formation. Je ne voudrais pas que la question institutionnelle soit celle qui étouffe toute la société. Sinon on risque d'avoir un décalage entre les milieux politiques et l'ensemble de la société qui dira à quoi ça correspond ces discussions de montage juridique par rapport à l’intérêt de ceux qui vivent ici.

Pour reprendre votre question, on reprendra l'initiative si le climat y est favorable après le 15 septembre, initiative pour que tout le monde se retrouve. Et je pense que personne ne voudra être aux abonnés absents.

Elisabeth Nouar : La question institutionnelle, elle, se pose de toute façon et tout le monde souhaite le référendum d'autodétermination. Étant donné le retard pris dans les discussions, est-ce que c'est encore possible d'éviter cette échéance de 98 ou est-ce qu'il est possible d'éviter le référendum d'autodétermination, comment on peut s'y prendre ?

Jean-Jack Queyranne : La date du 31 décembre 98, c'est une date qui s'impose à tous car elle a été voté par le peuple français mais on ne peut attendre d'un ministre qu'il dise autre chose, donc cette date, elle nous fixe une limite, nous n'y sommes pas encore. Mais je pense que c'est un aiguillon pour que la discussion avance. Sinon il pourrait être confortable de traîner les pieds donc la discussion doit s'engager raisonnablement. Nous avons un délai pour le faire.

Les questions sont complexes. Elles posent des problèmes institutionnels mais aussi nous avons un rapport avec la constitution française à évaluer. Question difficile sur laquelle je ne tranche pas, mais par exemple il a eu un important colloque de juristes à Montpellier en mars 97 et on voit que les avis sont très nuancés. Donc nous devons prendre la mesure nous aussi au niveau de la métropole, des équilibres politiques, institutionnels, juridiques qui se poseront.

Je pense que le temps nous est certes compté mais que s’il y a une bonne volonté on peut avancer dans les délais qui sont fixés.

J'ai le sentiment que l'on peut aller vers une solution, solution négociée, consensuelle. Chacun y trouvera ce qu'il veut bien entendre mais l'essentiel derrière les mots, c'est ce qu'on met, c'est-à-dire la capacité pour les Calédoniens de vivre ensemble et de construire ce vivre ensemble sans exclusion et sans exclusive.

Elisabeth Nouar : Et vous, quel rôle vous voulez y jouer car vous avez rendu un hommage appuyé aux signataires des accords de Matignon, vous y faites souvent allusion, c'est dans cet esprit que sera trouvé la solution demain. Le partenaire État est-il arbitre ou acteur à part entière pour vous ?

Jean-Jack Queyranne : En tout cas, il a été au cours de ces 9 années partenaire à part entière. Je voyais le volume des investissements qui ont été réalisés dans le contrat de développement, les équipements comme par exemple dans la province des Îles, il y aura un lycée, une salle polyvalente.

Quand j'entends dire l’État est un arbitre, j'ai l'impression que l'arbitre a beaucoup retroussé ses manches et qu'il est beaucoup descendu sur le terrain et ne s'est pas contenté de siffler la partie et de délivrer des cartons jaunes ou rouges. Donc l’État a vraiment joué son rôle ici en Calédonie.

Un exemple que je veux vous donner pour 98. En métropole, les contrats de plans vont de la période 93-97 comme les contrats de développement, comme le contrat de développement ici.

Mais le gouvernement précédent et celui-ci ont décidé que les contrats de plans dureraient 6 ans non pas 5 à enveloppes inchangées. Ici, nous avons décidé pour la Nouvelle-Calédonie qu’on rajouterait un an en 98, mais qu'on rajouterait une année de financement. Vous voyez que l'État a parfois peut-être bon dos mais ici il fait un effort à la mesure des demandes du pays, à la mesure des exigences du développement.

Nicolas Vignoles : Vous êtes secrétaire d'État chargé de l’outre-mer depuis 3 mois, qu'est-ce qui vous prédisposait à ces fonctions et vous semblez à l'aise dans ce ministère ?

Jean-Jack Queyranne : A priori, je vous dirais rien, je n’étais pas programmé pour être secrétaire d’État à l’outre-mer. Quand Lionel Jospin me l'a proposé au moment de la formation du gouvernement, j'ai été un peu surpris. Je lui ai dit même, il y a des dossiers difficiles dont celui de la Nouvelle-Calédonie car quand on pense outre-mer en France, en métropole, on dit toujours d’abord la Nouvelle-Calédonie. Toutes les sociétés d’outre-mer sont des sociétés complexes, vivantes mais en même temps très enrichissantes. Louis Lepinsec, qui a été ministre pendant 5 ans et que certains pressentaient à nouveau, m’a dit que ces 5 années passionnantes où j’ai vu des gens extraordinaires, donc ça m’a donné du cœur à l’ouvrage pour engager cette responsabilité. Mais je n’étais a priori pas destiné à ce type de responsabilités.

Je suis proche par mon parcours politique du Premier ministre, c'est lui qui a souhaité que je sois le porte-parole du Parti socialiste dans les années 80 et je suis resté très proche. Donc c'est peut-être un signe de cette confiance qu'il m'a manifesté en faisant appel à moi. Peut-être aussi à l'élu local car le ministre de l'outre-mer parfois se sent aussi dans la position d'un maire ou d'un président de conseil général parce qu'il a de ministre toutes les questions relatives à l'outre-mer. Il n'est pas spécialisé dans un domaine, l’éducation, l’équipement. Lui il a la gestion de l’ensemble du dossier d’outre-mer.

Elisabeth Nouar : Quelles images allez-vous rapporter de la Nouvelle-Calédonie et quand reviendrez-vous ?

Jean-Jack Queyranne : Je connaissais la Nouvelle-Calédonie mais uniquement Nouméa car j’étais passé ici en 1991 en tant que président du groupe d’amitié France-Australie au niveau parlementaire.

Moi je conserverai, mais je reviendrai, je pense, l’image d’un pays magnifique. J’ai eu la chance de pouvoir aller dans beaucoup de lieux et en même temps de le survoler. Un pays qui a des capacités de développement considérables, d’un pays qui a un regard, notamment des voisins ici, qui a changé. Il se trouve que j’ai rencontré avant de venir à Nouméa les ambassadeurs de France au Vanuatu, aux Fidji, en Australie et qu’ils m’ont tous dit qu’ils avaient un souhait, c’est que la présente française, d’une façon qui n’est pas définie sur le plan institutionnel mais que la présence française était utile ici, que le dialogue qui avait été amorcé par les accords de Matignon avait fait évoluer beaucoup les choses. Les arrêts des essais nucléaires aussi, vous imaginez, ça a facilité les choses quand je suis allé en Australie, en Nouvelle-Zélande en 91-92, ce n’était pas facile. On était attendu et nous posait beaucoup de questions. Et je crois qu’il y a une vision positive maintenant des voisins du Pacifique par rapport à la Nouvelle-Calédonie, et notamment ce qui s’y passe et au rôle que la Nouvelle-Calédonie peut jouer dans l’avenir dans cette zone pacifique. Cela il faut le projeter dans le cadre des réflexions que nous aurons dans les prochaines semaines.

J’espère revenir mais aussi rencontrer les interlocuteurs à Paris prochainement.


Le Progrès : mercredi 10 septembre 1997

Le Progrès : Vous revenez de Nouvelle-Calédonie où vous avez déclaré que l'on pourrait finalement ne pas organiser le référendum d'autodétermination tel qu'il a été prévu par les accords de Matignon. Pourquoi ce recul ?

Jean-Jack Queyranne : Il n'y a pas de recul, bien au contraire. Il y aura un référendum d'ici au 31 décembre 1998. Mais nous cherchons à permettre aux Calédoniens de s'exprimer sur la base d'un accord partagé dans lequel se reconnaîtraient toutes les communautés. Une telle procédure paraît aujourd'hui mieux adaptée qu'un référendum qui trancherait par un oui ou par un non et qui se solderait par un vainqueur et un vaincu. Les contacts que j'ai eus tant avec le RPCR qu'avec le FNLKS me montrent qu'il s'agit d'un souhait commun. Il nous reste maintenant à en définir les bases en rouvrant la discussion qui avait été rompue en avril 1996.

Le Progrès : L'indépendance n'est donc plus aujourd'hui d'actualité ?

Jean-Jack Queyranne : Celle-ci demeure un objectif pour le FLNKS qui est le principal représentant des Canaques. Je respecte leur aspiration. Mais ils paraissent d'accord pour qu'il y ait une nouvelle étape impliquant le maintien dans la République avec la définition de nouveaux liens.

Le Progrès : Si le FLNKS ne s'accroche plus au référendum d'autodétermination, n'est-ce pas simplement parce qu'il sait qu'une forte majorité se prononcerait contre l'indépendance ?

Jean-Jack Queyranne : Les accords signés en 1988 ont permis aux deux communautés de travailler ensemble à la gestion du territoire. C'est dans cet esprit qu'elles envisagent désormais une nouvelle étape.

Le Progrès : En Calédonie et ailleurs, vos prédécesseurs ont souvent eu à gérer des situations difficiles attisées par des indépendantistes. Ces mouvements semblent en perte de vitesse. Certains territoires indépendants souhaitent même redevenir français. À quoi attribuez-vous ce revirement ?

Jean-Jack Queyranne : Les efforts que la France a consentis pour le développement des DOM-TOM ont porté leurs fruits. Il y a aussi un plus grand partage du pouvoir. La comparaison des situations régionales dans le Pacifique, dans l’océan Indien ou dans les Caraïbes est favorable aux territoires que nous administrons tant au niveau social que démocratique.

Le Progrès : Faut-il encore aller plus loin en ce qui concerne les aides que nous apportons à des départements et territoires ?

Jean-Jack Queyranne : Il faut permettre aux économies locales d'exister malgré les inconvénients de l'insularité. Cela passe par le soutien aux productions locales ; je prendrai l'exemple de la banane qui fait aujourd'hui l'objet de vives attaques de la part de sociétés américaines. Il est impératif que l'Europe maintienne son concours à ces productions.

Le Progrès : La contribution de la métropole doit-elle continuer à passer par des aides sociales directes toujours plus importantes ?

Jean-Jack Queyranne : Notre soutien passe à mes yeux à travers la défiscalisation et le maintien de la loi Pons. J'y mets une double condition : que l'on ait une moralisation pour éviter que les contribuables s'exonèrent trop facilement de leurs impôts et que les investissements réalisés profitent réellement à l'emploi. Quant aux transferts sociaux, ils restent globalement dans les proportions de certains départements de la métropole. Les DOM-TOM ont une particularité démographique avec une population jeune très importante. Leurs charges en ce domaine sont donc très élevées, mais ils en ont beaucoup moins en ce qui concerne les retraites.

Le Progrès : Autre question qui n'a rien à voir avec votre domaine de compétence, votre collègue Dominique Voynet s'est prononcée pour une taxation des carburants polluants. C'est-à-dire en premier lieu le diesel. Partagez-vous son avis ?

Jean-Jack Queyranne : Il faut encourager les carburants les moins polluants et non ceux qui ont un effet négatif sur l'environnement. Même s'il faut effectivement tenir compte de la compétitivité des entreprises, l'intérêt général doit prévaloir. Et l'intérêt général, c'est bien de lutter contre la pollution et en même temps permettre à tous les modes de transport de se développer et d'être concurrentiels. Je pense que les routiers peuvent fort bien, eux aussi, comprendre ce qu'est l'intérêt général.