Texte intégral
Gérard Miller : Comme votre ministère est calme !
Dominique Voynet : Il y a encore quelques traces du passage violent des agriculteurs dans les lieux…
Comme ces pois qu'ils ont jetés un peu partout et qui ont germé dans mes pots.
Gérard Miller : Non, je voulais dire : comment votre ministère a l'air studieux !
Cela vous étonne ? La démonstration est pourtant faite depuis deux ans : un Vert au gouvernement, ce n'est ni la révolution dans l'administration, ni le gaspillage des fonds publics, ni l'incohérence des décisions. Ce n'est pas non plus le chaos dans l'équipe gouvernementale.
Gérard Miller : Depuis combien de temps vos amis ne vous réclament-ils plus votre démission ?
Les six premiers mois, ils se posaient la question tous les quinze jours !
Mais la dernière fois que ma démission a été évoquée dans un vote du conseil national des Verts, cela remonte maintenant au mois de juin 1998.
Gérard Miller : Comment avez-vous réussi à rendre supportable aux Verts votre habit ministériel ?
En leur répétant qu'il ne faut pas comparer ce que je fais avec leurs rêves, mais avec ce qui serait arrivé si je n'étais pas là où je suis…
Gérard Miller : Vous leur avez inoculé un peu de votre esprit de sérieux ?
Mais j'ai toujours pensé que les écologistes étaient sérieux ! Ceux qui ne le sont pas sont ceux qui, constatant les failles du modèle productiviste dominant, le chômage, les inégalités entre les régions, la dégradation de l'environnement, continuent à foncer tête baissée dans le mur.
Gérard Miller : Grâce à vous, les Verts sont quand même devenus des êtres de compromis, non ?
Pas du tout, ils essaient de montrer qu'on peut à la fois rester radical dans ses options fondamentales et choisir de faire évoluer la société par étapes, en prenant ses responsabilités au sein d'une équipe.
Gérard Miller : Qu'est-ce qui a vraiment changé avec Lionel Jospin ?
Il est sorti de la logique qui consistait à nous dire : « Apportez vos voix de second tour et vous aurez un poste d'adjoint à l'Environnement. Il a été le premier à nous respecter comme partenaires, et à comprendre que nous ouvrions des perspectives de rénovation de la vie publique, et aussi que nous avions des contacts réels avec des franges de la population que le PS avait du mal à toucher. Cela dit, je ne suis pas naïve, le combat reste de tous les jours !
Gérard Miller : Jamais Jospin ne vous a maltraitée ?
La règle du jeu est ainsi faite : chaque ministre défend son point de vue, puis le Premier ministre tranche. Il m'arrive d'être désolée de certains arbitrages, mais est-ce que j'ai déjà eu l'impression de perdre la face ? Non, jamais.
Gérard Miller : Votre position sur la guerre du Kosovo a-t-elle évolué au fur et à mesure que le conflit progressait ?
Je crois surtout que ce n'est pas le moment de savoir si on a eu tort ou raison de lancer les attaques aériennes sur le Kosovo et la Serbie. Moi-même, je ne sais pas si le désastre auquel on assiste a été amplifié ou contenu par la stratégie retenue, mais il est trop tard ou trop tôt pour se le demander.
Aujourd'hui, nous sommes condamnés à réussir : faire cesser les massacres, permettre le retour des réfugiés - ça suppose à un moment ou à un autre, le plus tôt sera le mieux, un recours à la médiation de l'ONU. Cela étant, nous n'aurons pas assez de notre vie pour oublier qu'on a aujourd'hui les mains sales et le coeur triste de n'avoir pas agi plus tôt, quand la nature du régime de Milosevic apparaissait déjà pour qui voulait bien le regarder en face.
Gérard Miller : Si vous me dites qu'il n'y a pas, entre Daniel Cohn-Bendit et vous, la moindre différence d'appréciation sur la guerre, je ne vous croirai pas.
Je ne vous le dirais pas, parce que ce ne serait pas vrai. Le fait est que Dany produit de la testostérone et pas moi !
Gérard Miller : Ah oui, j'avais remarqué ça : vous développez la thèse selon laquelle, chez les Verts, un clivage passe entre les hommes et les femmes.
En effet, les femmes sont plus prudentes, plus scrupuleuses. C'est comme pour le foot, les soirs de match : il y a autant de sélectionneurs que d'hommes devant l'écran ! Les hommes ont un peu trop tendance à jouer les stratèges en chambre et cela me désole.
Gérard Miller : Ce n'est pas très gentil pour Dany.
Pourquoi ? Je trouve débile que la politique supporte aussi mal qu'on fasse état de la moindre différence. Cela se passe pourtant comme ça dans la vie. Vous pouvez être follement amoureuse de votre compagnon, et en même temps ne pas être d'accord sur tout, non ?