Interviews de M. Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, à RTL le 19 septembre 1997, et Europe 1 le 29, sur la grève à la SNCF et les revendications de la CGT en vue de la Conférence sur l'emploi du 10 octobre, notamment une loi-cadre pour la réduction du temps de travail à 35 heures.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - RTL

Texte intégral

RTL : Vendredi 19 septembre 1997

O. Mazerolle : La grève revient pour le 8 octobre à la SNCF. La CGT lance un appel. Pourtant, il y a eu 2 000 postes créés à la SNCF, une réduction de la dette de 20 milliards de francs et il y a un gouvernement de gauche ! Que se passe-t-il donc ?

L. Viannet : Il se passe tout simplement que les cheminots ont un certain nombre de revendications très précises qui concernent les salaires, la réduction de la durée du travail et l’emploi.

O. Mazerolle : Encore ! Ils travaillent souvent 35 heures, les cheminots !

L. Viannet : Mais il faut tenir compte aussi de ce que sont les conditions de travail, les conditions de vie des personnels qui sont confrontés en permanence à des horaires instables qui pèsent considérablement. Donc, il y a besoin de discuter, de négocier. Je fais remarquer deux choses. La première est qu’il s’agit d’une grève unitaire à l’appel de la quasi-totalité des organisations syndicales. Cela veut dire quelque chose. La deuxième chose est que les cheminots n’inventent pas des revendications en fonction des gouvernements !

O. Mazerolle : La présence d’un ministre communiste aux Transports n’a-t-elle pas une vertu apaisante ?

L. Viannet : En elle-même, elle n’a pas la vertu de modifier ni la situation ni le caractère des revendications. Donc, ce n’est pas parce qu’il y a un gouvernement de gauche que les cheminots modifient leurs revendications et ce n’est pas parce qu’il y a un gouvernement de gauche que les cheminots renoncent à défendre leurs revendications par le biais de manifestation…

O. Mazerolle : J’insiste, la présence d’un ministre communiste ne change rien ?

L. Viannet : Je vous ferais remarquer que la CGT n’a pas porté de jugement sur la composition du Gouvernement. Elle entend garder sa liberté de jugement, sa liberté de proposition, son indépendance d’élaboration des revendications et d’ailleurs, quel que soit le gouvernement, y compris avec le gouvernement actuel.

O. Mazerolle : Avez-vous l’intention de préparer la Conférence du 10 octobre sur les salaires et le temps de travail avec d’autres mouvements d’action ?

L. Viannet : Je vais vous dire très franchement que nous en avons discuté lors de la réunion de nos instances qui s’est tenue hier et avant-hier, et nous avons vraiment besoin d’aller au débat avec les salariés, d’engager de très larges discussions avec les salariés, d’engager de très larges discussions avec les salariés sur les lieux de travail, dans tous les secteurs, privé et public. Et pourquoi cela ? Il faut quand même regarder la réalité ! On est aujourd’hui en présence du CNPF qui tous les jours monte au créneau dans la presse écrite, à la radio, à la télévision, pour dire : « 35 heures, il n’en est pas question, ce qui nous intéresse, nous, c’est l’annualisation de la durée du travail, c’est la flexibilité, la précarité. » Et en face, les salariés resteraient silencieux ! En face, les salariés ne se donneraient pas tous les moyens pour dire ce que sont leurs aspirations !

O. Mazerolle : Donc, des mouvements d’action ?

L. Viannet : Bien sûr.

O. Mazerolle : Sous quelles formes ?

L. Viannet : Partout où nous parviendrons à avoir l’accord des salariés. C’est eux qui décident. Il n’y a pas de coup de sifflet magique qui permette de décider…

O. Mazerolle : Cela peut aller jusqu’à la grève, dans certain cas ?

L. Viannet : Moi, personnellement, je le souhaite. Je souhaite que les salariés se donnent les moyens d’exprimer leurs exigences dès l’instant où ils peuvent le faire, unis, rassemblés ; dès l’instant où ils peuvent contribuer à ce que tous les syndicats se retrouvent sur des objectifs revendicatifs qui correspondent à leurs aspirations. Qu’ils aillent aussi loin que possible. Le patronat ne se gêne plus. Quand j’entends, par exemple, les représentants du patronat aujourd’hui, à propos du plan emplois-jeunes, dire que ce n’est pas à l’État de créer des emplois, que ce n’est pas dans le secteur public qu’il faut créer des emplois ! Qu’est-ce qu’ils attendent pour créer des emplois dans le secteur privé et dans les entreprises ?! J’attends de voir quelles propositions ils vont faire. Comment vont-ils prendre leurs responsabilités devant le pays et notamment pour la mise en place d’un plan emplois-jeunes dans le secteur privé ? Jusqu’à présent, ils ont empoché l’argent, ils ont empoché les aides et leur comportement actuel est indécent. Voilà, je me suis passionné parce que c’est une question très importante.

O. Mazerolle : La journée du 10. Quel est l’enjeu crucial de cette journée ?

L. Viannet : Ce n’est pas seulement la journée du 10 !

O. Mazerolle : Ce jour-là, que voulez-vous comme acte fort ? Vous voulez partir le soir avec quel résultat concret ?

L. Viannet : Je ne sais pas si je vais partir le soir, moi ! Ce n’est pas moi qui décide.

O. Mazerolle : Cela va durer une journée !

L. Viannet : Cela va durer une journée mais cela va continuer après.

O. Mazerolle : Ce jour-là, que voulez-vous obtenir ?

L. Viannet : Ce jour-là, si j’en réfère à ce nous pouvons connaître des intentions du Gouvernement sur l’ordre du jour, on va parler des bas salaires. Nous avons des choses à dire puisque nous voulons demander au Gouvernement une nouvelle étape d’augmentation du Smic. Mais nous voulons demander au patronat l’exigence d’ouverture de négociations dans toutes les branches parce que nous sommes actuellement dans une situation où, dans la plupart des branches, les minima des grilles de salaire sont en-dessous du Smic et que nous assistons depuis des années et des années à un écrasement des salaires dans la grille, avec une détérioration de la reconnaissance des qualifications. Bref, il y a vraiment des questions fortes à discuter. Ensuite, il y a le plan emplois-jeunes dans le secteur privé et je vous disais avec un peu de passion que là, nous attendons le patronat pour voir quelles propositions ils vont faire.

O. Mazerolle : Et puis ?

L. Viannet : Et enfin, il y a la grande question de la réduction de la durée du travail.

O. Mazerolle : Vous voulez une loi-cadre ?

L. Viannet : Pourquoi disons-nous qu’il faut une loi-cadre ? Parce que j’écoute le positionnement du CNPF tous les jours et j’en arrive à la conclusion que s’il n’y a pas de loi-cadre, s’il n’y a pas une loi qui dit comment doivent s’engager les négociations, quels sont les objectifs à atteindre, quelle est la date butoir au-delà de laquelle il faudra que des décisions soient prises, bref s’il n’y a pas de loi-cadre pour encadrer précisément tout cela, il ne se passera rien !

O. Mazerolle : Vous voulez la décision ce jour-là, le 10 ?

L. Viannet : Au moins la décision de principe. Et puis, nous aurons à discuter sur comment se bâtit cette loi-cadre.

O. Mazerolle : Depuis trois jours, vous avez eu le temps de méditer la double phrase de L. Jospin : « les 35 heures payées 39, c’est anti économique mais nous ne sommes pas là pour baisser les salaires. » Avez-vous compris ?

L. Viannet : J’ai compris qu’il prenait le risque de faire un grand écart. Je ne suis pas sûr que ce soit très raisonnable parce qu’on ne peut pas dire une chose et son contraire. Il faut bien se mettre d’accord sur l’objectif qu’on veut poursuivre au travers de la mise en route de ce processus de négociation. Nous disons que l’objectif central doit être d’aller vers la création d’emplois. L’objectif central de toutes les mesures, qu’il s’agisse des salaires parce qu’il y a besoin de relancer la consommation, qu’il s’agisse de la réduction de la durée du travail, tout doit converger vers cet objectif de création d’emplois. Et on n’y arrivera pas si on touche aux salaires, compte tenu du niveau des salaires aujourd’hui dans notre pays.


Europe 1 : lundi 29 septembre 1997

L. Viannet : Le constat que nous sommes bien obligés de faire, c’est que nous sommes toujours dans ce cycle infernal qui voit que, d’une part, le chômage reste à un niveau très élevé pour les jeunes, reste à un niveau élevé pour les chômeurs de longue durée, qu’il y a de plus en plus d’emplois précaires qui aboutissent à une situation tout à fait déplorable, et en même temps, nous assistons à une augmentation des difficultés de la vie pour ceux et celles qui ont un emploi.

Europe 1 : Pensez-vous vraiment que les 35 heures sans perte de salaire, ce soit réaliste ? Le patronat a déjà dit que ça allait mettre beaucoup de travailleurs sur le carreau.

L. Viannet : Moi, je n’ai jamais entendu le patronat applaudir des deux mains dès qu’une mesure a pour conséquence effectivement de rendre plus difficile la recherche du profit qui est quand même l’objectif numéro un de la plupart des entreprises. Je ne comprends pas et je n’accepte pas les contradictions dans lesquelles le patronat essaye d’enfermer le débat. D’un côté, le patronat dit : s’il y a la loi, alors il n’y aura plus rien à négocier. Nous verrons ce que nous verrons. D’un autre côté, nous savons bien par expérience – parce que là, c’est la vie qui parle, c’est l’expérience qui tranche – que si on se contente de négocier sans qu’il y ait des mesures incitatives et un cadre précis pour la négociation, il ne se passera rien d’autre que l’étalement des exigences patronales pour l’annualisation de la durée du travail et pour plus de flexibilité. Je constate qu’il y a d’un côté ceux qui sont préoccupés par la persistance d’une situation où on compte plus de 4 millions de personnes privées d’emplois et ceux dont l’horizon ne dépasse pas la machine à calculer les bilans.

Europe 1 : Qu’allez-vous demander concrètement le 10 octobre ? Quelle sera la position de la CGT ?

L. Viannet : La position de la CGT est très claire : nous demandons que s’engage le processus de mise en œuvre de la réduction de la durée du travail.

Europe 1 : Donc, maintien des 35 heures ?

L. Viannet : Bien sûr ! Si on veut que la mesure ait des répercussions sur l’emploi, il faut qu’elle soit importante et c’est la raison pour laquelle nous disons qu’il faut que la loi précise les 35 heures. Partout où il sera possible d’aller plus loin, y compris vers les 32 heures, on examinera les conditions. Il faut également une date butoir, parce que, plus on va laisser de temps aux entreprises pour appliquer la mesure, moins il y aura des répercussions sur l’emploi. Il faut un rendez-vous entre-temps, entre le début de la négociation sous l’impulsion de la loi, et la fin de la négociation.

Europe 1 : Un rendez-vous entre qui et qui ?

L. Viannet : Entre tout le monde, le Gouvernement, le patronat et les organisations syndicales.