Texte intégral
Lutte ouvrière : 5 septembre 1997
Après trois mois de gouvernement socialiste
« Aux travailleurs d’imposer ce que Jospin ne donnera pas »
Voilà trois mois que les socialistes, avec à leur tête Jospin, sont au gouvernement. Trois mois, y compris la période d’été où il ne s’est pas passé grand-chose, où n’ont été gérées que des affaires courantes, où seuls quelques projets de loi ont été présentés. Les décisions importantes concernant les travailleurs sont encore à venir, en particulier celles qui touchent l’emploi, le temps de travail et les salaires.
Mais en trois mois, on peut déjà juger, ne serait-ce que sur les orientations prises. Et sur ce plan, le moins que l’on puisse dire, c’est que la politique de Jospin ne diffère guère de celle mise en œuvre par ses prédécesseurs socialistes. Et même si l’on compare sa politique à celle de Juppé, il faut tous les yeux de l’amour à l’égard du nouveau Premier ministre pour percevoir une quelconque différence.
Même sur ce qui ne coûtait rien aux bourgeois, Jospin n’a pas osé. Sur la question de l’immigration par exemple, il est revenu sur ses engagements de candidat, en refusant d’abroger les lois Pasqua-Debré. Tout au plus prévoit-il de les arranger quelque peu mais en en gardant l’essentiel. Ce qui lui a d’ailleurs valu les félicitations de plusieurs hommes politiques de droite. Et en la circonstance Jospin a eu les soutiens qu’il méritait.
Mais sur l’avenir proche, à quoi faut-il s’attendre ? Durant le dernier week-end du mois d’août, lors de l’université d’été des socialistes, Jospin, venu justifier les trois mois de son gouvernement, a martelé l’idée qu’il fallait accepter que l’action gouvernementale prenne du champ par rapport aux promesses électorales, au nom d’un prétendu « réalisme de gauche ».
Mais qui peut refuser d’être réaliste ? Être réaliste et de gauche, cela devrait signifier : tenir compte des faits mais vouloir vraiment les transformer pour le bien du plus grand nombre. Seulement, quand le mot est prononcé par tous ces politiciens, qu’ils soient de droite ou qu’ils se disent de gauche, il n’a plus rien d’engageant car pour eux, le réalisme a toujours consisté à préserver les réalités économiques chères au patronat.
Il y a aujourd’hui près de trois millions et demi de chômeurs officiellement recensés, dans la réalité, bien plus. Il y a cinq millions de personnes qui ont à peine de quoi vivre. Les salaires sont bloqués depuis des années. Pour ceux qui ont un emploi, les charges de travail sont de plus en plus lourdes. Des centaines de milliers de jeunes et de moins jeunes n’ont que des petits boulots, des emplois précaires avec des salaires qui le sont tout autant. Voilà la réalité telle qu’elle est et qu’il faut transformer vite.
Seulement, Jospin n’en prend pas le chemin. Ne voulant pas déplaire au patronat, il sort de sa besace les mêmes mesures que la droite et ses discours s’en distinguent à peine. Il nous explique que la justice sociale doit « aller de pair avec l’efficacité économique » et pour illustrer ce propos, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie annonce que le projet de loi des finances pour 1998 pourrait contenir une mesure pour « aider les entreprises qui embauchent ».
Et nous voilà revenus aux sempiternelles aides à l’emploi qui sont en fait des aides aux employeurs, à des idées vraiment pas nouvelles et qui n’ont évidemment jamais permis de créer un seul emploi.
Et que dire encore des nouveaux projets fiscaux qui viennent d’être présentés, où l’on nous annonce que la CSG pourrait augmenter, tandis que l’impôt sur la fortune serait à peine modifié, si ce n’est que le gouvernement n’est vraiment pas prêt à égratigner les riches.
Dans ces conditions, sans contraindre le patronat, sans prendre sur ses profits insolents, il serait illusoire de penser que Jospin améliorera le sort des classes laborieuses. En fait, il ne le veut pas, car pour le vouloir, encore faudrait-il qu’il prenne l’argent là où il est, dans la poche d’un patronat qui accapare toutes les richesses.
Alors, inutile d’attendre d’un gouvernement ce qu’il n’a manifestement pas l’intention de donner. Cela ne pourrait amener que de nouvelles déceptions, et renforcer, par là-même, la droite, voire l’extrême droite.
Il reste bien sûr une autre voie, la seule qu’ont toujours eue les travailleurs, celle de prendre ce qu’on ne veut pas leur donner, celle de se faire entendre, de se faire craindre. Tel sera en tout cas l’enjeu de cette rentrée.
Lutte ouvrière : 12 septembre 1997
Augmentation de la CSG
« Le gouvernement veut s’attaquer aux plus démunis sans toucher au patronat »
C’est officiel : le gouvernement s’apprête à augmenter d’au moins quatre points la contribution sociale généralisée, la CSG, cet impôt créé par Rocard alors qu’il était Premier ministre. De 3,4 % actuellement, elle passerait à 7,4 %. Pour les salariés, cette augmentation serait compensée par la suppression, partielle ou totale, de la cotisation d’assurance maladie qui est actuellement de 5,5 %, de sorte qu’il resterait aux salariés un gain, qui pourrait être de 1 à 1,2 %.
Le gouvernement vise à transférer cette cotisation sociale maladie, payée sur les salaires, pour la remplacer par l’impôt que constitue la CSG, payé en principe par tous les revenus. Cela est présenté comme plus juste, car une part des revenus du capital serait ainsi taxée. D’autre part, cela peut sembler une bonne opération à une partie des salariés, dont le salaire serait un peu augmenté sans que cela coûte un sou au patronat.
Mais en même temps, la CSG frappe des revenus comme ceux des retraités ou des chômeurs, pour qui l’opération se soldera par une baisse nette de leur pouvoir d’achat, déjà la plupart du temps bien bas. Selon les estimations, cette baisse pourrait se situer entre 2 et 4,8 % ! Les fonctionnaires aussi pourraient enregistrer une baisse de leurs revenus, car une partie de leur salaire est constituée de primes, non soumises à la cotisation maladie mais soumises à la CSG.
Quant au patronat, l’objectif à terme est de diminuer les charges sociales pour le satisfaire, lui qui ne cesse de se plaindre de payer trop de charges. Et pour l’instant, c’est pour lui au moins une opération blanche.
Alors où est la justice dans tout cela si l’on n’arrive à faire payer un peu moins une partie des salariés qu’en faisant payer plus les retraités et les chômeurs, c’est-à-dire de tout petits revenus qui ont déjà bien du mal à faire face ? Cela revient pour l’essentiel à prendre dans la poche des plus démunis.
En 1995, les leaders du Parti socialiste avaient protesté contre les effets de mesures du même type décidées par le gouvernement Juppé. Mais ils étaient alors dans l’opposition, et ils voulaient redorer leur blason après le mouvement de grève et leur approbation initiale du plan Juppé. Aujourd’hui, en disant que c’est pour le bien des salariés, ils se préparent avec les mêmes mensonges à diminuer les revenus des travailleurs qui sont en plus mauvaise posture pour se défendre, les chômeurs, pensionnés et retraités.
Au nom de quelle prétendue « solidarité » le gouvernement entend-il baisser à nouveau leur retraite ou leurs indemnités ?
Certes, il y a des retraités, anciens hauts cadres, qui ne sont pas malheureux, mais l’essentiel sera payé par eux, chômeurs, pensionnés ou retraités, qui doivent vivoter avec 6 000 F par mois ou même bien moins.
Le gouvernement Jospin, qui prépare son projet de budget pour 1998, montre ainsi déjà son orientation : sous couvert d’une plus grande justice, il va s’en prendre aux plus démunis, en écornant à peine les revenus du capital. Non seulement les multiples aides et subventions au patronat, qui grèvent le budget de l’État sous prétexte d’aider l’emploi, ne seront pas touchées, mais on se prépare même à diminuer les charges dont se plaint le patronat.
En soi, faire financer la protection sociale par les impôts ne serait pas injuste, bien au contraire, mais à condition qu'on prenne véritablement dans la poche des riches, c'est-à-dire des capitalistes, des spéculateurs et autres financiers, sur les fortunes amassées par cette bourgeoisie avide qui s'est tant enrichie ces vingt dernières années. Or, il ne s'agit évidemment pas de cela : respectueux des fortunes amassées par les possédants, le gouvernement Jospin ne fait que chercher des moyens un peu différents de faire payer ceux qui payent déjà : les travailleurs, les retraités, les chômeurs.
Il n’y a pas trente-six caisses où prendre l’argent : c’est le portefeuille des travailleurs, qu’ils soient en activité, chômeurs ou retraités, ou celui du patronat.
Le gouvernement Jospin ne veut pas toucher celui-ci. Les travailleurs, eux, ne doivent pas se laisser tromper : c’est bien au grand patronat, à la bourgeoisie, qu’il faut se préparer à faire payer l’addition de tout ce que, ces dernières années, ils ont imposé aux dépens de l’ensemble des couches travailleuses.
Lutte ouvrière : 19 septembre 1997
Conférence sur les salaires
« Le patronat présente ses exigences, faisons entendre les nôtres ! »
Jospin vient de faire savoir que la conférence sur l’emploi, les salaires et le temps de travail, réunissant le patronat, les syndicats et le gouvernement, se réunira le 10 octobre.
L’idée de cette conférence avait été mise en avant pendant la campagne électorale par le Parti socialiste et le candidat Jospin, qui l’avaient présentée comme un sommet social devant aborder la question des salaires et de la réduction du temps de travail. Mais à l’approche de cette échéance, Jospin, devenu Premier ministre, s’emploie surtout à donner des assurances au patronat… et à démontrer aux travailleurs qu’il n’y a rien à en attendre.
Interrogé par le journal Le Monde, Jospin a ainsi précisé que cette conférence ne sera pas « un rendez-vous à l’occasion duquel tous les problèmes – emploi, salaires, temps de travail – vont être traités, et surtout résolus ». Ce sera seulement « le moment d’un diagnostic, d’un échange » au cours duquel le gouvernement « proposera l’ouverture d’un certain nombre de processus de négociations ». Autrement dit, cela prendra du temps. Comme il l’a déjà précisé à plusieurs reprises, Jospin n’est pas pressé. Pour lui, les travailleurs au pouvoir d’achat bloqué, les chômeurs, doivent attendre que « le processus » se déroule.
La proposition d’une loi-cadre sur les 35 heures sans diminution de salaires, faite par le candidat Jospin, était volontairement floue. À maintes reprises, Jospin avait précisé qu’il ne s’agissait surtout pas d’imposer quoi que soit aux patrons mais de négocier, branche par branche, entreprise par entreprise.
Mais cette promesse a peut-être suscité des illusions parmi certains électeurs de gauche. Alors maintenant, Jospin reprécise que « la réduction du temps de travail ne se fera pas contre les entreprises », mais avec elles, et surtout avec « le temps, la souplesse, la réorganisation de la production, l’apport financier de la puissance publique ».
Pour ce qui le concerne, le patron des patrons Jean Gandois s’est dépêché de faire savoir que d’après lui, les entreprises ont déjà trop de contraintes et qu’il n’est pas question pour elles de faire des sacrifices. Les superbénéfices, la Bourse qui augmente de 50 % depuis le début de l’année ? Tout cela n’existe pas. Selon Gandois, il y a « la compétition internationale » et il ne s’agit pas de rester en arrière. Où irait-on si, par exemple, on se mettait à faire un peu moins de profits en France qu’ailleurs ?
Gandois n’a vu qu’« un petit coin de ciel bleu dans un ciel tout noir » : c’est la déclaration de Jospin disant que les 35 heures payées 39 seraient « anti-économiques ».
Les choses sont donc entendues, du moins pour ce qui est de Gandois et de Jospin. Cette conférence, qui était la carte maîtresse du programme de la gauche en matière sociale, va se traduire par quelques discours et peut-être de longues, très longues séances de négociations dont il ne sortira rien, sauf peut-être de nouvelles satisfactions pour le patronat : par exemple, des aides gouvernementales. Quant à la réduction du temps de travail, censés permettre de créer des emplois, elle risque dans ces conditions, de se traduire en nouveaux aménagements du temps de travail, permettant aux patrons d’augmenter encore la flexibilité sans avoir à payer plus cher... et sans créer un seul emploi !
Mais augmenter les salaires, mettre fin au chômage, cela ne sera pas possible sans contraindre le patronat à payer, sans prendre sur ses bénéfices. Ce n’est pas Jospin qui le fera. Qu’il s’agisse des privatisations, de l’augmentation de la CSG, ou de la conférence sur les salaires, c’est d’abord le patronat qu’il écoute et dont il prévient les désirs.
Alors les travailleurs, les chômeurs, ne peuvent pas être, pendant cinq ans encore, les victimes d’une farce dans laquelle on leur promettra toujours que les choses changeront... plus tard. Ils ne peuvent pas attendre que la situation se dégrade encore, qu’il y ait encore plus de chômeurs et de travailleurs précaires, que les salaires soient encore plus à la traîne. Il est temps, plus que temps, qu’ils mettent les pieds dans le plat.
Le patronat n’a pas attendu pour faire entendre sa voix et faire pression sur le gouvernement. Ce gouvernement se dit de gauche ? Ce n’est pas une raison pour que les travailleurs, les militants syndicaux, les militants des Partis communiste et socialiste attendent sans rien faire les hypothétiques résultats d’une conférence sur les salaires et d’aussi hypothétiques négociations. Ils doivent se mobiliser, faire entendre leur voix, faire grève et manifester, montrer la force que représente la classe ouvrière.
Nul doute alors que le patronat et le gouvernement trouveraient bien plus vite le moyen de satisfaire les revendications ouvrières.
Lutte ouvrière : 26 septembre 1997
La riposte nécessaire
Depuis le 22 septembre, le coup d’envoi a été donné à l’introduction en Bourse de France Télécom, c’est-à-dire à sa privatisation. Plusieurs organisations syndicales de cette entreprise appellent à une journée de grève et de manifestations pour le 30 septembre.
C’est bien la moindre des choses de permettre aux travailleurs de France Télécom d’exprimer leur protestation contre la poursuite d’un processus de privatisation entamé par la droite mais qui est poursuivi par la gauche, au mépris des promesses électorales de ses dirigeants, Jospin en tête.
L’inquiétude des travailleurs de France Télécom, comme celle des travailleurs d’Air France ou de la SNCF qui se retrouvent dans une situation semblable, est légitime. Elle l’est en raison des menaces que la privatisation représente pour leurs emplois et pour leurs salaires. Elle l’est pour les usagers, car les capitaux privés ne s’intéressent qu’à ce qui leur rapporte du profit et pas à ce qui est utile à la collectivité.
Il est de l’intérêt de l’ensemble des travailleurs que la journée de grève à France Télécom, comme la journée d’action prévue le 8 octobre à la SNCF, soient massivement suivies. Mais cela pose le problème de la suite à donner à ces journées qui ne suffiront pas à faire reculer le gouvernement.
Cela pose, aussi, un problème général. Le reniement sur les privatisations n’est pas le seul reniement du gouvernement. Et c’est l’ensemble de la politique du gouvernement Jospin qui recèle de graves dangers pour les travailleurs.
Jospin a été suffisamment prudent pendant la campagne électorale pour ne faire que très peu de promesses susceptibles de passer pour un engagement envers les travailleurs. Mais que reste-t-il, même de ce peu ? La promesse d’empêcher la fermeture de Renault-Vilvorde ? Trahie, à peine le gouvernement socialiste installé. Les 35 heures payées 39 ? C’est « anti-économique » a déclaré Jospin. La suppression des lois Pasqua-Debré contre les travailleurs immigrés ? Abandonnée. L’augmentation du pouvoir d’achat des salariés ? Remise au bon soin de « la conférence sur l’emploi, les salaires et le temps de travail » qui va se réunir le 10 octobre, mais dont Jospin répète qu’elle est seulement destinée à la « concertation des partenaires sociaux ». Ce qui signifie en clair, que les syndicats sont invités à se concerter avec les patrons… puis les patrons décideront ce qu’ils veulent.
Dans tous ces domaines, le gouvernement Jospin calque sa politique sur celle de ses prédécesseurs. C’est une politique qui vise la sauvegarde des intérêts du grand patronat. Et c’est particulièrement grave face au fléau du chômage. Le « plan emplois jeunes » de Martine Aubry, applaudi par une partie de la droite elle-même, n’est qu’un palliatif dérisoire. La situation sociale catastrophique qu’entraîne le chômage exige pourtant des mesures radicales, pas des miettes, pas du saupoudrage ! Elle exige que l’on interdise les licenciements, et d’abord dans ces grandes entreprises – nombreuses – qui annoncent des profits ; elle exige que l’on ose s’en prendre aux revenus des riches et à leurs fortunes accumulées.
Si la gauche échoue sur cette question, elle prolongera et aggravera encore la situation des travailleurs et laissera le champ libre au Front national.
Il est nécessaire de réagir.
Alors, pour commencer, il faut saisir les occasions offertes par les syndicats pour montrer le mécontentement des travailleurs. Mais il faut aussi que les protestations ne restent pas sans lendemain. Il faut qu’elles s’unifient autour des objectifs à même de stopper la dégradation des conditions d’existence du monde du travail. Il faut s’attaquer vraiment au chômage et à la misère croissante de la seule façon efficace possible : en faisant payer ceux qui s’enrichissent depuis le début de la crise, en ruinant la société.